A Huit (donc),
Ah d'accord, je cherchais une faute d'orthographe, là c'est une faute de syntaxe à laquelle je n'avais jamais fait attention et que je devais faire avec risquer comme on peut "risquer le tout pour le tout" (et non "risquer de le tout..."), je t'en remercie. De même il n'y a pas bien longtemps je disais encore "pallier à une difficulté", confondant pallier et remédier.
Sinon, je ne parlais pas ici du fait d'être lisible ou pas, quoique comme je pourrais le reconnaître avec Miss Caro, si mes textes étaient truffés de fautes de syntaxe, ce serait effectivement difficile à lire. De même que la forme fait obstacle au message quand un étranger parle mal le français à l'oral ; de même, les fautes à l'écrit toutes les deux ou trois phrases parasitent la compréhension du fond, surtout les fautes relevant de la grammaire de base du type "j'ai trouver", "je vérifis" ou "grâce auquels j'ai pus"... Cela, Miss Caro l'a bien compris en théorie.
Je parlais surtout de la clarté et de la distinction même de la pensée. Quand j'écris "j'ai trouver ce forum", je ne distingue manifestement pas clairement ce qui est accompli de ce qui est à faire ou en train de se faire. Du coup, la pensée ne peut que perdre en rigueur. Dès qu'il y a des nuances un peu fines à exprimer, comme c'est le cas en général en philosophie, les gros défauts d'orthographe se révèlent catastrophiques.
Pour exprimer une quasi non-pensée du type "je suis énervé par la tête de ce monsieur", le langage SMS peut faire l'affaire ; autrement "ça le fait pas" ! Mais pour avoir lu des milliers de copies de philosophie, individuellement ou collectivement en commission d'évaluation, je n'en ai jamais vu d'excellentes (dont le contenu valait 18 ou plus) qui confondaient le participe passé et l'infinitif. Quand j'écris "tu risques en rester au même point", cela pourrait paraître une faute relevant plus de l'ignorance d'une pure convention dans la communication que d'un problème de logique. Mais en combinant le verbe risquer avec un autre verbe comme je le combinerais avec un nom commun ("tu risques la mort"), je perds tout de même quelque chose de cette nuance que permet la langue française entre la possibilité d'un fait et une action.
Quant à la dyslexie, la philosophie n'exclut personne. Mais si tu ne parviens pas à lire correctement parce que tu inverses les lettres, ce sera difficile pour accéder au sens des textes de Platon ou de Descartes ! La dysorthographie qui suit la dyslexie héritera des difficultés à saisir les significations subtiles que seule "l'ortholexie" aurait permis d'acquérir. C'est donc bien un trouble qu'il faut soigner le plus précocement possible et non une simple différence naturelle, comme la couleur de la peau, face à laquelle il serait politiquement correct que la société s'adapte.
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A Miss Caro :
Tu disais t'intéresser plus aux histoires qu'à l'orthographe, ce qui implique que ton mouvement naturel n'est pas de t'intéresser à l'orthographe par toi-même, mais seulement pour les autres... D'où ma remarque de l'autre fois.
Par ailleurs, tu dis que tes idées sont déjà en forme dans ta tête avant de les écrire, je te cite : "lorsque j'écris, mes idées sont tout à fait en forme dans ma tête c'est juste que je veux les partager. " Donc tu n'écris que pour communiquer aux autres tes pensées. En revanche, tu sais exactement ce que tu vas écrire et comment tu vas l'écrire ? Les 300 pages de ton texte, tu les avais déjà en tête avant même de les écrire ? Tu peux donc les réciter au mot près ?
L'expérience commune, c'est qu'il existe des images ou des intuitions dans notre esprit, qui constituent la matière obscure et confuse de notre pensée. Et celle-ci ne devient claire et distincte qu'une fois extériorisée, mise en forme, soit oralement, soit à l'écrit. Mais à l'oral, il y a beaucoup moins facilement qu'à l'écrit cette possibilité de reparcourir le fil de ses idées d'un coup d'oeil, possibilité qui permet de mieux saisir les liaisons de ces idées qui sont apparues à notre conscience.
En tout cas, si ton texte est déjà écrit, en quelque sorte, dans ta tête avant que tu l'écrives (pour les autres seulement, puisque tout est déjà clair pour toi avant d'écrire), alors l'acte d'écriture sur le papier n'a rien d'une création. Tu ne fais qu'imiter ce qu'il y a déjà dans ta tête. Et si tu l'as trouvé tel quel dans ton esprit, sans tout ce travail de composition par lequel passent en général les écrivains, en face de leur papier, pour
mettre en forme leurs textes, tu ne crées à aucun moment. C'est la nature ou quelque esprit transcendant qui t'aura mis ces idées en tête. Il est alors sans doute utile pour toi de "transcrire" les pensées déjà formées que tu as trouvées dans ton esprit, mais il est aussi plaisant de créer.
Sur le rapport langage/pensée, voici un texte à méditer :
Rousseau a écrit :Les idées générales ne peuvent s'introduire dans l'esprit qu'à l'aide des mots, et l'entendement ne les saisit que par des propositions. C'est une des raisons pour quoi les animaux ne sauraient se former de telles idées, ni jamais acquérir la perfectibilité qui en dépend [...] Toute idée générale est purement intellectuelle ; pour peu que l'imagination s'en mêle, l'idée devient aussitôt particulière. Essayez de vous tracer l'image d'un arbre en général, jamais vous n'en viendrez à bout, malgré vous il faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu, clair ou foncé, et s'il dépendait de vous de n'y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette image ne ressemblerait plus à un arbre. Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le discours. La définition seule du triangle vous en donne la véritable idée : sitôt que vous en figurez un dans votre esprit, c'est un tel triangle et non pas un autre, et vous ne pouvez éviter d'en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré. Il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales ; car sitôt que l'imagination s'arrête, l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du discours.
C'est tiré du
Discours sur l'origine de l'inégalité, texte fondateur de l'anthropologie justement, que je ne saurais trop te conseiller.