le desir chez Spinoza

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Messagepar Enegoid » 06 mars 2008, 21:12

Mais, en aucun cas il ne parle d'une renonciation a une quelconque action politique d'un groupe d'hommes vivant sous la conduite de la raison. En effet, dans E4, p.74, Spinoza nous enseigne explicitement qu'« Un groupe d'hommes vivant sous la conduite de la raison vit selon le décret commun des hommes vivant sous la conduite de la passion jusqu'à ce qu'il l'emporte par la puissance sur tout ou partie de la cité vivant selon le décret commun ; alors il peut, en vertu du souverain droit de la nature, détruire tout ou partie de la cité vivant selon le décret commun. ».


Je n’ai pas retrouvé cette citation. Sans doute se trouve-t-elle dans le TP ?
Elle est plausible, quoi qu’il en soit, me semble-t-il.

Si elle est confirmée, elle donne une idée de quelque chose qui ressemblerait à une sorte de « ligne politique » spinozienne, mais pose quelques problèmes de mise en œuvre.

J’en vois deux qui me viennent à l’esprit :

1. Il n’existe pas, et il ne peut pas exister de « groupe d’hommes vivant sous la conduite de la raison » tout homme étant toujours plus ou moins sujet aux passions (il peut cependant exister des hommes qui s’efforcent explicitement plus que d’autres de vivre sous la conduite de la raison).
2. La vie politique (de nos démocraties) est, encore maintenant, structurée par le couple opposé droite(s)/gauche(s). Comment organiser ce couple par rapport au couple raison/passion ? Et que peut-il résulter d’un examen, sous l’angle de la raison, des positions politiques de la droite et de la gauche ? (Si j'écris celà, bien entendu, c'est parce que je pense que ni la droite ni la gauche ne sont dépositaire de la raison. D'où problème de cette opposition droite/gauche, problème avivé par la lecture de l'axiome I de Et5 qui énonce que deux actions contraires ne peuvent cohabiter dans le même sujet)

(ce rebond sur une intervention dans ce fil se rapproche peut-être plus du sujet "anthropologie". a voir...)

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Messagepar tecti » 10 mars 2008, 20:09

A Enegoid :

Effectivement on est tous passionés. Et on peut dire qu'on est sage seulement en une chose précise. Mais si on nomme Sage une personne s'efforçant de vivre sous la conduite de la raison, et qu'elle est sage en certains points toujours plus nombreux. Si d'autres Sages vivent avec elle, il y a une forte probabilité pour que certains points de sagesse des différentes personnes diffèrent. Et ainsi, la personne sage pourra éclairer le Sage passionné et l'apporter vers la sagesse. Non?

Pour ce qui est du clivage droite/gauche, cela est une partie intégrante de la Cité, c'est un moyen de regrouper des personnes qui auraient des idées contraires et donc incompatibles en les faisant s'identifier à un ensemble et être contre un autre ensemble. Ces ensembles étant supérieurs aux individus, ceux-ci ne font pas de mal. Si le groupe de sages forme une société propre, c'est en dehors de la Cité et tout ce qui peut la définir ou bien juste avec ce qui lui est utile.

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Modifié en dernier par tecti le 15 mars 2008, 20:24, modifié 1 fois.

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Messagepar Enegoid » 15 mars 2008, 18:45

Si on nomme sage une personne s’efforçant de se conduire suivant les principes de la raison, le sage s’oppose d’abord au religieux, car ce dernier ne pose pas la raison comme premier principe. (Le sage s'oppose d'abord à l'ignorant, pour Spinoza, mais on peut concevoir un ignorant désireux de connaissance)

Le parti de la raison a déjà eu sa traduction politique en France en 1793 avec le culte de l’être suprême et de la raison.



tecti a écrit :Ces ensembles étant supérieur aux individus, ceux-ci ne font pas de mal.


Que voulez-vous dire par là ?


Si le groupe se sages forme une société propre c'est en dehors de la Cité


Peut-on vivre "en dehors de la cité"? Le croyez-vous ?

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réponse à Enegoid

Messagepar tecti » 15 mars 2008, 21:36

Salut!

Par :
Ces ensembles étant supérieurs aux individus, ceux-ci ne font pas de mal

J'entends que :

La droite ou la gauche (peu importe) est composée d'individus, les hommes, de la même manière que tout corps. C'est-à-dire, composé de parties ayant un rapport de mouvement et de repos d'après le traité des corps, E.II. Tandis que l'être humain est composé de cellules, la gauche est composée d'hommes. On peu descendre la chaîne de compositions (gauche, hommes, cellules, etc) jusqu'à trouver les parties dont parle Spinoza ou bien monter cette chaîne et trouver Dieu en tant qu'il est l'Etendu.
La gauche est définie par ses parties et s'efforcera de persévérer dans son être tout comme les humains. Ainsi, si un homme ou groupe d'hommes est condidéré nuisible à son être, il sera éliminé. De la même manière un virus dans le corps humain est activement écarté. Cependant, un homme étant favorable au développement de la gauche, il est en harmonie avec les autres de la gauche. La droite fonctionne de la même manière, mais les deux groupes politiques sont nécessaires pour que l'autre puisse vivre correctement. Si en effet un des deux n'existait pas, admettons la droite, les personnes ayant des idées contraires à la gauche ne pourraient faire partie d'un grand ensemble et il manquerait d'unité entre les hommes qui risquent de défendre leur idée uniquement et vouloir la voir dans celle des autres sans aucune nuance. Alors qu'avec un parti, ils se disent adhérent aux idées de droite et cela forme une certaine moyenne qui peut regrouper des personnes. De plus, la droite n'existant pas, la gauche n'aurait plus raison d'être, elle regrouperait des personnes n'ayant pas les idées de droite qui n'existe pas et ne s'opposerait à rien, ce qui est contraire à elle.
Et donc les indvidus s'identifient à la droite ou la gauche et sont contre la droite ou la gauche. Au lieu de mettre du désordre chez des personnes ayant des opinions politiques un peu différentes, ils sont avec ces personnes contre une grande idée de la gauche ou la droite. Comme en plus ils composent leur camp, ils ne peuvent le détruire. Ils ne détruisent pas non plus l'autre camp, vu que ce ne sont que des individus qui seraient contre l'autre camp. Et ainsi, ces ensembles étant supérieurs aux individus, ceux-ci ne font pas de mal.
Je ne sais pas si c'est très clair...

"Peut-on vivre en dehors de la Cité?"
Je pense que cette vie en dehors de la Cité serait à prendre comme la sagesse, c'est-à-dire sur un point précis à un moment défini. On ne peut pas se soustraire à la Cité dans son ensemble, la Cité étant omniprésente et gouvernant notre apport en nourriture, habits, logement, rapport social, etc (à moins de tout faire soi-même, chose faisable mais colossale). Vivre en-dehors de la Cité serait donc d'essayer d'avoir le moins possible à faire avec les méthodes de la Cité (comme avoir son potager, faire ses habits, ses réparations, etc) et vivre sous l'ordre naturel le plus possible. Ensuite, d'après la prop. 74 E.IV, il ne sera possible de vivre en-dehors de la Cité que quand le rapport de force est présent. Ce que je voulais dire sinon par : "Si le groupe se sages forme une société propre c'est en dehors de la Cité"
c'est que pour former cette nouvelle société on ne peut garder les ruines de l'autre, il faudra prendre autre chose. Ce autre chose, idéalement, c'est le tout de l'ordre naturel.

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Messagepar Enegoid » 19 mars 2008, 18:54

Voici ma compréhension de ce que vous dites :
Vous dites, si je comprends bien, que les notions de gauche et de droite, évitent que les gens qui ont des idées différentes, mais proches, se combattent au nom de leurs différences, en les rassemblant au nom de leur proximité.
D’autre part, un individu ne peut faire de mal à une notion.


Et voici ma réaction :
Je sais bien qu’il est tentant de réfléchir aux groupes humains en les considérant comme des corps composés. Cette idée vient facilement à la lecture du scolie du lemme 7 E2. Je ne suis pas sûr, cependant, qu’il soit tout à fait licite d’identifier gauche et droite à des groupes humains de corps et donc à des corps composés : un corps, dit Spi, est quelque chose qui « exprime …étendue, de manière certaine et déterminée »def 1 E2. Les hommes de gauche et de droite ne me semblent pas former des ensembles « certains et déterminés ».
Mais peu importe. Je rentre dans le jeu.

Je rentre dans le jeu, mais je suis interpellé par l’essence et la persévérance dans l’être. Je m’explique :

Si on considère la gauche et la droite comme des corps, on peut aussi considérer le corps social dans son entier comme un corps. Dans lequel gauche et droite agissent de façon contraire. Nous sommes alors dans la situation décrite par Spi dans le 1er axiome de E5 : « Si dans un même sujet deux actions contraires sont excitées, un changement devra impérativement avoir lieu dans l’une et l’autre ou dans l’une seulement des deux jusqu’à ce qu’elles cessent d’être contraires ».

Logiquement on en déduit que la persévérance dans l’être implique l’adaptation, mais peut-être aussi la disparition : si en effet gauche et droite cessaient d'être contraires elles ne seraient plus gauche et droite !



tecti a écrit :Ensuite, d'après la prop. 74 E.IV, il ne sera possible de vivre en-dehors de la Cité que quand le rapport de force est présent.


Mais où donc avez-vous trouvé cette 74 EIV !!!

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Textes à l'appui...

Messagepar ShBJ » 01 avr. 2008, 16:10

A Enegoid, salut !

1) Certes, il n'existe pas de prop. 74 de la quatrième partie de l'Ethique, ni de passage du Traité Politique qui, à la lettre, dirait ce que vlcp croit pouvoir déduire (à mon sens à juste titre) en fait de ligne politique, des dernières propositions d'Ethique, IV. Dans l'appendice de cette même quatrième partie, il est cependant un texte qui épouse explicitement le point de vue d'une politique des sages, ne se contentant pas de faire de la politique le simple instrument de la conservation pacifique de soi des ignorants, ni du sage parmi eux - il est entendu que je m'accorde avec ceci, que les expressions "hommes vivant sous la conduite de la passion" et "hommes vivant sous la conduite de la raison" ne désignent des individus que dans des cas limites (le débile mental et le sage achevé) et signifient bien plutôt : telle action, ou telle idée, de tel homme à tel moment, dans la mesure où elle s'explique, soit par des causes extérieures, soit par la nécessité de sa propre nature.
Il s'agit du chapitre 8 de l'appendice : "Tout ce que nous jugeons, dans la nature des choses, être mauvais ou pouvoir nous empêcher d'exister et de jouir de la vie rationnelle, il nous est permis de l'éloigner de nous par la voie qui semble la plus sûre, et tout ce que nous jugeons, au contraire, être bon ou utile pour conserver notre être et jouir de la vie rationnelle, il nous est permis de le prendre pour notre usage, et d'en user de toutes les manières - et absolument parlant, le souverain droit de nature permet à chacun de faire ce qu'il juge lui être utile." Spinoza y mentionne bien la jouissance de la vie rationnelle, dont nous serions empêchés, comme une raison d'exercer notre souverain droit de nature.

2) Détruire tout ou partie de la cité vivant selon le décret commun ne revient certainement pas (ou pas directement) à détruire physiquement les hommes dont le sage estime avec raison (par définition) qu'ils peuvent lui être nuisibles au plus haut point en tant que passionnés : "Les âmes cependant ne se vainquent pas par les armes, mais par l'amour et par la générosité" (idem, ch. 11 et E, IV, 46).

3) Détruire tout ou partie de la cité vivant selon le décret commun, c'est détruire directement, par tous les moyens que les sages jugent utiles et prudents, son rapport propre de mouvement et de repos - ses institutions, ses valeurs, son système éducatif, et généralement tout ce qui assure et perpétue son fonctionnement habituel de transmission passionnelle des affects qui la définissent. En effet, "n'importe quel affect de chaque individu discorde de l'affect d'un autre autant que l'essence de l'un diffère de l'essence de l'autre" (E, III, 57). Détruire cette essence revient à tuer le corps social - non les parties (les hommes) qui le constituent, ce dont d'aucuns pourraient s'émouvoir : "Mais il faut remarquer ici que la mort survient au corps, c'est ainsi que je l'entend, quand ses parties se trouvent disposées de telle façon qu'elles entrent les unes par rapport aux autres dans un autre rapport de mouvement et de repos." (E, IV, 39, scolie).

4) Pour ce qui est de justifier juridiquement une telle pratique politique, Spinoza est on ne peut plus clair dans la lettre L : "Vous me demandez quelle différence il y a entre Hobbes et moi quant à la politique : cette différence consiste en ce que je maintiens toujours le droit naturel et que je n’accorde dans une cité quelconque de droit au souverain sur les sujets que dans la mesure où, par la puissance, il l’emporte sur eux. C’est la continuation de l’état de nature." La domination étatique comme l'insidieux contrôle social, qui interdisent au moins partiellement (c'est un euphémisme) de vivre selon la nécessité de sa propre nature, autrement dit sous la conduite de la raison, peuvent à bon droit être détruits si cette destruction n'entraîne pas un mal futur plus grand pour ceux qui en sont les agents (E, IV, 56, corollaire et son scolie). Le Traité Politique est à ce titre également limpide : "Il suit encore de ce qui précède, que chacun dépend du droit d'un autre aussi longtemps qu’il est soumis au pouvoir de cet autre, et qu’il relève de son propre droit dans la mesure où il peut repousser toute violence, venger comme il le juge bon le dommage qui lui a été causé, et vivre comme il lui plaît." (TP, II, § 9). Or l'homme libre vit selon la nécessité de sa propre nature, c'est-à-dire relève de son propre droit (identifié à sa puissance, TP, II, § 4).

5) Par conséquent, les hommes vivant sous la conduite de la raison sont à la cité vivant selon le décret commun comme les parasites ou les mauvaises habitudes sont au corps humain : de même que "les parties composant le corps humain n'appartiennent pas à l'essence du corps lui-même, si ce n'est en tant qu'elles se communiquent les unes aux autres leurs mouvements selon un certain rapport précis, et non en tant qu'on peut les considérer comme des individus"(E, II, 24, démonstration), de même l'homme libre, en tant que libre, n'appartient pas à l'essence du corps social.
Soit l'alcoolisme comme exemple (fréquent chez Spinoza) de mauvaise habitude - l'alcool qui compose une partie du corps de l'ivrogne n'appartient pas à son essence, et a même tendance à la détruire, mais rentre tout de même, tant que le corps de l'ivrogne est assez puissant pour persévérer dans son être, dans des rapports de mouvement et de repos avec les parties du corps de l'ivrogne qui caractérisent son essence. Appartiennent donc au corps de l'ivrogne, et par suite à sa manière de persévérer dans son être d'ivrogne, des parties provenant des corps extérieurs, dont il a besoin pour se régénérer (E, II, 13, postulat 4) mais qui par là même le détruisent lorsque, par la puissance, elles l'emportent sur tout (mort biologique) ou partie (maladie, opération, désintoxication forcée, etc.) du corps de l'ivrogne.
Or il convient de remarquer que cette destruction n'en est une que du point de vue du rapport dominant de mouvement et de repos - celui de l'ivrogne, celui de la cité vivant selon le décret commun. Du point de vue de Dieu, qui est celui des sages, il n'y a que des compositions - du point de vue de la prétendue prop. 74, qui est celui des sages, il y a composition lorsque les rapports passionnels caractéristiques de la cité sont détruits.

Tiens-toi en joie bonne et contentement serein.
Modifié en dernier par ShBJ le 22 juin 2008, 01:36, modifié 2 fois.

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Messagepar Enegoid » 06 avr. 2008, 18:26

Bonjour Shbj

La question de l’action politique en général, à partir de Spinoza, me paraît à la fois très simple et très difficile à expliciter.
Je suis d’accord avec bien des choses dites plus haut, et notamment avec l’image du surfeur qui s’abstient quand la mer est démontée (Shbj). Mais je ne partage pas la vision, selon moi diabolisée inutilement, de notre société comme pervertie par toutes sortes de tares et notamment par l’argent. En général, je pense plutôt que çà pourrait être bien pire !

En schématisant, je dirais que, pour moi, Spinoza pousse à s’arranger de la société telle qu’elle est, comme un élément parmi d’autres de la nature toute entière.
Et, pour dire vite, comme il est avantageux de vivre en société (et pratiquement impossible de vivre en dehors), et comme toute société implique une législation générale, le droit de chacun n’est plus le droit naturel, qui devient « pratiquement inexistant » (TP I§15). Le droit de chacun devient le droit « que la loi générale lui concède » (TPI§16). Et « jamais personne n’accomplit une action contraire à la discipline de la raison en se conformant aux lois de son pays » (TPII §6).

Les regroupements de citoyens révoltés que Spinoza envisage ne sont pas des regroupements de sages mais des regroupements de citoyens partageant une crainte, ou une intention de se venger d’un préjudice (TPII §9), donc sous l'empire dela passion. Il appartient à la puissance souveraine de faire en sorte de ne pas pousser les citoyens à éprouver ce type de « passion ».

Voilà pour la politique en général. (Ne pas oublier que Spinoza admirait Machiavel)


Une « politique des sages », maintenant ?

Si un groupe d’hommes se reconnaissant eux-mêmes comme plus avancés (que la moyenne ? que 80% des autres ?) sur le chemin de la sagesse et si ce groupe d’hommes identifiait dans la législation générale une cause mettant en péril leur usage de la raison et donc leur sagesse, ils ne feraient pas autre chose que d’admettre la limite de cette sagesse.

Si un groupe d’hommes propose des aménagements de société qui paraissent conformes à ma raison et favorables à la recherche de mon bien propre, rien n’interdit que je me joigne à eux augmentant ainsi la puissance de ce groupe. Mais il n’y a pas particulièrement de sagesse là dedans : simplement une action conforme à mon être propre (ce qui est, quand même, la sagesse !). Et si j’ai des idées qui me paraissent susceptibles d’aller dans le même but, j’ai évidemment le droit de les exprimer, dans notre pays tout au moins…

Donc, cherShbj, vous voyez que je ne suis pas d'accord avec les éléments suivants de votre intervention :


La domination étatique comme l'insidieux contrôle social, qui interdisent au moins partiellement (c'est un euphémisme) de vivre selon la nécessité de sa propre nature

On ne peut pas vous interdire l'usage de la raison.




Or l'homme libre vit selon la nécessité de sa propre nature, c'est-à-dire relève de son propre droit (identifié à sa puissance, TP, II, § 4).


Il s'agit de l'homme à l'état de nature, non de l'homme vivant en société.




de même l'homme libre, en tant que libre, n'appartient pas à l'essence du corps social.


L'homme libre devient alors, pour les hommes qui vivent selon les lois de la société, un hors-la-loi.

Portez-vous bien.

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Messagepar ShBJ » 07 avr. 2008, 13:33

A Enegoid, salut !

Puisqu'il semble clair que nous ne nous accorderons pas sur la proposition imaginaire et ses implications - précisément pour ceci, que la question de l'action politique est en effet, comme tu le pointes, à la fois très simple et très difficile, à la mesure de l'ambiguïté des textes de Spinoza dont nous disposons - je reprends uniquement nos points de dissensus :

1) On peut interdire l'usage de la raison.

Non pas certes directement et par une loi - le TTP est très clair sur la question, comme les nombreux exemples historiques du courage de ceux qu'on a voulu museler - mais indirectement, par l'établissement de conditions telles qu'elles empêchent l'usage de la raison, c'est-à-dire diminuent la puissance d'agir. Pour le dire à la façon de Marx, des hommes peuvent jouir de la liberté formelle d'user de la raison, et pourtant être privés de la liberté réelle de l'exercer. Il n'est que de les abrutir.

2) Je ne fais aucune différence, comme Spinoza lui-même, entre état de nature et état civil.

D'une part, je suis lassé de voir Spinoza continuellement ramené à Hobbes, même par les commentateurs les plus avisés, qui refusent de voir les implications de la lettre L et continuent de voir chez Spinoza la raison comme un instrument de la conservation de soi - là même où il se montre d'une radicalité inouïe. Je me permets donc de compléter TP, II, § 6 à la lumière d'Ethique, IV, appendice, 8 : jamais personne n'accomplit une action contraire au commandement de la raison en se conformant aux lois de son pays, dans la mesure où le Souverain l'emporte sur lui par la puissance.
D'autre part, la référence à l'état civil est une arme, et des plus redoutables, dans les mains de ceux qui exercent le pouvoir.

3) L'homme libre est en effet un hors-la-loi.

Bien à toi.
Modifié en dernier par ShBJ le 18 avr. 2008, 01:00, modifié 1 fois.

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Messagepar hokousai » 07 avr. 2008, 20:59

Par conséquent, les hommes vivant sous la conduite de la raison sont à la cité vivant selon le décret commun comme les parasites ou les mauvaises habitudes sont au corps humain : de même que "les parties composant le corps humain n'appartiennent pas à l'essence du corps lui-même, si ce n'est en tant qu'elles se communiquent les unes aux autres leurs mouvements selon un certain rapport précis, et non en tant qu'on peut les considérer comme des individus"(E, II, 24, démonstration), de même l'homme libre, en tant que libre, n'appartient pas à l'essence du corps social.
(ShBJ)

En conséquence le corps social est composé d’ hommes asservis, aucun homme vivant sous la conduite de la raison n’y séjourne (sauf comme parasite ).

On comprend mieux pourquoi ça va si mal .
J’ y avais pas pensé .

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Messagepar Enegoid » 12 avr. 2008, 13:26

Quelques éléments de réponse à Shbj

Je ne fais aucune différence, comme Spinoza lui-même, entre état de nature et état civil.


Oui, d’accord, c’est la lettre L. La société fait partie de la nature. Et c’est la puissance de la masse (supposée représentée par l’autorité politique souveraine) qui définit mon droit, « qui sera d’autant moins considérable, que l’ensemble des autres incarnera plus de puissance. ».

Cela n’exclut pas d’identifier un « état de société » (sous ensemble de la nature) qui comporte sa rationalité propre (décrite au chap 3 du TP).
Ce n’est pas uniquement le rapport de puissance qui règle le droit mais aussi la considération rationnelle de mes intérêts § 6 du chap 3 du TP.

L'homme libre est en effet un hors-la-loi.

La seule chose que l’on peut dire, selon moi, sur l’homme libre selon Spinoza, c’est qu’il utilise sa raison.

On peut interdire l'usage de la raison
.

A première vue, il me paraît douteux que l’on puisse transposer sur la raison le célèbre débat sur la différence entre liberté formelle et liberté réelle. A première vue toujours, je dirais que je ne vois pas possible d’utiliser formellement la raison sans l’utiliser réellement. Mais, d’accord, ça se discute.

Deux remarques préliminaires :

1. Dans l’état de nature ou dans l’état de société, je suis toujours soumis à des forces qui dépassent ma puissance. C’est la servitude humaine. Et donc la recherche de mon utile propre doit toujours composer avec ces forces. Si je sors de chez moi, toutes mes actions, mêmes celles qui seront les plus conformes à ma nature, seront en partie influencées par des choses extérieures. Un exemple minuscule : la météo qui agit sur mon corps et sur mes appétits. Je vais me promener s’il fait beau ou je vais au cinéma s’il pleut.

2. Je peux utiliser la raison (accès à la connaissance) pour atteindre des buts tout à fait irrationnels. C’est la raison pratique du deuxième genre. La recherche de la gloire, par exemple, peut s’appuyer sur la connaissance rationnelle des voies et moyens qui permettent de l’obtenir (Machiavel).

Vous dites que l’on (qui ?) peut interdire l’usage de la raison par « l'établissement de conditions telles qu'elles empêchent l'usage de la raison, c'est-à-dire diminuent la puissance d'agir. »
Cela revient à constater qu’il existe au sein de la société des rapports de puissance tels que certains hommes ou groupes humains en tiennent d’autres en leur puissance par des phénomènes de crainte ou d’espoir. Ce que je vous accorde.

Ce que vous dites me fait penser à Germinal de Zola (on trouverait des équivalences de nos jours). A quel moment l’usage de la raison conduit-il le mineur épuisé par sa journée de travail à se défouler à l’estaminet ou à se lancer dans la lutte syndicale (où il risque la mort, dans les conditions de l’époque). ? Quelle est la conduite raisonnable ?
Et pourquoi faire une différence entre cette situation et celle, par exemple de se trouver face à face avec un tigre dans la jungle. Le tigre peut-il interdire l'usage de la raison ?

Vous sentez-vous dépouillé de l'usage réel de votre raison ?


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