le desir chez Spinoza

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Faun
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Messagepar Faun » 24 févr. 2008, 20:22

sescho a écrit : S'agissant de pure compréhension, je pense qu'invoquer le désir se discute : Spinoza distingue (voir les extraits plus haut) clairement l'Entendement du Désir.


Il est vrai que dans le scolie de la proposition 48 du livre 2, Spinoza distingue le désir de l'intellect. Néanmoins il ne faut pas en conclure que l'intellect et donc l'appétit de comprendre soit déconnecté du désir et de la joie, sinon le concept d'amour intellectuel de Dieu serait incompréhensible. La proposition 26 du livre 5 vient d'ailleurs souder le troisième genre de connaissance au désir, puis il ajoute que le troisième genre de connaissance s'accompagne toujours d'une joie, et de cette joie nait un amour, qui vient à nouveau alimenter éternellement le désir (prop 32 et 33 du livre 5).

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sescho
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Messagepar sescho » 25 févr. 2008, 21:21

Oui, j'entends bien qu'il y a des désirs actifs et que ceux-ci sont fondés sur la Raison, la vertu, la connaissance claire et distincte - et en tout état de cause l'idée est première : E2A3 -, mais il n'y a pas identité, pas plus qu'avec l'Amour, qui est une forme de joie : c'est toujours bien avec la restriction d'une impulsion vers l'action que l'essence s'exprime dans le désir. Si l'on fait appel à son intuition, une idée claire et distincte est juste claire et distincte ; elle n'englobe ni le désir ni l'Amour. L'Amour vient avec l'idée de Dieu pour cause, et c'est vrai : c'est quand on rapporte l'idée claire et distincte à l'essence de la Nature, à sa puissance universelle qui se révèle à nous, que l'amour pour celle-ci (une sorte d'émerveillement sain, ou saint) se révèle. C'est aussi cet émerveillement sain qui pousse à renouveler dans le genre, par le désir (actif.)

Mais je veux bien croire que pour le sage accompli il n'y a plus vraiment de différence entre tout cela. C'est juste que le sage absolu n'existe pas, et que l'accompli se rencontre une fois dans une vie... En revanche, en Dieu, je ne vois pas du tout de distinction possible (et Spinoza le dit en plusieurs endroits selon moi), ce qui tend à ôter sa pertinence à la démonstration de E1P31 s'agissant de l'entendement infini...

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Messagepar Faun » 25 févr. 2008, 22:57

Vous me paraissez avoir une vision encore transcendante de la sagesse, et par suite également du sage. Bien que la voie soit difficile, elle est néanmoins humaine. Vous me semblez un peu vite diviniser les sages et en faire des sortes d'extra-terrestres, inaccessibles au commun des mortels.

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Messagepar sescho » 26 févr. 2008, 20:30

Nullement (et, même si ce n'est pas un argument en soi, j'ai beaucoup bourlingué autour de la notion de sagesse et de sa réalité) : la sagesse est dans l'ici et le maintenant. Elle correspond cependant à des lois précises, que Spinoza s'emploie à nous indiquer, et dans ce cadre on peut concevoir une sagesse absolue, fondée en principe dans la Nature (ce modèle parfait que nous avons de la nature humaine, dit en substance Spinoza, et qui fonde l'éthique de l'Ethique.)

Dans la réalité modale, il n'y a pas d'absolu, même pour le sage le plus accompli ; c'est dans cette réalité une "approche asymptotique de la sagesse absolue." Dans ce cadre, il n'y a pas non plus de frontière tranchée entre sage et non-sage : il s'agit d'une gradation. Il ne me vient pas à l'idée de me qualifier moi-même de sage ; pourtant je pense reconnaître la sagesse quand je la vois. Après, tout dépend de la barre au-dessus de laquelle on juge un être particulier exceptionnellement sage (mais - c'est sans doute mieux, en fait - on peut prendre la sagesse là où elle se trouve, dans un individu quelconque pour la part de sagesse - quoique très variable entre les individus - qui l'habite.) Comme j'ai eu, je pense, la chance d'être en contact - direct ou par des écrits - avec des êtres particulièrement sages (infiniment plus rares que ceux qui se pensent sages, qui sont légion orgueil oblige) je mets sans doute la barre assez haut...


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Messagepar Faun » 27 févr. 2008, 14:00

D'accord avec vous pour dire que la voie de la sagesse est infinie, et comporte donc une infinité de degrés.

Pour en revenir au problème du désir chez Spinoza, je pense qu'il est en effet au centre de sa philosophie, que le désir est l'essence de toutes les infinies modifications de la substance, quel que soit l'attribut dans lequel ce désir s'exprime. C'est lui qui éclaire la définition des modifications : "agir, vivre, conserver son être", tout cela est lié au désir. La vie en Dieu est la vie des désirs, des attractions et des répulsions, des sympathies et des antipathies, l'ensemble des mouvements dans l'intensité, flux et reflux de l'intensité, qui est la puissance de Dieu.
En cela le désir naturel ou divin s'oppose aux blocages des désirs induits par les organisations sociales : couples, familles, tout ce qui constitue un groupe fermé sur lui-même et organisé selon une hiérarchie de pouvoir fixe (écoles, entreprises, administrations, etc). Quand bien même celui qui était asservi devient un maître, il ne fait qu'accepter d'exercer le pouvoir que lui-même subissait, sans chercher désormais à le détruire.
Aux libres connexions des puissances selon leurs règles propres, la société actuelle vient superposer un ensemble de murs construits d'avance, de véritables prisons.
A la liberté du désir, à sa capacité d'action propre et de résistance à ce qui lui nuit, au mouvement dans l'infini des joies et des tristesses vivantes viennent s'opposer des structures figées prenant toutes la forme de contrats, figeant ainsi les métamorphoses des désirs en hiérarchies immobiles et mortes.
Le rôle de l'argent n'est pas mince dans ce blocage généralisé, car c'est lui qui vient multiplier les pouvoirs et les assoir. Il est par suite bien triste que l'argent soit une des choses les plus désirée au monde, alors qu'il est le moyen le plus sûr de détruire les flux vivants des désirs.

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Messagepar Amstel » 27 févr. 2008, 22:22

Faun,

Je partage entièrement ton point de vue sur la société, l’omniprésence nauséeuse de l’argent, le pouvoir, les murs construits d'avance, l'emprisonnement contractuel et idéologique. Mais en dépit de tout cela, la voie de la liberté pour Spinoza n’est-elle pas quand même de réconcilier notre désir avec la réalité objective ?

Connaître adéquatement et autant que nous le pouvons notre désir afin d’arriver a une connaissance claire et distincte de notre âme, connaître adéquatement et autant que nous le pouvons les choses et Dieu, affirmer sa puissance ; en somme, Spinoza nous invite a réconcilier - more geometrico si possible - le désir avec le réel. Cela est difficile, je te l’accorde, et la société dans laquelle nous vivons ne nous facilite pas les choses, mais cela n’est pas impossible.

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Un Spinoza stoïcien...

Messagepar ShBJ » 27 févr. 2008, 22:47

A Amstel, salut !

Non, la voie de la liberté pour Spinoza n'est "quand même pas" de réconcilier notre désir avec la réalité... non, la connaissance adéquate de soi, de Dieu et des choses ne constitue pas une invitation à la réconciliation du désir et du réel...
D'abord, je ne sache pas qu'ils soient l'objet d'une brouille - ensuite, que Spinoza soit Epictète... la nécessité n'est pas le destin, et si Spinoza (comme tant d'autres) reprend en effet aux stoïciens ce qu'il y a de juste chez eux, la connaissance du déterminisme permet pour lui l'action (entre autres politique) et n'en est jamais coupée.

Bien à toi.

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Messagepar hokousai » 28 févr. 2008, 01:13

cher Serge
je dois avouer que l'auteur "bouddhiste" que vous citez (et je connais depuis pas mal de temps ) m 'énerve un peu .( double aveux: tout sur qui à rapport à Heidegger....) et puis bon.... le bouddhisme tibétain serait à juger plus objectivement , donc à passer au crible d'une certaine rationalité .
(avis qui n'engage que moi )

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Messagepar Amstel » 28 févr. 2008, 01:20

Salut ShBJ,

Dans un cours célèbre sur Spinoza, Deleuze explique « l’étrange bonheur » qui s’inscrit entre le surfeur et la vague.

On peut l'écouter ici (sans visioner la vidéo): http://www.youtube.com/watch?v=w25IVQb0xUk

Tu ne penses pas qu’il y a ici une tentative de réconciliation entre le désir du surfeur de persévérer dans son être et la réalité de la vague, entre la puissance du surfeur et l’étendue ?

Par extension, et pour répondre a Faun, l’objet du cours de Deleuze n’est-il pas d’étendre le couple surfeur/vague au couple individu/société ?

Même vivant dans une société aux passions déchaînées, le citoyen des villes devrait pouvoir accéder à cet « étrange bonheur», non?

Bien à toi.

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Surf et stoïcisme...

Messagepar ShBJ » 28 févr. 2008, 08:38

A Amstel, salut!

1) Ce qui me déplaît, c'est l'usage du terme de réconciliation, qui me semble flou, voire trompeur (en ce qu'il sonne stoïcien) et réducteur : comprendre, pour un surfeur, la façon dont il peut composer son corps, prolongé par la planche, avec la vague, en quoi serait-ce une réconciliation ? Je désire de surfer la vague de telle ou telle façon, c'est entendu... voilà que la vague ne se compose pas avec moi, ainsi que je le voudrais, parce qu'elle obéit à ses lois propres de mouvement et de repos... il n'est dès lors que de la connaître, ainsi que la façon dont je puis l'épouser, ce qui exige un travail (autant théorique que pratique : les surfeurs, pour ceux que je fréquente souvent, ont e.g. des connaissances météorologiques, qui pour être restreintes, n'en sont pas moins très précises et efficaces).
La réconciliation pourrait passer par un renoncement tout autant que par un travail - le terme ne rend donc pas compte de la nécessité de l'augmentation de ma puissance d'agir et de penser : persévérer dans mon être, c'est non seulement vivre ou exister, mais encore travailler à produire tous les effets qui se peuvent déduire des propriétés de mon essence (E, III, 6-7).
Pour reprendre notre exemple, je veux surfer et n'y parviens pas pour l'heure : a) poursuivre lors qu'il n'appartient pas à mon essence de surfer, c'est de l'obstination... b) renoncer lors qu'il appartient à mon essence de surfer, c'est un manque de force d'âme et de l'humilité (E, III, déf. des affects, 26). Dans les deux cas, le rapport à la vague et au surf est passionnel... c) poursuivre mes efforts à juste titre ou d) comprendre mon impuissance foncière à surfer, c'est marquer autant de force d'âme à éviter les dangers qu'à les affronter (E, IV, 69 et son corollaire), qui est d'un homme libre.
Or, la réconciliation passe plus sûrement par le renoncement que par l'effort pour surmonter un obstacle : le cas (b) est une réconciliation du désir et de la réalité qui n'est aucunement libre, quand le cas (c) lorsque je ne parviens pas encore à surfer relève d'un désaccord entre mon désir et le réel qui pourtant est raisonnable et concourt à ma libération.

2) La question du statut de l'homme libre au sein de la cité vivant selon le décret commun est des plus délicates, et les propositions de l'Ethique qui en donnent la description, à la fin de la quatrième partie, sont rien moins qu'aisées à comprendre - je ne suis pas persuadé que le "citoyen des villes" puisse accéder au bonheur personnellement en présence d'hommes vivant au plus haut point sous la conduite de la passion (à l'exception de notre philosophe et en faisant preuve de beaucoup de prudence). Certainement, il le peut moins aisément qu'en compagnie d'hommes vivant sous la conduite de la raison, qui seuls sont très reconnaissants les uns envers les autres (E, IV, 71).
L'analogie entre la vie sociale et le surf est alors pleinement justifiée - mais reste à déterminer si, en tant qu'hommes libres, nous devons renoncer à raison à fréquenter les hommes passionnés (E, IV, 70), ne les fréquenter qu'au cas où (E, IV, 70, scolie), obéir à leur décret dont nous connaissons pourtant la radicale insuffisance (E, IV, 73 en lien avec E, IV, 63), etc.
La position de Spinoza est à cet égard fort délicate (j'ai déjà eu des discussions avec hokousai à ce propos, à la rubrique actualités et à propos entre autres de la peine de mort, et nous ne lisons absolument pas la même chose). Mais quoi qu'il en soit, elle ne saurait consister en un renoncement à l'action politique, puisqu'il appartient à l'essence de l'homme de communiquer le bien raisonnable aux autres hommes. Elle pourrait consister en une évaluation des possibilités concrètes de l'action politique - poursuivons l'analogie : si la mer est trop forte, ou à l'inverse d'huile, il est temps de ranger sa planche et d'aller prendre un pot, en attendant des conditions favorables... ou de chercher un autre spot...
Il me semble au reste que Spinoza, historiquement, a peu ou prou agi de la sorte.

Tiens-toi en joie bonne et contentement serein.
Modifié en dernier par ShBJ le 31 déc. 2009, 01:44, modifié 2 fois.


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