Pourquoipas a écrit :A mon avis (pas humble, ce coup-ci), ce n'est pas la nécessité qui est niée ici, mais la proposition dont on dit qu'elle est nécessaire, à savoir (je résume en me concentrant sur la seule partie de la proposition où il est question de la mort de l'homme, et de toute chose singulière) : « Si l'homme (= tout individu humain sans exception) n'éprouvait que des changements explicables par sa seule nature (= seulement ceux dont il est cause adéquate), c'est-à-dire s'il était capable par sa seule puissance d'écarter tout changement provenant d'une cause à lui extérieure, il ne mourrait jamais, c'est-à-dire nécessairement il existerait toujours (par III 4 et 6). » Or, nous dit la IV 3, particularisant à tout homme l'axiome de la IV qui concerne toute chose singulière, tout homme singulier est non seulement moins puissant qu'une autre chose qui limite sa persévérance à exister, mais encore et surtout sa puissance est surpassée par les causes extérieures, et ce in infinitum, à l'infini (expression qui a ici le même sens que dans la I 27, où là il s'agit de l'entrée dans l'existence et de la capacité d'opérer de toute chose singulière, entrée dans l'existence et capacité d'opérer de telle ou telle manière déterminées par la nécessité de la nature divine, précise la proposition suivante, la 28, qui se termine par « il n'y a rien de contingent »).
Donc, tout, sans exception aucune, est nécessaire. Pour parodier la I 27 Dm au cas qui nous occupe, Dieu a déterminé toutes les choses de telle sorte que toute chose est moins puissante qu'une autre chose, in infinitum, qui la détruira nécessairement, qu'il s'agisse d'une planète, d'un tyrannosaure, d'un VIH, de la terre, de mon téléphone portable, etc. (Il va sans dire que ces mêmes choses sont également destructrices, toute chose étant à la fois plus et moins puissante qu'une autre chose, de même que toute chose est à la fois cause et effet.)
Donc, un homme menât-il la vie la plus saine possible, dans le climat le plus adéquat à sa santé, n'eût-il jamais aucune maladie ni congénitale, ni contagieuse, ni aucun souci particulier, ne subît-il jamais aucun accident, il est nécessaire qu'il sera détruit par une chose extérieure à lui car plus puissante au moment et au lieu de sa destruction, car les choses ne sont pas en nombre fini (auquel cas en effet il y en aurait une de plus puissante que toutes les autres).
That's all, folks !
Why not ?
Cher Pourquoipas,
puisque tu poses la question, je risque une réponse ... .
Comme en général tu es très souvent prêt à pousser l'analyse détaillée du texte même d'une démonstration jusqu'à ce que chaque mot est maximalement expliqué, je me permets ici un instant une telle approche, dans l'espoir que cela le rend au moins possible pour moi de comprendre ton raisonnement.
Mais d'abord une question: ce qui pour moi n'est pas encore très clair, c'est le rôle que tu donnes à l'E4P3 dans la démonstration de la nécessité de la mort.
Pour l'instant j'ai l'impression (à tort?) que tu déduis la nécessité de la mort déjà de l'E4P3 seule, sans devoir en passer par l'E4P4. Est-ce bien ce que tu fais, ou as-tu vraiment besoin de l'E4P4 pour démontrer cette nécessité (démontrer toi, je veux dire, toi dans ce que tu écris ci-dessus; je ne suis pas encore dans l'analyse du texte de la démo de la P4 même)?
Si c'était bel et bien ce que tu fais: je crois qu'on ne peut pas le faire, mais alors pour voir dans quelle mesure je me trompe il faut qu'on discute de l'E4P3 au lieu de discuter de l'E4P4.
En attendant de connaître ta réponse, voici déjà une première tentative de reconstruire la structure du deuxième point (qui commence après "Ceci était le premier point") de la démo de l'E4P4. Je la donne parce qu'elle devrait, je l'espère, permettre de voir quel est selon moi le rôle de l'E4P3 dans la démo de l'E4P4 (certains remarques s'adresseront davantage à des critiques déjà émises par Sinusix ou Hokousai qu'à ce que tu dis toi-même).
TENTATIVE DE RECONSTRUCTION DE LA STRUCTURE DE LA DEMONSTRATION DE L'E4P4:
1. nous sommes dans la partie de la démo qui doit démontrer l'énoncé "Il ne peut pas se faire que l'homme ne soit pas une partie de la Nature, et puisse ne pâtir d'autres changements que ceux qui peuvent se comprendre par sa seule nature, et dont il est cause adéquate". J'appelle cet énoncé "X".
2. Spinoza va le prouver par une preuve par l'absurde. Une preuve par l'absurde consiste à prendre la négation de l'énoncé à prouver, à déduire de cette négation une conséquence, et à montrer que cette conséquence est fausse. Cela rendra la négation de l'énoncé absurde, et par là même l'affirmation de l'énoncé lui-même vrai.
3. il s'agit donc de déduire de "il peut se faire que l'homme ne soit pas une partie de la Nature, et puisse ne pâtir d'autres changements que ceux qui peuvent se comprendre par sa seule nature, et dont il est cause adéquate" (remarquons que déjà ici, nous sommes dans les énoncés modales, d'où la nécessité de tenir compte de la logique qui porte sur des modalités) une conséquence, et ensuite de montrer que cette conséquence est fausse. J'appelle cet énoncé "non X", et la conséquence "Y".
4. grâce aux E3P4+6, Spinoza peut déduire de non X l'énoncé suivant: "l'homme ne pourrait périr mais existerait nécessairement toujours". En effet, si on suppose (hypothèse de non X) qu'il est possible ("il peut se faire") que l'homme ne pâtit que de changements dont il est cause adéquate, alors à cause du fait que seule une cause extérieure peut détruire une chose (E3P4) et du fait que chaque chose s'efforce de persévérer dans son être (E3P6), il faut en conclure que dans ce cas on ne voit pas ce qui pourrait encore détruire l'homme (car d'une part il ne sait pas se détruire lui-même, et d'autre part aussi longtemps qu'il n'est pas détruit il va persévérer dans son être). Si rien ne peut détruire l'homme, il faut dire qu'il existe nécessairement toujours (= Y).
5. reprenons l'idée de départ: preuve de X par l'absurde, donc Spinoza doit démontrer que ce qui suit, ce qui est la conséquence de non X, c'est-à-dire Y, est faux. Il doit donc montrer que l'énoncé "l'homme existe nécessairement toujours" est faux. Autrement dit il doit nier Y.
6. nier un énoncé de type "il est nécessaire que A", c'est dire qu'il n'est pas nécessaire que A.
Ce n'est pas dire "il est nécessaire que non A". Là, on fait simplement une erreur de logique. Il suffit de remplacer "A" par quelque chose de plus concret pour facilement pouvoir s'en rendre compte (par exemple A = "pleuvoir toujours"; nier que "il est nécessaire qu'il pleut toujours", ce n'est pas affirmer qu'il est nécessaire qu'il ne pleut jamais, c'est affirmer qu'il n'est pas nécessaire qu'il pleut toujours, autrement dit qu'il est possible qu'il pleut mais aussi qu'il ne pleut pas).
7. Comment Spinoza va-t-il nier Y? Par une réduction à l'absurde de Y.
8. rappelons qu'une réduction d'un énoncé à l'absurde consiste à prendre l'énoncé, l'affirmer de manière hypothétique (c'est-à-dire supposer un instant qu'il est vrai) pour montrer qu'il aboutit à une conséquence dont on sait qu'elle est fausse, ou qui est contraire à l'hypothèse (donc la vérité de l'énoncé en question) elle-même. Avant de continuer: une réduction à l'absurde n'est donc pas la même chose qu'une preuve par l'absurde. Comparez 8 à 2. La différence essentielle c'est que dans la preuve par l'absurde on commence par poser l'hypothèse de la négation de l'énoncé à prouver, tandis que dans la réduction d'un énoncé à l'absurde, on va prendre l'énoncé lui-même (et non pas sa contradictoire), pour montrer qu'il en résulte une conséquence qui ou bien est fausse, ou bien est vraie mais contraire à l'énoncé lui-même (dans les deux cas, il faut en conclure que l'énoncé est faux). Donc lors d'une preuve par l'absurde on va montrer que la négation de l'énoncé à prouver est fausse, lors d'une réduction d'un énoncé à l'absurde on va simplement montrer que l'énoncé en question est faux.
9. Il est très important de bien comprendre la différence entre 2 et 8, car sinon on ne pourra pas comprendre que la démonstration qui commence après "Ce qui était le premier point" (autrement dit la démonstration de X) en réalité a) est une preuve par l'absurde qui b) procède par deux réductions à l'absurde. C'est très important de comprendre parce que cela signifie qu'on aura plus qu'une seule hypothèse, et qu'on ne peut pas les confondre sinon on risque de faire porter la preuve sur autre chose que ce qu'elle ne prouve.
La structure logique est donc:
- il faut prouver X
- on va le faire par une preuve par l'absurde
- on va donc poser l'hypothèse "non X", en déduire une conséquence Y, et ensuite montrer que Y est faux.
- pour pouvoir montrer que Y est faux, on va procéder par deux réductions à l'absurde. Pour ce faire, on va poser l'hypothèse Y, et on va d'abord (appelons cela "Z1") montrer qu'il en suit une conséquence fausse (car contredite par l'E4P3), puis ("Z2") on va le faire encore une fois pour une autre conséquence (remarquons que normalement cela ne se fait pas: il suffit d'avoir trouvé une seule conséquence fausse pour que l'énoncé lui-même est nécessairement faux; or ici on est dans la situation particulière où quelque part ce qui est considéré comme "conséquence" est en fait une conséquence de l'hypothèse d'une cause possible de Y, ce qui rend les choses beaucoup plus compliquées encore (et alors on ne tient même pas encore compte du fait que Z2 est lui-même particulièrement difficile)).
Voici ce que je pense être la structure générale. La question est donc: est-ce qu'on est tous d'accord là-dessus ou non ... ?
A Pourquoipas: si tu es d'accord avec ceci, j'ai du mal à comprendre ce que tu dis ci-dessus concernant l'E4P3. Mais peut-être faut-il dire que c'est néanmoins compatible.. ?
Sinon pour l'instant le problème qui me chipote le plus dans ce que tu dis, c'est le passage du constat qu'il y a toujours une chose (car l'axiome parle bien d'une seule chose) dans la nature qui
peut nous détruire à l'idée qu'on va
nécessairement rencontrer cette chose sur notre chemin. Il me semble que sur base de l'axiome il est parfaitement possible de dire que cette chose-là, puisqu'il en existe une infinité, rien ne garantit que je vais tomber sur elle. Il y a une infinité de choses qu'on ne rencontrera jamais dans sa vie. Celle qui va nous détruire peut très bien figurer parmi celles-là.
Ou bien on se dit qu'il ne faut pas prendre ce "une chose" à la lettre, qu'il y en a beaucoup plus qu'une seule. Mais s'il y en a beaucoup plus, comment expliquer qu'on peut devenir 100 ans ... ? S'il y a une infinité de choses qui peuvent nous détruire, cela devient un miracle qu'on tient si longtemps le coup, non ... ?
Je ne vois pas non plus comment passer de l'idée qu'on doit nécessairement subir l'effet de causes extérieures à l'idée qu'il est nécessaire que l'un d'entre eux soit létale. Il me semble que ce sont deux idées différentes, qui demandent donc deux preuves différentes. Or il n'est pas du tout nécessaire d'affirmer la deuxième idée (qu'il est nécessaire qu'on subira un effet létal) pour que l'E4P4 fonctionne, au contraire même, sans cette idée, comme j'ai essayé de le montrer, elle fonctionne parfaitement, alors que je ne vois pas comment lire cette idée dans la proposition même.
Enfin voilà ... .
Portez-vous bien,
L.