Sinusix a écrit :Pour Louisa, plutôt qu'étaler toutes ces complications, ne suffit-il pas de rester simple et de rédiger de façon simple la proposition Y, à savoir :
Il est impossible que l'homme meurt, strictement équivalente (puisque Spinoza l'écrit lui-même) à il existe nécessairement toujours, elle-même strictement équivalente à il est immortel.
Chacun conviendra que la contraposée de cette dernière n'exige pas de se lancer dans des analyses oiseuses : l'homme est mortel (conclusion qui rassure chacun sur l'authenticité du raisonnement philosophique).
Bonjour Sinusix,
l'énoncé "l'homme existe nécessairement toujours" et l'énoncé "l'homme est immortel" ne sont pas équivalents d'un point de vue logique. L'un est un énoncé modal, l'autre non. Et nous sommes dans une
demonstratio more geometrico, plus précisément dans une preuve qui a la forme logique d'une réduction par l'absurde. Vu ce contexte, je ne vois pas ce qui pourrait justifier de remplacer dans une démonstration une proposition modale par une proposition où l'on enlève la modalité.
Enlever la modalité, en logique, cela veut dire passer d'un énoncé qui tient compte du possible à un énoncé qui se limite à la nécessité seule.
Autrement dit, si vous voulez effacer ce que Spinoza a écrit réellement et remplacer Y par "l'homme est immortel", pour ensuite dire que Spinoza prouve que l'homme est mortel car il nie Y, vous ne faites rien d'autre que de changer explicitement la démonstration afin de la transformer en une autre, qui cette fois-ci prouve ce que vous voulez voir prouvé.
Bien sûr, en faisant cela on obtient quelque chose de très simple, l'idée par laquelle on a défini depuis des siècles l'essence de l'homme, et que personne aujourd'hui ne va spontanément commencer à mettre en question. D'où, à mes yeux, l'originalité et l'intérêt de la question posée ici par Pourquoipas. Car il va de soi que moi aussi je supposais "simplement" que pour Spinoza l'homme est essentiellement mortel. Je ne m'avais même jamais posé la question de savoir si Spinoza prouve cela ou non.
Mais il est tout de même étrange que Spinoza prend soin de prouver un tas de choses, par rapport à l'essence humaine, et qu'on ne trouve aucun axiome ni proposition ni postulat qui dit "l'homme est mortel" ... ?
En tout cas, je partais moi-même de l'idée qu'il était évident que pour Spinoza l'homme est mortel, tellement évident que je ne me souvenais même plus du fait qu'il en parle dans l'E4P4 (d'où l'intérêt de la question de Pourquoipas et de la remarque de Durtal). Et qu'on le veuille ou non, la démo de cette proposition est
très compliquée. C'est après avoir travaillé quelques heures sur elle que je me suis rendue compte que ce que Spinoza dit déjà dans le corollaire de l'E2P31 est ici totalement confirmé: on ne peut dire que l'homme est corruptible (= mortel) qu'au sens précis où on ne connaît pas la durée de vie d'un homme. Car il l'y ajoute très explicitement: on ne peut pas comprendre autre chose par le terme "corruptible"! Serait-ce seulement pour nier quelques pages après ce qu'il vient de dire avant? Cela est impossible.
(PS pour ceux qui sont déjà convaincus de l'idée de l'absence d'une preuve de l'inéluctabilité de la mort chez Spinoza (pour les autres: le paragraphe suivant peut être sauté):
Cela permet peut-être aussi de mieux comprendre l'E4P67: si l'on ne peut pas prouver l'inéluctabilité de la mort, si en disant que l'homme est corruptible ou mortel on ne dit rien d'autre que qu'on ne sait pas la durée totale de sa vie, la mort est effectivement contingente ou possible au sens proprement spinoziste du terme, ce qui signifie que s'imaginer qu'on est mortel par essence est ... une idée inadéquate! C'est pour cela que l'homme libre peut penser maximalement à la vie au lieu de la mort: sachant que rien dans notre essence ne permet de dire qu'on périra un jour (E3P10?), et qu'on ne connaît pas non plus la date de notre mort, la mort est un de ces événements incertains qui ne peuvent provoquer que Crainte ou Espoir, c'est-à-dire un malheureux flottement d'âme, que le sage sait éviter parce qu'il a compris que cela ne sert à rien de penser qu'un tel événement va nécessairement se produire pour en être Triste ou va nécessairement ne pas se produire pour s'en réjouir. (Dans ce cas il faut dire qu'il s'agit avant tout de sa propre mort: l'homme libre ne pense à rien moins qu'à sa propre mort, il ne prend pas l'idée de l'homme comme étant essentiellement mortelle comme base de ses méditations, comme base de la construction de sa Philosophie (puisque cette idée est fausse), et ne pense pas à l'idée qu'un jour il va peut-être mourir car cela ne peut que provoquer Crainte ou Espoir; un médecin en revanche s'occupe des causes qui vont maintenir en vie celui dont il sait que sans s'occuper de cela il va mourir, donc il est plutôt dans la connaissance adéquate (voir l'extrait de La Peste cité ci-dessus, où le docteur le plus expérimenté semble effectivement dire sans Crainte qu'il est maintenant certain qu'il y a une épidémie)).)Sinusix a écrit :3/ Mais je reviens sur le fond de la tentative de reprise que fait Louisa en arguant de l'inadéquation.
Sauf erreur de ma part, mais quoique peu doué pour le raisonnement philosophique, selon ce que m'en dit Louisa, j'observe que, par définition Spinoziste, un homme qui ne pâtit d'autres changements que ceux qui peuvent se comprendre par la seule nature de l'homme, est un homme qui n'est plus qu'Action. Un tel homme n'est plus sujet à aucune hétéronomie, il est autonomie complète, cause adéquate de tous ses affects, puissance affirmative singulière strictement correspondante à la puissance affirmative de Dieu/Nature qu'il constitue.
je suppose que vous voulez dire le "raisonnement" tout court? Si oui: je ne vois pas pourquoi il faudrait mettre en question votre capacité de raisonner. Ce qu'il y a, c'est qu'à mon sens nous avons une idée très différente de ce qu'est et de ce que peut la philosophie. Pour le résumer en deux mots: vous cherchez la simplicité, vous prenez les idées qui vous semblent être évidentes et vous cherchez à établir plus solidement encore leur évidence ou vérité, et cela parce qu'un tel exercice est rassurant. Je ne veux pas du tout nier le fait qu'on a tous vitalement besoin d'être rassuré de temps en temps, mais ce que Platon appelle "le naturel philosophe", ce n'est pas vraiment cela, c'est même plutôt l'inverse: en philosophie, on apprend à se méfier de nos évidences, et cela d'autant plus qu'elles nous paraissent être vraies. La philosophie peut "consoler" celui qui se trouve face à la mort (du moins est-ce ce que prétend Boèce), mais pour ceux qui sont encore bien en vie, elle a beaucoup plus à offrir: quelques révolutions conceptuelles qui en règle générale bousculent entièrement nos habitudes de penser. La première fois qu'on rencontre une telle révolution, on panique, mais après on sait déjà qu'on peut la survivre, et ayant eu l'occasion de constater la grande utilité de telles révolutions, on va plutôt commencer à les apprécier au lieu de s'imaginer que le plus rassurant c'est d'en rester avec les évidences d'aujourd'hui.
Enfin, tout ceci juste entre parenthèses (désolée Pourquoipas), et surtout dans l'espoir que cela permette de mieux comprendre que lorsque je dis que pour moi ce que vous dites être la philosophie c'est plutôt de l'anti-philosophie, je ne suis
absolument pas en train de parler de vos qualités personnelles ou de ce pour quoi vous seriez doué ou non. Je ne vous connais pas, je ne sais rien dire à ce sujet, et si je voulais en dire quelque chose, je le ferais par Message Privé. Je ne suis qu'en train de comparer deux démarches différentes par rapport à la philosophie, et j'essaie de vous convaincre de l'utilité d'une autre démarche que celle que vous adoptez (pour l'instant sans trop de succès, il faut bien l'admettre ...
). En même temps, j'espère que reformulant ici encore une fois la même idée, vous allez mieux comprendre que ce que j'essaie de vous dire n'a
rien à voir avec de la Haine (tout comme dire à quelqu'un qu'on pense que l'idée qu'il propose est "fausse" n'a rien à voir avec de la Haine ou avec une volonté de donner des leçons ou quoi que ce soit) ... .
Sinon, pour ce que vous dites de Spinoza ci-dessus: tout à fait d'accord.
Sinusix a écrit :Un tel homme est Dieu, dans la mesure où, même en tant que "partie" du tout, il participe de la "causa sui". Il n'est plus effet, mais cause efficiente de sa vie.
Nous sommes donc potentiellement, dans E4P4, bien loin de l'inadéquat.
tout homme est divin, chez Spinoza. Il n'y a plus, comme dans le christianisme, d'une part Dieu et d'autre part la Nature.
Sinon dans la démo de l'E4P4 Spinoza ne parle pas de la possibilité que l'homme soit
causa sui, ou la cause de sa propre existence/naissance. Il parle de la possibilité que l'homme soit la cause adéquate de toutes ses affections (or la naissance n'est pas une affection ...), et cela en examinant deux causes éventuelles et mutuellement exclusives d'une telle possibilité: ou bien (Z1) l'homme est ce genre de cause adéquate parce qu'il a lui-même la puissance d'éloigner de lui toutes les affections par des causes extérieures (mais alors sa puissance serait illimitée, ce qui est faux, comme il l'a montré en E4P3), ou bien (Z2) l'homme est ce genre de cause adéquate parce qu'une puissance autre que la sienne, puissance infinie, lui permet de ne jamais avoir des Passions (cette puissance étant la puissance infinie de Dieu, autrement dit l'essence divine). Or dans ce cas l'homme serait un mode qui suit non pas d'un autre mode mais de l'essence divine elle-même, et l'E1P21 a montré qu'un tel mode est nécessairement infini, ce qui est faux comme vient de le montrer le tout début de cette démonstration (ce que j'ai appelé la partie "A" ci-dessus, c'est-à-dire celle qui prouve la première partie de la proposition E4P4, appelée "W").
Par là Spinoza montre que l'homme nécessairement pâtit, c'est-à-dire a nécessairement des idées inadéquates. C'est cela que je voulais dire ci-dessus lorsque je disais que cette proposition 4 concerne les idées inadéquates et essaie d'en expliquer l'existence, au lieu de se placer du point de vue de l'entendement divin et de ne considérer que les idées adéquates, comme le suggérait Pourquoipas.
Mais dire qu'il a nécessairement des Passions, ce n'est pas du tout la même chose que de dire qu'il va nécessairement être détruit, puisqu'une Passion en règle générale ne détruit pas l'homme. C'est pourquoi à mon sens Hokousai se trompe lorsqu'il dit que c'est moi qui prétend que Spinoza prouve en l'E4P4 autre chose que ce que la proposition dit. Pour moi c'est bel et bien vous qui injectez une preuve de la nécessité d'une affection
très particulière (celle qui nous tue) dans une proposition qui ne dit rien d'autre que que l'homme pâtit nécessairement.
En vous remerciant de vos remarques (pas d'ironie),
Amicalement,
L.