Bonjour Sinusix,
voici enfin une réponse à la deuxième partie de votre message:
Sinusix a écrit :Quant à la Religion, et je ne crois pas que Spinoza ait eu une autre ambition, j'ai parlé d'antidote, ce qui est certes une forme de combat (comme l'a fait Spinoza) contre la forme d'obscurantisme inhérente à toute religion, qui repose sur des croyances et non sur le maniement de la raison (il n'est que de voir, malgré la puissance de la Pensée qu'ils ont développée, les contorsions de raisonnement auxquelles se sont employés certains Philosophes, tous ceux les plus éminents de la période "non laïque" de la Philosophie, enfermés qu'ils étaient dans leur obligation d'honorer leur Dieu Créateur du Ciel et de la Terre).
non je ne pense pas que ceci soit correcte. Il dit plutôt que l'essence même de toute religion, ce qu'il appelle la
religio vera, la vraie religion, est quelque chose de très simple et que la raison elle aussi recommande: la Charité.
Il dit cela dans le
TTP. Mais on peut aussi penser à l'
Ethique, où il parle aussi de religion. Il dit par exemple dans l'E4P37 scolie:
"
(...) tout ce qui est désir et action dont nous sommes la cause en tant que nous avons l'idée de Dieu, autrement dit en tant que nous connaissons Dieu, je le rapporte à la Religion."
Or on sait que le troisième genre de connaissance c'est faire exactement cela: rapporter tout à Dieu. Donc son idée de la Béatitude ou de la Liberté est bel et bien "religieuse". Seulement, il ne faut surtout pas comprendre ici par "religion" tout ce que les religions concrètes ont pu causé de mal dans le monde (et on sait que cela, c'est énorme ...). Il faut juste associer à ce mot ce que Spinoza dit lorsqu'il le définit.
Ceci est donc un bon exemple de comment en philosophie on peut changer le sens même d'un mot. Car comment oublier, par exemple, l'inquisition? Ou le fait que l'Eglise catholique ne s'est pas vraiment opposée à la Shoah?
Dès qu'on adopte la définition spinoziste de la religion, on doit se dire qu'en faisant cela, ces gens faisaient tout sauf quelque chose qui avait à voir avec la vraie religion. Ils se livraient tout simplement à des jeux de pouvoir etc., comme n'importe quel homme peut le faire. Qu'en même temps ils appartenaient au clergé n'y change rien.
De même, dans le
TTP Spinoza ne demande pas d'abolir la religion, il demande juste de séparer radicalement la philosophie et la théologie, donnant à la philosophie et à ce qu'aujourd'hui on appelle la science le privilège de l'étude de la vérité, et à la théologie le domaine de cette activité humaine qui consiste à apprendre à rapporter tout à Dieu selon l'imagination propre de tels ou tels gens.
Or à mon sens vous avez tout à fait raison de dire que quelque part il y a un combat très radical chez Spinoza à ce sujet. Mais ce n'est pas un combat contre ce qu'il appelle la vraie religion (celle qui se démontre par la raison, et celle qui en même temps constitue le seul vrai message de la Bible, du moins si l'on étudie la Bible selon la méthode "scientifique" qu'il préconise), c'est plutôt un combat contre l'intolérance de certains, qui utilisent la religion ou l'Ecriture sainte dans le but principal d'interdire à d'autres de lire le texte différemment, voire de les tuer s'ils veulent le lire différemment. Car si la seule chose parfaitement "rationnelle" dans toute religion, c'est la Charité, alors tout ce qui dépasse cela est purement "imaginaire". Cela peut être très utile (comme vient de le montrer Captain-Troy, s'imaginer Dieu comme un homme barbu a comme grand avantage de pouvoir vraiment comprendre qu'on est quelque part divin nous aussi, ce que la "raison" (au sens spinoziste) nous dit aussi), mais cela peut aussi devenir très dangereux lorsqu'on fait comme si ce qui n'est qu'imagination serait la seule Vérité, et qu'il faudrait poursuivre comme "ennemis de Dieu", comme le dit Spinoza, ceux qui interprètent la Bible différemment.
Sinusix a écrit :Autrement dit, la Philosophie se dévoie lorsqu'elle se transforme en Théologie ; elle reste dans son "rôle", en revanche, lorsqu'elle s'intéresse au phénomène religieux, en tant que d'aucuns (pas forcément dupes de leurs arrières pensées) le considèrent comme constitutif de la "nature humaine", ce qui n'est pas, vous vous en doutez, mon cas.
je ne pense pas non plus que le phénomène religieux, au sens ordinaire du terme, est "constitutif de la nature humaine". Et je ne crois pas non plus que Spinoza pense cela, puisque justement, ce qu'il appelle la "vraie religion", cela ne fait pas du tout partie de la nature humaine, c'est plutôt quelque chose qu'il faut apprendre. Et en effet, le but même du
TTP c'est de séparer philosophie et théologie.
Mais ce n'est quelque part tout de même pas si simple que cela, puisqu'après avoir dit ça, Spinoza écrit un livre de philosophie (l'
Ethique) où il ne fait que parler de Dieu ... .
Sinusix a écrit :D'où d'ailleurs la précaution qu'il m'arrive de prendre, et je ne suis pas le seul, quand je m'intéresse à un auteur qui n'en fait pas l'annonce préalable, de connaître son "engagement" religieux éventuel (ce qui peut inclure un anticléricalisme viscéral), afin de devoir éventuellement décrypter sa pensée (voir à ce sujet les critiques qu'a reçues René Girard de la part de ceux qui ont suspecté la "téléologie" associée à son splendide livre : La Violence et le Sacré).
J'ose espérer, mais j'en doute parfois, que vous ne nous avez pas caché des a priori très respectueux de la religion, lesquels pourraient vous conduire, inconsciemment, à canaliser certains raisonnements dans le bob sens.
voici ce que je pense à ce sujet:
- Spinoza a raison de rappeler que l'essence même de toute religion est tout à fait simple, et consiste en quelque chose qu'on peut comprendre aussi par la raison, ce qui signifie que les "athéistes" ne sont absolument pas par définition moins "moraux" voire "amoraux", comme le prétendent encore pas mal d'Américains aujourd'hui, tandis qu'il ne suffit pas du tout de suivre dans la pratique les prescriptions d'une religion (aller à la messe une fois par semaine etc.) pour être réellement religieux au sens spinoziste du terme. Y a-t-il une grande hypocrisie chez pas mal de religieux? Oui. Y a-t-il une superstition totalement ridicule chez pas mal de religieux? Oui. Faut-il combattre cela? Oui, d'urgence.
- or rappeler le noyau "vrai" de toute religion, c'est aussi rappeler, comme le fait aujourd'hui sans cesse le président américain, que les religions peuvent être et ont été dans le passé une grande force extrêmement positive et constructive. Et là je pense que l'intolérance vis-à-vis de la religion (plus précisément vis-à-vis de l'islam) comme on le voit aujourd'hui en France ou en Occident en général est très dangereuse, et doit elle aussi être combattue, comme le fait Obama (qui dit être croyant, mais personnellement je pense qu'il est athée). Car l'attitude la plus rationnelle, c'est de reconnaître qu'on n'a pas pu prouver scientifiquement l'existence d'un Dieu, mais surtout aussi qu'on n'a pas pu prouver scientifiquement qu'il n'existe pas. L'intolérance par rapport aux religions vient du fait qu'on s'imagine que ne pas avoir prouvé l'existence de Dieu suffit pour déclarer faux son existence, ce qui est une attitude tout sauf scientifique ou rationnelle. C'est donc une attitude tout aussi superstitieuse que celui qui pense que l'existence de Dieu est scientifiquement prouvée. Et combattre les religions au nom d'une telle intolérance est tout aussi ridicule que de combattre les athéistes au nom de l'une ou l'autre religion.
- personnellement j'ai eu une éducation catholique, c'est-à-dire jusqu'à mes 18 ans j'étais dans l'enseignement catholique (après plus), j'ai une mère qui croit mais sans pratiquer de manière systématique, et un père qui est athéiste et qui déteste violemment tout ce qui a à voir avec l'Eglise. J'ai été très croyante jusqu'à mes 13 ans, puis plus du tout, puis de nouveau à mes 16 ans, pour abandonner définitivement toute croyance en un dieu chrétien et en n'importe quelle religion à partir de mes 17 ans. Aujourd'hui je ne pratique plus aucune religion. Mais c'est notamment Spinoza qui m'a appris à valoriser de nouveau les religions (ensemble avec Obama, il faut bien le dire), non pas telles qu'elles sont, mais en leur "noyau", tel que l'expliquent leurs textes sacrés (ce qui n'implique en
rien nier toutes les atrocités qui ont été commises en leur nom), et à combattre aussi bien tout sectarisme religieux que tout sectarisme antireligieux. Et je dois dire que le dieu spinoziste quelque part m'attire. Mais je ne suis pas encore entièrement convaincue (voir à ce sujet la discussion intéressante qui se déroule pour le moment sur ce forum entre Maymay, Sescho et Hokousai, et où j'interviendrai peut-être).
Voilà, les cartes sont sur table ... vous pouvez en faire ce que vous voulez ...
Amicalement,
L.