Pourquoi est-elle bonne ? (désir et jugement)

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Marc
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Pourquoi est-elle bonne ? (désir et jugement)

Messagepar Marc » 09 juil. 2004, 16:34

J'ai toujours eu du mal avec cette pensée de Spinoza (*) que je prends la liberté de reformuler : « Ce n'est pas parce que je juge qu'une chose est bonne que je la désire, c'est parce que je la désire que je la juge bonne. »

(*) cf. les scolies des propositions 9 et 39 de la partie III de l'Éthique

Bien bien bien... Enfin non, pas bien. Je ne comprends pas. :?

Prenons par exemple un enfant qui ne désire pas manger de soupe, parce qu'il n'en a pas envie ou parce qu'il n'a pas faim. Ses parents insistent. Alors il la goûte, et la trouve bonne. De ce fait, parce qu'il juge qu'elle est bonne, il en reprend... ce qui semblerait contredire Spinoza.

Je dois certainement avoir faux quelque part, mais où :?:

D'avance merci pour vos lumières,

Marc
Modifié en dernier par Marc le 13 juil. 2004, 14:06, modifié 1 fois.

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DGsu
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Re: Pourquoi est-elle bonne ?

Messagepar DGsu » 11 juil. 2004, 10:32

Salut à toi Marc !

Spinoza a écrit : « Ce n'est pas parce que je juge qu'une chose est bonne que je la désire, c'est parce que je la désire que je la juge bonne. »

En d'autres termes, la chose n'est pas considérée comme bonne selon des valeurs a priori de la conscience, c'est d'abord moi en tant que corps qui suis enclin à la désirer (selon le conatus). Eventuellement, je produis une illusion de la volonté.

Spinoza cite justement l'exmple de l'enfant qui désire du lait (Eth. III, prop. II, scolie).

Marc a écrit :Prenons par exemple un enfant qui ne désire pas manger de soupe, parce qu'il n'en a pas envie ou parce qu'il n'a pas faim. Ses parents insistent. Alors il la goûte, et la trouve bonne. De ce fait, parce qu'il juge qu'elle est bonne, il en reprend... ce qui semblerait contredire Spinoza.

L'enfant produit l'illusion de ne pas vouloir de soupe, mais c'est réellement son corps (pris dans son ensemble) qui ne la désire pas. Puis il la goûte, c'est alors son corps qui la désire et ainsi il la juge bonne. C'est parce que tu utilises le terme "juge bonne" pour "désire" dans la deuxième partie de ton histoire.

Une question intéressante serait de se demander ce qui a bien pu se produire pour que l'enfant, malgré le fait qu'il ne désire pas de soupe, finisse tout de même par la goûter.

Wegner dans son ouvrage "The Illusion of Conscious Will" (MIT Press) parle d'une expérience neurologique dans laquelle le moment correspondant à la prise de conscience de la décision volontaire d'une action est précédé (!) par une impulsion qui correspondrait à l'action elle-même. Ceci peut nous faire envisager le fait que la prise de conscience n'est qu'une illusion qui suit la prise de décision du corps en tant que machine. Effrayant!!! 8O

Bien à toi !
DGsu
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Messagepar infernus » 12 juil. 2004, 14:53

Spinoza veut dire par là qu'il n'y a pas de bon en soi, mais seulement relativement à un conatus, mode, être singulier, faisant effort pour persévérer dans son être. Ce que l'homme juge bon, c'est l'objet d'un desir , lequel est antérieur a tout jugement. Un peu comme si la vie allait d'elle même vers ce qui lui est favorable, ce qui lui permet de persévérer dans son être; nos jugements conscients, ne sont pas le résultat de libre decret, et donc ils n'ont pas la prétendue objectivité qu'on leur confère mais ne sont que le fruit de la nécessité, celle qui nous fait tendre vers ce que notre être juge fondamentalement favorable à sa persévérance.
Modifié en dernier par infernus le 13 juil. 2004, 14:47, modifié 1 fois.

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Re: Parce qu'elle est colombienne!

Messagepar Marc » 13 juil. 2004, 14:05

infernus a écrit :Spinoza veut dire par là qu'il n'y a pas de bon en soi, mais seulement relativement à un conatus, mode, être singulier, faisant effort pour persévérer dans son être. [...]

Une formulation plus compréhensible me semble être : « Ce n'est pas parce qu'une chose est bonne (en elle-même), mais parce que je la juge bonne que je la désire. »

Voir aussi : http://minilien.com/?lcc3aNjlen

Marc

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Messagepar DGsu » 19 juil. 2004, 21:40

Il faudrait en fait consulter le texte en latin qui est certainement très clair et ne prête à aucune interprétation contradictoire. C'est peut-être la traduction qui est troublante. Je vais me mettre en quête! :)
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Messagepar DGsu » 21 juil. 2004, 09:57

Le texte latin : "Constat itaque ex his omnibus nihil nos conari, velle, appetere neque cupere quia id bonum esse judicamus sed contra nos propterea aliquid bonum esse judicare quia id conamur, volumus, appetimus atque cupimus."

Traduction de Guérinot : "Il est donc établi par tout cela que nous ne faisons effort vers aucune chose, que nous la voulons, ne l'appétons ni ne la désirons parce nous jugeons qu'elle est bonne ; mais, au contraire, que nous jugeons qu'une chose est bonne, parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons, l'appétons et la désirons."

La traduction de Caillois est à peu de choses près la même.

Ce qui me semble essentiel ici est le "quia id bonum esse judicamus" : "parce que nous la jugeons bonne". Le "jugeons bonne" est à prendre dans le sens que nous puissions la considérer a priori et ensuite la juger en tant que chose par notre entendement. Pour moi le texte est clair, c'est selon Spinoza l'inverse qui se passe : c'est le fait que nous soyions attirés vers elle (quelle qu'en soit la raison d'ailleurs, c'est notre corps qui parle dans ce cas) qui nous la fait juger bonne.

Bonne journée! :)
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