la liberté comme nécessité

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Laure
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la liberté comme nécessité

Messagepar Laure » 29 sept. 2004, 20:40

bonjour, je cherche à savoir où Spinoza a écrit "la liberté est nécessité bien comprise" ou quelque chose de très similaire. Merci à tous les connaisseurs qui pourront m'éclairer dans cette recherche.

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sescho
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Messagepar sescho » 04 oct. 2004, 21:01

Quelques pistes, sans doute pas exhaustives :

Spinoza, Court Traité, traduit par P. Janet, a écrit :CT1C4( 5 ) : ... ce que quelques-uns prendront pour une imperfection et un blasphème envers Dieu ; erreur qui vient seulement de ce qu'ils ne voient pas en quoi consiste la vraie liberté, laquelle ne peut en aucune façon consister, comme ils se l'imaginent, en ce que l'on pourrait agir ou ne pas agir à son gré ; mais, au contraire, la vraie liberté n'est rien autre chose que la première cause, qui n'est nullement pressée ou contrainte par aucune cause extérieure, et qui, par sa seule perfection, est cause de toute perfection : par conséquent, si Dieu pouvait omettre telle action, il ne serait pas parfait : car pouvoir omettre de faire dans ses œuvres quelque bien ou perfection est incompatible avec sa nature, puisque cela impliquerait quelque défaut. Donc, que Dieu soit la seule cause libre, c'est ce qui résulte non-seulement de ce que nous avons dit, mais encore de ce qu'il n'y a pas en dehors de lui de cause externe qui puisse le contraindre ou exercer une pression sur lui : ce qui ne peut se rencontrer dans les choses créées.

CT1C4( 8 ) : Ces conséquences résultent encore de l'analyse que nous avons faite de la vraie liberté, qui ne consiste pas à pouvoir agir ou ne pas agir, mais en cela seulement de ne pas dépendre d'autre chose, de telle sorte que tout ce que Dieu fait vient de lui et est fait par lui, comme par la cause la plus libre et la plus sage. Or, Dieu étant la première cause, il doit y avoir quelque chose en lui, par quoi il fait ce qu'il fait et ne peut pas ne pas le faire : et comme ce qui le fait agir ne peut être autre chose que sa propre perfection, nous concluons que si sa perfection ne le faisait agir de telle manière, les choses n'existeraient pas et n'eussent pas commencé à être de la manière dont elles sont.

CT2C26( 5 ) D’où l'on voit que, pour établir la vérité de ce que nous affirmons sur le salut et sur le bonheur, nous n'avons pas besoin d'autre principe que de celui de notre propre utilité, principe qui est naturel à tout être ; et, puisque l'expérience nous apprend qu’en recherchant la sensualité, la volupté et les choses mondaines, nous y trouvons non notre salut, mais notre perte, nous devons par cela même choisir l'entendement comme guide : mais, cela étant impossible sans être parvenu auparavant à la connaissance et à l'amour de Dieu, il nous faut donc de toute nécessité chercher Dieu ; et enfin, comme il résulte de toutes les recherches précédentes qu'il est le meilleur de tous les biens ; nous sentons que nous devons nous reposer en lui, car, hors de lui, nous ne voyons rien qui puisse nous donner le salut ; la vraie liberté, c'est d'être et de demeurer enchaîné par les liens de son amour.

( 7 ) Il nous reste donc, pour mettre fin à cet ouvrage, à expliquer brièvement ce que c'est que la liberté humaine et en quoi elle consiste ; pour cet objet, j'emploierai les propositions suivantes, comme certaines et démontrées :
1° Plus une chose a d'être, plus elle a d'action et moins de passion, car il est certain que l'agent agit par ce qu’il possède, et le patient souffre par ce qui lui manque.
2° Toute passion qui nous fait passer de l'être au non-être, ou du non-être à l'être, doit procéder d'un agent externe et non interne : car aucune chose, considérée en elle-même, n'a en soi une cause par laquelle elle puisse se détruire, lorsqu'elle est, et par laquelle elle pourrait s'appeler elle-même à l’être, lorsqu'elle n'est pas.
3° Tout ce qui n'est pas produit par des causes externes ne peut entrer en commerce avec elles, et par conséquent ne peut être par elles ni changé ni transformé.
4° De la 2° et de la 3° proposition se tire la proposition suivante : Tout ce qui vient d'une cause immanente ou interne (ce qui est pour moi la même chose) ne peut être détruit ou changé, tant que sa cause demeure, car, puisqu'une telle chose ne peut être produite par des causes externes, elle ne peut pas non plus (d'après la 3° proposition) être changée par de telles causes ; et comme, en général, aucune chose ne peut être détruite, si ce n'est par des causes extérieures, il n'est pas possible que cette chose produite puisse périr tant que sa cause interne persiste (d'après la 2° proposition).
5° La cause la plus libre et celle qui répond le mieux à la nature de Dieu, c'est la cause immanente. Car de cette cause l’effet dépend de telle sorte qu’il ne peut sans elle ni exister, ni être compris, ni même (par la 2° et la 3° proposition) être soumis à aucune autre cause ; en outre, l'effet est uni à cette cause de telle sorte qu'elle ne fasse qu’un avec lui.

( 8 ) Voyons maintenant ce qu'on peut conclure des propositions précédentes :
1° L'essence de Dieu étant infinie, il doit avoir (d'après la 1° proposition) une activité infinie, et une négation infinie de toute passion ; et par conséquent, selon que les choses sont unies à Dieu par une plus grande partie de leur essence, elles ont plus d'action et moins de passion ; et elles sont d'autant. plus affranchies du changement et de la destruction.
2° Le vrai entendement ne peut périr par lui-même : car (d'après la 2° proposition), il n'a en lui aucune cause par laquelle il puisse se détruire. Et, comme il ne provient pas de causes extérieures, mais de Dieu, il ne peut (d'après la 3° proposition) subir aucune altération du dehors. Enfin, comme Dieu l'a produit immédiatement, et est sa cause immanente, il s'ensuit nécessairement que l'entendement ne peut pas périr, aussi longtemps que sa cause subsiste (d'après la 4° proposition) ; or sa cause étant éternelle, il l'est également.
3° Tous les actes du vrai entendement qui sont unis à lui doivent être estimés par-dessus toutes choses, parce que les produits internes d'une cause interne sont les plus parfaits de tous (d'après la 5° proposition) ; et en outre, ils sont nécessairement éternels parce que leur cause l'est elle-même.
4° Toutes les actions que nous produisons en dehors de nous sont d'une nature d'autant plus parfaite qu'elles sont plus capables de s'unir à nous de manière à faire avec nous une seule et même nature ; car alors elles sont le plus près possible des actes internes. Si, par exemple, j'enseigne à mon prochain la volupté, la fausse gloire, l'avidité, soit que moi-même j’aime ou que je n'aime pas ces choses, n'est-il pas évident que je suis moi-même frappé et fouetté par mes propres armes ? Mais il n'en est pas ainsi si mon seul et véritable but est d'atteindre l’union avec Dieu, et par cette union, de produire en moi de vraies idées, que je communique à mon prochain ; car alors nous participons également au salut : le même désir naissant en eux comme en moi, il s'ensuit que leur volonté devient la même que la mienne ; et nous ne faisons plus qu'une seule nature qui s'accorde en toutes choses.

( 9 ) De tout ce qui précède il est facile de conclure ce que c'est que la liberté humaine 1. Je la définis un acte constant que notre intellect acquiert par son union immédiate avec Dieu, pour produire en soi des idées et en dehors de soi des actes qui soient d’accord avec sa nature (la nature de l'entendement), de telle sorte que ni ces idées ni ces actions ne soient soumises à des causes externes qui pourraient les changer ou les transformer. On voit par là et par ce qui a été dit précédemment quelles sont les choses qui sont en notre pouvoir et qui ne dépendent pas des causes extérieures. Par là est démontrée encore, d'une autre manière que plus haut, la durée éternelle de notre entendement, et quelles sont les actions qu’il faut estimer par-dessus tout.


Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E2P35S : ... Les hommes se trompent en ce point, qu’ils pensent être libres. Or, en quoi consiste une telle opinion ? en cela seulement qu’ils ont conscience de leurs actions et ignorent les causes qui les déterminent. L’idée que les hommes se font de leur liberté vient donc de ce qu’ils ne connaissent point la cause de leurs actions, car dire qu’elles dépendent de la volonté, ce sont là des mots auxquels on n’attache aucune idée. Quelle est en effet la nature de la volonté, et comment meut-elle le corps, c’est ce que tout le monde ignore, et ceux qui élèvent d’autres prétentions et parlent des sièges de l’âme et de ses demeures prêtent à rire ou font pitié.— De même, quand nous contemplons le soleil, nous nous imaginons qu’il est éloigné de nous d’environ deux cents pieds. Or, cette erreur ne consiste point dans le seul fait d’imaginer une pareille distance ; elle consiste en ce que, au moment où nous l’imaginons, nous ignorons la distance véritable et la cause de celle que nous imaginons. Plus tard, en effet, quoique nous sachions que le soleil est éloigné de nous de plus de six cents diamètres terrestres, nous n’en continuons pas moins à l’imaginer tout près de nous, parce que la cause qui nous fait imaginer cette proximité, ce n’est point que nous ignorions la véritable distance du soleil, mais c’est que l’affection de notre corps n’enveloppe l’essence du soleil qu’en tant que notre corps lui-même est affecté par le soleil.

E3P2S : ... Certes, j’accorderai volontiers que les choses humaines en iraient bien mieux, s’il était également au pouvoir de l’homme et de se taire et de parler ; mais l’expérience est là pour nous enseigner, malheureusement trop bien, qu’il n’y a rien que l’homme gouverne moins que sa langue, et que la chose dont il est le moins capable, c’est de modérer ses appétits ; d’où il arrive que la plupart se persuadent que nous ne sommes libres qu’à l’égard des choses que nous désirons faiblement, par la raison que l’appétit qui nous porte vers ces choses peut aisément être comprimé par le souvenir d’un autre objet que notre mémoire nous rappelle fréquemment ; et ils croient au contraire que nous ne sommes point libres à l’égard des choses que nous désirons avec force et que le souvenir d’un autre objet ne peut nous faire cesser d’aimer. Mais il est indubitable que rien n’empêcherait ces personnes de croire que nos actions sont toujours libres, si elles ne savaient pas par expérience qu’il nous arrive souvent de faire telle action dont nous nous repentons ensuite, et souvent aussi, quand nous sommes agités par des passions contraires, de voir le meilleur et de faire le pire. C’est ainsi que l’enfant s’imagine qu’il désire librement le lait qui le nourrit ; s’il s’irrite, il se croit libre de chercher la vengeance ; s’il a peur, libre de s’enfuir. C’est encore ainsi que l’homme ivre est persuadé qu’il prononce en pleine liberté d’esprit ces mêmes paroles qu’il voudrait bien retirer ensuite, quand il est redevenu lui-même ; que l’homme en délire, le bavard, l’enfant et autres personnes de cette espèce sont convaincues qu’elles parlent d’après une libre décision de leur âme, tandis qu’il est certain qu’elles ne peuvent contenir l’élan de leur parole. Ainsi donc, l’expérience et la raison sont d’accord pour établir que les hommes ne se croient libres qu’à cause qu’ils ont conscience de leurs actions et ne l’ont pas des causes qui les déterminent, et que les décisions de l’âme ne sont rien autre chose que ses appétits, lesquels varient par suite des dispositions variables du corps. Chacun, en effet, se conduit en toutes choses suivant la passion dont il est affecté : ceux qui sont livrés au conflit de plusieurs passions contraires ne savent trop ce qu’ils veulent ; et enfin, si nous ne sommes agités d’aucune passion, la moindre impulsion nous pousse çà et là en des directions diverses. Or, il résulte clairement de tous ces faits que la décision de l’âme et l’appétit ou détermination du corps sont choses naturellement simultanées, ou, pour mieux dire, sont une seule et même chose, que nous appelons décision quand nous la considérons sous le point de vue de la pensée et l’expliquons par cet attribut, et détermination quand nous la considérons sous le point de vue de l’étendue et l’expliquons par les lois du mouvement et du repos ; mais tout cela deviendra plus clair encore par la suite de ce traité. Ce que je veux surtout qu’on remarque ici avec une attention particulière, c’est que nous ne pouvons rien faire par la décision de l’âme qu’à l’aide de la mémoire. Par exemple, nous ne pouvons prononcer une parole qu’à condition de nous en souvenir. Or, il ne dépend évidemment pas du libre pouvoir de l’âme de se souvenir d’une chose ou de l’oublier. Aussi pense-t-on que cela seulement est au pouvoir de notre âme, savoir, de nous taire ou de parler à volonté sur une chose que la mémoire nous rappelle. Mais, en vérité, quand nous rêvons que nous parlons, ne croyons-nous pas que nous prononçons certaines paroles en vertu d’une libre décision de l’âme ? et cependant nous ne parlons effectivement pas ; ou, si nous parlons, c’est par un mouvement spontané de notre corps. Nous rêvons aussi quelquefois que nous tenons certaines choses cachées en vertu d’une décision semblable à celle qui nous fait taire ces choses durant la veille. Enfin nous croyons en songe faire librement des actions qu’éveillés nous n’oserions pas accomplir ; et puisqu’il en est ainsi, je voudrais bien savoir s’il faut admettre dans l’âme deux espèces de décisions, savoir, les décisions fantastiques et les décisions libres. Que si on ne veut pas extravaguer à ce point, il faut nécessairement accorder que cette décision de l’âme que nous croyons libre n’est véritablement pas distinguée de l’imagination ou de la mémoire, qu’elle n’est au fond que l’affirmation que toute idée, en tant qu’idée, enveloppe nécessairement (voir la Propos. 49, partie 2). Par conséquent, ces décisions de l’âme naissent en elle avec la même nécessité que les idées des choses qui existent actuellement. Et tout ce que je puis dire à ceux qui croient qu’ils peuvent parler, se taire, en un mot, agir, en vertu d’une libre décision de l’âme, c’est qu’ils rêvent les yeux ouverts.


Rappelons en outre que l'intitulé de E5 est : "De la puissance de l’entendement, Ou de la liberté de l’homme"

Amicalement

Serge
Connais-toi toi-même.


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