Les chances du Spinozisme ?

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Henrique
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Messagepar Henrique » 13 févr. 2012, 23:52

marcello a écrit :Il me semble qu'il y a de par le monde des êtres humains qui recherchent le bien pour des raisons de conviction personnelle sans se référer au marché, ni à la religion, ni à Spinoza.

Le Marché dans le sens où il y est fait référence en dernière analyse dans les discours politiques ou la religion en général requièrent l'obéissance sans comprendre. Spinoza ne fait quant à lui qu'exposer géométriquement ce que bien d'autres avant lui et après lui ont compris intuitivement ou selon d'autres cheminement rationnels. Donc vous avez tout à fait raison, on peut vouloir le bien soit par religion, soit par raison, soit par intuition. Le problème avec la religion, c'est qu'on ne veut le bien que pour ce qu'il est censé nous apporter, ce qui introduit une confusion qui peut faire que la religion sous ses différentes formes dérive en sectarisme, voire en totalitarisme.

Même si la contribution de Spinoza aux Lumières et donc aux principes contenus dans les diverses déclarations des droits de l'homme est décisive.

En effet.

Il me semble qu'il y a dans la plupart des gens (et même chez les animaux supérieurs) un élan vers ce qui fait du bien et diminue la souffrance. et même une certaine capacité, plus ou moins développée à l'empathie qui ne dépendent pas de la religion.

Probablement, mais cela n'empêche pas que comme la plupart des gens ne se conduisent pas selon la raison, ils en viennent au final à produire les conditions de leur propre servitude. Il suffit de voir comment les dictatures plus ou moins violentes par les armes ou par l'argent règnent sur le monde. Aucune de ces dictatures ne pourrait subsister plus d'une heure sans le consentement général à la servitude.

Il existe aussi, bien sûr des tendances inverses qui souvent coexistent à ces tendances généreuses : égoïsme, violence, cupidité.

Le marché, lui-même, n'est pas que négatif. C'est aussi l'espace dans lequel les êtres humains échangent les fruits de leur travail et de leur ingéniosité. Il y a même un marché de la solidarité ou générosités se rencontrent et s'emploient.


Tout à fait, je parlais du Marché avec un grand M et pas du marché qui n'est que l'ensemble des échanges utiles aux hommes. Le Marché avec un grand M, c'est l'économie, la croissance du PIB, le profit qui deviennent une fin en soi, le souverain bien, et par rapport auquel les hommes deviennent de simples moyens.

Les excès du marché ne définissent pas plus le marché que les excès d'amour ne définissent l'amour.


Il n'y a pas en soi d'excès du marché à mon sens, ce n'est pas un problème de quantité mais d'ordre des valeurs. Quand les valeurs monétaires prennent le pas sur les valeurs humaines proprement dites (comme la solidarité, l'échange et donc le partage, la générosité, la justice) dans la représentation de l'ordre des valeurs, ce n'est pas un excès mais une erreur.

D'ailleurs, Spinoza ne vivait-il pas de la vente des verres qu'il polissait et pour lesquels il y avait une demande suffisante en Europe pour lui permettre de persévérer dans son être et dans son essence qui était de créer l'oeuvre qui est la cause de notre présence sur ce généreux et noble forum ?

En effet.

Ce qui m'amène à une réflexion sur la justification de Spinoza pour la recherche d'un souverain bien.
Il part d'une désillusion sur les richesses, le pouvoir et la jouissance sexuelle.
Mais pourquoi ne parle-t-il pas des biens qui sont de vrais biens : l'amour désintéressé pour ses proches ou pour l'humanité, la recherche de la vérité dont la philosophie naturelle du 17e siècle est un moment majeur, le combat pour la liberté humaine dont Spinoza est lui-même un héros comme le pécheur italien sous la forme duquel il s'est lui-même représenté ?
Il me semble que ce sont des raisons de vivre qui sont suffisantes pour entreprendre et persévérer. C'est d'ailleurs ce que nous faisons tous à notre façon, non ?

Dans le TRE, Spinoza part de la question de ce qui peut parfaitement contenter le cœur humain, le souverain bien. Il se réfère d'abord à ce que les hommes prennent le plus souvent pour tel et qui n'a pas manqué de le séduire car il se sait homme avant que d'être philosophe. Et force est de constater que quand ils cherchent le bonheur, la liberté, la justice, les hommes aujourd'hui encore ont plutôt tendance à chercher en fait les satisfactions charnelles, la richesse, le pouvoir et la gloire. Voltaire, en plein cœur des lumières identifie liberté et fortune monétaire et n'hésite pas, paraît-il à prendre des parts dans le juteux commerce des esclaves.

Mais Spinoza ne dit pas pour autant que le plaisir sensuel, la richesse et le pouvoir sont des faux biens. Ce ne sont des maux que si on en fait le souverain bien, de sorte qu'on en vient à se mettre au service de réalités extérieures, ce qui ne peut qu'engendrer de la déception. Mais si on les maintient dans le statut de moyens, ce sont des biens qui n'ont pas à être méprisés.

Quant à l'amour désintéressé pour ses proches, à la recherche de la vérité et au combat pour la liberté, ce ne sont pas les biens qui sont les plus valorisés parce qu'ils ne sont souvent pas bien compris par ceux qui les éprouvent naturellement, ce qui donne lieu à la confusion avec le népotisme ou le repli de classe dans le cas de l'amour pour ses proches. L'amour de l'humanité, c'est en son nom qu'aujourd'hui encore, on exclut ceux qui sont considérés comme sous-humains et c'est par humanisme, que les nouveaux dictateurs prétendent que les peuples, comme celui de Grèce, doivent se soumettre à la pure et simple marchandisation de leurs vies. Et ceux qui prétendent cela n'ont que les mots de vérité, de justice et de liberté à la bouche, comme aucun dictateur n'a jamais manqué de le faire. Et le consentement des peuples à cet égard ne peut s'expliquer que par le manque de compréhension de ce que ces valeurs signifient.

La question que Spinoza pose au début du TRE, c'est quel peut être ce souverain bien dont la connaissance et la possession pourrait me rendre heureux en toutes circonstances et capable d'être bon ou vertueux tant que j'y resterais attaché. Or on a beau être d'un naturel gentil, honnête et sincère, cela n'empêche pas d'être malheureux et même méchant malgré soi (car nul n'est méchant volontairement) La première question qui se pose alors à un esprit raisonnable qui entreprend cette recherche, c'est comment s'assurer de ne pas se tromper, de ne pas tomber dans des confusions qui nous éloignent du but au lieu de nous en rapprocher. Mais cette simple question, si évidente, donnant lieu à une réflexion ordonnée sur la nature du vrai, bien peu entreprennent d'y répondre, persuadés qu'ils sont de la perfection de ce point de vue de leur entendement.

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marcello
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Messagepar marcello » 14 févr. 2012, 15:25

Henrique a écrit
Probablement, mais cela n'empêche pas que comme la plupart des gens ne se conduisent pas selon la raison, ils en viennent au final à produire les conditions de leur propre servitude. Il suffit de voir comment les dictatures plus ou moins violentes par les armes ou par l'argent règnent sur le monde. Aucune de ces dictatures ne pourrait subsister plus d'une heure sans le consentement général à la servitude.

La douloureuse situation de la Syrie en ce moment ne me semble pas exprimer un consentement général à la servitude.
En ce qui concerne nos démocraties, je ne partage pas votre pessimisme, même si j'aspire à plus de rationalité et moins de manipulation dans le discours politique et moins d'idéologie dans le discours politique.
Il me semble que chaque citoyen est un mélange de raison et de servitude consentie de par l'inadéquation de ses idées et ses passions.
Le Marché avec un grand M, c'est l'économie, la croissance du PIB, le profit qui deviennent une fin en soi, le souverain bien, et par rapport auquel les hommes deviennent de simples moyens.

Je ne suis pas sûr que cette analyste soit complètement spinozienne.
La situation n'est pas très différente de celle de la Hollande au 17e siècle.
La bulle de l'immobilier et des subprimes n'est pas plus irrationnelle que celle des tulipes. La spéculation fait partie de toute économie et parfois, surtout en l'absence de régulation qui en modère les effets pervers, les choses s'emballent. Il me semble que le moteur principal des économies, est moins la recherche du lucre que celle d'un mieux-vivre et mieux-être, même si les objets qui sont poursuivis sont souvent inadéquats.
Mais je suis peut-être naif.

L'amour de l'humanité, c'est en son nom qu'aujourd'hui encore, on exclut ceux qui sont considérés comme sous-humains et c'est par humanisme, que les nouveaux dictateurs prétendent que les peuples, comme celui de Grèce, doivent se soumettre à la pure et simple marchandisation de leurs vies. Et ceux qui prétendent cela n'ont que les mots de vérité, de justice et de liberté à la bouche, comme aucun dictateur n'a jamais manqué de le faire. Et le consentement des peuples à cet égard ne peut s'expliquer que par le manque de compréhension de ce que ces valeurs signifient.

Tout est-il si noir ?
Je connais des gens de bonne volonté et de bonne action qui eux-mêmes connaissent des gens de bonne.....
De même, je ne suis pas sûr que ceux qui essaient de gêrer le problème difficile de la dette grecque (et aussi des dettes des pays ultra endettés de la zone euro) soient des dictateurs et qu'ils doivent être considérés comme sous-humains. Je pense que Spinoza, s'il revenait parmi nous, son premier mouvement serait de s'émerveiller du progrès accompli en grande partie grâce à lui.
Ensuite, comme il n'aurait pas à lutter contre la dictature des religions et qu'il n'aurait pas à se garder du risque de subir le destin de Giordano Bruno ou Uriel da Costa et qu'il pourrait s'émerveiller de ce que les héritiers de Galilée et Descartes ont accompli, choisirait peut-être de s'employer à créer des outils qui aide en les prenant par la main les citoyens du monde à envisager un avenir (et même un présent) de bien-être, de confiance et de désir pour eux et leurs enfants.
Le pauvre Spinoza, il aurait du pain sur la planche, mais il ne se sentirait pas si seul car beaucoup de gens partagent cette aspiration et oeuvrent à la mesure de leurs capacités.
Mais bien entendu, ceux qui sèment les graines d'un monde meilleur n'ont jamais été majoritaires.
J'espère que ces graines vont germer et donner de beaux fruits.
Mais je suis peut-être naïf.
Bien cordialement.
Marcello :)

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Djenni_Hamel
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Messagepar Djenni_Hamel » 14 févr. 2012, 17:25

De même, je ne suis pas sûr que ceux qui essaient de gêrer le problème difficile de la dette grecque (et aussi des dettes des pays ultra endettés de la zone euro) soient des dictateurs


(remarque Hors sujet)
La dette est en grande partie imaginaire, car gonflée par les taux d'intérêts (vous connaissez le calcul des intérêts composés ? une dette de 100, affectée d'un taux d'intérêt de 5% met moins de 15 ans à doubler...
....et si on doit payer 7% d'intérêts, la même dette de 100 devient 200 en seulement 10 ans....)

Et je ne parle même pas des taux usuraires pratiqués actuellement sur ceux qui déjà, ne peuvent pas payer..... ni des produits dérivés et autres pratiques légales mais criminelles...

(il faut avoir une idée adéquate sur les choses pour savoir comment sortir des problèmes... :wink: )

La dette ne sera jamais payée, mais on pourrait très bien décider demain que ce n'est pas grave, puisqu'elle est en grande partie imaginaire : elle repose sur une convention (le prêt d'argent doit être fait par les banques privées et doit rapporter des intérêts)
mais on pourrait très bien changer de convention : la banque centrale prêterait à l'Etat à intérêt zéro : c'est ce qui se pratiquait dans les 30 Glorieuses et on ne s'en portait pas plus mal, je crois...

Quelqu'un parlait de dictateurs, eh bien oui, il y a bien des dictateurs : les financiers qui gouvernent les Etats (et ne se cachent même plus.. voir Draghi, Monti, et le 1er Ministre grec dont le nom m'échappe... regardez leur CV... 8O ) derrière le masque de politiciens fantoches, qui n'ont rien compris (incompétents) ou sont complices (malveillants)... dans les 2 cas, malfaisants.

Désolé de ce H.S.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 15 févr. 2012, 19:49

marcello a écrit :La douloureuse situation de la Syrie en ce moment ne me semble pas exprimer un consentement général à la servitude.

Je dis que la servitude n'existe que parce qu'on y consent et qu'on y consent que parce qu'on ignore un certain nombre de choses, comme le fait qu'on est asservi. Dans le cas de dictatures dures et violentes, il est plus facile de se rendre compte de l'oppression, mais comme le montrent les exemples récents de la Tunisie, de l’Égypte et de la Libye, on dépose le dictateur pour laisser d'autres dictatures ou despotismes prendre la place laissée vacante.

Et pour cause, un mouvement de révolte populaire ne suffit pas à mettre en place un régime authentiquement démocratique. Sans laïcité, et donc possibilité de discuter de la chose politique sans se prévaloir d'une quelconque vérité révélée, sans participation effective à la chose politique de chaque citoyen qui délèguent toujours trop facilement à de plus habiles leur droit de participer aux décisions qui engagent la collectivité, et probablement sans séparation des pouvoirs, il n'y a pas de démocratie (c'est pourquoi il n'y en a guère chez nous en Europe non plus quoique les conditions culturelles soient beaucoup plus favorables).

Au final, demeure en Syrie comme ailleurs à différents degrés, la servitude volontaire à l'égard des passions qui est source de celle à l'égard des habiles à se faire passer pour les bon démagogues (conducteurs du peuple).

En ce qui concerne nos démocraties, je ne partage pas votre pessimisme, même si j'aspire à plus de rationalité et moins de manipulation dans le discours politique et moins d'idéologie dans le discours politique.


Une idéologie, c'est un corps cohérent d'idées qui permettent de structurer la vie collective. Avoir une idéologie suppose une réflexion d'ensemble sur la vie en société qui seule rend possible la conscience politique des rapports entre liberté et servitude, justice et injustice, biens et maux communs. C'est plutôt le défaut d'idéologie qui me rend "pessimiste" comme vous dites (mais vous confondez optimisme et espérance, j'avais bien dit que la conscience des limites du genre humain n'empêchait pas de faire son possible pour partager ce qui nous renforce. Il y a aussi un optimisme dur, un optimisme désespéré, au sens de libéré de l'espoir.

Je sais bien qu'aujourd'hui, le mot "idéologie" signifie plus vaguement des idées trop arrêtées, des préjugés qui empêchent la réflexion. Mais ce terme tend à jeter le bébé de la réflexion avec l'eau du bain des préjugés. Je parlerais plutôt de théologie quand on prétend dans le domaine de la décision politique pouvoir se référer à des vérités indiscutables, ce qui est par nature contraire à toute idée de démocratie, du type "tous les français savent bien que si on veut éviter de se retrouver dans la situation de la Grèce, il va encore falloir réduire les dépenses publiques" qui vont être répétées à longueur de journées par les prêtres de la pensée médiatique.

Il me semble que chaque citoyen est un mélange de raison et de servitude consentie de par l'inadéquation de ses idées et ses passions.

Je suis bien d'accord, mais dans ce mélange de raison et de passion, c'est encore bien souvent la passion qui l'emporte comme le montrent l'adhésion aux valeurs du nationalisme, qui reposent sur la peur et la haine, ou encore, de l'UMP au PS, en passant par l'orange, l'adhésion aux valeurs du productivisme et du consumérisme sans borne qui reposent sur la cupidité en partie mais surtout sur la croyance en l'existence d'une planète aux ressources infinies et le désir confus de pouvoir. Les élections française révèlent au final que 90% de la population qui vote donne le pouvoir à ce qui l'asservit. C'est à peu près pareil dans le reste des pays de l'Europe.


Je ne suis pas sûr que cette analyste soit complètement spinozienne.
La situation n'est pas très différente de celle de la Hollande au 17e siècle.
La bulle de l'immobilier et des subprimes n'est pas plus irrationnelle que celle des tulipes. La spéculation fait partie de toute économie et parfois, surtout en l'absence de régulation qui en modère les effets pervers, les choses s'emballent. Il me semble que le moteur principal des économies, est moins la recherche du lucre que celle d'un mieux-vivre et mieux-être, même si les objets qui sont poursuivis sont souvent inadéquats.
Mais je suis peut-être naif.


Je le crains.
Le raison d'être de toute économie reste la valeur d'usage, mais pas forcément son moteur.

Dans une économie raisonnée, on part d'une marchandise qu'on a produite par un travail individuel ou collectif, on l'échange en utilisant l'argent comme facilitateur de la mise en équivalence des biens échangés, pour obtenir en échange des biens dont on fera usage. Ici le moteur est la valeur d'usage, selon le schéma M1->A->M2 (on produit une marchandise dont on n'a pas besoin pour l'échanger contre une marchandise pour en faire usage). Dans un tel système, il n'y a pas de vraies inégalités sociales, tout le monde étant à peu près égal en termes de force de travail : si certains peuvent travailler le double de temps d'autres hommes, ils ne gagneront que le double du revenu des premiers, ce qui leur permettra de consommer un peu plus, d'acheter le produit du travail d'autrui mais pas sa force de travail même.

Dans une économie par capital, quelques particuliers disposent d'un capital, c'est-à-dire d'un bien important dont ils n'ont pas l'usage (terres, matières premières, argent déposé et simple supposition du pouvoir de rembourser dans le cas des banques), bien qui est donc convertible en argent et dont la propriété ne se trouve pas être contestée par la société civile (alors qu'il pourrait très bien l'être dès lors qu'il n'y a pas d'usage). La détention de ce capital permet alors de produire des marchandises qui seront certes vendues pour être consommées mais dans l'objectif d'augmenter le capital indéfiniment. On a alors le schéma A->M->A+. Cela suppose au passage la possibilité d'employer des hommes pour en faire des salariés qui ne sont pas payés selon ce que rapporte leur travail à l'employeur, sans quoi il ne pourrait faire de profit, mais seulement ce qui est nécessaire à la recréation de la force de travail une fois la journée terminée.

Le moteur de l'économie dans un cadre capitaliste n'est plus alors le "mieux vivre" pour tous mais "avoir énormément et toujours plus" pour quelques uns, et le rêve pour les autres (qui par mimétisme font du détenteur de capital leur modèle de vie), le rêve prenant alors la forme de la religion ou de croyances du type "un jour, je serai une grande star de la chanson, un grand footballeur, je gagnerai au loto etc."

Quant à la régulation, ou elle émane du pouvoir économique, le capital, la ploutocratie, ou elle émane de la société civile dans son ensemble, c'est-à-dire de la démocratie. Actuellement, c'est le capital qui s'autorégule et planifie sa production, avec l'efficacité qu'on connaît quand il s'agit de privatiser les profits du travail collectif et de socialiser les dettes du capital, et l’État ne sert que de bras armé du pouvoir ploutocratique pour garantir le respect des règles reconnues par le capital. Si c'est la société, consciente de ses besoins comme de ses limites, qui énonce les règles, c'est la démocratie, le pouvoir du peuple et non de l'argent, ce qui n'interdit pas un marché ouvert à la concurrence mais loyale et donc égalitaire et soumis à des valeurs supérieures à celle de l'échange monétaire : l'humanité, la culture, la justice. On en est loin.


Tout est-il si noir ?
Je connais des gens de bonne volonté et de bonne action qui eux-mêmes connaissent des gens de bonne.....

Moi je ne connais que des gens de bonne volonté. Tout le monde veut le bien, ce qu'il y a de mieux pour eux et autant que possible pour les autres, tant que cela n'empêche pas leur propre bien. Le seul problème est qu'il est très difficile de faire comprendre à un esclavagiste, par exemple, que son bien véritable n'est pas d'exploiter des hommes comme des choses, comme à un consumériste, que son bien n'est pas de consommer pour consommer.

De même, je ne suis pas sûr que ceux qui essaient de gêrer le problème difficile de la dette grecque (et aussi des dettes des pays ultra endettés de la zone euro) soient des dictateurs et qu'ils doivent être considérés comme sous-humains. Je pense que Spinoza, s'il revenait parmi nous, son premier mouvement serait de s'émerveiller du progrès accompli en grande partie grâce à lui.


Il y a eu des progrès importants de la civilisation européenne depuis l'époque de Spinoza (accès au savoir, droits de l'enfance, droits des femmes, droits des travailleurs quoique largement mis à mal ces dernières années...).

Pour ce qui est de la Grèce, Djenni-Hamel a dit l'essentiel sur la notion de dette et ce n'est pas hors sujet dans la mesure où l'ignorance générale des mécanismes à l’œuvre explique pourquoi on est encore loin d'un monde gouverné par la raison dans le sens où on peut le comprendre avec Spinoza, c'est-à-dire par la fermeté ("animositas" qui consiste à se conserver selon les lois de la raison, et donc dans la coopération et non la soumission, ce qui est loin du "courage" dont se prévalent les dirigeants comme Sarkozy ou Merkel et qui consiste à exploiter l'ignorance et la division de peuples pour les mettre au pas des intérêts insatiables de la finance mondialisée) et par la générosité.

Ce qu'explique Djenni-Hamel permet de comprendre en quoi il y a bien en fait une dictature de moins en moins douce quand il s'agit de forcer les peuples à se soumettre au pouvoir de l'argent alors qu'il n'y a là aucune nécessité naturelle. Cela ne fait pas des serviteurs de la finance, ni des financiers des sous-hommes mais des hommes comme bien d'autres que les passions gouvernent, c'est-à-dire des hommes qui souffrent et font souffrir.

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Messagepar marcello » 15 févr. 2012, 22:06

Henrique
Il y a eu des progrès importants de la civilisation européenne depuis l'époque de Spinoza (accès au savoir, droits de l'enfance, droits des femmes, droits des travailleurs quoique largement mis à mal ces dernières années...). "

N'oubliez pas la liberté religieuse et la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Pas non plus l'augmentation de la durée de vie, la fin des famines et l'éradication des épidémies dans les pays développés, la fin des hécatombes à la naissance et la petite enfance,le développement des sciences et des techniques (dont celles qui permettent à ce forum d'exister) et, malgré ce qu'on peut en penser, de la démocratie telle que la rêvait Spinoza dans une grande partie du monde (et il y a encore du travail).
Quand à votre analyse du travail et de l'exploitation de l'homme par l'homme par le truchement du capital, c'est une version du spinozisme que j'ignorais et qui semble promise à un grand avenir :D
Le monde traverse une crise, mais le monde est un grand garçon : je parierai sur la capacité des démocraties à inventer des réponses à ce qui parait insurmontable en ce moment.
Si Dieu sive Natura contient un effet de la situation actuelle qui lui-même produise plus de perfection (donc de réalité).
De toute façon, il fera comme il veut. 8-)

Bien cordialement.
Marcello

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Messagepar Henrique » 16 févr. 2012, 01:26

marcello a écrit :N'oubliez pas la liberté religieuse et la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Pas non plus l'augmentation de la durée de vie, la fin des famines et l'éradication des épidémies dans les pays développés, la fin des hécatombes à la naissance et la petite enfance,le développement des sciences et des techniques (dont celles qui permettent à ce forum d'exister) et, malgré ce qu'on peut en penser, de la démocratie telle que la rêvait Spinoza dans une grande partie du monde (et il y a encore du travail).


J'ai encore omis bien d'autres progrès, l'objectif n'était pas d'en faire la recension exhaustive. Il y avait des points de suspension :-)

Quand à votre analyse du travail et de l'exploitation de l'homme par l'homme par le truchement du capital, c'est une version du spinozisme que j'ignorais et qui semble promise à un grand avenir :D


Vous ne saviez pas que Spinoza a écrit un Traité théologico-politique et un Traité politique ? Sur ce plan au moins, notre cher Benedictus n'a rien d'un taoiste, il n'est pas du genre à se mettre en retrait de l'humanité pour contempler les vérités éternelles. Au contraire, les vérités éternelles sont dans les relations concrètes avec les gens, par lesquelles seules la liberté humaine peut se constituer.

La pensée éthique et politique de Spinoza a déjà été déterminante dans la révolution française, qui fit tomber un régime monarchique pourtant pas si mal que ça, plein de gens de bonne volonté, qui n'était vraiment pas une tyrannie, où il y avait du travail pour tout le monde... Bien sûr, ce n'était pas tout rose, qui peut prétendre avoir tout réussi comme dit encore notre bon Saint Nicolas ?

Et la philosophie de l'affirmation n'a encore certainement pas fini de faire des dégâts dans le bel ordre du monde, si raisonnable et rassurant que nous avons hérité de l'oligarchie gréco-romaine. Quelques épisodes ont bien un peu assombri ce tableau en France, la Révolution, la Commune de Paris, le Conseil national de résistance... Que voulez-vous ? Comme le disait Machiavel, que Spinoza aimait bien : "Et, au fait, quiconque ayant conquis un État accoutumé à vivre libre, ne le détruit point, doit s’attendre à en être détruit. Dans un tel État, la rébellion est sans cesse excitée par le nom de la liberté et par le souvenir des anciennes institutions, que ne peuvent jamais effacer de sa mémoire ni la longueur du temps ni les bienfaits d’un nouveau maître." et j'ajouterais 'quand bien même ce nouveau maître n'a que le mot de liberté à la bouche'.

Le monde traverse une crise, mais le monde est un grand garçon : je parierai sur la capacité des démocraties à inventer des réponses à ce qui parait insurmontable en ce moment.


Si tant est qu'il y ait des démocraties. En Europe, je n'en vois guère, à part quelques petits pays comme l'Islande, quant à la zone euro... Ce sont plutôt des oligarchies consultant les peuples pour la forme en faisant en sorte que s'affrontent sur des pseudo-débats politiques comme le mariage homosexuel des partis qui n'ont que des différences de méthode pour arriver aux mêmes résultats. Mais il y a des gens. L'histoire est faite par eux ou au moins avec leur consentement. Aussi rien n'y est jamais ni diabolique, ni divin, quoique l'homme soit un dieu pour l'homme. Il y a seulement la plupart du temps plutôt de la servitude que de la liberté, parce qu'il y a plus d'imagination et de passions que de raison et de vertu.

Plutôt que celle de la crise en soi, la question de Shub était celle des "chances du spinozisme de trouver la voie vers l'unification de tous les peuples du monde sous la bannière de la raison, du savoir et de l'intelligence." autrement dit est-ce que la pensée de Spinoza peut nous donner des outils pour rendre le monde éthique ? Oui, c'est possible, en quelques décennies, mais la première condition est de ne pas se voiler la face sur la réalité de la domination des passions, de peur, d'espoir principalement et de leurs conséquences dans l'asservissement des hommes.

On ne peut devenir ou faire devenir plus intelligent quand on croit que l'intelligence est déjà là. La seconde condition est qu'il y n'y a pas d'union à partir de la désunion, il faut commencer par se sentir uni intrinsèquement à l'humanité pour renforcer cette unité extrinsèquement. Autrement dit, la béatitude ou simple jouissance d'exister doit être assez présente mentalement pour permettre de contribuer au bien commun, plutôt qu'au renforcement de ses divisions. Autrement dit encore, il faut ne pas souffrir (= ne comprendre ce qui nous arrive) pour ne pas faire souffrir. Pour ne pas souffrir, il faut commencer par se libérer de l'espoir d'un monde meilleur dont l’avènement seul justifierait nos actions. L'espoir est la source de toute déception, de tout ressentiment et de toute rancœur. Espérer, c'est être pendu à ce qui n'est pas, cela produit des images qui empêchent de vivre.

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Messagepar Shub-Niggurath » 16 févr. 2012, 09:02

Autant l'Ethique est un livre salutaire en lui-même, autant les traités théologico-politiques et politiques ne me semblent avoir pour but que de détruire à la fois la religion et l'Etat. L'analyse que fait Spinoza de la religion dans le traité théologico-politique aboutit à concevoir la bible comme un vaste ensemble destiné à soumettre et à asservir les humains, et l'analyse de l'Etat dans le traité politique aboutit au même résultat. Je serais tenté de rire des propos de Spinoza au sujet des religions et des Etats, conçus par lui comme de vastes et épouvantables entreprises de domination de l'homme par l'homme. Il y a au fond de la pensée de Spinoza un anarchisme qui est celui de l'état de nature, et ce n'est pas pour rien qu'il le maintient toujours en dessous de l'état de société.

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Messagepar Henrique » 16 févr. 2012, 12:45

Je ne suis pas d'accord pour dire que le TTP ou le TP ont pour but de détruire la religion, pas plus que l’État d'ailleurs. Au contraire leur but est de montrer de quelles façons on peut vivre ensemble en bonne intelligence. Dans ce cadre, Spinoza est plutôt pour un État fort, seul susceptible de rendre possible sa raison d'être qui est la liberté et la sécurité des citoyens. Pour que les hommes évitent de s'entretuer, le TTP montre qu'il est préférable de séparer les questions religieuses et les questions politiques et de ne pas faire de l'adhésion à un point de vue religieux donné une condition pour être reconnu comme membre honnête de la société.

Pour autant, il ne dit pas que la religion est une mauvaise chose en soi. Elle reste préférable pour les ignorants à l'absence de religiosité car autrement ce sont les passions à l'état brut qui gouvernent et amènent les hommes à devenir une menace permanente les uns pour les autres. En son essence, la religion dit que les hommes doivent aimer Dieu, eux-mêmes et les autres. La philosophie ne dit pas autre chose mais elle le fait en en expliquant les raisons théoriques. La religion s'appuie sur des récits sacrés s'adressant à l'imagination. Le résultat est que là où le philosophe est un bon citoyen parce qu'il comprend que c'est juste et immédiatement bon pour lui, l'homme pieux est aussi un bon citoyen, non parce qu'il en comprend l'utilité directe, mais parce qu'il espère ainsi mériter une récompense divine. Le croyant agit donc par obéissance, là où l'homme de raison agit par liberté, mais extérieurement, ils font à peu près les mêmes choses et encore une fois, c'est un progrès par rapport à la barbarie qu'implique la licence laissée aux passions. Ultimi barbarorum, "les derniers des barbares" étant ceux qui n'ont ni religion, ni raison pour guides de leurs actions mais seulement le désir de pouvoir ce qui nous ramène à un état de nature, certes toujours sous-jacent à l'état civil, mais qui n'a rien de désirable pour l'homme de raison.

Seulement, en raison de l'influence de l'imagination, la religion a tendance à se mélanger avec la superstition et avec l'esprit de secte, qui sont dangereux pour la société, c'est pourquoi elle doit être séparée de l'État sans pour autant être injustement confondue avec la superstition et le sectarisme.

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Messagepar marcello » 16 févr. 2012, 13:02

Henrique
La pensée éthique et politique de Spinoza a déjà été déterminante dans la révolution française, qui fit tomber un régime monarchique pourtant pas si mal que ça, plein de gens de bonne volonté, qui n'était vraiment pas une tyrannie, où il y avait du travail pour tout le monde... Bien sûr, ce n'était pas tout rose, qui peut prétendre avoir tout réussi comme dit encore notre bon Saint Nicolas ?

:lol:

Si tant est qu'il y ait des démocraties. En Europe, je n'en vois guère, à part quelques petits pays comme l'Islande, quant à la zone euro... Ce sont plutôt des oligarchies consultant les peuples pour la forme en faisant en sorte que s'affrontent sur des pseudo-débats politiques comme le mariage homosexuel des partis qui n'ont que des différences de méthode pour arriver aux mêmes résultats.

Pourriez-vous définir ce que serait une démocratie selon votre définition ?


Il y a seulement la plupart du temps plutôt de la servitude que de la liberté, parce qu'il y a plus d'imagination et de passions que de raison et de vertu.

La route est longue, mais je présume que chaque pas est important.
D'autant plus que les obstacles sont en ce moment plutôt préoccupants pour les esprits raisonnables.

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Messagepar Shub-Niggurath » 16 févr. 2012, 17:34

Il me semble qu'au contraire l'existence même des religions et des Etats engendre dans l'âme des passions bien plus violentes et plus fortes que dans les sociétés sans religion ni Etat, comme dans les anciennes cultures des Indiens d'Amérique.

Il me parait tout à fait clair que le fanatisme religieux et le patriotisme aveugle sont à l'origine de bien plus de guerres et de massacres que dans les sociétés restés plus proches de la Nature.

Jamais on ne vit, sauf dans les sociétés fortement hiérarchisés par les religions et les Etats, d'aussi grandes différences de richesses, ni une cupidité plus aveugle et plus insatiable.

L'ambition d'exercer le pouvoir est bien plus alimentée par l'existence de certains postes spécifiques qu'offrent les Religions et les Empires que dans les cultures dites primitives où la différence entre les chefs et les sujets n'est pas bien grande.

La cause de ces passions violentes est donc à rechercher non dans l'état de nature, mais dans l'existence des religions et des Etats.


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