Spinoza et Machiavel

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Nicotine
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Spinoza et Machiavel

Messagepar Nicotine » 28 avr. 2012, 11:18

Bonjour à tous !

Je suis actuellement en train d'étudier Machiavel et je me demandais si on pouvait faire une sorte de parallélisme entre la philosophie de Spinoza et de Machiavel.Je m'explique.

Machiavel nous explique que le Prince qui est sage ie "vertueux" s'il est celui qui sait s'adapter aux circonstances imposées par la "Fortune". Ainsi est un bon Prince celui qui adoptera une bonne action pour une circonstance donnée. Il dit cela car selon lui, deux actions différentes peuvent aboutir à la même fin et une même action peut aboutir à une fin différente selon les circonstances.

Il note cependant une difficulté, c'est qu'il existe un déterminisme psychologique chez les hommes ( leur nature) qui les empêchera de s'accorder au circonstance car ce serait contraire à leur nature.

Ainsi j'ai l'impression de voir dans ce raisonnement une analogie avec Spinoza dans le sens où ce que Machiavel nomme Fortune est le manque de connaissance que nous pouvons avoir du déterminisme de la nature ce qui rend certains évènements apparemment contingents à nos yeux (= la Fortune).

Ainsi en expliquant que le bon Prince est celui qui accorde ses actions à la Fortune, c'est en fait celui qui a une "meilleure" connaissance du déterminisme naturel et qui par conséquent est capable de suivre la nécessité des choses et donc d'être plus heureux selon Machiavel...et Spinoza !

Enfin lorsqu'il parle du "déterminisme psychologique", ne s'agit-il tout simplement pas d'hommes qui ne reste qu'à la connaissance du premier genre et par conséquent réagissent non pas de manière rationnelle mais selon les l’ordre des affections de leur corps ce qui les empêche de pouvoir "s'accorder avec les évènements de la nature"?

Voilà, c'est une réflexion personnelle, je n'ai rien trouvé sur le sujet donc je voudrais savoir ce que vous en pensez !

Bonne journée !

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bardamu
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Re: Spinoza et Machiavel

Messagepar bardamu » 28 avr. 2012, 12:10

Nicotine a écrit :Bonjour à tous !

Je suis actuellement en train d'étudier Machiavel et je me demandais si on pouvait faire une sorte de parallélisme entre la philosophie de Spinoza et de Machiavel.Je m'explique.

Bonjour,
Spinoza semblait en effet apprécier Machiavel :

Extrait du Traité Politique, chap. V :
"Quels sont, pour un prince animé de la seule passion de dominer, les moyens de conserver et d’affermir son gouvernement ? c’est ce qu’a montré fort au long le très-pénétrant Machiavel ; mais à quelle fin a-t-il écrit son livre ? voilà ce qui ne se montre pas assez clairement ; s’il a eu un but honnête, comme on doit le croire d’un homme sage, il a voulu apparemment faire voir quelle est l’imprudence de ceux qui s’efforcent de supprimer un tyran, alors qu’il est impossible de supprimer les causes qui ont fait le tyran, ces causes elles-mêmes devenant d’autant plus puissantes qu’on donne au tyran de plus grands motifs d’avoir peur. C’est là ce qui arrive quand une multitude prétend faire un exemple et se réjouit d’un régicide comme d’une bonne action. Machiavel a peut-être voulu montrer combien une multitude libre doit se donner de garde de confier exclusivement son salut à un seul homme, lequel, à moins d’être plein de vanité et de se croire capable de plaire à tout le monde, doit redouter chaque jour des embûches, ce qui l’oblige de veiller sans cesse à sa propre sécurité et d’être plus occupé à tendre des pièges à la multitude qu’à prendre soin de ses intérêts. J’incline d’autant plus à interpréter ainsi la pensée de cet habile homme qu’il a toujours été pour la liberté et a donné sur les moyens de la défendre des conseils très-salutaires."

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Henrique
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Messagepar Henrique » 28 avr. 2012, 17:06

Bonjour et bienvenue Nicotine,
La quatrième partie de l’Éthique de Spinoza nous montre qu'on ne peut échapper à la contingence, c'est-à-dire effectivement à l'ignorance de la totalité des causes qui rendent une situation bonne ou mauvaise : on en est donc nécessairement réduit au premier genre de connaissance en ce qui concerne l'évaluation des faits concrets, on pourra donc se tromper sur ce qui est effectivement bon ou mauvais, en prenant le plutôt bon pour le mauvais et inversement. Pour éviter cela autant que possible, il faudra s'attacher à comprendre l'ensemble des points de vue en jeu en cherchant ce qu'il peut y avoir de vrai dans chacun afin de permettre au final l'intérêt de tous. Car il y a tout de même des constantes dans l'évaluation du bon et du mauvais, en éthique comme en politique : il y a notamment d'une part ce qui excite les passions tristes, la peur, la haine et d'autre part les vertus que sont le courage et la générosité ou la justice, considérée comme respect du droit de chacun selon le souverain.

Alors je ne sais pas trop à quelles circonstances la nature humaine ne pourrait s'adapter d'après Machiavel, mais s'il s'agit de lois iniques promulguées par un Prince, c'est alors plutôt le Prince lui-même qui ne s'accorde pas à la nature humaine :

TP IV,4 a écrit :le souverain est-il soumis aux lois ? peut-il pécher ? Je réponds que les mots de loi et de péché n’ayant point seulement rapport à la condition sociale, mais aussi aux règles communes qui gouvernent toutes les choses naturelles et particulièrement aux règles de la raison, on ne peut pas dire d’une manière absolue que l’État ne soit astreint à aucune loi et qu’il ne puisse pas pécher. Si, en effet, l’État n’était astreint à aucune loi, à aucune règle, pas même à celles sans lesquelles l’État cesserait d’être l’État, alors l’État dont nous parlons ne serait plus une réalité, mais une chimère. L’État pèche donc quand il fait ou quand il souffre des actes qui peuvent être cause de sa ruine (...) mais nous entendons qu’il existe un ensemble de circonstances, lesquelles étant posées, il en résulte pour les hommes des sentiments de respect et de crainte à l’égard de l’État ; lesquelles au contraire étant supprimées, la crainte et le respect s’évanouissent et l’État lui-même n’est plus. Par conséquent, l’État, pour s’appartenir à lui-même, est tenu de conserver les causes de crainte et de respect ; autrement il cesse d’être l’État. Car que le chef de l’État coure, ivre et nu, avec des prostituées, à travers les places publiques, qu’il fasse l’histrion, ou qu’il méprise ouvertement les lois que lui-même a établies, il est aussi impossible que, faisant tout cela, il conserve la majesté du pouvoir, qu’il est impossible d’être en même temps et de ne pas être. Ajoutez que faire mourir, spolier les citoyens, ravir les vierges et autres actions semblables, tout cela change la crainte en indignation et par conséquent l’état social en état d’hostilité.


Par opposition à cela, le bon Prince serait donc celui qui tient compte de la réalité humaine dont il s'agit d'avoir une connaissance un tant soit peu rationnelle, c'est-à-dire reposant sur les notions communes à tous les corps humains, y compris celui du Prince. C'est certes celui qui sait se faire craindre mais aussi respecter, c'est-à-dire qui fait en sorte de ne pas être objet d'une haine profonde ou encore de se tourner lui-même en dérision par l'incohérence de ses actions ou l'ignorance totale de la nature humaine qu'il doit unir pour que l'état de société se conserve réellement.


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