Spinozisme et oeuvres fictionnelles : le clash

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 06 déc. 2013, 23:09

Comme un coureur shooté à l'endorphine qui demande de plus en plus à faire du footing

Oui je crois que c'est plutôt ça. La spéculation métaphysique fait cet effet là. L' algèbre aussi ...

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sescho
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Messagepar sescho » 08 déc. 2013, 12:36

Lechat a écrit :… Le "ludique" (selon l'expression de Sescho) i.e. la métaphore, la parabole, le jeu de rôle (l'identification), le jeu de mot, relève du premier genre de connaissance il me semble.

Dans mon esprit (et je ne cherchais pas à restituer du « pur Spinoza » dans ce cadre), suivant en cela pas mal de références en spiritualité, dont Stephen Jourdain, et comme je l’ai indiqué rapidement, le « ludique » est dans sa réalisation la plus élevée très proche du souverain bien. Il est en fait un avatar de l’Amour pour l’Être, soi et les choses, ou Béatitude (E5P36S et suiv.), dans une expression active (et bienheureuse, donc), et alors pas ou peu dépendant des circonstances. Directement, il s’agit du domaine du sentiment, pas de celui de la connaissance, en fait ; mais bien sûr, sur la durée tout au moins, l’un ne va pas sans l’autre.

L’humour (que je distingue de la grasse plaisanterie ou du simple jeu de mots) s’en approche, et peut être très salvateur, en montrant et démontant les crispations, sans fondement sérieux, de l’ego. Sans placer la chose directement au sommet, je considère qu’une comédie bien ficelée, laissant peu de place à l’identification tout en portant du sens éthique, sans toutefois vouloir donner des leçons, peut faire du bon travail. Quant au ludique pur, il n’enseigne pas (du moins, pas nécessairement), mais il n’en reste pas moins positif par lui-même, et Spinoza dit bien que tout ce qui fortifie est bon à prendre (E4P41-45, en particulier E4P45S.)

Par ailleurs, la créativité (en particulier le pouvoir de penser le plus droitement possible à l’évolution bénéfique – notion relative mais néanmoins fondée – possible dans le monde des choses particulières) la plus éclatante se produit précisément dans un esprit libéré du brouhaha de l’ego (et c'est même une caractéristique d'un esprit éveillé.)

En prolongeant, tant que le stade (intuitif, direct, non verbalisé) du troisième genre n’est pas atteint, et malgré l’exercice incontestable de la droite logique, une théorie (deuxième genre de connaissance), même « juste », est quelque part de l’ordre de la « fiction » (Spinoza a lui-même produit E4P14-18 + E4P62S, E5P36S fin, …) De même les « êtres de raison », pourtant auxiliaires de la Raison, sont quelque part fictifs ; le plan d’un objet non existant, encore : Spinoza le prend pourtant en métaphore de l’essence en tant que distinguée de l’existence, et dit même qu'on peut avoir une idée vraie d'une chose non-existante (E1P8S2), etc.

Tout concept n’est pas de la fiction, en fait, et il convient donc de bien discerner les choses entre ce que Spinoza entend par « fiction » et l’acception moderne (« moyenne ») que nous donnons à ce mot.

Spinoza a écrit :TRE(34) 52. … la fiction ne s'applique guère qu'aux choses considérées en tant qu'elles existent, c'est de ce genre de perception que je parlerai d'abord : je veux dire celle où l'on feint l'existence d'un objet, et où l'objet ainsi imaginé est compris ou supposé compris par l'entendement. Par exemple, je feins que Pierre, que je connais, s'en va chez lui, vient me voir, et autres choses pareilles. A quoi se rapporte une telle idée ? elle se rapporte aux choses possibles, et non aux choses nécessaires ou aux choses impossibles.



(37) 58. Arrivons aux fictions qui concernent les essences, soit seules, soit mêlées de quelque actualité ou existence. … moins les hommes connaissent la nature, et plus il est en leur pouvoir de feindre mille choses : des arbres qui parlent, des hommes qui se métamorphosent soudain en pierres, en fontaines, des spectres qui apparaissent dans des miroirs, rien qui devient quelque chose, et jusqu'aux dieux prenant la figure des bêtes ou des hommes, et une infinité de choses du même genre.



61. … si l'esprit applique son attention à une chose feinte et fausse de sa nature, pour la considérer, la comprendre, et en déduire régulièrement les vérités qu'on en peut inférer, il lui sera facile de mettre à découvert sa fausseté ; au contraire, que l'idée feinte soit vraie de sa nature, et que l'esprit s'y applique pour la comprendre et en déduire régulièrement les vérités qui en découlent, il procédera heureusement de déduction en déduction, sans que la chaîne se rompe, à peu près comme nous avons vu tout à l'heure qu'il mettait aussitôt en pleine lumière l'absurdité de la fiction fausse et de ses conséquences.



65. Concluons rapidement, et montrons en résumant que nous n'avons nullement à craindre de confondre ce qui n'est qu'une fiction avec les idées vraies. Pour le premier genre de fiction dont nous avons parlé, celle où la chose est clairement conçue, nous avons vu que si l'existence de cette chose nous est donnée comme une vérité éternelle, elle est par là même inaccessible à la fiction. Si l'existence de la chose conçue n'est pas une vérité éternelle, il faut seulement comparer son existence à son essence, et considérer l'ordre de la nature. Dans le second genre de fiction, que nous avons dit être le résultat de l'attention enveloppant sans l'assentiment de l'esprit différentes idées confuses empruntées à divers objets et diverses actions de la nature, nous avons vu que nous pouvions feindre une chose absolument simple, et qu'il en est de même d'une chose composée, pourvu que nous attachions notre attention aux éléments simples qui la constituent. Bien plus, il n'est pas même en notre pouvoir de feindre quelque action qui se rapporterait à ces objets et qui ne serait pas vraie ; car nous serions obligés de considérer en même temps les causes et les motifs de cette action.

Ce que j’en tire ici, c’est que c’est finalement toujours essentiellement, non la fiction proprement dite, mais l'opposition entre idée confuse (non-discernée, donc) et idée vraie que Spinoza vise, au niveau des vérités éternelles (axiomes - et définitions et termes non-définis utilisés dans ceux-ci – et propositions.) Pour le reste, c’est la fin qui justifie le moyen…

Sinon, Spinoza indique les mécanismes passionnels et ceux qui conduisent à la dissolution – ou du moins la minoration – des passions mauvaises (en terme relatif mais néanmoins fondé, encore une fois ; E4P57S p.ex.).

En passant, je relève ceci, pris dans E4P17S, qui est à mon sens fondamental sur les plans à la fois théoriques et pratiques, et justifie pleinement que l'Ethique ne puisse pas tenir en quelques mots : "... il est nécessaire de connaître l’impuissance de notre nature aussi bien que sa puissance, de savoir ce que la raison peut faire pour modérer les passions, et ce qu’elle ne peut pas faire."
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Lechat
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Messagepar Lechat » 11 déc. 2013, 22:43

En réponse a Sescho

OK, je n'ai pas employé le mot ludique exactement comme vous l'entendiez. Pour moi ludique c'était dans le sens : jouer avec la réalité (la fiction), faire des métaphores, jouer avec les mots, la poésie, langage très différent du style géométrique de Spinoza.
Je conçois bien que Spinoza ne condamne pas le ludique au sens du rire et du divertissement comme vous l'avez mentionné avec E4p45s.
De même, d'accord avec vous pour dire que ce que vise réellement le TRE c'est l'idée fausse. Il est obligé de parler de la fiction pour la différencier des idees fausses mais ce n'est pas le centre de son propos.

Ce qui m'intéresse le plus c'est ce que vous avez dit sur l'exercice de la logique qui n'est finalement que de la fiction. Le passage que vous avez mentionné E4p14-18 est très intéressant et m'était un peu sorti de la tête. Notamment la conclusion telle qu'elle est commenté sur le site Spinoza.fr (Ça viendrait du cours de Moreau)

Position de Spinoza : ni condamnation, ni éloge des passions.
Tradition qui le précède (cf. début Ethique 3) : indignation à l’égard des passions; motif de satire, de mélancolie, de reproche moral et théologique; l’homme est en dessous de sa nature (rationnelle), est vicieux.
La description est acceptée par Spinoza; mais refus de l’indignation, car l’impuissance est une conséquence de la nature humaine, qui est fondamentalement celle d’un être affectif; opp. discours scientifique / discours normatif.
Spinoza est conscient de sa rupture à l’égard de cette tradition.
Mais à ses yeux, ce phénomène reste essentiellement négatif : pas d’éloge des passions non plus.
Tradition qui le suit (à partir du XVIIe s) : éloge des passions et de leur positivité; Helvetius par ex.; les passions peuvent faire des choses que la raison ne peut pas faire; elle sont un moteur positif – créateur – de la vie humaine, et non signe d’impuissance; il s’agira tout au plus de les orienter; ce qui élève l’homme au dessus de lui-même, ce sont les passions, non la raison; une bonne nature, supérieure à la raison; histoire (Hegel), art (esthétique du « génie »).
Spinoza ne va pas jusque là.


Je suis assez d'accord avec ce commentaire. C'était à peu près ça qui était au cœur de ma frustration. Le fait que l'éthique ne puisse pas expliquer l'esthétique.


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