Spinozisme et oeuvres fictionnelles : le clash

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Spinozisme et oeuvres fictionnelles : le clash

Messagepar Lechat » 28 nov. 2013, 12:53

Au fur et à mesure que j'avance dans la compréhension de la pensée de Spinoza, j'ai l'impression que je suis détourné de mon goût ancien pour le cinéma et les romans. Est-ce normal docteur ?

Ça commence avec l'utilisation que fait Spinoza du terme imagination. Pour moi, une "imagination foisonnante" désignait plutôt une qualité. Désormais quand je lis ce mot, une lumière rouge s'allume : "Attention idée Inadéquate".

Dans le TRE Spinoza fait bien la différence entre idée fausse et fiction. Mais selon lui, il est impossible de feindre quand on a les idées claires. Donc le mouvement pour clarifier ses idées nous rend moins sensibles à la fiction.

Dans E3p47sc, Spinoza ne parle du rôle du récit qui permet de nous faire revivre une happy end. Mais il me semble qu'il décrit cela comme une mauvaise joie. D'une manière générale, Spinoza nous incite à nous éloigner de tous les affects qui contiennent de la tristesse (y compris l'espoir la pitié…). Donc il nous invite à nous méfier de tous les ressorts classiques qui sont utilisés dans un roman ou un film.

Je suis sûr que quelqu'un d'entre vous aidera à résoudre ce véritable clivage du moi. Comment positiver l'activité de l'esprit qui consiste soit à créer un récit, soit à l'apprécier ?

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Messagepar sescho » 28 nov. 2013, 15:16

Pour Spinoza le sens d' "imagination" est proche de celui de "réminiscence" (lié plus généralement à la mémoire : E2P18S ; E3P2S ; E4P13Dm ; E5P34S ; E5P39S, ...) ; il lui appose par ailleurs "opinion" (E2P40S2.)

Ce que Spinoza oppose c'est donc : 1) la fausse connaissance, faite d'opinions basées sur le ouï-dire ou sur l'habitude, sensations accumulées dans la mémoire et plus ou moins moyennées et (abusivement) généralisées : "le vulgaire croit comprendre suffisamment une chose, quand elle a cessé de l'étonner..." C'est l'asservissement aux sensations, basées sur les formes sensibles, (abusivement) substantifiées prises en elles-mêmes, alors qu'elles ne portent en elles-mêmes aucune connaissance vraie, etc. Autrement dit, c'est ce qui fleurit dans l'immense majorité des débats d'opinion, journalistes compris, et en général... Cela inclut selon moi tout goût du particulier pour le particulier, aucune connaissance vraie des choses singulières en tant que singulières n'étant par ailleurs possible ; aucune n'étant correctement vue par elle-même, en fait, puisque le fondement premier et général est uniquement l'unicité en Dieu-Nature, etc. 2) La vraie connaissance, faite de premiers principes (réputés) incontestables, au premier rang desquels Dieu-Nature, et de déductions logiques - qui ne portent concernant le particulier que sur des notions générales ou "essences de genre" -, ces dernières étant au mieux sublimées en connaissance (quasi- ?)intuitive.

Je ne vois pas que Spinoza vise ce que nous appelons aujourd'hui l' "imagination créatrice" là-dedans. Spinoza n'a rien à redire à Tex Avery... :-) Daniel Morin distingue "imaginaire" et "imagination" ; je dirais que Spinoza utilise le second terme pour le premier à cette aune moderne. C'est encore une fois le règne de l'opinion que nous connaissons bien que Spinoza vise ; il vise aussi directement le goût de la singularité, très en vogue depuis quelques décennies, et la perte conjointe de la vision de l'universel, qui contient tout sans exception et se justifie pleinement par lui-même. Le problème n'est pas la fiction prise pour la fiction, mais la fiction prise pour la réalité ; pas les vessies en elles-mêmes, les vessies prises pour des lanternes ; les désirs pris pour des réalités, et la réalité prise comme illégitime ; pas l'acteur qui fait bien son travail d'acteur, avec conviction même, mais l'acteur qui se prend pour son personnage, etc.

Mais certes on peut se demander si l'identification à un personnage de fiction n'est pas à la fois un ressort du succès de cette fiction, et une attitude que le souverain bien n'inclut pas...

Quant à la "Philosophie de la joie", encore une fois, attention ! Certes la vraie connaissance est positivité et joie, l'eudémonisme une nécessité naturelle immédiate, et il y a donc dans la tristesse, au moins au sens de Spinoza, la marque d'un défaut de compréhension du Monde, etc. A ce titre, par exemple, la Pitié est de moindre qualité que la Générosité, valeur principale chez Spinoza avec la Religion (au sens fort : reconnaissance de Dieu-Nature.) MAIS la pire des passions chez Spinoza, l'orgueil, est une joie (E3P26S, E3AppD28, E3AppD29Expl). Et Spinoza indique bien, entre autres, que la Pitié est très "supérieure" à l'Orgueil : E4P50S fin + E4P57S début. Il vaut mieux être triste par compassion imparfaitement réalisée que "joyeux" (c'est en fait forcément très concurrencé par des corollaires très négatifs) comme un individu prétentieux auto-satisfait. Donc, la "philosophie de la joie ordinaire..." E4P55-57...
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Messagepar hokousai » 28 nov. 2013, 23:46

Au fur et à mesure que j'avance dans la compréhension de la pensée de Spinoza, j'ai l'impression que je suis détourné de mon goût ancien pour le cinéma et les romans. Est-ce normal docteur ?



houlà !!!! :lol: peut-être que vous inversez les causes et les effets .

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Messagepar sescho » 29 nov. 2013, 15:38

Comme je n'ai répondu que sous un angle particulier, je reprends ailleurs...

Personnellement, de même, quoique lisant pas mal, je ne lis plus de fictions depuis des décennies, mais uniquement des essais, et quasiment exclusivement en rapport avec la Philosophie morale (/ Psychologie / Spiritualité.) En revanche, bien que fort peu, je me déplace de temps en temps au cinéma, mon goût allant plutôt au fantastique épique (Seigneur des anneaux, Harry Potter, King Kong, Pirate des Caraïbes, Avatar, Le Hobbit, ...) , pour la richesse du spectacle visuel et sonore, une histoire pas trop farfelue et une portée éthique (Seigneur des Anneaux, Harry Potter, King Kong, Avatar, ...) étant des "plus" certains ; et aussi à la comédie à la française, en particulier un peu grinçante (style Bacri-Jaoui) pour le rire simple, avec les mêmes "plus." Ce qui me déplait le plus, typiquement : les histoires de personnes qui se pourrissent la vie de tous les jours, et celles des autres par la même occasion, sans rémission (ou comment faire effort pour s'injecter du purin...)

A partir du moment où une certaine identification est là (et donc que nous quittons l'aspect purement spectaculaire), elle est une sorte de perfusion : l'important est alors ce qu'il y a dans le sérum... Outre qu'à la base l'identification est un problème par elle-même...

Spinoza parle peu de ce genre d'activité, mais considère que tout ce qui fortifie le corps et l'esprit est bon à prendre. La détente, l'émerveillement, le rire, quelques bons messages éthiques en prime éventuellement (de "belles histoires"), cela entre dans ce cadre selon moi. Par ailleurs, Desjardins / Prajnanpad dit de toujours "donner une haute opinion de l'Homme" (in fine) ; c'est assez spinozien aussi me semble-t-il : ne pas se complaire dans les vices, ni ironiser dessus (plaisanter, oui), ni les dénoncer, etc. ; ce qui n'empêche pas de les faire voir...

Après, la fiction peut très bien avoir directement une haute portée éthique (c'est comme dans un essai, en fait, mais exposé sous un jour ludique ; c'est d'ailleurs ce qui convient le mieux au patient, et le premier au médecin) : mythes, contes, fables, pièces de théâtre, etc. et poésie.

Bref, l'imagination créatrice reste un exercice sain per se. Mais, effectivement, on peut penser qu'avec la baisse de l'emprise des mauvaises passions, beaucoup d'activités seraient significativement impactées à la baisse elles-aussi..., de celles consistant à produire des fictions en particulier. Mais le spectacle, la détente, l'émerveillement, le rire, ..., et l'éthique universelle, non ! :-)
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Messagepar hokousai » 30 nov. 2013, 13:56

Quand je dis: "inverser les causes et les effets" ... il me semble qu'il y a une large part de psychologie personnelle du lecteur et dans l'interprétation de Spinoza et dans l'interprétation de l'effet que la compréhension peut provoquer.
C'est une donnée ( la psychologie ou le caractère ou le tempérament) qui est très peu prise en compte pas Spinoza lui même.

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Messagepar Lechat » 30 nov. 2013, 16:22

Merci pour vos reflexions. Je vais m'efforcer de faire une réponse la plus indépendante possible de ma propre psychologie.

Sescho, dans votre premier message vous m'avez répondu sur ce que condamne Spinoza : la fausse connaissance et non "l'imagination créatrice". Entierement d'accord avec vous, Spinoza ne s'en prend pas à la fiction prise pour la fiction. J'avais deja noté ca dans le TRE [62] "On ne devra donc craindre d'aucune facon de feindre quelque chose, pourvu que nous percevions une chose de maniere claire et distincte". (il se trouve que je ne suis pas sur pour l'instant de comprendre à 100% tout ce passage sur la fiction dans le TRE [58-65])

Mais le fait est que (de votre propre aveu comme du mien) vous n'etes plus trop en demande de voyage à travers une fiction. Meme dans les films vous semblez donner plus d'importance au spectacle visuel qu'au recit.
Et mon hypothèse est que c'est un cheminement naturel de l'etre humain : dans notre jeune age on veut une histoire tous les soirs, puis un film par semaine, puis peut-etre qu'on se desinteresse un peu des fictions. J'ai eu l'impression que (pour moi) l'Ethique a été un catalyseur de ce phenomène.


Pour Spinoza le sens d' "imagination" est proche de celui de "réminiscence" (lié plus généralement à la mémoire : E2P18S ; E3P2S ; E4P13Dm ; E5P34S ; E5P39S, ...) ; il lui appose par ailleurs "opinion" (E2P40S2.)


Si je simplifie à l'extreme, le socle de l'explication de la creation d'images, invoqué dans les propositions que vous mentionnez, est le modèle simplifié de l'Etendue (axiomes et lemmes apres E2p13) suivi du parallélisme (E2p7). Le corps est mou, donc les affections laissent des traces, et donc les idées de ces affections créent des reminiscences pas forcement en adequation complete avec la realité (E2p17c E2p18,...)
Il me semble que l'imagination creatrice a la meme provenance avec la difference qu'il n'y a pas d'assentiment. On sait que l'on feint, c'est meme peut-etre un jeu avec les illusions d'optiques des affections (potentiellement au service d'un propos éthique).
Mais pour moi, Spinoza détruit ce jeu quand il dit (TRE[58] ) "... plus l'esprit comprend, plus sa puissance de feindre diminue". Et si les idées sont très simples, on ne peut pas feindre. On ne peut donc pas imaginer un cercle carré, et un entendement infini (Dieu) ne peut pas apprécier un roman. Et ce que vous avez nommé "sensations accumulées dans la mémoire et plus ou moins moyennées et (abusivement) généralisées" qui s'applique à l'activité de feindre (a mon avis) est détruit par l'analyse.
Dans sa correspondance avec Blyenberg, Spinoza ne condamne pas la bible mais dit que c'est un récit est destiné à mieux faire comprendre au vulgaire. L'homme éclairé la remplace par l'Ethique.

Concernant la reception d'une fiction, vous semblez dire qu'on peut recevoir un récit sans s'identifier. Il me semble qu'on s'identifie forcement mais de facon diffuse : on prend un peu de tous les personnages y compris les méchants. Je pense qu'un recit "pur spectacle" ne pourrait pas nous intéresser en tant que déroulement d'une histoire. Après, le fait est qu'on va au cinéma pour voir des meurtres, des monstres, et des catastrophes. Une vie heureuse ne fait pas un bon film. Bizarre non ? Comme je l'ai dit dans mon post initial, il y a peut-etre un coté "E3p47s", revivre un passage à la joie.

C'est assez traumatisant de découvrir Spinoza. Il faut faire son deuil de la contingence, du libre arbitre... J'ai bien peur qu'il n'amoche maintenant tout un pan du processus creatif :?

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Messagepar hokousai » 30 nov. 2013, 18:25

Et mon hypothèse est que c'est un cheminement naturel de l'etre humain : dans notre jeune age on veut une histoire tous les soirs, puis un film par semaine, puis peut-etre qu'on se désinteresse un peu des fictions.

Moi je veux une histoire tous les soirs.
Je tenais quand même à apporter un témoignage contradictoire.
Cela dit je ne vais pas tenter de me justifier et peut être parce que je ne vois pas vraiment comment ... et surtout pourquoi .

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Messagepar sescho » 02 déc. 2013, 17:30

Lechat a écrit :Si je simplifie à l'extreme, le socle de l'explication de la creation d'images, invoqué dans les propositions que vous mentionnez, est le modèle simplifié de l'Etendue (axiomes et lemmes apres E2p13) suivi du parallélisme (E2p7). Le corps est mou, donc les affections laissent des traces, et donc les idées de ces affections créent des reminiscences pas forcement en adequation complete avec la realité (E2p17c E2p18,...)

C'est bien ce que dit Spinoza, a posteriori, le parallélisme étant déjà posé (et la Physique au stade de la mécanique pré-newtonienne.) Je ne peux m'empêcher de relier cela à J. Krishnamurti disant que la pensée (au sens restreint de "pensée discursive", incluant le "mental" au sens oriental : pensée désordonnée et affective) est "mécanique."

Lechat a écrit :Concernant la reception d'une fiction, vous semblez dire qu'on peut recevoir un récit sans s'identifier. Il me semble qu'on s'identifie forcement mais de facon diffuse : on prend un peu de tous les personnages y compris les méchants. Je pense qu'un recit "pur spectacle" ne pourrait pas nous intéresser en tant que déroulement d'une histoire. Après, le fait est qu'on va au cinéma pour voir des meurtres, des monstres, et des catastrophes. Une vie heureuse ne fait pas un bon film. Bizarre non ? Comme je l'ai dit dans mon post initial, il y a peut-etre un coté "E3p47s", revivre un passage à la joie.

Un côté "mettre des chaussures trop petites la journée pour avoir le plaisir d'un grand soulagement en les ôtant le soir..." L’ego, de par sa nature illusoire, a besoin de se sentir renforcé en permanence par l’affectivité, fut-elle très négative en premier lieu…

Je suis bien d'accord avec vos remarques : un pur spectacle, dans le sens d'un pur défilé d'images non figuratives juste reçues comme telles, même très travaillées sur les formes et les couleurs (genre "kaléidoscope", par exemple), ne justifierait pas longtemps de se déplacer pour des heures au cinéma. Déjà, à la base et en général, la perception dépasse, sans montrer son travail même, la pure et simple sensation (image.) D’un autre côté, la chose est plus difficile à trancher sur la musique, et même concernant les parfums, les saveurs, le toucher (chaleur, vent, massage, ...) et on ne voit en retour pas pourquoi le sens de la vue, supérieur par ailleurs, serait ici dramatiquement pénalisé en rapport. Mais, quoiqu'il en soit, ce qui est vrai c'est que c'est pour de bien différentes choses qu'on se déplace au cinéma.

Pour ce qui me concerne, je viens en fait d'un état "bon public", c'est-à-dire d'implication élevée dans l'histoire (ou dans des matches, etc.) et il est vrai que la tendance est à la baisse depuis pas mal de temps. Néanmoins, alors même, donc, que les ressorts portent dans tous les cas non seulement sur les images, la musique, mais sur des références à bien des aspects cruciaux de l'existence, je perçois une différence nette au niveau de l'"identification" : je ne me prends pour aucun personnage, mais j'apprécie quand-même franchement de ce qui m'est présenté, avec une certaine distance. Bien sûr, c'est plus immédiat avec des œuvres ou des personnages (et même acteurs) en décalage net (mais pas outrancier, sauf éventuellement quelques ressorts de base) avec la réalité de l'existence commune. Qu'il s'agisse d'une comédie ou de quelque chose de plus dramatique, ce qui va ressortir est alors de l'ordre du ludique... Il y a une proximité élevée entre le bien et le ludique... Là où je vais "marcher" (m'identifier) le plus c'est quand est figuré un combat franc entre la bonté (que je soutiens avec ardeur, je le précise...) et la méchanceté. Cela n'est pas à mettre dans l'impuissance franche (l'orgueil, la pire des passions, est bien agressif, la méchanceté le suivant comme son ombre), mais je vois bien avec Spinoza et d'autres que ce n'est, comme la Pitié en regard de la Générosité, pas dans la configuration d'un homme suivant en tout point la droite raison... C’est nettement moins positif que le ludique, finalement, et le sentimentalisme appartient à l’erreur au même titre que la vanité (et l’accusation, la culpabilité, l’auto-justification, …), même si c’est un peu mieux dans les perspectives.


Lechat a écrit :C'est assez traumatisant de découvrir Spinoza. Il faut faire son deuil de la contingence, du libre arbitre... J'ai bien peur qu'il n'amoche maintenant tout un pan du processus creatif :?

Selon toute indication, c'est néanmoins un processus nécessairement (très) positif, au moins passés certains transitoires… Cela ne détruit que de l’illusion ; rien qui ait une essence pour ainsi dire.

Mais – outre que la contingence reste pour le mode humain, relativement à lui en tant que mode fini inscrit dans le mouvement, et même aussi, sous ce même angle, la libre décision ainsi que la création ("tout change, rien ne change") – je ne vois pas, à nouveau, que cela empêche le processus créatif ; au contraire même, et ce non seulement dans les sciences et techniques matérielles, mais encore dans les sciences humaines. Même si les sages ne lisent plus de roman et ne vont plus au cinéma, nous sommes infiniment loin d’un monde de sages, guidé exclusivement par la raison. Il y a encore tout le boulot à faire même en dehors du ludique pur… Là on peut, comme déjà dit, utiliser la fiction (la parabole en est une aussi, et finalement toute théorie encore, …) comme vecteur, et être ainsi beaucoup plus efficace qu’une sèche théorie… C’est plus le but qui s’affine que le métier même. Quand le sens naturel de la vertu, donc de la dignité personnelle, se fait plus net, il devient plus difficile quand on a le choix de vendre du poison (du « moins bien » en bilan global) aux autres, même s’ils en demandent. Mais il reste le remède à vendre, et le ludique (ce qui ne se limite pas à la comédie) avec… :-)
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Messagepar QueSaitOn » 04 déc. 2013, 15:28

Bonjour,

Il me semble à la lecture de vos réflexions concernant les oeuvres de fiction vs l'Ethique, que vous mettez ici plutôt l'accent sur la connaissance du deuxième genre, celle qui fait appel à une forme de raisonnement logique.

Or il est bien possible que l'accès à un mode de connaissance plus élevé puisse nécessiter précisément un mode de cheminement qui fasse appel à l'intuition romanesque ou symbolique, voire la métaphore. Il est certainement des formes de compréhension qui passent nécessairement par ce fil conducteur.

En outre, le besoin d'histoire n'est-il pas une idée adéquate de l'humain, c'est à dire une spécificité inséparable de son existence ? Le besoin d'histoire - c'est à dire le vécu d'émotions corporelles bien réelles - fut-ce au travers d'oeuvres de fiction, n'est il pas une illustration de

Spinoza a écrit : Celui dont le corps est propre à un grand nombre de fonctions a une âme dont la plus grande partie est éternelle. (EV p39)


Dans la mesure où ces oeuvres contribuent à élargir notre spectre émotionnel.

Bien à vous,

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Messagepar Lechat » 06 déc. 2013, 20:15

Apres lecture de vos posts et reflexion, je vais peut-etre un peu retro-pédaler (par rapport au clash annoncé entre Spinoza et la fiction). Je pense qu'on est assez d'accord mais je reformule à ma manière.

Je constate comme vous que la fiction peut être une matière première de la réflexion philosophique. Elle l'est notamment pour le très spinoziste Raphaël Enthoven dans son émission le gai savoir. Il cite très fréquemment Proust, et fait des émissions thématiques sur Flaubert, Shakespeare et autres pour illustrer des concepts philosophiques. Il aime bien aussi de temps à autre s'appuyer sur des exemples provenant de blockbuster américain tel kill Bill ou total Recall.

Le "ludique" (selon l'expression de Sescho) i.e. la métaphore, la parabole, le jeu de rôle (l'identification), le jeu de mot, relève du premier genre de connaissance il me semble. Faire une métaphore, c'est faire un amalgame. Et pourtant par ce biais on peut frapper l'esprit de manière plus forte qu'avec le raisonnement déductif.
Mais chez Spinoza ce moyen n'a que très peu de place. Dans E2p8sc il utilise une sorte de fiction en prenant la substance pour un cercle. Mais il appuie bien sur le fait que c'est une fiction. Par ailleurs, j'interprète pour la proposition E5p39 comme : "C'est bien d'avoir plein d'émotions, mais pour pouvoir les décortiquer adéquatement ensuite" (E5p4). Interprétation un peu différente de QueSaitOn ilme semble.
Pour Spinoza, il y a une stricte identité entre être un esprit qui se persévère dans l'être, être affecté de joie, comprendre de plus en plus de choses, avoir le plus possible d'idées adéquates. Ç'est ca qui me fait dire que ca laisse peu de place au "ludique pur" (cf fin du post de Sechso).

Mais peut-etre qu'on peut dire que le ludique pur est une connaissance qui n'a pas été formalisée à la manière du deuxième genre. Donc une augmentation de puissance qui ne s'est pas exprimée consciemment. C'est comme ça qu'un enfant apprécie une histoire, je pense. Ça rejoint un peu dans ce cas ce que dit QueSaitOn.

Je retropédale egalement un peu sur mon idée de la réception du récit seulement pour s'identifier et revivre un passage à la joie E3p47s. Ou alors il faut élargir le terme d'identification. Étant donné que nous sommes tous des parties de Dieu, des degrés de puissance, toute chose nous parle de nous. Par exemple : voir et Consentir au déroulement inexorable d'une tragédie comme une belle necessité (malgré le tragique), est-ce que ce n'est pas un peu du même ordre que sentir l'essence de Dieu dans une chose singulière.

Du coup sur mon expérience personnelle du spinoziste et mon désamour pour la fiction (ca vaut peut-etre aussi pour Sescho ;-) ) : je traverse une période où je suis "dopé" à la raison, car fraichement ébloui par l'Ethique. Comme un coureur shooté à l'endorphine qui demande de plus en plus à faire du footing. Mais comme, de ce que nous avons dit précédemment, il n'y a pas forcément de clivage.

Sinon merci à ses Sescho d'avoir essayé de sauver la création à la fin de son post (et ca malgré la le caractère "machine automatique" de l'esprit). Mais c'est pas encore gagné pour moi! Il faut que je réfléchisse plus longuement sur votre formule "mode fini inscrit dans le mouvement". C'est un autre problème.


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