Traduire Spinoza

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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FabriceZ
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Traduire Spinoza

Messagepar FabriceZ » 26 nov. 2004, 21:50

Bonjour,

Après avoir lu plusieurs traductions de l’Ethique j’en suis venu à la même conclusion que Macherey qui écrit dans le premier volume de son introduction : “Si l’on veut comprendre ce que Spinoza a réellement dit, et en premier lieu en prendre connaissance, il est indispensable de revenir au texte original, et de s’en faire pour soi-même sa propre traduction”.

Pour illustrer, examinons l’historique d’une traduction, celle de la dernière phrase de l’Ethique :
Sed omnia præclara tam difficilia quam rara funt.

“Mais toutes les belles choses sont aussi difficiles que rares” (Boulainviller, vers 1730)
“Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare” (Saisset, 1842)
“Mais tout ce qui est beau est difficile autant que rare” (Appuhn, 1907)
“Mais toutes les choses remarquables sont aussi difficiles qu’elles sont rares” (Lantzenberg, 1908)
“Mais tout ce qui est excellent est aussi difficile que rare” (Guérinot, 1930)
“Mais tout ce qui est très précieux est aussi difficile que rare” (Caillois, 1954)
“Mais tout ce qui est remarquable est difficile autant que rare” (Pautrat, 1988)
“Mais tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare” (Misrahi, 1990)
“Mais tout ce qui est supérieur est difficile autant que rare” (Severac, 1997)

Devant un tel glissement de sens, je me demande ce que Spinoza a bien voulu exprimer par præclara. Ce mot relève t-il du “beau”, du “remarquable”, de l’“excellent”, du “précieux”, du “supérieur”?
Bien que la question m’intéresse, je précise que mon intention n’est pas de lancer un débat sur le sens du mot præclara (j’aurais pu choisir une autre phrase pour illustrer mon propos) mais de savoir comment arriver à une compréhension adéquate du latin de Spinoza. Il existe manifestement un conflit entre la pensée de Spinoza qui se veut claire et distincte et l’ensemble des traductions dont le sens ne cesse de fluctuer.
De toute évidence, le sens du mot latin doit se structurer à partir d’une connaissance globale de l’Ethique, voir de l’œuvre entière de Spinoza dans son ensemble. Pour reprendre mon exemple, je pense que præclara doit être traduit par un terme qui qualifie au mieux le Souverain Bien.

L’objet de mon intervention est donc simple. Afin de mieux comprendre Spinoza, je cherche à le lire dans le texte, cela dit, mes connaissances du Latin sont assez limitées. J’aimerais donc tout simplement savoir quels outils vous utilisez (Dictionnaires, grammaires, etc…) dans votre travail de tous les jours pour faire “pour vous-même votre propre traduction”.

Merci pour vos conseils.
Fabrice
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Henrique
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Messagepar Henrique » 27 nov. 2004, 00:24

J'utilise pour ma part le dictionnaire français-latin de Goelzer.
Un outil très utile est aussi le site de Gilles Louise qui se trouve dans les liens, mais tu dois le connaître.

Cela dit, je ne reviens sur telle ou telle traduction que pour des points bien précis, posant un problème d'interprétation. Le plus souvent je me contente de lire de façon cursive une traduction, puis d'autres fois une autre. Macherey ne fait-il pas un peu son professeur aimant bien donner des des tâches impossibles à ses élèves (du genre "pour comprendre Spinoza, il est évident qu'il faut d'abord avoir lu tout Platon, Aristote, St Augustin, St Thomas et la kabbale juive") ? Je ne crois pas qu'il s'amuse lui-même à retraduire chaque passage de Spinoza qu'il lui arrive de lire, ce n'est pas mon cas du moins. Bien sûr, s'il a un article à faire sur telle ou telle passage, il va en revoir de près la traduction, mais pour travailler sur le contexte de ce passage, quand cela représente une trentaine de pages au moins, je le vois mal tout retraduire mot à mot.

Je crois que Spinoza lui-même est à l'opposé d'une certaine idolâtrie vis-à-vis des mots qu'on trouve naturellement dans les milieux universitaires. Bien sûr cultiver le souci d'un vocabulaire technique rigoureux est une bonne chose, mais il ne faut pas oublier ce passage du TTP, chap. VII :
pour les choses que l’entendement peut atteindre d’une vue claire et distincte, et qui sont concevables par elles-mêmes, on a beau en parler obscurément, nous les entendons toujours sans beaucoup de peine, suivant le proverbe : À qui comprend, un mot suffit. Euclide, par exemple, qui n’a traité dans ses livres que d’objets très-simples et parfaitement intelligibles, se fait comprendre en toute sorte de langues par les moins habiles ; et il n’est point du tout nécessaire, pour pénétrer dans sa pensée et être certain du véritable sens de ses paroles, de posséder parfaitement la langue où il a écrit ; il suffit d’en avoir une connaissance très-ordinaire et dont un enfant serait capable.


Pour ma part, je pense que l'essentiel de l'Ethique peut être compris dans n'importe quelle traduction. Bien sûr certains choix opérés par Saisset ou Appuhn nous agacent mais le contexte nous renseigne toujours sur le sens des mots utilisés. Par exemple j'ai expliqué par ailleurs que le mot mens en latin n'était guère mieux traduit par "esprit" que par "âme", je préfère en général les traductions les plus proches possibles des termes originaux, mais au fond, une fois qu'on a compris que l'âme, l'esprit ou le mental était l'idée du corps, le mot utilisé au départ n'importe pas de façon dramatique. Car tu le sais bien, la philosophie n'est pas explication des mots mais des idées.

Henrique

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Messagepar hokousai » 27 nov. 2004, 01:20

….et bien puisque je suis déclaré "décalé "ou l 'électron libre, je vais assumer.( Non ici sur le fond mais sur la forme ).et ceci pour une autre raison ..laquelle est la suivante : je suis frappé ( et Sescho me suivrait sur ce thème )par les expérience de "synchronicité ".
Je soumets le texte suivant à Henrique, texte que j'ai posté en fin d' après-midi sur le forum thomiste , donc sans avoir pris connaissance du celui d'Henrique ici même .
Les convergences thématiques sont curieuses .
On comprend le thème sans que j’ai a redire les interventions de Aqua .
Il s' agit des vocables ,des concepts et des idées plus que de la traduction mais il y a induction induit ainsi que le fait Henrique


je recopie donc ma réponse à Aqua :

Aqua dit """""Je peux citer le concept de valeur. Par exemple Nietzsche est le premier à poser la vérité comme problème en interrogeant la valeur de la vérité. C'est au delà d'une position sceptique classique. . Les auteurs classiques n'ont pas directement étudié ce problème puisqu'il n'avait jamais été formulé"""""""""""""

Il y a une ambiguïté dans ce que dit Aqua , par ailleurs très savant, science ce qui n'a rien de négligeable dans les débats philosophiques , mais qui n'est pas non plus la panacée universelle .
L’ histoires des concepts ce n’est pas nécessairement l 'histoire des idées . Et l'histoire des formulations serait aussi à faire .
Aqua semble assimiler le concept au vocable en aval et le concept à l'idée en amont .
Il est plus que probable(et même certain ) que l’idée de libre arbitre soit présente chez les grecs mais que le concept de liberté ie les concepts modernes d'auto -détermination ou d' autonomie ne le soient pas ni que des vocables concrétisent ces concepts avant leur détermination moderne .
IL y a diverses manières de formuler ou d' aborder certaines problématiques comme la liberté et ‘la absence de certains concepts peut masquer la présence des problématique antérieurement à l’apparition de certains concepts réorientant ces problématique mais ne les créant pas ( comme on le pense souvent ).
.
Non à prétendre qu aucune nouveauté absolue ne puisse apparaître mais à conseiller la prudence quand aux penseur pré-cartésiens .

Exemple moderne .chez Spinoza apparaît peu le concept de conscience . On pourrait penser que Spinoza n’ avait qu’un maigre sentiment de la conscience de soi . Ce n’est pas le cas, pas le cas ,à aucun humain/humanisé la conscience de soi n'échappe, a fortiori chez un lecteur scrupuleux de Descartes .La conscience est exprimée ou formulée par Spinoza d'une autre manière que celle des modernes qui le suivent .
Il faut donc s' élever au dessus de concepts ceux- ci masquent les idées .Je soupçonne fort qu’une idée ne soit pas un concept qu’il n’y ’pas à assimiler l’un à l’autre . L’idée de liberté a une existence (mentale ) beaucoup pus vaste que le concept de liberté lequel se détermine d’ailleurs en divers concepts .
Les concepts naissent d’une pratique( philosophique ou juridique ou autres theoriques ) mais les idées aussi .La pratique générant les idées qui est l’existence ordinaire ,est plus commune, plus générale ,plus consensuelle par le fait que celle générant les concepts .

Il est bien évident que chaque humain a une idée de la liberté mais qu’il n'en a pas forcément le concept .Un concept souscrit( et se doit de souscrire ) à l’analyse, une idée non .
Mais depuis Socrate bien des philosophes a réglé leur sort aux idées en les soumettant à la moulinette de la dialectique .

HOkusai( j-luc paul Herr )

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Messagepar bardamu » 27 nov. 2004, 01:23

Henrique a écrit :(...) Par exemple j'ai expliqué par ailleurs que le mot mens en latin n'était guère mieux traduit par "esprit" que par "âme", je préfère en général les traductions les plus proches possibles des termes originaux,

A ce propos, je me suis dit que pour l'attribut "cogitatio" traduire par Cogitation plutôt que par Pensée, ne serait pas plus mal. On garderait l'idée d'activité de la Substance.

On lance une traduction Spinozaetnous.org de l'Ethique ?

Sinon, je suis un latiniste assez faible mais je trouve que le site de G. Louise est vraiment parfait pour revenir au texte original. Le glossaire permet notamment d'avoir une recension des divers termes à travers l'Ethique.

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Messagepar DGsu » 28 nov. 2004, 15:25

On lance une traduction Spinozaetnous.org de l'Ethique ?

Excellente suggestion! A mon avis, ce sera passionnant même si cela doit nous prendre quelques années. :lol:
Si nous procédons pas à pas, nous pouvons envisager corrections et discussions en ligne! Ce serait fantastique!
Amitiés. DG
"Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes." Rosa Luxemburg

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Messagepar Henrique » 28 nov. 2004, 18:00

Oui, ce serait intéressant. C'est vrai tout de même que certains passages traduits par Saisset donnent lieu à des erreurs de compréhension, comme la confusion entr affectus et affectio.

Je réfléchis depuis quelques temps à un module qui permettrait de faire un travail d'équipe dans ce sens pour ceux qui seraient intéressés. Si je ne trouve pas, ceux qui voudraient faire partie de ce projet pourraient accéder à des pages dans le module des contenus où il y aurait un tableau avec trois colonnes : 1/texte latin 2/ traduction Saisset 3/ Notre traduction. Chacun des membre du projet pouvant modifier ou proposer des modifications du texte. Et cela supposerait un forum pour qu'on discute des problèmes de traduction.

Oui ce serait un bien beau projet :)

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Traduire Spinoza

Messagepar FabriceZ » 01 déc. 2004, 00:44

Bonjour,

Merci beaucoup pour vos conseils très utiles.

Je suis d’accord sur le fait que l’Ethique puisse être comprise dans n’importe quelle traduction, cela dit, chaque nouvelle traduction de l’Ethique se nourrit et s’améliore par rapport aux précèdentes, par conséquent je préfère celle de Misrahi à cause de sa cohérence et de sa précision dans le choix des mots. Une nouvelle traduction du Groupe de Recherche Spinoziste devrait sortir bientôt chez PUF.

L’idée de retraduire l’Ethique sur le site est vraiment excellente. Dans le même ordre d’idée j’ai toujours voulu lire en français l’introduction des Opera Posthuma. Cette introduction écrite par Jarig Jelles, un ami de Spinoza, n’a jamais été traduite en français, elle contient pourtant quelques informations importantes sur le vie de Spinoza qui sont certainement plus fiables que celles publiées par Lucas et Colerus 30 ans après la mort du philosophe. Je pourrais dans un premier temps poster le texte latin sur le site, il se trouve dans un ouvrage de Fokke Akkerman avec une traduction en hollandais.

Fabrice
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Messagepar Henrique » 03 déc. 2004, 02:09

je préfère celle de Misrahi à cause de sa cohérence et de sa précision dans le choix des mots

C'est aussi une de celles qui restitue le mieux l'élégance du texte latin, c'est ainsi une de celles que je conseillerais en premier. Si elle pouvait être libre de droit, elle serait déjà sur le site ;-)

L’idée de retraduire l’Ethique sur le site est vraiment excellente.


Si nous sommes quelques uns à être motivés par ce projet, cela pourrait voir le jour !

Je voudrais demander à Bardamu ou à ceux qui s'y connaissent bien en programmation si ce ne serait pas farfelu d'utiliser un système dit de "CVS" (quelque chose comme "système de contrôle de version") pour travailler en ligne sur les différentes versions d'une traduction de façon organisée et stable, un peu comme on peut le faire sur les différentes versions d'un programme.
Voici une rapide présentation (l'essentiel de la doc étant ailleurs, en anglais) : ICI

Cette introduction écrite par Jarig Jelles, un ami de Spinoza, n’a jamais été traduite en français, elle contient pourtant quelques informations importantes sur le vie de Spinoza qui sont certainement plus fiables que celles publiées par Lucas et Colerus 30 ans après la mort du philosophe

Ce serait magnifique déjà de pouvoir disposer de ce texte en latin. Pourrais-tu le numériser ? Et de le traduire ensuite collectivement, pour se faire la main ;-)

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Messagepar FabriceZ » 03 déc. 2004, 06:15

Ce serait magnifique déjà de pouvoir disposer de ce texte en latin. Pourrais-tu le numériser ?


Je vais m'y mettre dès aujourd'hui. La bibliothèque de mon université a une édition originale des Opera Posthuma que je peux consulter assez librement.

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Messagepar bardamu » 03 déc. 2004, 20:50

Henrique a écrit :Je voudrais demander à Bardamu ou à ceux qui s'y connaissent bien en programmation si ce ne serait pas farfelu d'utiliser un système dit de "CVS" (quelque chose comme "système de contrôle de version") pour travailler en ligne sur les différentes versions d'une traduction de façon organisée et stable, un peu comme on peut le faire sur les différentes versions d'un programme.

J'ai eu à utiliser une fois CVS comme simple utilisateur mais c'est assez lourd comme système et je crois que ça ne marche qu'en lignes de commandes (pas de panneau d'administration visuel...). Je ne crois pas que ce soit très intéressant pour un seul fichier.
Pourquoi ne pas utiliser le forum ?
On ferait une catégorie avec 6 forums privés (1 par livre plus 1 général), et chaque fil serait dédié à une proposition, une définition, un scolie ou autre. Le fil serait lancé par la version latine, la première réponse serait dédiée à la ou les versions des traductions connues plus la nôtre, et le responsable modifierait celle-ci avec "éditer". La suite des réponses servirait à faire des propositions et à en discuter.

P.S. : on devrait peut-être faire un fil dédié à la discussion pour ne pas "saboter" celui de Fabrice...


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