Traduire Spinoza

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Henrique
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Messagepar Henrique » 04 déc. 2004, 11:08

Oui, je te remercie pour tes suggestions constructives ! :-)
Je vais déjà ouvrir un nouveau forum pour les discussions générales sur la traduction de l'Ethique.
Un petit détail pour commencer les réjouissances : au début, je n'avais pas bien compris, je croyais que tu voulais retraduire tous les livres de Spinoza, l'Ethique, le TTP etc. Eh oui, tu as parlé de "livres", à propos des différentes parties de l'Ethique, d'où ma confusion. Mais le latin dit "Ethica pars prima, secunda etc." et non "liber..." : partie et non livre. C'est une erreur courante qu'on trouve chez les plus grands comme Deleuze, mais entre le livre et la partie, il y a une nuance importante : un livre constitue une totalité à lui seul, alors qu'une partie doit être complétée avec les autres. Or aucune partie de l'Ethique ne se conçoit indépendamment des autres, à l'image de la substance.

Henrique

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bardamu
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Messagepar bardamu » 04 déc. 2004, 12:17

Henrique a écrit :(...) Mais le latin dit "Ethica pars prima, secunda etc." et non "liber..." : partie et non livre. C'est une erreur courante qu'on trouve chez les plus grands comme Deleuze, mais entre le livre et la partie, il y a une nuance importante : un livre constitue une totalité à lui seul, alors qu'une partie doit être complétée avec les autres.

C'est vrai que j'ai tendance à dire "livre" ce qui est non seulement inexact mais fait aussi perdre le style "organique" de l'Ethique. Et j'ai jeté un oeil à "Spinoza, philosophie pratique" de Deleuze, où il lui arrive effectivement d'utiliser "livre" ce qui est maladroit surtout pour un ouvrage à vocation pédagogique.

Et cela m'a amené à jeté un oeil au frontispice de l'Ethique où débutent déjà les divergences dans les traductions :

Ethica
ordine geometrico demonstrata
et in quinque partes distincta
in quibus agitur

G. Louise :
démontrée selon l'ordre géométrique
et divisée en cinq parties
dans lesquelles il s'agit

Appuhn :
démontrée suivant l'ordre géométrique
et divisée en cinq parties
où il est traité

Saisset
Démontrée suivant l'ordre géométrique
En cinq parties
Où il est traité

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Miam
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Messagepar Miam » 06 déc. 2004, 15:21

Je voudrais juste recommander la lecture du livre de Meschonnic: "Spinoza, le poème de la pensée" dans la mesure où il montre le point de vue d'un non-philosophe sur la traduction de l'Ethique. Extrêmement radical, l'auteur critique toutes les traductions de Lagneau à Deleuze et au-delà. Il leur repproche de rester confinés au lexique et à l'aspect sémantique du texte en manquant son aspect "poétique". Il montre alors qu'une lecture de l'Ethique doit tenir compte des figures de style qui y abondent. Enfin, selon l'auteur, l'allégation d'une "poétique" de l'Ethique se conforme parfaitement à la conception spinoziste du langage. Tous deux s'opposeraient à la dualité signifiant/signifié dont l'auteur dénonce l'impérialisme depuis Saussure. Sans doute Meschonnic peut sembler rebutant par trop d'extrémisme, mais il permet de dévoiler une nouvelle dimension au texte de l'Ethique et au travail linguistique de son auteur.

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Messagepar Faun » 07 déc. 2004, 05:11

Je répond ici parce que je ne peux pas répondre dans la partie traduction, juste pour dire que celle de Bernard Pautrat me paraît à la hauteur de l'original (surtout la dernière version où il a corrigé : "sous une espèce d'éternité" par "sous l'aspect de l'éternité" qui est la traduction que préfère également l'Oxford Dictionnary : "under the aspect of eternity").

Esprit pour Mens me paraît suffisant, mais bon de toutes façons ce ne sont pas les mots qui sont importants, mais les concepts.
Modifié en dernier par Faun le 08 déc. 2004, 19:03, modifié 1 fois.

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Messagepar Henrique » 07 déc. 2004, 10:42

Faun, si tu veux faire partie du groupe de traduction, n'hésite pas à le dire.
Quant à la traduction Pautrat, elle est sans doute préférable à celle de Saisset ou d'Appuhn, mais elle n'est pas libre de droit, sans quoi nous ne nous serions certainement pas lancé dans ce travail ! Même en poche, elle est chère. Sa traduction est tout de même à se procurer si possible d'abord parce qu'elle met en regard le texte latin et une traduction française. Mais elle est tout de même souvent un peu fastidieuse à mon goût, la fidélité à la lettre du texte étant trop privilégiée à mon sens au détriment de la lisibilité et de l'élégance du texte. Je préfère celle de Misrahi (chère aussi). Mais de toutes façons, il faut faire des choix, c'est pourquoi aucune traduction ne me semble pouvoir équivaloir absolument à l'original. Et l'intérêt de traduire soi-même le texte, cela reste le plaisir d'explorer les possibilités du texte original. Entre une traduction flamboyante rêvée par Meschonnic et celle de Pautrat, il y a de nombreuses possibilités !

J'explique dans un article du site pourquoi Esprit ne me semble pas satisfaisant pour traduire Mens, pas plus du moins qu'âme. Bien sûr les mots ne sont de toutes façons pas essentiels pour qui comprend, mais pour qui ne comprend pas encore, ils ont tout de même un intérêt pédagogique, leur choix conduit plus ou moins facilement à des contresens sur le texte original. Quand Appuhn traduisait également affectus et affectio par affection, cela prêtait évidemment à confusion. "Mental" a l'avantage de ne pas induire à une lecture tendant bon an mal an à faire de l'idée du corps une subjectivité substantielle, alors que quand je lis "esprit", je pense quasi inconsciemment à un sujet substantiel, eu égard à la philosophie classique. Et puis, le substantif "Mental" est entré dans le dictionnaire, pourquoi s'en priver ?

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Messagepar hokousai » 07 déc. 2004, 18:07

. rep à Faun

La traduction (Pautrat 1)» sous une espèce »était ambiguë .En français une espèce est relative à d’ autres espèces ( d ‘éternités !
Tous les sens de spécies sont référés à l’aspect ,à l’ensemble des traits qui font reconnaître un objet (Gaffiot ) .

Quand je lis "sub spécié aeternitatis " je comprends « sous la forme de l ‘éternité » » ou » sous l’aspect « ce qui est dans cet ordre d’ idée ...

Mais nous avions la traduction de Caillois "" sous l 'espèce de l'éternité ""( proche de sous l'aspect )
Et Saisset """"sous le caractère de l'éternité"""
Celle de Appuhn " avec une sorte d' éternité ""(plus ambiguë )

Je ne savais pas qu’il existait une édition révisée de la traduction de Pautrat . Je vous remercie du renseignement .

hokousai

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Messagepar Faun » 08 déc. 2004, 19:08

J'aime bien le style de Pautrat car il me paraît retranscrire exactement le style simple et direct de Spinoza, on arrive même à sentir l'humour de Spinoza, ce qui n'est pas le cas de celles d'Apphun ou de Caillois.

Je vous remercie pour votre proposition de faire partie du forum de traduction, mais hélas mes connaissances en latin étant proches de zéro, je ne vous serais d'aucun utilité. 8-)

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Messagepar Henrique » 09 déc. 2004, 00:08

Je serais curieux de savoir quels sont les passages que tu trouves humoristiques dans l'Ethique, du moins dans la traduction Pautrat. :)

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Messagepar Faun » 09 déc. 2004, 06:42

"Et c'est ainsi que ce préjugé tourna à la superstition, et fit dans les esprits de profondes racines ; ce qui fut cause que chacun mit tout son zèle et tout son effort à comprendre les causes finales et à les expliquer. Mais, quand ils cherchèrent à montrer que la nature ne fait rien en vain (c'est-à-dire qui ne soit à l'usage des hommes), ils ne montrèrent rien d'autre, semble-t-il, que la la nature et les dieux délirent tout autant que les hommes."

Appendice de la première partie.

"Pour ce qui touche à la quatrième objection, je dis que j'accorde tout à fait qu'un homme placé dans un tel équilibre (j'entends, qui ne perçoit rien d'autre que la faim et la soif, tel aliment et telle boisson à égale distance de lui) mourra de faim et de soif. S'ils me demandent s'il ne faut pas tenir un tel homme pour un âne plutôt que pour un homme ? Je dis que je ne sais pas, pas plus que je ne sais à combien estimer celui qui se pend, et à combien les enfants, les sots, les déments, etc."

De l'esprit, prop. XLIX, scolie.

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Messagepar DGsu » 09 déc. 2004, 07:16

"De la sorte, ce préjugé s'est tourné en superstition et a poussé de profondes racines dans les esprits; ce qui fut une raison pour chacun de s'appliquer de tout son effort à comprendre les causes finales de toutes choses et à les expliquer. Mais en cherchant à montrer que la Nature ne fait rien en vain (c'est -à-dire qui ne soit à l'usage des hommes), ils semblent n'avoir montré rien d'autre, sinon que la Nature et les Dieux tombent dans le délire aussi bien que les hommes."

"En ce qui concerne enfin la quatrième objection, je dis que j'accorde entièrement qu'un homme placé dans un tel équilibre (c'est-a-dire qui ne perçoit rien d'autre que la soif et la faim, tel aliment et telle boisson qui sont également distants de lui) périra de faim et de soif. Me demande-t-on si un tel homme ne doit pas etre regardé comme un âne plutôt que comme un homme ? je dis que je l'ignore, de même que j'ignore comment doit être regardé celui qui se pend, et comment doivent être regardés les enfants, les insensés, les fous, etc."

Extrait de la traduction de Guérinot (1930).

Pas moins amusant que celle de Pautrat, peut-être moins élégante quoique. Je pense que c'est le texte de Spinoza qui est ironique et fait sourire, pas spécialement la traduction de l'honorable spinoziste Pautrat.

Bonne journée. DG
"Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes." Rosa Luxemburg


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