Pour en finir avec le nihilisme : Spinoza et Nietzsche

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Henrique
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Re: Pour en finir avec le nihilisme : Spinoza et Nietzsche

Messagepar Henrique » 31 mai 2015, 16:00

RomainD,
J'ai ajouté un paragraphe dans une édition de mon précédent message. Je pense y répondre en partie à ce que vous dites.

Mais quand je parle des moyens et des fins, fin signifie finalité, but ou objet désirable à atteindre. La mort ne saurait jamais être une fin en ce sens, ce n'est pas le but, mais seulement le bout de la vie d'un individu donné. Pour le suicidaire même, la mort n'est pas ce qu'il désire au final, mais seulement le moyen de cesser de souffrir.

Pourriez vous préciser ce que vous appelez une ligne de mort déjà ?

Ce que vous dites cependant sur le désir de mourir comme possibilité d'entretenir le désir, si on ne le satisfait pas paraît possible. Mais autant les écarts dans l'amour courtois sont assez peu graves, autant il sont très dangereux dans la vie "sur les cimes du désespoir", pour reprendre un titre de Cioran.

Et je maintiens que c'est surtout parce qu'on sépare moyen et fin qu'on est triste. Si je vis pour être aimé et que je ne lui suis pas comme je voulais, je fais de la joie d'être aimé une fin justifiant la vie comme moyen pour y parvenir. Je sépare moyen et fin. Si je fais de la vie la valeur des valeurs, être aimé ou pas ne sont que différentes façons de vivre, qui ne font que faire varier les saveurs de la vie. Quand on est un enfant, on n'aime souvent que ce qui est sucré ou salé, plus tard on apprend que les autres saveurs, amères, astringentes, acides ne sont pas mauvaises mais seulement plus subtiles à apprécier et qu'elles participent à la valeur non seulement nutritive mais aussi gustative de nos nourritures.

Quant au désir d'exil dans sa proximité avec le désir de mort, je pense que l'illustre Edmond Haraucourt vous répond assez bien en son rondel de l'adieu :

Partir, c'est mourir un peu,
C'est mourir à ce qu'on aime :
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu.

C'est toujours le deuil d'un vœu,
Le dernier vers d'un poème ;
Partir, c'est mourir un peu.

Et l'on part, et c'est un jeu,
Et jusqu'à l'adieu suprême
C'est son âme que l'on sème,
Que l'on sème à chaque adieu...
Partir, c'est mourir un peu.

RomainD
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Re: Pour en finir avec le nihilisme : Spinoza et Nietzsche

Messagepar RomainD » 31 mai 2015, 19:08

J'appelle ligne de mort une sorte de désir de se foutre en l'air, comme si il n'y avait plus d'autre possible que le suicide. Enfaîte, c'est un peu comme l'écrit si bien Spinoza : "Celui qui croit mieux vivre pendu à un gibet qu'assis à sa table agirait en insensé en ne se pendant pas."

Ayant déjà expérimenté ce genre de désir, qui a maintenant disparu, je pouvais faire mien cette citation. Mais je pouvais aussi faire mienne un autre citation, cette fois de Nietzsche : "La pensée du suicide est une consolation puissante, elle aide à passer plus d'une mauvaise nuit." C'est par la confrontation de ces deux bribes de pensées (entre la citation de Spinoza et celle de Nietzsche), que je me pose des questions.

Et que penser de certains malades, comme de jeunes anorexiques qui font des tentatives de suicides ? D'où viennent ce genre de désir, et y a il une autre issue quand on a ce genre de pensée noire en tête, même tellement omniprésente que nous avons l'impression que le suicide est effectivement la seule issue possible ? Et que penser du cas de Kleist, dans sa préoccupation (voir délire) de se tuer à deux comme le dit Deleuze ?

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NaOh
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Re: Pour en finir avec le nihilisme : Spinoza et Nietzsche

Messagepar NaOh » 01 juin 2015, 08:47

Bonjour RomainD,

je vous suggère de réfléchir avec Spinoza à la proposition 4 II de l'Ethique que je reproduis ci-dessous.

"Aucune chose ne peut être détruite que par une cause extérieure."

Démonstration : "Cette proposition est évidente par elle-même ; car la définition d'une chose quelconque contient l'affirmation et non la négation de l'essence de cette chose ; en d'autres termes, elle pose son essence, elle ne la détruit pas. Donc, tant que l'on considérera seulement la chose, abstraction faite de toute cause extérieure, on ne pourra rien trouver en elle qui soit capable de la détruire". C.Q.F.D.

Sur la question plus précise du suicide, voyez également le scolie de la proposition 20 IV:

"Personne ne cesse donc de désirer ce qui lui est utile et ne néglige la conservation de son être que vaincu par les causes extérieures qui sont contraires à sa nature. Personne n'est donc déterminé par la nécessité de sa nature, mais seulement par les causes extérieures, à se priver d'aliments, ou à se donner lui-même la mort. Ainsi, celui qui tire par hasard son épée et à qui un autre saisit la main en le forçant de se frapper lui-même au cœur, celui-là se tue parce qu'il y est contraint par une cause étrangère. Il en est de même d'un homme que l'ordre d'un tyran force à s'ouvrir les veines, comme Sénèque, afin d'éviter un mal plus grand. Enfin, il peut arriver que des causes extérieures cachées disposent l'imagination d'une personne et affectent son corps de telle façon que ce corps revête une autre nature contraire à celle qu'il avait d'abord, et dont l'idée ne peut exister dans l'âme (par la proposition 10, partie 3). Mais que l'homme fasse effort par la nécessité de sa nature pour ne pas exister ou pour changer d'essence, cela est aussi impossible que la formation d'une chose qui viendrait de rien ; et il suffit d'une médiocre attention pour s'en convaincre"

Je regrette de ne pouvoir faire guère mieux que de livrer, de manière un peu brute, ces éléments à vos méditations. Mais le temps me manque.

Bien à vous.


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