Deux questions sur la philosophie de Spinoza

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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jeff
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Art et mensonge

Messagepar jeff » 15 août 2002, 09:54

Bonjour a tous.
Je souhaite soumettre deux questions sur la philosophie de Spinoza. Quelqu'un peut-il m'eclairer ? Merci par avance.

1) La question de l'art

Nietzche, par exemple, considere que l'art defend la vie. L'art satisfait les sens et permet d'echapper a la raison. Spinoza a pousse tres loin le rationalisme dans sa reflexion. Mais y-a-il une place pour l'art dans le
systeme de Spinoza ? A-t-il livre sa pensee sur ce sujet ?

2) La question du mensonge
Machiavel, dont Spinoza apprecie le caractere
penetrant dans ses analyses politiques, estime que
l'on doit etre sciemment retors face a un individu retors, hors de toute consideration morale.
Quel est la position de Spinoza ?
J'ai le sentiment qu'il defend la verite de facon inflexible.
Que fait-on par exemple, suivant les principes de l'Ethique, face a un ennemi qui exige de soi que l'on denonce l'un de ses amis ?

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Henrique
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Messagepar Henrique » 22 août 2002, 02:39

Bonjour,
1 - La question de l'art n'a pas de traitement direct chez Spinoza. En Ethique IV, nous avons cette affirmation (qui fait écho à E3P9S) : ''la musique est bonne pour le mélancolique, mauvaise pour qui éprouve de la peine ; mais pour le sourd, elle n'est ni bonne ni mauvaise''. Mais il pourrait dire de même de n'importe quelle science : la biologie est bonne pour le médecin, mauvaise pour le magicien, indifférente à l'ignorant.

Certes, celui qui développe la raison (connaissance du second genre) dépassera cette relativité en ce qui concerne la science. En est-il de même dans le domaine de l'art ? Spinoza ne s'est guère posé la question à ma connaissance, mais certains commentateurs contemporains ont pu essayer de la traiter à partir de sa philosophie :
[i]Le Dieu de Spinoza[/i] de JC Piguet (chez Labor Fides) où l'auteur s'interroge sur la relation entre le fait biographique que Spinoza fut peintre et sa philosophie.
Plus récemment : [i]Spinoza, poème de la pensée[/i] de Henri Meschonnic qui se propose de penser le continu langage-poème-éthique-politique chez Spinoza. Une lecture assez enthousiasmante, je dois dire.
Il y a eu aussi un livre sur Spinoza et le Baroque, chez Kimé je crois mais je n'ai pas le livre.

Une chose me semble claire : si une philosophie de l'art est concevable à partir de l'Ethique, elle présente l'intérêt de dépasser l'opposition finalement si traditionnelle entre art et raison, de même que l'éthique en question dépasse l'opposition entre raison et vie affective.

2 - La question du mensonge : E4P72 : 'l'homme libre n'agit jamais déloyalement mais toujours de bonne foi', voir notamment le scolie : si la raison conseillait de mentir pour sauver sa vie, elle le conseillerait universellement et dès lors elle conseillerait de conclure des accords sur la base de la fourberie, ce qui précisément rendrait impossible la conclusion du moindre accord.

Seulement dans le cas que vous présentez, il ne s'agit pas de préserver sa vie mais celle d'un ami contre un ennemi. Nous serions donc en deça de la relation sociale minimale qui suppose la renonciation à la violence privée. Spinoza n'en parle pas directement mais je dirais ici que s'applique le principe "la vertu de l'homme libre se révèle également grande à éviter le dangers qu'à les surmonter", càd que dans le cadre d'une relation non sociale mais relevant de l'état de nature, sans avoir à dire une chose et penser le contraire, on peut essayer d'éviter de dire la vérité (ce que la tradition appelle "mensonge par omission", mais qui n'implique pas la même contradiction) et sinon, sous la torture par exemple, un homme libre ne fera ou ne dira rien qui puisse nuire à son ami car 'le bien que quiconque pratique la vertu désire pour lui-même, il le désirera aussi pour les autres' (E4P37) a fortiori s'il s'agit d'un ami (E4P71).

Il n'y a pas réellement d'ennemi dans la philosophie de l'Ethique (car il n'y a pas de Mal), il n'y a que de ignorants mais à l'égard des ignorants, il y aura une certaine distance : E4P70. Il ne s'agira donc pas d'être retors avec les retors, mais de se taire plutôt que de dénoncer un ami à un ignorant qui nuit aussi bien aux autres qu'au fond à lui-même.

Cordialement,
Henrique


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