Valeur et efficacité de l'éthique spinoziste

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.

D'après votre lecture de Spinoza, le spinozisme est un ascétisme (= privations et mortifications permettent d'atteindre la perfection morale) ?

Pas du tout.
13
87%
Un peu.
2
13%
Beaucoup.
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Absolument.
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Henrique
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Valeur et efficacité de l'éthique spinoziste

Messagepar Henrique » 05 nov. 2003, 02:40

Je reprends l'argumentaire de Sacha contre la philosophie des affects de Spinoza (cf. ICI) .

Le spinozisme serait un ascétisme et un stoïcisme. Pour justifier cela, Sacha écrit :
Certes Spinoza affirme 'le désir est l'essence de l'homme' mais pour affirmer ensuite: 'tout l'effort de l'homme libre tend à comprendre'. La béatitude , selon Spinoza, consiste à comprendre (Dieu, c'est à dire le réel). Or il ne me semble pas que de nos jours, c'est ce qu'on relève le plus chez Spinoza.

Pourquoi donc le spinozisme serait un ascétisme ? Parce qu'il réduirait la vie humaine à l'acte purement intellectuel de comprendre, parce qu'il en ignorerait la part affective.

Pourtant, comment accuser d'ascétisme, celui qui écrivait "Oui, il est d'un homme sage de se réparer par une nourriture modérée et agréable, de charmer ses sens du parfum et de l'éclat verdoyant des plantes, d'orner même son vêtement, de jouir de la musique, des jeux, des spectacles et de tous les divertissements que chacun peut se donner sans dommage pour personne." (E4P45, scol. à lire en entier) ? J'ouvre un dictionnaire et je vois que le terme d'ascétisme se définit comme ensemble de privations et mortifications des sens pour atteindre la perfection morale !


Tout l'effort de l'homme libre consiste à comprendre ? Il ne faut pas réduire "comprendre" à saisir par un raisonnement. Toute la joie du sage spinoziste ne se réduit pas à articuler indéfiniment des concepts entre eux. "Comprendre" chez Spinoza est à prendre à la fois au sens d'une saisie médiate et rationnelle d'une relation entre des idées générales et au sens de saisie intuitive d'une relation entre les idées de choses singulières.

Il faut d'abord bien voir que le plus souvent, la vie affective n'est pas séparable de la pensée. Qu'est-ce que serait aimer sans l'idée de la chose aimée en tant que cause d'une joie éprouvée ? Celui qui dit que vivre, c'est cesser de penser et que penser, c'est cesser de vivre est tout simplement bien peu attentif à la vie et à la pensée elles-mêmes.

Il y a bien sûr l'image d'épinal du philosophe qui ne vit qu'à travers des pensées et des discours qui passent bien au dessus de la tête du commun des mortels, tout seul au fond de sa chambre et au sommet de sa tour d'ivoire. Et il est bien tentant de voir dans la figure de Spinoza une variation à peine plus subtile de cette image. Presque tous ses biographes improvisés spécialistes de la vie de Spinoza, avant d'avoir élucidé ce que pouvait être la vie selon Spinoza, s'y sont laissés prendre.

Mais ce n'est qu'une image, une perception mutilée de la réalité. La réalité humaine, c'est qu'il n'y a pas de désir sans conscience de l'effort de persévérer dans sa puissance d'exister, pas de joie sans idée de l'augmentation de ma puissance d'exister, pas d'amour sans idée de la cause de cette joie.

Alors deux possibilités peuvent se présenter. Ou bien les idées dont les affects sont faits en partie sont inadéquates (imaginaires) ou bien elles sont adéquates (rationnelles ou intuitives). Mais dans les deux cas il y a indissolublement pensée.

Quand Spinoza dit que l'essentiel de la vie humaine bien comprise, c'est de comprendre, ce n'est pas pour dire que le sage passe son temps uniquement à débrouiller des problèmes théoriques - ce qui a son utilité certaine, mais qui ne constitue pas la totalité de l'acte de comprendre. C'est pour dire que le sage cherche à se comprendre lui-même, dans sa relation avec tout ce qui existe sachant que cette compréhension n'est pas foncièrement différente de la pensée de l'homme ordinaire, qui n'a de vie affective qu'en tant qu'il se pense lui-même et tout ce qui l'entoure. La seule différence est d'ordre quantitatif : le sage a simplement une pensée plus complète de lui-même et du monde et donc des affects plus riches, plus complets.

Ensuite, ce qu'il s'agit de comprendre n'est pas uniquement le réel en général, les relations entre les concepts qu'on peut en avoir, mais le réel en tant que réalité singulière et unique (Dieu) et tels ou tels êtres réels (moi, mes amis, mon jardin etc.). Il ne s'agit pas là de s'abstraire dans une méditation morbide nous éloignant de la vie mais au contraire d'être ici et à présent au milieu des cent mille choses.

Avant d'aller plus loin, notamment avec les questions de l'efficacité des remèdes contre les affects et du caractère préférable ou non de la lucidité sur l'illusion et l'ignorance, voyons si nous pouvons tomber d'accord sur ces points au moins :
1. Pas de vie affective sans pensée.
2. La vie affective peut être soit dominée par l'imagination, soit par un mode de pensée plus complet, elle n'en demeurera pas moins affective dans les deux cas.
3. L'image d'épinal du philosophe abstrait dans ses pensées générales, n'ayant qu'une vie affective bien terne repose sur le préjugé selon lequel vie affective et pensée sont antagoniques.
4. Le spinozisme ne saurait donc être un ascétisme au sens d'un mépris de la vie affective, sensible et des bonnes choses, (cf. aussi E4P45S)

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ghozzis
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Hi Henrique!

Messagepar ghozzis » 05 nov. 2003, 12:36

Alors, reprenons:
'1. Pas de vie affective sans pensée. '
----> Il s'agit de nous mettre d'accord sur le terme pensée. je vois TROIS sens distincts:
a. AU SENS LE PLUS LARGE: la pensée est le vécu du sujet: plaisirs, peines, vision, audition, gustation, raisonnement, imagination...J'emploie souvent le mot 'pensée' en ce sens...donc en ce sens, je t'accorde aisément qu'il n'y a pas de vie affective sans pensée. Attention: en ce sens, les animaux aussi pensent (éh oui!), mais ca ne me dérange de forcer un peu les mots courants.
b. EN UN SENS PLUS RESTREINT: la pensée est un ensemble d'idées...ce que je vois, ce que j'imagine, les concepts que je manie. Là il n'est pas évident que tous les affects soient accompagnés d'idée. D'où une distinction:
b1. J'accorde qu'on a toujours l'idée de ressentir de la joie quand on ressent de la joie.
b2. Je n'accorde pas qu'on ait l'idée d'un autre objet quand on ressent de la joie.
c. EN UN SENS EXTREMEMENT RESTREINT:
la pensée s'oppose alors non pas seulement à l'affectif, mais meme à toute sensibilité, elle est alors l'équivalene de 'entendement pur', elle est le domaine des simples concepts.

Donc je pense que tu utilises pensée au sens b., mais je ne vois pas si tu es dans le cas b1 ou b2....


'2. La vie affective peut être soit dominée par l'imagination, soit par un mode de pensée plus complet, elle n'en demeurera pas moins affective dans les deux cas. '
Là je comprends pas...

'3. L'image d'épinal du philosophe abstrait dans ses pensées générales, n'ayant qu'une vie affective bien terne repose sur le préjugé selon lequel vie affective et pensée sont antagoniques. '
Non je ne suis pas d'accord, car plus on comprend , moins les affects sont violents...

'4. Le spinozisme ne saurait donc être un ascétisme au sens d'un mépris de la vie affective, sensible et des bonnes choses, (cf. aussi E4P45S)'
Pas plus que l'épicurisme est un ascétisme, or l'épicurisme est un ascétisme.
Regardons la vie de Spinoza: il habitait dans une chambre et sortait peu voire pas, il mangeait fort peu, et buvait parait il, une bière par mois, il refusait en grande partie l'argent qu'on lui proposait, se désintéressait totalement de la gloire, enfin n'avait aucun intérêt pour les femmes. Ainsi n'importe quel homme d'église qui se prétendait ascétique l'était bien moins que lui, car au moins il voyageait, avait de la gloire, souvent de l'argent, et sans doute parfois des femmes. Enfin je vois difficilement comment la vie de S. aurait pu être plus ascétique, à moins qu'il se soit infligé des souffrances, ce qui n'était évidemment pas le cas. Mais ascétisme ne veut pas dire s'infliger des souffrances, car cela est une forme morbide de l'ascétisme. Il ne faut pas oublier que ascèse vient du grec 'askesis' et signifie 'exercice', elle est, par exemple chez Epictète, comparée à l'entrainement quotidien de l'athlète POUR GARDER LA FORME (et non pas pour la démolir!).

Donc pour l'instant, on n'est pas d'accord!

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Henrique
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Messagepar Henrique » 05 nov. 2003, 17:03

Je me doutais bien que tu chercherais toutes les objections qui peuvent te venir à l'esprit avant que nous puissions continuer ;-) Je reprends donc les différents points.

1. Je n'oppose pas les sens a et b. Ce que je vis, ce sont les idées que j'ai des états de mon corps. Les sentiments les plus subtils ont une 'traduction' physique et inversement.
Nous sommes d'accord pour dire que la joie, et on pourrait le dire également de la tristesse, n'implique pas nécessairement l'idée d'une cause de cet état, mais seulement l'idée de cet état même. On peut être de bonne humeur ou dans un état de dépression sans savoir ni même croire savoir pourquoi.
Mais dans la question qui nous occupe - l'Ethique est-elle un ascétisme ? -, c'est surtout de l'amour qu'il s'agit, i.e. d'une joie accompagnée de l'idée d'une cause. Le sage n'est-il que celui qui aime les idées ou bien est-il celui qui aime la vie ? Si nous comprenons que celui-là même qui croit n'aimer que la vie et se moquer des idées n'aime en réalité qu'une idée de la vie, nous pouvons comprendre que celui qui aime une idée vraie de la vie n'aimera pas moins mais davantage la vie que celui qui ne réfléchit jamais.

Enfin je n'oppose pas non plus absolument les sens b et c. Ce que j'oppose, ce sont les idées générales abstraites et les idées générales consistant dans ce qu'il y a de réellement commun dans les corps, les premières étant davantage une forme subtile d'imagination que de l'ordre de la raison. Mais j'expliquerai cela davantage une autre fois, ce n'est pas nécessaire pour le moment.

2. La vie affective peut être dominée soit par l'imagination, soit par la raison ou l'entendement intuitif : l'idée que j'ai de mon état affectif ainsi que de ce qui le détermine peut être soit imaginaire, soit rationnelle, soit intuitive (au sens spinozien).

Par exemple, ce matin, je suis joyeux, càd que je me sens plus fort que lorsque je dormais, j'éprouve plus ou moins clairement comme une augmentation de ma puissance d'exister le fait de passer du sommeil à la veille - tandis qu'un autre jour, ayant peut-être mal dormi, j'éprouverais ce passage comme une diminution de ma puissance d'exister et je serai de mauvaise humeur.

A partir de là, deux possibilités : la clarté ou l'obscurité. Si j'éprouve ce sentiment de joie sans me représenter clairement une augmentation de ma puissance d'exister, je me sens alors vaguement joyeux, je pourrai associer la représentation partielle de ce bien-être avec n'importe quelle image. Je regarderai par la fenêtre et je verrai qu'aujourd'hui il fait beau, j'imaginerai alors que je suis joyeux en raison du temps qu'il fait, que ma joie, c'est le beau temps. Aussi un autre jour, alors que j'avais pourtant dormi suffisamment, comme j'aurai encore une image obscure de ma joie, il suffira qu'il fasse "mauvais" temps dehors pour que par association d'image, mon humeur baisse. Une joie dont je n'ai qu'une image obscure sera donc également confuse.

Si au contraire j'ai clairement l'idée de cette augmentation, je serai joyeux avec plus de force. En effet, ayant clairement l'idée que je suis plus fort éveillé qu'endormi, parce que je peux être affecté d'un plus grand nombre de façons, je pourrai également me représenter plus facilement la cause exacte de cette joie : j'ai bien dormi. Dès lors, j'aurai moins tendance à confondre la cause de cet affect avec autre chose et donc la joie éprouvée sera plus forte et resistante : elle sera moins dépendante des conditions extérieures.

On pourrait envisager une multiplicité d'autres possibilités, la vie affective étant fort complexe, mais les deux qui précèdent montrent que selon la qualité inadéquate ou adéquate des idées que nous avons de nos états, notre état même varie en force et en intensité. Une philosophie qui se propose de comprendre les affects afin d'en avoir des idées adéquates est ainsi une philosophie qui vise à vivre plus intensément ses affects. Cela est totalement opposé à l'image que tu en avais donné avec la citation de Taine. Et note bien stp que nous ne parlons pas encore ici de l'efficacité ou non de cette philosophie mais de son sens.

3. Si tu veux bien comprendre ce qui précède, tu devrais pouvoir admettre que l'intention de la philosophie spinozienne des affects est de viser une vie plus intense, ce qui serait déjà un point de progrès.

Maintenant, est-ce que comprendre ses affects, c'est les rendre moins intenses (plutôt que violents) ? Quelle que soit la réponse, c'est la question de l'efficacité, et nous verrons cela plus tard. Mais dores et déjà, le point précédant apporte un début de réponse. Par ailleurs je constate une certaine contradiction de ta part dans ce sens. D'un côté tu dis que comprendre ses affects n'y change rien ou pas grand chose de l'autre tu dis que comprendre les affects en baisse suffisamment l'intensité pour qu'il semble préférable de ne pas les comprendre pour jouir de toute leur force.

4. La référence à la biographie de Spinoza pour justifier l'ascétisme de sa philosophie me semble des plus captieuses.

Loin de moi de penser qu'un philosophe ne doit pas mettre en pratique sa philosophie, surtout éthique. Mais d'une part, Spinoza était malade à la fin de sa vie, son mode de vie ne pouvait donc être celui d'un homme sain ; ce qui n'invalide en aucun cas l'idée de E4P45 qu'un homme libre doit savoir jouir des bonnes choses. D'autre part, les éléments que nous connaissons de la biographie de Spinoza viennent de témoignages plus ou moins fiables portant uniquement sur sa vie extérieure et non sur sa vie intérieure qui est pourtant l'essentiel de l'éthique. Même s'il s'est manifestement efforcé d'être objectif, le prêtre protestant Colerus, n'a pu donner qu'une image extrinsèque, dépendant du témoignage d'un entourage immédiat qui le plus souvent ignorait ou ne comprenait pas grand chose à la philosophie et donc à la vie intime de Spinoza. Aussi, un homme malade peut vivre comme un petit souffreteux qui se plaint de tout et ne jouit de rien mais il peut aussi vivre bien plus intensément le verre de bière qu'il boit chaque mois que l'homme sain qui boit de la bière à tous les repas.

D'autre part, tu joues sur le terme d'askésis, confondant asèse et ascétisme. Or la citation que tu avais faite de Taine montre bien qu'au départ, tu prenais ce terme d'ascétisme en son sens exact de mortification : Spinoza se serait plu à de "terribles phrases d'abdication des vains désirs". Et encore quand tu parles de la vie de renonciations de Spinoza, tu suggères cette signification.

Mais l'ascétisme est à l'ascèse ce que le fanatisme est à la religion, le moralisme à la morale, le pédagogisme à la pédagogie, le philosophisme à la philosophie etc. : une systématisation d'aspect extérieurs d'une démarche dont on ne comprend pas bien l'esprit... Il y a bien évidemment une ascèse, càd un ensemble d'exercices, dans la philosophie éthique de Spinoza. Mais il s'agit d'une culture des affects, visant justement à en renforcer la positivité, par opposition à un ascétisme au sens exact qui serait une volonté de détruire toute vie affective. Si tu veux bien lire en détail l'éthique de Spinoza, tu verras que loin de chercher à détruire les affects dits "mauvais", il s'agit de les "vaincre" en prenant ce qu'il y a de positif en eux, en le renforçant, pour les transformer en bons affects.

Le bouddhisme est un ascétisme, dès lors qu'il affirme que la cause de toute souffrance est le désir et que le but de la vie est l'extinction (nirvana) du désir. Le christianisme de Paul est un ascétisme, qui affirme que la chair n'est pas de Dieu, ce qui implique la mortification de celle-ci pour s'approcher de Dieu. L'épicurisme encore peut être à la limite qualifié d'ascétisme parce que le sage selon lui ne doit rechercher que la satisfaction des désirs naturels et nécessaires, ce qui exclut les aliments un tant soit peu sophistiqués et la fréquentation des femmes comme c'est bien connu, mais aussi si l'on y réfléchit bien l'amitié et la philosophie.

L'ascétisme, c'est jeter le bébé avec l'eau du bain, prétendre jeter tous les désirs avec les mauvais désirs tandis que l'ascèse spinozienne propose une emendatio du désir au même titre que de l'entendement afin d'en retrouver toute la positivité et la puissance. Mais c'est pour jouir davantage de cette vie, dès à présent, non pour jouir d'une autre vie située dans un au delà fumeux.

Mais trouve dans la philosophie de Spinoza une "condamnation" des plaisirs autres qu'un peu de pain sec et d'eau, de l'amour sensuel en lui-même (ce qui n'implique pas nécessairement ses excès qui ne sont plus jouissance mais souffrance) et de l'argent en tant que moyen (non pris comme fin en soi), et alors tu pourras parler de son ascétisme.

Henrique

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Soit, soit, soit...

Messagepar ghozzis » 05 nov. 2003, 22:33

:lol:
Ce que signifie un mot, cela dépend des fois et des conditions où on l'a entendu, pas d'essence de l'ascétisme donc (mais que pour moi il n'y ait pas d'essence, cela ne t'étonnera plus je pense!)
Je veux bien t'accorder les points. Mais voici la question que je pose sur la philosophie de Spinoza (de l'Ethique): est ce, bien comprise, elle permet de rendre heureux? Après tout, c'est cela l'enjeu, non?
Cordialement,
Sacha

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Ajout au post ci dessus

Messagepar ghozzis » 05 nov. 2003, 22:36

J'ai répondu 'pas du tout' à la question de ton sondage, en effet, il n'ya pas de notion de 'mortification' chez Spinoza.
Sacha

michel
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Messagepar michel » 06 nov. 2003, 17:09

Bonjour,
Pardonnez mon intrusion dans votre discussion, surtout si je suis hors sujet.
Et si vos différences n’étaient que de vocabulaire, qu’une différence de poids que vous accordez aux mots ?
Je prends Bibliorom Larousse 2.0 (parce que c’est pratique pour le copier/coller) :

ascétisme nom masculin
1. Caractère de ce qui est conforme à l'ascèse.
2. Pratique de l'ascèse.

ascèse [asez] nom féminin
(gr. askêsis , exercice)
Discipline de vie, ensemble d'exercices physiques et moraux pratiqués en vue d'un perfectionnement spirituel.

mortification nom féminin

1. Pratique ascétique par laquelle, en s'infligeant des souffrances corporelles, on cherche à se préserver du péché ou à s'en purifier.
2. Blessure d'amour-propre; humiliation.

Le texte du sondage :
D'après votre lecture de Spinoza, le spinozisme est un ascétisme (= privations et mortifications permettent d'atteindre la perfection morale) ?

Donc du sondage j’élimine d’emblée ‘mortification’ vraiment trop lourd !
S. ne préconise pas de souffrances corporelles.

Reste privations, J’ai vérifié les traductions de Boulainvilliers, Guérinot et Saisset, on ne trouve pas le mot ‘privations’ au pluriel, on ne le trouve qu’au singulier : Boulainvilliers 12, Guérinot 11, Saisset 12 (CD Lire l’Ethique de Spinoza Phronesis).
Et lorsque S. emploi le mot privation, il semble, il me semble, que ce n’est pas dans le sens de privation volontaire, mais d’absence fortuite. De plus dans ETH III, DEF des affections, 3 Explication de la Tristesse, S. écrit : … « nous ne pouvons pas dire que la tristesse consiste dans la privation d’une plus grande perfection, car la privation n’est rien »…
N’est rien. C’est seulement une absence.

En outre, dans ETH V Prop XLII : « La béatitude n’est pas le prix de la vertu mais la vertu même ; et nous ne jouissons pas de la béatitude parce que nous réprimons nos passions, mais nous réprimons nos passions parce que nous jouissons de la béatitude ».
Je vois là comme une sorte d’inférence, au sens informatique du terme, c’est à dire en gros : je connais par avance, et intuitivement, la réponse, ALORS je cherche à parcourir, à découvrir, le chemin qui m’y mènera, car je sais qu’il y a au moins un chemin.

Ce qui me fait dire là aussi que la locution du sondage « permettent d’atteindre la perfection morale » est trop pesante.
Il ne s’agit pas d’atteindre la perfection morale à n’importe quel prix, et surtout pas au prix de son identité, du bonheur, de la Joie, de la Liberté…
Il s’agirait plutôt d’être tombé, étant petit, dans le chaudron d’une ‘perfection’ comme Obélix dans celui de la potion magique, et d’en rechercher le chemin à posteriori, pour le plaisir, pour le fun dirait un gamin.

Donc au sondage je répondrais ‘un peu’ mais vraiment très peu. Car S. écrit dans la préface de ETH V : « Les stoïciens ont cependant pensé que les affections dépendent absolument de notre volonté et que nous pouvions leur commander absolument. Mais instruits par une expérience contraire à leurs principes ils ont été forcés de convenir qu’il faut un long usage et une grande attention pour réprimer et modérer les affections». S. aurait pu dire ‘je ne suis pas Stoïcien’. Je continu, « C’est ce que [ si ma mémoire est fidèle ] quelqu’un a tâché de faire voir par l’exemple de deux chiens, dont l’un est chien domestique et l’autre chien de chasse. Car il dit que par un long usage il parvint enfin à accoutumer le chien domestique à chasser et à empêcher le chien de chasse de poursuivre le lièvre ». Puis il critique la position de Descartes à ce sujet.

Pourtant, je sais que çà marche, à une toute petite échelle bien sûr !
Moi qui suis sujet à de fortes poussées d’imagination, je me suis, par l’habitude, forcé à marquer de petites poses au cours de ces crises en invoquant la phrase : « STOP Michel il te faut imaginer, oui, puisque c’est ta Nature, mais un peu plus près de la réalité ».
Au début c’était difficile, puis petit à petit c’est devenu un automatisme.
C’est plus un jeu qu’une discipline, car du chaudron de la perfection, je n’y suis jamais tombé dedans.

Je réponds donc ‘un tout petit peu’ à la question du sondage.

Pardonnez-moi la longueur et les détours.
Cordialement.
Michel

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Re: Valeur et efficacité de l'éthique spinoziste

Messagepar bardamu » 06 nov. 2003, 23:57

Et je suis le deuxième a avoir répondu "un peu".
Je reste dans le mouvement de Michel et sort mon Robert de Poche :
Ascèse n.f. : discipline destinée à libérer l'esprit en vue d'un perfectionnement spirituel ou moral.

Donc, non pas que je vois de l'ascétisme au sens mortifère ou privatif chez Spinoza mais parce que d'une part son style de vie sobre me semble la conclusion fréquente du parcours éthique et du contentement qu'il amène et que d'autre part ce parcours est difficile.
Conclusion de l'Ethique :

"La voie que j'ai montrée pour atteindre jusque-là paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu'il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j'avoue qu'un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s'il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu'il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare.
FIN DE L'ÉTHIQUE"

Comme on dit à Brooklyn : "Nil sine magno labore".

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Messagepar Henrique » 08 nov. 2003, 15:24

Je ne pense pas qu'il ne s'agisse que d'une question de mots. Si Sacha entendait depuis le départ par "ascétisme" une simple discipline de la vie affective, j'aurais dit sans problème que Spinoza est pour un ascétisme, l'important ce sont les idées, pas les mots. Mais au départ, Sacha avait associé le terme d'ascétisme avec une citation de Taine et une série d'images tirées de la biographie de Spinoza qui allaient dans le sens d'une mortification au sens premier, paulinien, de faire mourir la chair pour "naître de nouveau".

Sacha, tu joues encore un peu avec les mots en disant qu'il n'y a pas d'essence de l'ascétisme puisqu'on peut produire de ce mot plusieurs définitions. L'association de mots et d'idées étant conventionnelle, il est bien évident qu'il ne saurait y avoir d'unité analytique du mot et de l'idée. Un même peut avoir plusieurs définitions verbales.

L'ascétisme que j'ai défini correspond à un phénomène religieux courant que l'on retrouve sous diverses formes mais avec la même structure dans différentes religions. Je ne vais pas disserter sur ce sujet qui sortirait de notre propos, mais que tu appelles cela ascétisme ou ramboudisme, l'idée qu'une perfection peut être atteinte par la mortification du corps ou des affects, se trouve formellement dans certains mouvements religieux. Certains passages de l'Ethique de Spinoza peuvent prêter à confusion pour le lecteur pressé, Spinoza ayant l'habitude de reprendre le vocabulaire religieux pour en réduire le sens à l'essentiel, ce qui déjà est subversif. Mais pour celui comme Taine qui voit un stoïcisme, au sens moral ordinaire d'ascétisme ("être stoïque dans les difficultés, voir ses enfants mourir et rester de marbre..."), dans le spinozisme, il y a les passages cités par Michel et ceux que j'avais avancés.

Michel, si je dis que peu importe le mot qu'on emploie pour désigner une idée, je pense tout de même qu'il vaut mieux avoir un usage rigoureux de ceux-ci autant que possible. Or la double définition du bibliorum de Larousse, n'est pas vérité révélée et elle correspond exactement au mot ascèse lui-même, elle n'a donc aucun intérêt en elle-même. En effet, "ce qui est conforme à l'ascèse", c'est la pratique aboutie de l'ascèse, c'est l'ascèse réussie autrement dit l'ascèse elle-même au sens rigoureux et "la pratique de l'ascèse", ce n'est rien d'autre que l'ascèse puisque l'ascèse se définit comme un exercice ! En outre, elle ne rend pas compte du suffixe en "isme" qui indique en général une systématisation forcée d'une idée, quand elle est liée à une seule idée. Enfin, elle ne rend pas compte de la nuance que j'avais introduite avec l'ascèse, nuance qui se retrouve dans l'usage philosophique en général, notamment depuis Kant. Qu'est-ce qu'elles peuvent être inuffisantes parfois les définitions du Larousse !

Si l'on veut une définition verbale rigoureuse et très précise, il faut ici la chercher dans le Vocabulaire Lalande de la philosophie : A/ Méthode morale consistant à ne tenir aucun compte du plaisir et de la douleur, et à satisfaire le moins possible les instincts de la vie animale ou les tendances naturelles de la sensibilité (cette domination de la volonté sur les impulsions spontanées se retrouve dans presque toutes les morales, mais elle ne porte le nom d'ascétisme que si elle est poussée à l'extrême, ou considérée comme l'essentiel de la moralité). B/ Spécialement dans la morale religieuse, recherche de la douleur comme expiation ou mortification, jugée utile au progrès de l'âme et agréable à Dieu.

Par ailleurs, le terme de "privation" chez Spinoza n'est presque jamais employé en un sens moral, il s'agit essentiellement de l'erreur comme privation de connaissance vraie. Dans E4P45 déjà cité, si l'idée de privation se trouve implicitement présente au niveau moral, c'est pour être critiquée et rejetée comme ayant un intérêt éthique.

Enfin la citation d'E5P42 que tu rappelles, la béatitude n'est pas le prix de la vertu est l'exact opposé de l'ascétisme qui considère que le paradis ou béatitude ou perfection morale est la récompense des souffrances qu'on s'inflige. Chez Spinoza la béatitude, c'est la vertu même, point qui fera bondir un kantien de base, mais que nous discuterons en son temps.

Aussi je ne vois pas en quoi vous voyez la moindre présence de privations et de mortifications chez Spinoza. Qu'il y ait certains renoncements, qu'il s'agisse de "réprimer" certaines passions, cela ne serait ascétisme au sens strict que s'il s'agissait de réprimer toute vie affective, toute vie sensible et naturelle ; en outre, comme je l'ai déjà expliqué, cette "répression" est davantage une "emendatio" qui implique une réforme des affects qu'une destruction censée faire apparaître une vie totalement nouvelle et différente de la vie naturelle.

Qu'il y ait une difficulté pratique dans l'éthique signalée par Spinoza lui-même, je ne vois pas, Fabien, en quoi cela correspond le moins du monde à l'idée d'ascétisme. Il faut une ascèse, oui, mais non une démarche correspondant à l'une des définitions du Lalande. Ce serait comme appeler 'laxisme' toute éducation qui préconise un peu de souplesse dans l'application des règles. Moi qui suis pour une éducation rigoureuse mais non rigide, les règles étant au service de l'individu et non l'inverse, j'apparais comme laxiste pour l'ascétiste et ascétiste ou rigoriste pour le laxiste. Mais ces trois points de vue ne sont pas que des questions de mots : il y a là effectivement trois positions différentes, dont deux extrémistes et une modérée, mais les deux extrêmes n'en connaissent par définition que deux, la leur et toutes les autres, sans distinction. Les mots n'ont d'intérêt que s'il permettent de clarifier et de distinguer nos idées des choses, si on se met à cultiver la confusion, c'est dangereux.

Alors, cela étant dit, je vais passer pour le prochain message à la question de l'efficacité des remèdes contre les passions tristes et des moyens du bonheur, dont Sacha a bien vu qu'il s'agissait de l'enjeu de l'Ehtique.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 15 nov. 2003, 02:57

J'en viens à la question de l'efficacité de l'Ethique pour ce qui est de nous rendre heureux.
La première réponse qu'on pourrait faire, c'est que pour évaluer son efficacité, il faut en faire l'expérience. Or Spinoza a prévenu dans les dernières lignes de son oeuvre que la voie proposée n'était pas des plus faciles, elle est longue et difficile. Ce qui ne prouve rien mais qui indique tout de même qu'il ne faudra pas s'attendre à trouver dans cette oeuvre quelque recette dont l'application donnerait des résultats immédiats.

Mais revoyons les objections qui avaient été opposées à cette idée par Sacha :
1) Les remèdes de Spinoza contre les affects (comprendre la cause d'un affect pour qu'il cesse) ne fonctionnent pas ou très partiellement.
2) Nous ne parvenons pas à comprendre tous nos affects, contrairement à ce que dit Spinoza.
3) Spinoza affirme qu'il vaut mieux être lucide que fou mais n'est-il pas préférable d'être fou et fortement heureux de ses illusions que d'être lucide mais faiblement heureux ? "Par exemple un tel imagine être aimé de tous, et est au comble de la joie. Par quelque hasard, il est amené à comprendre que ce n'est pas le cas. Il sera certes légèrement joyeux d'avoir compris, mais en même temps quelle immense tristesse!"

Je traiterai petit à petit ces objections. Mais avant cela, quelques précisions sont nécessaires.
Dans ton résumé, Sacha, tu disais que le spinozisme fait reposer tout notre bonheur sur la connaissance du réel.

Ce n'est pas ce que Spinoza dit. D'abord, Spinoza parle de béatitude plutôt que de bonheur. Le bonheur emporte l'idée d'une joie qui dépend du hasard, c'est-à-dire de causes extérieures qui n'ont pas de rapport nécessaire avec ma causalité interne. Le bonheur en ce sens est une joie qui dépend de causes extérieures, il n'est donc naturellement pas du ressort du sage de le connaître plus que les autres. Spinoza parle plutôt de béatitude, qui plus qu'une joie (laetitia) qui est augmentation de ma puissance est la jouissance (gaudium) de notre perfection même, jouissance qui devient possible lorsque nous connaissons intuitivement qu'il ne nous manque rien, que toute idée d'imperfection repose sur une connaissance inadéquate de notre rapport à la nature. Mais la perfection d'un homme, ce n'est pas de s'enfermer dans un mode d'existence fermé, c'est au contraire de se perfectionner indéfiniment.

Ensuite, pour le lecteur attentif des trois dernières parties de l'Ethique, il ne s'agit pas de détruire tous les affects, mais uniquement de vaincre les affects passifs, i.e. les passions, en les transformant en affects actifs, i.e. les vertus (à bien comprendre ici comme expression affective de notre puissance). Dans le domaine pratique, Spinoza n'est pas un intellectualiste ou un volontariste.

En effet, Spinoza insiste bien sur l'idée que par la seule raison, nous n'avons guère d'empire sur nos passions. Seul un affect peut en contre-carrer un autre, et ce n'est que dans la mesure où nous éprouvons une joie qui l'emporte en puissance sur une tristesse que nous passerons de la tristesse à la joie, de la haine à l'amour. Si la raison a un rôle à jouer ici, ce n'est que pour indiquer que l'amour est préférable à la haine et pour indiquer par ailleurs que si l'on veut vaincre la haine, il faudra non se contenter de s'en convaincre rationnellement mais s'efforcer d'y opposer l'amour.

Avant de traiter des textes du début de la V° partie de l'éthique, auxquels tu faisais référence, il y aurait, par ce qui précède, nécessité de voir ce que nous pouvons penser du texte exact d'E4P46 et de ses tenants.

Henrique


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