Affirmation et lutte pour la reconnaissance

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.

Affirmation et lutte pour la reconnaissance

C'est la même chose
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C'est radicalement opposé
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22%
C'est opposé et complémentaire
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67%
Cette question est mal posée et dénote une incompréhension des auteurs en référence
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J'en sais rien et ou je ne comprends pas
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Ca n'est pas mon problème
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humilité des gens accomplis (dans l'humilité)

Messagepar Panache » 06 janv. 2006, 21:48

Pour Enrique je ne pense pas qu'il faille confondre humilité et humiliation.
Celui qui agit peut bien se fondre dans le monde qu'il transforme et pour celà s'y plier, l'accepter et s'accepter exactement tel qu'il est. Or quel est le plus grand signe d'humilité ? Ne pas se croire au dessus du monde. Ne pas se croire au dessus de soi meme. Ne meme pas croire en une instance (le surmoi) qui pourrait juger le soi.
C'est cela l'humilité.

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Messagepar Henrique » 12 janv. 2006, 17:11

Panache, d'abord pour ce qui est de la réponse aux questions que tu poses à la suite de mon précédent message, je ne pense pas qu'on puisse faire l'économie d'une compréhension des principes ontologiques de Spinoza pour y répondre sérieusement, d'autant plus qu'être, s'affirmer, être nié sont aussi des expériences très concrètes, sachant par ailleurs que j'avais je pense envisagé les choses dans le sens où tu parles de concretude à la fin de mon post.

Aussi je t'inviterais d'abord à bien vouloir indiquer ici ce que tu n'es pas sûr d'avoir bien compris dans ce que j'avais écrit afin d'éviter des questions dont la réponse est déjà facilement déductible de ce que j'avais dit quand on l'a bien compris...

Pour ce qui est de l'humilité, Littré la définit ainsi : "Vertu qui nous donne le sentiment de notre faiblesse et de notre insuffisance, qui nous fait concevoir de bas sentiments de nous-mêmes." ce qui correspond à la définition (III,26) de Spinoza : "un sentiment de tristesse qui provient de ce que l'homme contemple son impuissance et sa faiblesse" et pour cause humilitas renvoie à humus, le sol, la terre et donc à l'action de se rabaisser. L'humiliation quant à elle consiste simplement à être rabaissé par les autres. Aucun sentiment de cet ordre n'est valorisé chez Spinoza : "L'humilité n'est point une vertu ; en d'autres termes, elle ne provient point de la raison." (E4P53).

Ce que tu appelles humilité "Ne pas se croire au dessus du monde. Ne pas se croire au dessus de soi meme. Ne meme pas croire en une instance (le surmoi) qui pourrait juger le soi. " peut être interprété très diversement du fait que cela reste uniquement négatif : mais cela peut surtout se comprendre comme le sentiment de notre impuissance par opposition au sentiment d'une puissance excessive, ce qui revient exactement à ce que Spinoza appelle humilité. Tu sembles faire référence, en te proposant de la dépasser, à l'idée de Freud sur la triple humiliation apportée par la science à l'orgueil humain qui se croyait au centre et au dessus de l'univers, des vivants et de lui-même. L'humilité qui consisterait donc selon toi dans la conscience de tout ce que nous ne sommes pas (au dessus du monde et de soi-même) s'opposerait donc essentiellement à l'orgueil. Or Spinoza écrit :
Spinoza, en Ethique III, def. 28 et 29 a écrit :On peut donc définir l'orgueil : l'amour de soi-même ou la paix intérieure, en tant qu'elle dispose l'homme à penser de soi plus de bien qu'il ne faut (voyez le Schol de la Propos. 26, partie 3). Cette passion n'a pas de contraire ; car personne, par haine de soi, ne pense de soi moins de bien qu'il ne faut. Bien plus, il n'arrive à personne, en pensant qu'elle ne peut faire telle ou telle chose, de penser de soi moins de bien qu'il ne faut. Car toutes les fois que l'homme s'imagine qu'il est incapable de faire une chose, il est nécessaire qu'il imagine cette chose, et cela même le dispose de telle façon qu'il est effectivement incapable de la chose qu'il imagine.

...Nous opposons d'ordinaire l'humilité à l'orgueil ; c'est qu'alors nous avons plus d'égard aux effets de ces deux passions qu'à leur nature. Nous appelons orgueilleux, en effet, celui qui se glorifie à l'excès (voir le Schol. de la Propos. 30, part. 3), qui ne parle de soi que pour exalter sa vertu et des autres que pour dire leurs vices, qui veut être mis au-dessus de tous, enfin qui prend la démarche et étale la magnificence des personnes placées fort au dessus de lui. Nous appelons humble, au contraire, celui qui rougit souvent, qui convient de ses défauts et célèbre les vertus des autres, qui se met au-dessous de tout le monde, celui enfin dont la démarche est modeste et la mise sans aucun ornement.


Certes Spinoza dit par exemple que l'homme n'est pas un empire dans un empire, c'est-à-dire qu'il n'échappe pas plus que tous les autres modes aux lois éternelles de la nature par un soit-disant libre-arbitre. Mais c'est un contresens que de croire que cela signifierait pour Spinoza admettre notre impuissance : le libre arbitre bien compris n'est qu'un aveu d'impuissance, une fausse puissance qui donc limite notre puissance effective ; affirmer qu'il n'y a pas de libre arbitre, c'est donc affirmer notre puissance de comprendre et d'agir ainsi de façon beaucoup plus efficace.

Voyons maintenant les textes que Faun m'oppose quand je dis que l'homme n'a pas à être considéré, par comparaison à Dieu, comme un "infiniment petit" :
"Mais la puissance de l'homme est extrèmement limitée, et infiniment surpassée par la puissance des causes extérieures."
Appendice de la quatrième partie, chapitre 32.

Ce n'est pas par rapport à Dieu ou Nature naturante qu'il y a ici comparaison mais par rapport à la multiplicité infinie des autres êtres finis, relevant de la nature naturée (et c'est valable aussi pour E4P53) : ce n'est pas la considération de Dieu qui nous donne le sentiment de notre impuissance, car alors il faudrait que Dieu lui-même soit une chose finie et/ou transcendante. Dès lors qu'il y a relation d'immanence de Dieu à ses modes, aucune comparaison entre ces deux termes n'a de sens. Et "extrêmement limitée" est tout de même autre chose "qu'infiniment petite" et "infiniment surpassé par les autres causes" ne signifie pas non plus que ma puissance apparaisse comme nulle. Il faut surtout préciser que justement, le but de ce paragraphe est de montrer que l'homme n'a jamais à se considérer lui-même comme un zéro, un être fondamentalement impuissant : malgré le caractère limité de notre puissance (notre essence d'humains n'enveloppe effectivement pas l'existence) faisant que nous ne pouvons pas toujours éviter ce qui apparaît mauvais pour nous, nous avons toujours la puissance d'user de notre intelligence pour comprendre l'ordre nécessaire des choses, ne trouver ainsi le repos que dans la vérité et donc ne désirer que cette nécessité et jouir de cet accord universel avec la nature et avec soi-même.

"La gloire qu'on dit vaine est une satisfaction de soi-même qui n'est alimentée que par l'opinion du vulgaire ; vienne à cesser cette opinion, cesse aussi la satisfaction, c'est à dire le souverain bien, que chacun aime ; d'où vient que qui tire gloire de l'opinion du vulgaire, en proie chaque jour au souci, s'efforce, s'agite, fait tout pour garder sa réputation.
[...] Bien plus, étant donné qu'ils désirent tous attirer les applaudissements du vulgaire, chacun rabaisse volontier la réputation de l'autre, et de là, étant donné que le combat porte sur ce qu'on estime être le souverain bien, naît un énorme appétit de s'opprimer les uns les autres de toutes les façons possibles, et qui en sort finalement vainqueur se fait plus gloire d'avoir nui à autrui que de s'être rendu service à lui même."
Proposition 63 de la quatrième partie, scolie.

Dépendre de l'opinion du vulgaire est une impuissance, cela n'empêche en aucun que l'état de celui qui est libre n'est certainement de considérer ses limites comme impuissance et donc comme objets de tristesse. Se connaissant comme expression de la puissance infinie divine, l'homme libre considère sa faculté de désirer non comme "manque" mais comme "pouvoir d'être affecté". Ainsi vit il dans l'affect qui le caractérise le mieux : l'acquiescement intérieur qui est "un sentiment de joie qui provient de ce que l'homme contemple son être et sa puissance d'agir." (E3D25) : se connaître comme impuissant n'est ainsi qu'une connaissance inadéquate, par laquelle on passe nécessairement au début, d'où la nécessité d'en rendre compte pour l'Ethique, mais qui finit par être dépassée avec le développement de la raison : "La connaissance du mal est une connaissance inadéquate." (E4P64) (le mal étant ce dont nous saurions avec certitude que cela provoque notre impuissance) d'où il suit que "si l'âme humaine n'avait que des idées adéquates, elle ne se formerait aucune notion du mal" : comment Dieu pourrait-il en effet se rendre véritablement impuissant lui-même ?

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Messagepar Panache » 12 janv. 2006, 21:12

Henrique je répondrais plus avant demain ou... Plus tard peut être encore.
Je ne suis pas a priori convaincu. Si je devais m'arrêter à ton premier post j'en déduirais logiquement la réponse 3 'Hegel a tort, la lutte pour la reconnaissance est uniquement et seulement une passion triste et il n'y a pas de "ruse du conatus" équivalente à la ruse de la raison ? laquelle réponse 3 présuppose qu'il n'y a pas de différence entre être et puissance, entre savoir et action, ce qui est effectivement une position que je ne partage pas, même si j'entends bien que c'est celle de spinoza.

Par humilité au sens non pas de spinoza mais plutôt des écrits zen et des guerriers zen, je voulais entendre pour faire place à Faun, perception exacte des limites de sa puissance, qui est nécessairement, infime par rapport au monde, infime par rapport à l'orgueil qui surgit spontanément à la naissance (orgueil du bébé qui n'ayant pas encore appris à séparer le monde de lui même se croit tout puissant, cause de tout ce qu'il perçoit).
La perception exacte effectivement décuple la puissance, c'est ce sur quoi tous conviennent, de sorte progresser dans la perception des limites exactes de sa puissance, c'est être souvent plus puissant que les autres qui s'illusionnent de leur toute puissance (et alternent en fait souvent orgueil et auto humiliation), parce qu'on saisit tout ce qui est possible dans l'instant à partir de ce que l'on est et de ce qu'est le monde. Celui qui s'illusionne sur soi et le monde en revanche est déçu.

Par humilité je voulais dire aussi recherche d'accomplissement pour soi, amour de soi rousseauiste et non amour propre, recherche de l'opinion du vulgaire.

J'entends bien que Spinoza n'entend pas le terme humilité ainsi.

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youhou

Messagepar Panache » 23 mai 2007, 01:20

discussion aujourd hui avec Lordon qui fait du spinozisme appliqué au sciences sociales...
Du coup retour ici.

Rétrospectivement. Humilité va de pair pour moi avec la gloire. Etre glorieux suppose d'etre humble, sans quoi on est rapidement orgueilleux.
Etre orgueilleux c est s attribuer le mérite de choses qui nous dépassent, par exemple en tant que médiateur d'une puissance collective, ils nous arrive de connaitre la gloire, l orgueil c est de se penser la source la puissance collective, l humilité c est reconnaitre qu on est et doit etre uniquement un canal d'expression de la potentia multitudinis.

Ma question de départ reste et s exprime ainsi. D un point de vue spinoziste lorsque les femmes réclament le droit de vote, les noirs l égalité des droits, les homosexuels le droit de se marier, sont ils en train d'affirmer leur puissance, expression de leur conatus, ou recherchent ils également une reconnaissance de la part des autres.

Il est possible que la distinction affirmation-quete de reconnaissance ne fasse pas de sens dans la pensée spinoziste, j aimerai juste comprendre pourquoi. Apres tout, etre reconnu par l autre, c est une facon de rendre plus facile l'expression de soi.

je vais essayer de revenir la dessus plus longuement demain

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affirmation d affects collectifs et reconnaissance

Messagepar Panache » 23 mai 2007, 01:42

il est possible que lorsque d autres parlent de recherche de reconnaissance de soi par les autres, ils cherchent en fait a affirmer l existence d un collectif qui affirme qu'ils ont une identité donnée.
Lorsque je cherche a etre reconnue comme humain en étant femme, j affirme l'existence d' un collectif qui m inclut.

Je ne vois pas plus loin a ce stade.

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Messagepar sescho » 27 mai 2007, 12:07

Je voudrais intervenir ici avec mes mots (mais sur ce sujet comme sur beaucoup, la relecture de Spinoza ne me présente très généralement aucun démenti) :

- La puissance est dans l'acte pur, pas dans une quelconque valorisation de soi-même "en miroir," généralement vis-à-vis des autres, le tout étant théâtralisé, c'est-à-dire perçu inadéquatement au moyen de l'imagination. Cette seconde manière relève selon moi entièrement, directement ou indirectement, de l'impuissance.

- Personnellement, je ne retiens pas (au contraire A. Maslow par exemple, mais celui-ci traitait de populations standard dans le cadre de la Psychologie du travail) le "besoin de reconnaissance" comme un besoin incontournable entre les "besoins de base" et la "réalisation de soi" (je suis plus en balance sur le "besoin social" qui le précède.)

- Mais il est vrai par exemple que si l'on s'investit comme membre d'un groupe, d'une équipe, il est plus difficile de trouver sa valorisation propre, individuelle : à moins que la contribution ne saute aux yeux, il y a "besoin" là d'un retour de ceux qui font avec sincérité part du soutien positif qu'ils ont reçu. Cela dit, si l'"esprit d'équipe" existe au départ de l'action (ce qui suppose une situation rare où en fait chacun est - vraiment - sincère), le problème ne se pose pas vraiment : l'équipe fonctionne alors comme un macro-organisme cohérent (on ne va pas chipoter pour savoir qui du cerveau, du coeur, du foie ou des reins est le meilleur...) Inversement, si l'"équipe" est habitée de beaucoup de forces contraires, soit on a une vision claire du potentiel de succès qu'on apporte quel que soit le résultat, soit on vit très mal quand on est sincère, sachant qu'on vit forcément mal quand on ne l'est pas (quant au résultat, il n'est pas étonnant qu'il soit médiocre dans de telles conditions.)

- La revendication au sein de la société peut cependant être vue comme acte simple d'ordre politique : défendre ses intérêts, ceux du plus grand nombre, ou ceux de ceux qui souffrent le plus. Le "besoin de reconnaissance" n'entre cependant pas là-dedans.

- La "reconnaissance" ce ceux qui jugent de façon inadéquate ne saurait être réellement valorisante ; ne vaut vraiment que celle de ceux qui jugent de façon adéquate. Mais alors ils ne communiquent un avis positif que sur ce qui est effectivement valable : il s'agit d'une reconnaissance du bien par le bien. Finalement, c'est alors plutôt une sorte de "communion" dans le bien, ce que Spinoza décrit par exemple en disant en substance que seuls ceux qui suivent la raison peuvent être de vrais amis et être véritablement utiles les uns aux autres. Il n'y a pas d'alternative : il n'y a pas de véritable reconnaissance dans la déraison.

- Certes, comme partout, il est bon d'être en contact avec des gens qui nous renvoient un avis positif sur (et seulement sur) une action positive de notre part, et à être éloigné de ceux qui font le contraire...

- Par ailleurs, il faut nécessairement comprendre l'acception utilisée par Spinoza pour les mots décrivant les passions pour bien pouvoir en discuter. Il emploie "Humilité" (et "Pitié", "Estime", etc.) dans un sens péjoratif (qui s'apparente au sentiment d'infériorité, dont on sait très bien qu'il n'est que le pendant de celui de supériorité ; les "contraires" en termes de passions sont en fait des contre-pôles ambivalents), donc pas dans le sens de "modestie" (qu'il utilise aussi sous une acception spéciale, en synonyme d'Humanité ; E3AppD43Expl.) Et ce sens est différent de celui de la Bassesse, qui en découle cependant par aggravation et s'oppose apparemment à l'Orgueil (mais en est en fait une forme ; voir E4P57S et E3AppD28Expl.) Il y a souvent des termes approchants qui apportent la nuance essentielle.

- Le véritable opposé (pas le "contraire" ou "contre-pôle") de l'Orgueil est en fait la Satisfaction qui nait de la Raison, autrement dit de la puissance elle-même, l'Orgueil étant lui-même la (pseudo-) satisfaction qui naît de l'imagination de puissance, et est en vérité la plus grande impuissance (E3P26, E4P55, E4P56,E4P57.)

- En conclusion je serais tenté de dire qu'il n'y a aucun "besoin de reconnaissance" dans la puissance, mais que la reconnaissance des qualités par des esprits puissants a tous les atouts pour nous sortir de l'impuissance et qu'en outre il y a une puissance collective (potentielle) au-delà de la puissance individuelle. Finalement, la modestie ou humilité au sens positif n'est que l'absence d'Orgueil, autrement dit n'est rien en dehors de la Raison et de la Puissance.

Amicalement
Connais-toi toi-même.

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Messagepar Enegoid » 29 mai 2007, 18:44

Sujet passionnant. Merci à Panache de l’avoir posé.

Quelques grains de sel


La complémentarité des deux termes d’affirmation et de reconnaissance n’est pas symétrique : la reconnaissance suppose un objet à reconnaître, mais l’affirmation, qui peut être cet objet à reconnaître n’implique pas obligatoirement la reconnaissance.
L’affirmation peut être cet objet à reconnaître. Mais il y a aussi une reconnaissance à priori, du sujet (reconnaissance du nouveau-né, en tant que membre de l’humanité).

Il y a dans Spinoza, parmi d’autres, deux thèmes que je trouve, non pas contradictoires, mais quasiment doués d’une vie propre autonome :

Le premier concerne la connaissance. Celle-ci comporte trois genres, et, du troisième genre naît « le contentement de l’âme le plus élevé qu’il puisse y avoir ». La connaissance du 2ème genre n'est pas mal non plus, mais nous sommes loin de la problématique affirmation/reconnaissance.

Le second, c’est le fameux conatus. L’affirmation de sa puissance propre. La joie et la tristesse liées à la considération de ce qui aide sa puissance et ce qui la réduit. La puissance passe par le corps, immergé dans le monde et donc soumis (ou confronté) à la puissance des autres corps, dont certains sont contraires (d’où les questions liées à l’humilité, à la servitude inévitable, qui constitue le titre du 4ème livre de l’éthique). C’est là, je trouve, que se posent des questions d’affirmation et de reconnaissance, et que l’on est tenté de se rapprocher des autres philosophes cités.

Observations (décalées par rapport aux sciences sociales) :

Van Gogh s’est puissamment affirmé sans reconnaissance (sans savoir qu’il serait reconnu).
Robinson s’affirme sur son île. Il est reconnu par Vendredi, dans une situation très Hégélienne, me semble-t-il. Vendredi est reconnu par Robinson à sa place de Vendredi, pas ailleurs.

Observations relatives aux sciences sociales :

Les sciences sociales étudient les hommes tels qu’ils sont. Hegel parle de l’histoire faite par les hommes tels qu’ils sont ou ont étés.
Spinoza indique ce que pourraient être les interactions entre hommes raisonnables. Il considère avec un grand pessimisme les relations réelles (exemple parmi d’autres : « .. .il suit que les hommes sont de nature envieux, c’est-à-dire qu’ils s’épanouissent de la faiblesse de leurs pareils et se contristent de leur vertu »).

Observations sur la reconnaissance :
1. Nous ne sommes plus dans le cadre du droit naturel, mais dans le cadre social, dans une situation où nous avons tous abandonné notre puissance à une instance suprême. Tant que nous y trouvons notre avantage.
2. Il peut s’agir d’une reconnaissance d’appartenance : esclave, je veux être reconnu comme être humain.
3. Il peut s’agir d’un droit que je revendique, et pas d’une reconnaissance : femme, reconnue comme être humain je veux le droit de vote, et je me sers de ma puissance collective pour l’obtenir (de même qu’au 19ème siècle, les non propriétaires, quand le droit de vote n’était pas universel, pour les hommes non plus).
4. Si je suis homosexuel, je veux le droit de me marier. Ce droit n’est pas aujourd’hui reconnu : c’est un rapport de puissance qui le fera un jour « reconnaître » (ou non).
5. Quand je brûle une voiture en banlieue, je suis à la limite de la zone frontière où je commence à reprendre mon droit naturel (à la suite de pensées inadéquates, ou non, qui le sait ?)

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reconnaissance, droit naturel et droits sociaux

Messagepar Panache » 30 mai 2007, 00:44

Merci pour ton commentaire enegold et merci a sesho pour sa réponse
Quelques remarques

Senegold, tu écris
“La complémentarité des deux termes d’affirmation et de reconnaissance n’est pas symétrique : la reconnaissance suppose un objet à reconnaître, mais l’affirmation, qui peut être cet objet à reconnaître n’implique pas obligatoirement la reconnaissance.
L’affirmation peut être cet objet à reconnaître. Mais il y a aussi une reconnaissance à priori, du sujet (reconnaissance du nouveau-né, en tant que membre de l’humanité).”
Chez Honeth, de ce que j en ai compris, il y a une dialectique. La reconnaissance, c est en quelque sorte, le savoir formalisé, l état des connaissances et des perceptions. Le fait qu’il y ait un état donné des connaissances permet une affirmation supplémentaire. L’affirmation est en soi dans l absolu première ou en tout cas, paraît telle, mais dans la réalité concrête elle s’appuie toujours sur des reconnaissances antérieures. La reconnaissance de certains droits ou de certaines similitudes-différences entrainent l affirmation de nouveaux droits de nouvelles similitudes- différences.

Je n aime pas du tout ton idée de reconnaissance a priori. Le bébé s’affirme dans son vouloir vivre, il crie son exhistence à sa naissance. Les parents, souvent, affirment dans leurs actes leur désir d'enfant. Pas de reconnaissance a priori.

Partant, je ne comprends pas ce que peut vouloir dire reconnaissance d appartenance, "etre reconnu comme etre humain", si aucun droit n est associé à être humain.

Par contre j'apprécie la distinction que tu rappelles entre cadre de droit naturel et droits sociaux.

Supposons un chien étrange qui désire s’accoupler avec une chienne, pourrait on dire qu’il cherche a être reconnu comme chien ? Non car il n y a pas de droits sociaux associés à la catégorie chien ? (alors qu un esclave peut vouloir être reconnu comme humain dotés de droits liés à sa condition d homme)
Par le chien peut il vouloir etre reconnu comme partenaire sexuel potentiel ? Lutter pour etre reconnu comme tel.
Je dirais que oui. On pourrait dire aussi que certains insectes cherchent à être reconnus comme toxiques en adoptant des couleurs vives. On pourrait le dire si on leur suppose une démarche intentionnelle. C’est difficile dans le cas de la couleur des insectes. On peut probablement mieux l’envisager pour d autres comportement. Par exemple on pourrait dire que le bébé chimpanzé décrit par ce psychiatre éthologue dont le nom m échappe a chaque fois qui a développé le concept de résilience … Boris Cyrulnik, c est dans l intro de SOus le signe du lien, bref, que ce chimpanzé adopte toutes sortes de postures visant à faire en sorte de ne pas être reconnu par sa mère comme partenaire sexuel potentiel.
Chercher à être reconnu en ce sens, c’est uniquement chercher à rendre ses conduites intelligibles, à la fois en soi et de facon stratégique connaissant les catégories des autres.
Cela m amene a adopter cette définition générique de la reconnaissance, être reconnu par un autre, c'est amener l'autre a nous connaitre sous un certain rapport de la même manière que nous nous connaissons. Par exemple si je me considère comme partenaire sexuel potentiel, ou bien digne de conversation ou bien bon élève, je peux chercher a être reconnu comme tel par d'autre. Il n y a pas tromperie dans la mesure ou je suis sincere dans le fait que je me pense comme tel. Par contre cela n'empeche pas la stratégie. SI je pense par exemple que certains comportements sont nécessaires pour être reconnus comme partenaire sexuel potentiel, bon éleve ou digne de conversation (sur tel site spinoziste), je les adopte de façon stratégique. C est cette facon de batir mon action en rapport avec les catégories de pensée des autres, qui fait que je suis dans un rapport de recherche de reconnaissance et non dans une pure affirmation. (et ca vaudrait pour chercher a etre reconnu comme grand artiste, plutot que m affirmer comme tel)
Voila pour le droit naturel.

Maintenant concernant les droits sociaux, justement je disais que Frédéric Lordon batit toute une réflexion basée moins sur l éthique que sur le traité politique.
Il explique que la communauté politique se batit par le partage d affects et que des chefs peuvent capter a leur profit leur role de catalyseur de la puissance sociale de la multitude.
Et je disais dans le précédent post que lutter pour etre reconnu par un collectif, peut etre c est la meme chose, qu affirmer qu il existe un tel collectif qui me reconnait. Bref faire émerger un tel collectif.
Maintenant j aurait tendance a dire qu il y a un moment d affirmation d un tel collectif qui est affirmation d une puissance collective et un moment ou ce collectif étant institué, je cherche a etre reconnu en adoptant les comportements dont je sais qu ils feront que je serais reconnu comme ce que je suis (ou crois etre). Par exemple si je suis juive, homosexuel, femme, noire, travailleuse intellectuelle, j adopte les comportements qui me caractérisent comme telle si se souhaite etre reconnue comme telle.

tout ca pour dire qu il n y a aucun besoin de reconnaissance individuel OK, sauf comme soutien narcissique car nous avons nos limites, mais qu il y a un devoir d etre reconnu, au sens ou le fait d etre reconnu comme ce que nous sommes aide les autres a accéder à une puissance supérieure si vraiment nous avons une connaissance adéquate de nous memes.

sesoph écrivait
la reconnaissance des qualités par des esprits puissants a tous les atouts pour nous sortir de l'impuissance

inversement
La quete de reconnaissance des qualités par des esprits puissants a tous les atouts pour sortir les autres de l impuissance

NOn ?

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Re: reconnaissance, droit naturel et droits sociaux

Messagepar sescho » 30 mai 2007, 21:35

Panache a écrit :... j'aurais tendance a dire qu'il y a un moment d'affirmation d'un tel collectif qui est affirmation d'une puissance collective et un moment ou ce collectif étant institué, je cherche a être reconnu en adoptant les comportements dont je sais qu'ils feront que je serais reconnu comme ce que je suis (ou crois être). Par exemple si je suis juive, homosexuel, femme, noire, travailleuse intellectuelle, j adopte les comportements qui me caractérisent comme telle si se souhaite être reconnue comme telle.

tout ça pour dire qu il n y a aucun besoin de reconnaissance individuel OK, sauf comme soutien narcissique car nous avons nos limites, mais qu'il y a un devoir d'être reconnu, au sens ou le fait d'etre reconnu comme ce que nous sommes aide les autres a accéder à une puissance supérieure si vraiment nous avons une connaissance adéquate de nous-mêmes.

Vu comme cela, je ne vois pas d'objection: se faire connaître pour... pour quoi d'ailleurs ? Pour en tirer un profit correspondant à nos désirs : partenaire compatible, enrichissement personnel,...

Toutefois, dans la réalité, cette forme purement factuelle qui ne pose pas de problème est rare. La forme de loin la plus fréquente a un fondement narcissique et donc pose problème. Car se connaître bien au point de se présenter consciemment tel qu'on est n'est pas une mince affaire : c'est la sagesse, en fait... Et la sagesse cherche la compagnie des sages dans l'intimité (sauf peut-être pour les grands sages pour qui tout est égal ; mais ceux-là n'ont plus vraiment de désirs à satisfaire, et donc plus aucun souci de reconnaissance, quel que soit le sens qu'on y donne.) Et chercher à être reconnu en vérité par ceux qui jugent principalement selon leur complexion propre a a priori peu d'intérêt... E4P70 à E4P73.

Panache a écrit :sesoph écrivait

Pour "sophia" pas pour "sophiste" j'espère... ;-)

Panache a écrit :la reconnaissance des qualités par des esprits puissants a tous les atouts pour nous sortir de l'impuissance

inversement
La quête de reconnaissance des qualités par des esprits puissants a tous les atouts pour sortir les autres de l impuissance

Non ?

Oui (sous la réserve de rareté que j'ai souligné plus haut.) Je ne sais si c'est une généralité, mais les esprits puissants ont plaisir sain à communiquer leurs connaissances (adéquates puisque puissantes.)

Le sage, E4P37, a écrit :Le bien que désire pour lui-même tout homme qui pratique la vertu, il le désirera également pour les autres hommes, et avec d’autant plus de force qu’il aura une plus grande connaissance de Dieu.

C'est la Piété, l'Honnêteté, la Générosité (E3P59, E5P41) qui sont la compassion (mais pas la Pitié au sens retenu.)

Amicalement
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rectification

Messagepar Panache » 30 mai 2007, 23:45

Pardo Sescho d avoir écorché ton pseudo.
Sinon, il me semblait que j avais distingué dans mon post deux formes de reconnaissance. La premiere, conforme au droit naturel en qq sorte, est essentiellement stratégique et vise la satisfaction des désirs. On se conforme a la complexion des autres afin de satisfaire ses désirs.

La seconde, dans une logique de droits sociaux, est en deux temps.
Tout d abord il y a affirmation d un collectif qui fasse une place a ce que je suis.
Ensuite il y a au sein de ce collectif, recherche de reconnaissance dans les catégories érigées collectivement il est fort possible que cela s apparente a une captation du pouvoir de la multitude.


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