Vous avez dit « béatitude » ?

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
Pourquoipas
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Vous avez dit « béatitude » ?

Messagepar Pourquoipas » 01 mars 2006, 06:28

Bonjour à tous,

A titre informatif, et au cas où ça vous intéresserait, je vous donne ici toutes (sauf erreur) les occurrences de la racine beat- que j'ai trouvées dans l'Ethique : donc l'adjectif beatus, l'adverbe beate et la fameuse beatitudo. (Les non-latinistes s'y retrouveront facilement grâce aux références.)


Pars II

[Praefatio]
Transeo jam ad ea explicanda, quae ex Dei, sive Entis aeterni, et infiniti essentia necessario debuerunt sequi. Non quidem omnia ; infinita enim infinitis modis ex ipsa debere sequi prop. 16 part. 1 demonstravimus : sed ea solummodo, quae nos ad Mentis humanae, ejusque summae beatitudinis cognitionem, quasi manu, ducere possunt.

49 S (vers la fin)
[...] Haec ergo doctrina, praeterquam quòd animum omnimodè quietum reddit, hoc etiam habet, quòd nos docet, in quo nostra summa felicitas, sive beatitudo consistit, nempe in solâ Dei cognitione, ex quâ ad ea tantùm agenda inducimur, quae amor, et pietas suadent. [...]

Pars IV

21
Nemo potest cupere beatum esse, bene agere, et bene vivere, qui simul non cupiat, esse, agere, et vivere, hoc est, actu existere.

21 Dm
Hujus Propositionis Demonstratio, seu potiùs res ipsa per se patet, et etiam ex Cupiditatis definitione. Est enim Cupiditas (per 1. Aff. Def.) beatè, seu bene vivendi, agendi, etc. ipsa hominis essentia, hoc est (per Prop. 7 P. III), conatus, quo unusquisque suum esse conservare conatur. Ergo nemo potest cupere, etc. Q.E.D.

54 S
[...] Et reverâ, qui hisce affectibus sunt obnoxii, multò faciliùs, quàm alii, duci possunt, ut tandem ex ductu rationis vivant, hoc est, ut liberi sint, et beatorum vitâ fruantur.

Appendix – Caput IV
In vitâ itaque apprimè utile est, intellectum, seu rationem, quantùm possumus, perficere, et in hoc uno summa hominis felicitas, seu beatitudo consistit ; quippe beatitudo nihil aliud est, quàm ipsa animi acquiescentia, quae ex Dei intuitivâ cognitione oritur : at intellectum perficere nihil etiam aliud est, quàm Deum, Deique attributa, et actiones, quae ex ipsius naturae necessitate consequuntur, intelligere. [...]

Pars V

Praefatio (tout début et toute fin)
Transeo tandem ad alteram Ethices Partem, quae est de modo, sive viâ, quae ad Libertatem ducit. In hâc ergo de potentiâ rationis agam, ostendens, quid ipsa ratio in affectûs possit, et deinde, quid Mentis Libertas seu beatitudo sit, ex quibus videbimus, quantùm sapiens potior sit ignaro. [...] Igitur quia Mentis potentia, ut suprà ostendi, solâ intelligentiâ definitur, affectuum remedia, quae omnes experiri quidem, sed non accuratè observare, nec distinctè videre credo, solâ Mentis cognitione determinabimus, et ex eâdem illa omnia, quae ad ipsius beatitudinem spectant, deducemus.

31 S
Quò igitur unusquisque hoc cognitionis genere plùs pollet, eò melius sui, et Dei conscius est, hoc est, eò est perfectior, et beatior, quod adhuc clariùs ex seqq. patebit. [...]

33 S
[...] Quòd si Laetitia in transitione ad majorem perfectionem consistit, beatitudo sanè in eo consistere debet, quòd Mens ipsâ perfectione sit praedita.

36 S
Ex his clarè intelligimus, quâ in re nostra salus, seu beatitudo, seu Libertas consistit, nempe in constanti, et aeterno erga Deum Amore, sive in Amore Dei erga homines. Atque hic Amor, seu beatitudo in Sacris codicibus Gloria appellatur, nec immeritò. Nam sive hic Amor ad Deum referatur, sive ad Mentem, recte animi acquiescentia, quae reverâ à Gloriâ (per 25 et 30 Aff. Defin.) non distinguitur, appellari potest. [...]

42
Beatitudo non est virtutis praemium, sed ipsa virtus ; nec eâdem gaudemus, quia libidines coërcemus ; sed contrà quia eâdem gaudemus, ideo libidines coërcere possumus.

42 Dm
Beatitudo in Amore erga Deum constitit (per Prop. 36 hujus et ejus Schol.), qui quidem Amor ex tertio cognitionis genere oritur (per Coroll. Prop. 32 hujus), atque adeò hic Amor (per Prop. 59 et 3 P. III) ad Mentem, quatenus agit, referrit debet ; ac proinde (per Df 8 P. IV) ipsa virtus est, quod erat primum. Deinde quò Mens hoc Amore divino, seu beatitudine magis gaudet, eò plus intelligit (per prop. 32 hujus), hoc est (per Coroll. p. 3 hujus), eò majorem in affectùs habet potentiam, et (per Prop. 38 hujus) eò minùs ab affectibus, qui mali sunt, patitur ; atque adeò ex eo, quòd Mens hoc Amore divino, seu beatitudine gaudet, potestatem habet libidines coërcendi ; et quia humana potentia ad coërcendos affectûs in solo intellectu consistit, ergo nemo beatitudine gaudet, quia affectûs coërcuit ; sed contrà potestas libidines coërcendi ex ipsâ beatitudine oritur. Q.E.D.


Portez-vous bien.

JF
Dieu modifié en quelques milliers de SS a massacré Dieu modifié en quelques millions de Juifs et autres à l'aide de Dieu modifié notamment en Zyklon B, en Dieu modifié en baraquements d'extermination.

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Messagepar bardamu » 09 mars 2006, 18:23

A propos de béatitude, il y a ICI, dans la deuxième partie de l'article, une critique de "La mystique sauvage" par Michel Hulin.
L'auteur recense des textes montrant une "extase laïque", qu'il rapproche du "sentiment océanique" face auquel Freud fut bien embêté (il en parle dans Malaise dans la civilisation).
Tout ceci ne me semble pas loin de Spinoza.
Extrait d'une citation du livre extrait de l'article :
un intellectuel américain dans les années 50 ? a écrit :Soudain, chaque objet dans mon champ de vision se mit à assumer une forme d’existence d’une curieuse intensité. En fait, toutes choses se présentaient munies d’un «dedans», semblaient exister sur le même mode que moi-même, avec une intériorité propre, une sorte de vie individuelle. Et, vues sous cet aspect, elles paraissaient toutes extraordinairement belles. Il y avait là, dans la cour, un chat, qui, la tête levée, suivait nonchalamment le vol d’une guêpe qui se mouvait, sans vraiment se mouvoir, juste au-dessus de lui. Une même tension vitale animait le chat, la guêpe, les bouteilles cassées… toutes choses rougeoyaient d’un éclat qui émanait de l’intérieur d’elles-mêmes.

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Messagepar Pourquoipas » 10 mars 2006, 08:19

Bonjour

Le texte que tu cites m'en rappelle un autre, de Dostoïevski, mais je ne suis pas certain du tout qu'il s'agisse de la « béatitude » au sens de Spinoza. Car, chez lui, il ne s'agit quand même pas de sentiment, d'impression, d'état d'âme, mais de connaissance, intuitive soit, mais connaissance quand même. Voir ce qu'il dit dans le chap. IV de l'Appendice de Ethique IV : « C’est pourquoi dans la vie, il est avant tout utile de perfectionner l’entendement, ou raison, autant que nous pouvons, et en cela seul consiste le plus haut bonheur, ou béatitude, humaine ; car la béatitude n’est rien d’autre que la satisfaction même de l’esprit (animi acquiescentia), satisfaction qui naît de la connaissance intuitive de Dieu : or perfectionner l’entendement n’est rien d’autre que comprendre Dieu et les attributs de Dieu, et les actions qui sont conséquences nécessaires de la nécessité de sa nature. [...] »
Mais, comme toujours, cela demande encore et toujours plus ample réflexion.

Dostoïevski a écrit :— Vous aimez les enfants ?
— Oui, répondit Kirillov, avec, du reste, une certaine indifférence.
— Donc, la vie aussi, vous l'aimez ?
— Oui, la vie aussi, je l'aime, pourquoi ?
— Si vous avez décidé de vous suicider.
— Et alors ? Pourquoi sur le même plan ? La vie, c'est une chose ; ça, autre chose. La vie, elle existe, la mort – pas du tout.
— Vous avez commencé à croire à la vie éternelle dans l'avenir ?
— Non, pas dans l'avenir, la vie éternellement dans le présent. Il y a des minutes, vous touchez des minutes, et, le temps, d'un seul coup, il s'arrête, et il existe dans l'éternité.
— Vous espérez en arriver à une minute de ce genre ?
— Oui.
— Dans notre temps à nous, je doute que ce soit possible, répliqua, là aussi, sans la moindre ironie, Nikolaï Vsévolodovitch, d'une voix lente et comme pensive. Dans l'Apocalypse, l'ange jure que le temps n'existera plus.
— Je sais. C'est très juste, ce qu'il y a dedans ; très clair, très précis. Quand l'homme tout entier aura atteint le bonheur, alors, le temps n'existera plus – parce que ce ne sera plus la peine. Une idée très juste.
— Et où pourra-t-on le fourrer, le temps ?
— Nulle part. Le temps, ce n'est pas un objet, c'est une idée. Il s'éteindra dans l'esprit.
— Vos lieux communs philosophiques, les mêmes depuis le début des siècles, marmonna Stavroguine avec une sorte de regret dédaigneux.
— Les mêmes, toujours ! Les mêmes, depuis le début des siècles, et jamais aucun autre, jamais ! reprit Kirillov, les yeux luisants, comme si cette idée contenait presque en elle-même sa victoire.
— Vous êtes très heureux, semble-t-il, Kirillov ?
— Oui, très heureux, répondit celui-ci, comme s'il donnait là encore une réponse des plus banales.
— Mais récemment, vous étiez si affecté, vous en vouliez à Lipoutine ?
— Hum... maintenant, je ne dis plus rien. Je ne savais pas encore, à ce moment-là, que j'étais heureux. Vous avez vu une feuille – sur un arbre, une feuille ?
— Oui.
— J'en ai vu une, l'autre jour, une jaune, encore un peu de vert, un peu moisie déjà, sur les bords. Le vent qui la portait. J'avais dix ans, l'hiver, exprès, je fermais les yeux et je m'imaginais une feuille – verte, brillante, avec ses nervures, et le soleil qui brille. J'ouvrais les yeux, je n'y croyais pas, parce que c'était très bien, et je les refermais.
— Qu'est-ce que c'est ? une allégorie ?
— Non... pourquoi ? Pas une allégorie, non, je dis une feuille, tout simplement, juste une feuille. Une feuille, c'est bien. Tout est bien.
— Tout ?
— Tout. L'homme est malheureux parce qu'il ne sait pas qu'il est heureux. Ça, c'est tout, tout ! Celui qui réussit à le savoir, il devient heureux, tout de suite, à l'instant même. Cette bru, elle va mourir, la petite fille reste – c'est bien. J'ai trouvé, d'un coup.
— Et celui qui meurt de faim, et celui qui l'humilie, qui la viole, la petite fille, c'est bien ?
— C'est bien. Celui qui fend le crâne pour la petite fille, ça aussi, c'est bien ; et celui qui ne le fend pas, c'est bien, pareil. Tout est bien, tout. Tous ceux qui savent que tout est bien, tous, ils sont bien. S'ils le savaient, qu'ils sont bien, ils seraient bien, mais tant qu'ils ne savent pas qu'ils sont bien, ils ne sont pas bien. Voilà toute l'idée, toute, il n'y en a pas d'autre !
— Mais comment avez-vous su que vous êtes si heureux ?
— La semaine dernière, mardi, non, mercredi, parce que c'était déjà mercredi, la nuit.
— Et à quelle occasion ?
— Je ne me rappelle pas, comme ça ; je marchais dans la chambre... peu importe. J'ai arrêté ma montre, il était deux heures trente-sept.
— Comme un emblème de ce que le temps doit s'arrêter ?
Kirillov garda le silence.
— Ils ne sont pas bien, reprit-il brusquement, parce qu'ils ne savent pas qu'ils sont bien. Une fois qu'ils l'auront su, ils ne violeront plus la petite fille. Il faut qu'ils le sachent, qu'ils sont bien, et ils deviendront bien tout de suite, du premier au dernier.
— Vous, donc, alors, vous savez que vous êtes bien ?
— Je suis bien.
— Ça, d'ailleurs, je suis d'accord, marmonna Stavroguine, fronçant le sourcil.
— Celui qui saura enseigner que tout le monde est bien, celui-là, il terminera le monde.
— Celui qui a enseigné s’est fait crucifier.
— Il viendra, son nom est l’homme-dieu.
— Le dieu-homme ?
— L’homme-dieu, c’est ça, la différence.

(Dialogue entre Kirillov et Stavroguine, dans Les Démons, de Dostoïevski,
trad. André Markowicz, Actes Sud, Babel, 1995, t. 2, p. 54-57.)


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