mimétisme et égoïsme

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Messagepar sescho » 21 mai 2006, 10:35

Je reviens sur le sujet de départ, qui m'intéresse beaucoup.

Joske a écrit :Pourriez-vous me dire ce qui fait que de lire des personnes que l'on juge intelligentes crée de la joie et non pas de la rivalité et de la tristesse? Est-ce le mimétisme qui agirait positivement ou négativement selon les circonstances? Est-ce une question d'objet, la raison d'un côté et un objet non partageable de l'autre? En résumé, j'aimerais savoir ce qui chez Spinoza fait que l'égoïsme crée du lien social harmonique ou concurrentiel?

D'abord je crois qu'il faut bien préciser ce qu'on entend par "égoïsme" : le "bas" ou le "haut". Le "bas", qui est l'acception commune, signifie "être sans égard pour le bien des autres" (il y a pire : rechercher le malheur des autres.) Le "haut" ("égoïsme conséquent" de Paul Diel) traduit une loi de la Nature qui est qu'aucune action n'est faite que dans le but du bien propre (qui définit aussi l’utile.)

La distinction entre les deux apparaît là clairement liée à une question : l'intégration du bien des autres, la bonté, fait-elle partie de l'utile propre ?

La réponse est selon moi clairement "oui." Un débat sur ce sujet a eu lieu ici. (Sur la transposition aux systèmes politiques actuels, des contributions peuvent être consultées et .)

Il me semble clair que pour Spinoza, la bonté est tout simplement incluse dans la vertu (et donc n’est pas seulement le résultat d’un calcul d’intérêt bien compris.) Par conséquent, le « bas » égoïsme n’est dû qu’aux passions. Au contraire, il est beau et bon de communier en vertu, qui est un bien commun. Il y a certainement une grosse différence de nature entre la vertu, intérieure et commune, et des objets extérieurs et non naturellement communs ; toutefois, le seul bien propre est la première, et elle impose naturellement le partage des seconds. Quant à l’état de nature, il est fait de beaucoup de passions et l’état social comprend donc en proportion des dispositions destinées à en contenir les mauvais effets.

Spinoza, Ethique IV, traduit par E. Saisset, a écrit :P24 : Agir absolument par vertu, ce n’est autre chose que suivre la raison dans nos actions, dans notre vie, dans la conservation de notre être (trois choses qui n’en font qu’une), et tout cela d’après la règle de l’intérêt propre de chacun.

P25 : Personne ne s’efforce de conserver son être à cause d’une autre chose que soi-même.

P26 : Nous ne tendons par la raison à rien autre chose qu’à comprendre, et l’âme, en tant qu’elle se sert de la raison, ne juge utile pour elle que ce qui la conduit à comprendre.

P27 : Rien ne nous est connu comme certainement bon ou mauvais que ce qui nous conduit à comprendre véritablement les choses, ou ce qui peut nous en éloigner.

P28 : Le bien suprême de l’âme, c’est la connaissance de Dieu ; et la suprême vertu de l’âme, c’est de connaître Dieu.

P29 : Toute chose particulière dont la nature est entièrement différente de la nôtre ne peut ni favoriser ni empêcher notre puissance d’agir, et il est absolument impossible qu’une chose nous soit bonne ou mauvaise si elle n’a avec nous rien de commun.

P30 : Aucune chose ne peut nous être mauvaise par ce qu’elle a de commun avec notre nature ; mais en tant qu’elle nous est mauvaise, elle est contraire à notre nature.

P31 : En tant qu’une chose a de la conformité avec notre nature, elle nous est nécessairement bonne.

P32 : En tant que les hommes sont soumis aux passions, on ne peut dire qu’il y ait entre eux conformité de nature.

P33 : Les hommes peuvent différer de nature, en tant qu’ils sont livrés au conflit des affections passives, et sous ce point de vue, un seul et même homme varie et diffère de soi-même.

P34 : Les hommes, en tant qu’ils sont livrés au conflit des affections passives, peuvent être contraires les uns aux autres.

P35 : Les hommes ne sont constamment et nécessairement en conformité de nature qu’en tant qu’ils vivent selon les conseils de la raison.

Corollaire I : Rien dans la nature des choses n’est plus utile à l’homme que l’homme lui-même, quand il vit selon la raison. Car ce qu’il y a de plus utile pour l’homme, c’est ce qui s’accorde le mieux avec sa nature (par le Coroll. de la Propos. 31, part. 4), c’est à savoir, l’homme (cela est évident de soi). Or, l’homme agit absolument selon les lois de sa nature quand il vit suivant la raison (par la Déf. 2, part. 3), et à cette condition seulement la nature de chaque homme s’accorde toujours nécessairement avec celle d’un autre homme (par la Propos. précéd.). Donc rien n’est plus utile à l’homme entre toutes choses que l’homme lui-même, etc. C. Q. F. D.

Corollaire II : Plus chaque homme cherche ce qui lui est utile, plus les hommes sont réciproquement utiles les uns aux autres. Plus, en effet, chaque homme cherche ce qui lui est utile et s’efforce de se conserver, plus il a de vertu (par la Propos. 20, part. 4), ou, ce qui est la même chose (par la Déf. 8, part. 4), plus il a de puissance pour agir selon les lois de sa nature, c’est-à-dire (par la Propos. 3, part. 3) suivant les lois de sa raison. Or les hommes ont la plus grande conformité de nature quand ils vivent suivant la raison (par la Propos. précéd.). Donc (par le précéd. Coroll.) les hommes sont d’autant plus utiles les uns aux autres que chacun cherche davantage ce qui lui est utile. C. Q. F. D.

P37 : Le bien suprême de ceux qui pratiquent la vertu leur est commun à tous, et ainsi tous en peuvent également jouir.

P38 : Le bien que désire pour lui-même tout homme qui pratique la vertu, il le désirera également pour les autres hommes, et avec d’autant plus de force qu’il aura une plus grande connaissance de Dieu.

Scholie I : Celui qui fait effort, uniquement par passion, pour que les autres aiment ce qu’il aime et pour qu’ils vivent à son gré, celui-là, n’agissant de la sorte que sous l’empire d’une aveugle impulsion, devient odieux à tout le monde, surtout à ceux qui ont d’autres goûts que les siens et s’efforcent en conséquence à leur tour de les faire partager aux autres. De plus, comme le bien suprême que la passion fait désirer aux hommes est souvent de nature à ne pouvoir être possédé que par un seul, il en résulte que les amants ne sont pas toujours d’accord avec eux-mêmes, et, tout en prenant plaisir à célébrer les louanges de l’objet aimés craignent de persuader ceux qui les écoutent. Au contraire, ceux qui s’efforcent de conduire les autres par la raison n’agissent point avec impétuosité, mais avec douceur et bienveillance, et ceux-là sont toujours d’accord avec eux-mêmes.
Tout désir, toute action dont nous sommes nous-mêmes la cause en tant que nous avons l’idée de Dieu, je les rapporte à la religion. J’appelle piété le désir de faire du bien dans une âme que la raison conduit. Le désir de s’unir aux autres par les liens de l’amitié, quand il possède une âme qui se gouverne par la raison, je le nomme honnêteté, et l’honnête est pour moi ce qui est l’objet des louanges des hommes que la raison gouverne, comme le déshonnête est ce qui est contraire à la formation de l’amitié. J’ai expliqué en outre quels sont les fondements de l’Etat, et il est aisé aussi de déduire de ce qui précède la différence qui sépare la vertu véritable de l’impuissance. La vertu véritable n’est autre chose, en effet, qu’une vie réglée par la raison ; et par conséquent l’impuissance consiste en ce seul point que l’homme se laisse gouverner par les objets du dehors et déterminer par eux à des actions qui sont en harmonie avec la constitution commune des choses extérieures, mais non avec sa propre nature, considérée en elle-même…

Scholie II : ...Tout homme existe par le droit suprême de la nature, et en conséquence, tout homme accomplit par ce même droit les actions qui résultent de la nécessité de sa nature ; d’où il suit que tout homme, toujours en vertu du même droit, juge de ce qui est bon et mauvais et veille à son intérêt particulier, suivant sa constitution particulière (voy. les Propos. 19 et 20, part. 4), se venge du mal qu’on lui fait (voy. le Coroll. 2 de la Propos. 40, part. 3), s’efforce enfin de conserver ce qu’il aime et de détruire ce qu’il hait (voy. Propos. 28, part. 3). Si les hommes réglaient leur vie selon la raison, chacun serait en possession de ce droit sans dommage pour autrui (par le Coroll. 1 de la Propos. 35, part. 4) ; mais comme ils sont livrés aux passions (par le Coroll. de la Propos. 4, part. 4), lesquelles surpassent de beaucoup la puissance ou la vertu de l’homme (par la Propos. 6, part. 4), ils sont poussés en des directions diverses (par la Propos. 33, part. 4) et même contraires (par la Propos. 34, part. 4), tandis qu’ils auraient besoin de se prêter un mutuel secours (par le Schol. de la Propos. 35, part. 4). Afin donc que les hommes puissent vivre en paix et se secourir les uns les autres, il est nécessaire qu’ils cèdent quelque chose de leur droit naturel, et s’engagent mutuellement, pour leur commune sécurité, à ne rien faire qui puisse tourner au détriment d’autrui. Or, comment pourra-t-il arriver que les hommes, qui sont nécessairement sujets aux passions (par le Coroll. de la Propos. 4, part. 4), et par suite inconstants et variables (par la Propos. 33, part. 4), puissent s’inspirer une mutuelle sécurité, une confiance mutuelles ? ... La société pourra donc s’établir à cette condition qu’elle disposera du droit primitif de chacun de venger ses injures et de juger de ce qui est bien et de ce qui est mal, et qu’elle aura aussi le pouvoir de prescrire une manière commune de vivre, et de faire des lois, en leur donnant pour sanction, non pas la raison, qui est incapable de contenir les appétits (par le Schol. de la Propos. 17, part. 4), mais la menace d’un châtiment. Cette société, fondée sur les lois et sur le pouvoir qu’elle a de se conserver, c’est l’Etat ; et ceux qu’elle couvre de la protection de son droit, ce sont les citoyens. Nous voyons clairement par ces principes que dans l’état de nature il n’y a rien qui soit bon ou mauvais par le consentement universel, puisqu’alors chacun ne songe qu’à son utilité propre, et suivant qu’il a telle constitution et telle idée de son intérêt particulier, décide de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, et n’est tenu d’obéir à nul autre qu’à soi-même ; de telle sorte que, dans l’état de nature, il est impossible de concevoir le péché. Mais il en va tout autrement dans l’état de société, où le consentement universel a déterminé ce qui est bien et ce qui est mal, et où chacun est tenu d’obéir à l’Etat. ...
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Messagepar Joske » 24 mai 2006, 14:15

sescho: Merci pour cette réponse et les liens que tu me fournis.

Par égoïsme, j'entendais l'utile propre.

Cette intégration de l'utile commun à l'utile propre ne me semble pas aussi claire que cela. Dans un passage d'une discussion dont tu me donnes les liens, tu assimiles un acte "mauvais", qui causerait du tort à un autre, à une erreur, un mauvais calcul. Mais cela ne me semble pas aussi évident. Ne peut-on imaginer une situation où l'utile propre rentre irrémédiablement en conflit avec l'utile commun? Cela me paraît possible. Ex: je suis atteint d'un virus qui peut détruire une bonne partie de l'humanité mais qui n'est pas actif chez moi grâce à une particularité rare de mon organisme, dois-je accepter de mourir (voire de me faire disséquer) pour sauver de nombreux humains de la contagion?
Je crois qu'ici nous ne sommes plus dans un conflit passionnel. Je veux perséverer dans mon être, ce qui est tout à fait rationnel et il est de même rationnel pour la communauté de chercher à me supprimer car je suis un danger pour elle. Il y a là un conflit entre une puissance individuelle et la puissance de la société, sans que l'une ou l'autre ne cherche par méchanceté à se nuire.
Le (néo)libéralisme utilise la même logique du bien commun pour justifier des sacrifices individuels. Par exemple, la délocalisation d'une usine est justifiée, même si la vie de nombreuses personnes est pour ainsi dire sacrifiée, parce que pour la société il est plus utile de faire porter ses forces sur un autre secteur plus profitable.
J'ai récemment lu, superficiellement, le traité politique de Spinoza et j'en ai gardé comme l'impression que dans ces cas, la raison d'état justifiait le sacrifice individuel.

Mes questions sont donc:
1) l'utile propre et l'utile commun sont-ils toujours réellement en symbiose? Comment cela est-il démontré? Quelle est l'erreur dans mes exemples?
2) dans le cas qu'ils soient parfois en conflit, lequel est prépondérant chez Spinoza? Ici, je crois qu'il dirait que l'individu a raison de chercher à se défendre, la société raison de chercher son intérêt au détriment de cet individu et que le meilleur gagne...

PS: Ceci ne concerne pas ma question de départ, à laquelle j'ai eu réponse par miam. Il est évident que dans la plupart des cas, le bien commun fait partie de l'utile propre, ce qui suffit à expliquer la vie en commun. Je m'attarde ici à des cas limites.

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Messagepar sescho » 25 mai 2006, 09:33

Joske a écrit :1) l'utile propre et l'utile commun sont-ils toujours réellement en symbiose? Comment cela est-il démontré? Quelle est l'erreur dans mes exemples?
2) dans le cas qu'ils soient parfois en conflit, lequel est prépondérant chez Spinoza? Ici, je crois qu'il dirait que l'individu a raison de chercher à se défendre, la société raison de chercher son intérêt au détriment de cet individu et que le meilleur gagne...

PS: Ceci ne concerne pas ma question de départ, à laquelle j'ai eu réponse par miam. Il est évident que dans la plupart des cas, le bien commun fait partie de l'utile propre, ce qui suffit à expliquer la vie en commun. Je m'attarde ici à des cas limites.

Oui, bien sûr, des individus sont capables de choisir la mort, certaine ou très probable, pour sauver des inconnus. Socrate a bu la ciguë alors qu’il pouvait fuir pour ne pas dévaluer la force de la Loi et donc de l’État. Caton, Sénèque, aussi, ont « choisi » (compte tenu du contexte) la mort ; dans des circonstances différentes, certes, mais ils n’auraient pas hésité dans l’exemple. Spinoza non plus, je pense. On peut trouver je crois pas mal d’autres cas dans l’histoire, y compris récente. Moi-même, je pense que dans le cas cité j’envisagerais sérieusement la chose.

Mais Socrate, Caton, Sénèque, Spinoza étaient des sages. Le libéralisme, dans mon esprit, et encore plus en action, n’a pas grand chose à voir là-dedans... Entre la béatitude du sage, le bien suprême de l’être réalisé et une orientation économique qui, lorsqu’elle est véritablement pensée, entre comme partie de la philosophie politique, il y a comme un espace... S’il n’y avait que des sages, le système politique serait à la fois 100% libéral et 100% social. Si… mais nous en sommes très très loin, et de fait c’est impossible.

Spinoza a très clairement distingué son Ethique (une voie vers la béatitude) et sa Politique, et il l’a fait on ne peut plus simplement et clairement, en introduction du TTP et du TP, et aussi succinctement à la fin des extraits que j’ai reproduits plus haut. Dans le cadre politique, certes des traitements sont prévus pour les délinquants, et l’élimination physique en fait parfois partie. Elle peut aussi avoir été jugée nécessaire dans des cas extrêmes, comme par exemple pour des individus essayant de s’échapper d’une zone de quarantaine (décrétée) en période d’épidémie gravissime.

Quoiqu’il en soit, tout système existant se justifie par son existence même comme émanation des lois de la Nature, quelles qu’elles soient ; il n’y a donc pas à se poser la question s’il est ou non fondé dans la Nature : il l’est nécessairement. Si c’est cela que l’on cherche, le débat est clos.

Donc la question peut être : bénéficie-t-il d’une justification éthique (qui se réfère à un état idéal) ? Car si un système réel est bien loin de l’état de béatitude généralisé, la question éthique reste néanmoins en suspens. De quelle manière un système politique, qui gère beaucoup de passions, peut-il être éthiquement, autant que possible, supérieur ? (En particulier en étant basé sur la démocratie, et donc lui-même appuyé sur beaucoup de passions.)

Vous dites avoir compris comment l’utile commun faisait partie, souvent, de l’utile propre. Bien. Toutefois ce « dans la plupart des cas » laisse plus que s’interroger sur la perception que vous avez de l’utile propre supérieur et ce que vous en dites laisse place à toutes les interprétations. Ce pourrait être que la division des tâches garnit mieux le portefeuille moyen et qu’il est quand même bien utile de ne pas risquer de ce faire trucider à tous les coins de rue comme de trouver de l’aide lorsqu’on a un gros truc à porter.

Compte tenu de ce très grand écart, que je ne me vois pas assumer, je vais donc vous poser à mon tour une question : de quoi voulez-vous parler (dans l’optique de Spinoza), de l’utile propre supérieur, très très rarement réalisé en pratique, qui est la béatitude et qui est l’objet de l’Éthique ? Ou de la « meilleure gestion » de l’utile propre tel que vu par le commun, largement imaginaire et donc passionnel, qui inclut le libéralisme et qui est l’objet du Traité Politique ?


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Messagepar hokousai » 25 mai 2006, 14:06

à Sescho

""""""""Oui, bien sûr, des individus sont capables de choisir la mort, certaine ou très probable, pour sauver des inconnus."""""""

Vous précisez « des inconnus » , le marché est donc comptable ( numérique ). Si vous posez cela en terme d’ échange la rationalité demande d’ être certain que la survie(de l’individu ) ne permettrait pas d'en sauver encore plus .


Mais il me semble bien que ce genre d’échange (avec risque !) concerne des gens connus ( dans le cas de Socrate : la loi donc l’ordre social ).
Cela dit et dans ce cadre là persiste l’ obligation d être certain que la mort de soi- même sera d’un bienfait supérieur à ce que produirait notre survie ( pour des gens connus ) .

Que peut on exiger en échange d’une vie (et de la notre en l ‘occurrence ) sinon une autre vie ou plusieurs autres ?
Celui qui accepte de mourir doit avoir la certitude que l ‘autre ( ou d’ autres connus ) perdront la vie si ce n’est pas lui qui la perd .Il faut que les termes de l’ échange soient absolument clairs .

Dans ce cas de clarté des termes de l’échange , il n’est pas évident que la balance penche du côté du sacrifice de soi .


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Messagepar sescho » 26 mai 2006, 11:48

À Hokousai

Je suis bien d'accord que dans le détail beaucoup de choses sont discutables. Socrate a peut-être effectivement eu plutôt en vue de maintenir la pureté de ses actes en accord avec ses principes de sagesse, et aussi être soutenu par la conviction de l'immortalité de l'âme, par exemple. Par ailleurs, dans un cas "limite" on peut encore trouver des conditions "limites" dans lesquelles la décision devient encore plus difficile, car hésitante (par exemple, en cas d'épidémie grave, il vaut mieux conserver les porteurs sains, ou la zone de quarantaine passe devant chez moi et je sais qu'elle a été taillée "large.") Si j'ai dit "des inconnus", c'est pour m'écarter du simple cercle familial (qui a pu motiver Sénèque, comme certainement, pour sortir quelque peu des philosophes, E. Rommel.) Il me semble évident qu'on ne fait rien pour ce qui est totalement inconnu, et que par ailleurs se supprimer sur une appréciation floue des choses n'est pas une preuve de sagesse. Mais le cercle familial est déjà une illustration suffisante que l'utile propre supérieur ne se résume pas à la conservation personnelle, au portefeuille et à l'activité sexuelle.

On peut aussi arguer avec quelque raison que le nombre n'est pas un critère en soi s'agissant d'une espèce qui n'est pas en voie de disparition et d'une nature humaine qui est éternelle, indépendamment du nombre de ses modes en acte. La somme de souffrance, dans la mesure où celle-ci apparaît avérée, est sans doute un critère plus fort.

Mais bon, finalement, il n’est pas forcément bien utile de se placer dans des cas « limites » pour des esprits emprunts de sagesse. De toute façon, d’une part, il s’agit dans tous les cas d’agir selon la volonté de sa conscience (claire), pas contre elle ; d’autre part, ceci ne justifie en rien éthiquement les comportements « standards, » qui n’ont rien de « limites. »

La seule question est « qu’est-ce que l’utile propre supérieur ? » et en particulier, dans le cadre de ce fil : « l’utile propre supérieur inclue-t-il l’utile d’autrui supérieur ? » Spinoza selon moi y répond on ne peut plus clairement ; il n’y a pas de différence entre soi et autrui dans l’éternité de la conscience claire.

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Messagepar Joske » 29 mai 2006, 13:57

sescho: si je comprends bien ce que vous dites, Spinoza serait utilitariste? Ex: si la souffrance que je subis fait augmenter le bien-être de tous les autres et qu'au total il y a augmentation de bien-être, alors ma souffrance est justifiée. Autre ex: il vaut mieux que Socrate meure pour que la loi de la cité soit sauvegardée et tout le monde s'en portera mieux (sauf Socrate, mais comme il est sage, il accepte bien volontiers).
Et un utilitariste qui ne serait pas individualiste (pas de droits naturels de l'individu)?

Ce pourrait être que la division des tâches garnit mieux le portefeuille moyen et qu’il est quand même bien utile de ne pas risquer de ce faire trucider à tous les coins de rue comme de trouver de l’aide lorsqu’on a un gros truc à porter.


C'est ainsi que je l'avais compris et aussi que nous partageons les idées vraies, c'est-à-dire la raison. Autrement dit, que le suprême bien est commun à tous et qu'il n'est pas exclusif. Mais comme au niveau des passions nos intérêts divergent souvent, la question politique se pose. J'ai l'impression, mais peut-être suis-je dans l'erreur, que cette question se confond avec celle de savoir comment amener le vulgaire vers les idées vraies (en passant par l'utile commun).

de quoi voulez-vous parler (dans l’optique de Spinoza), de l’utile propre supérieur, très très rarement réalisé en pratique, qui est la béatitude et qui est l’objet de l’Éthique ? Ou de la « meilleure gestion » de l’utile propre tel que vu par le commun, largement imaginaire et donc passionnel, qui inclut le libéralisme et qui est l’objet du Traité Politique ?


Mes questions portent sur l'utile propre passionnel et de sa meilleure gestion en société, c'est-à-dire la politique.

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Messagepar sescho » 01 juin 2006, 21:59

Joske a écrit :sescho: si je comprends bien ce que vous dites, Spinoza serait utilitariste? ...
Et un utilitariste qui ne serait pas individualiste (pas de droits naturels de l'individu)?

Le problème est le sens que l'on met derrière les mots ; "égoïsme", "utilitarisme" ont déjà une conotation plus ou moins péjorative dans le monde commun. On ne peut les transposer dans le "monde des sages" sans ajouter à toute fin utile quelques précisions ; au moins "supérieur"... Le bonheur (supérieur) est le moteur et la fin, et définit aussi l'utile (même si ce terme est en langage courant plutôt associé à un moyen) ; seule est vraiment solidaire la "communauté des sages" et, dans son cadre, il n'y a plus vraiment de "moi" et d'"autre" ; il y a l'éternité de l'esprit sain.

Joske a écrit :... le suprême bien est commun à tous et qu'il n'est pas exclusif. Mais comme au niveau des passions nos intérêts divergent souvent, la question politique se pose. J'ai l'impression, mais peut-être suis-je dans l'erreur, que cette question se confond avec celle de savoir comment amener le vulgaire vers les idées vraies (en passant par l'utile commun).

Il me semble que Spinoza n'a pas du tout cette prétention. Il propose d'une part une voie éthique personnelle, basée sur la Raison, aux esprits curieux, sans souhaiter une diffusion large (en particulier en langue vulgaire) et sans savoir qui sera effectivement capable de la suivre. Sa Politique prévoit par ailleurs une gestion pragmatique des mouvements passionnels, en leur concédant ce qui nuit peu à l'intérêt collectif, en organisant le contrôle des uns par les autres et réciproquement, évitant ainsi les abus de position, etc. Mais oui, je pense qu'un bon politique est capable d'amener de fait (ce qui suppose en même temps pas mal de concessions aux passions) un progrès général significatif vers le bien réel. Et j'ajouterais même que c'est l'art propre au bon politique et qu'il y trouve là une réelle grandeur, quoique différente en nature de celle du sage philosophe.

Joske a écrit :Mes questions portent sur l'utile propre passionnel et de sa meilleure gestion en société, c'est-à-dire la politique.

L'"utile propre passionnel" est un faux utile et une vraie charge. Je crains de ne pas être le meilleur interlocuteur dans le cadre de sa gestion en société...

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