mimétisme et égoïsme

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Joske
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mimétisme et égoïsme

Messagepar Joske » 09 mai 2006, 14:53

Bonjour à tous,

je suis un nouvel inscrit et je voudrais en premier lieu féliciter le(s) créateur(s) de ce site véritablement formidable. A la lecture de quelques interventions de grande qualité de ce forum, je n'ai pu me retenir de ressentir ce qui doit être de la joie intellectuelle. :)

Précisément, le sujet qui m'occupe a un lien avec cela. Pourriez-vous me dire ce qui fait que de lire des personnes que l'on juge intelligentes crée de la joie et non pas de la rivalité et de la tristesse? Est-ce le mimétisme qui agirait positivement ou négativement selon les circonstances? Est-ce une question d'objet, la raison d'un côté et un objet non partageable de l'autre? En résumé, j'aimerais savoir ce qui chez Spinoza fait que l'égoïsme crée du lien social harmonique ou concurrentiel?

Peut-être que ce sujet est déjà amplement traité ailleurs sur ce site, aussi un lien me suffirait déjà amplement. :)

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Messagepar Miam » 09 mai 2006, 15:39

L'accent que tu fais porter à la notion de "mimétisme" me fait supposer que tu t'inscris dans la tradition de la lecture de Matheron (via ou non ses épigones explicites ou non). Cependant la lecture de Matheron confond le semblable et le commun, l'homme imaginé (le semblable) et l'homme de la communauté (des notions communes) et accorde au mimétisme une place centrale qu'il n'a pas dans le texte de l'Ethique. Matheron voit l'"égoïsme" de l'utile propre régulé et communautarisé par le mimétisme, en une sorte de "libéralisme chrétien" totalement étranger à Spinoza. Pour qu'il y ait égoïsme, il faudrait qu'il y ait un "égo" non imaginaire. Si l'égo est imaginaire, comme c'est le cas chez Spinoza, alors il n'y a pas d'autre égoïsme qu'imaginaire et l'utile propre est immédiatement commun, même s'il n'est pas perçu comme tel. Il n'y a pas d'utilitarisme chez Spinoza car l'utile dépend de l'usage et l'usage des notions communes qui permettent cet usage. Donc: tout usage et partant toute utilité est fondée sur des notions communes. Le passage de l'utile propre à l'utile commun n'est autre le passage d'une notion commune à une autre de degré supérieure en fonction d'une connaissance plus adéquate, c'est à dire d'une connaissance des causes de son propre conatus ou de ses propres affects. L'utile propre comme l'utile commun, c'est le conatus et le conatus ne peut s'inscrire éternellement (adéquatement) dans le monde que par le commun. Aussi ne peut-on certainement pas distinguer chez Spinoza l'individu et la communauté. L'individu est déjà une communauté et la communauté un individu. Du reste, le mimétisme, aux dires de Spinoza lui-même, conduit à la rivalité généralisée et non à une saine émulation comme semble le croire Matheron à partir d'un parti pris politique. Contrairement à ce que pense Matheron, ce n'est pas l'usage (le principe de plaisir dit Bove), c'est à dire la conscience du conatus qui est à l'origine de l'égoïsme. Il n'y a pas encore d'égo lorsqu'on est conscient de son conatus. L'égo n'advient qu'avec l'ignorance des causes et l'imagination (finaliste) de la liberté.

On ne traitera pas toute la question ici. Le meilleur moyen de répondre à ton problème, c'est je crois de relire la quatrième partie de l'Ethique sans préjugé, fut-il celui d'un commentateur curieusement idolâtré, alors que sa lecture est bourrée de partis-pris évidents.

Bien à toi
Miam

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Messagepar Joske » 09 mai 2006, 18:07

Merci pour ta réponse. J'ai l'impression que tu surestimes mes connaissances déjà acquises, ce qui est flatteur, mais me force à un gros effort pour te comprendre. :)

Si mes questions s'inscrivent dans la tradition de Matheron, c'est sans le savoir parce que je n'ai jamais lu cet auteur et aucun épigone déclaré. Mais ton intuition est sans doute fondée car mon questionnement se plaçait dans un débat situé dans la tradition libérale. En fait, je me demandais ce qui pouvait faire lien entre des hommes qui ne recherchent que leur intérêt personnel, sans pour autant tomber dans les explications libérales habituelles type "main invisible" et autres ruses de la raison que pour ma part j'ai du mal à comprendre et accepter. Arrivé à ce point, je me suis demandé quelle serait la réponse de Spinoza, en reprenant des termes qui ne font peut-être pas sens dans son système et sans il est vrai prendre grande peine à le relire attentivement. J'ai pensé qu'il serait plus agréable et rapide d'en discuter directement avec des connaisseurs de l'oeuvre. :)

J'ai donc suivi en partie tes conseils et ai relu la partie IV. Je dis "en partie" parce que j'ai lu superficiellement. J'espère malgré tout que cela sera suffisant pour ne pas avoir l'air d'un idiot complet.

Laissons donc tomber le mimétisme qui ne peut conduire qu'à la rivalité généralisée. Qu'est-ce qui fera donc que la société ne se désagrège pas? D'après ce que j'ai compris, soit les hommes sont raisonnables et comprennent que l'autre leur est utile (PROPOSITION XXXV), soit plus fréquemment ils sont sujets de la passion, imaginent chercher ce qui leur est utile mais ne l'est pas réellement et ne pourront être contenus en société que par la force (PROPOSITION XXXVII Scholie II). Est-ce juste, est-ce tout?

D'autre part, j'ai du mal à te suivre concernant l'égoïsme. Comment déduis-tu que l'utile propre de l'égoïsme imaginaire est nécessairement commun? J'ai du mal à comprendre cette phrase et en particulier le mot "usage": "Il n'y a pas d'utilitarisme chez Spinoza car l'utile dépend de l'usage et l'usage des notions communes qui permettent cet usage. " Veux-tu dire que la façon d'utiliser une chose potentiellement utile de manière à la rendre réellement utile nécessite une notion commune?

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Messagepar Miam » 10 mai 2006, 12:19

" Veux-tu dire que la façon d'utiliser une chose potentiellement utile de manière à la rendre réelement utile nécessite une notion commune ?"

Oui c'est cela. Tout usage suivant l'utile propre suppose un commun entre mon corps et l'objet utilisé. Il est par conséquent susceptible d'être aussi l'usage d'un corps équivalent au mien, à savoir un homme puisqu'"il y a des notions communes à tous les hommes" (ils ont la même "structure" (fabrica)). En ce sens tout usage est déjà commun. D'où également la rivalité, puisqu'une chose peut être utilisée par plusieurs : que ce soient des chiens ou des hommes du reste, car il y a aussi du commun entre l'homme et le chien. Mais tous les objets que je peux utiliser sont aussi utilisables par un autre homme et non par un chien, et pour le même usage, contrairement au chien (c'est important quant à la "jalousie", l'"ambition" etc...). En ce sens, ce sont des "biens communs". C'est du reste pourquoi également "rien n'est plus utile à l'homme que l'homme". Dans la quatrième partie, si le mimétisme nécessite le "semblable", l'homme réel n'apparaît que dans ces relations triadiques sous la forme d'une rivalité pour un bien commun. Il ne s'agit plus alors du "semblable", de l'homme imaginé, car le semblable ne saurait user d'une chose comme je le fais s'il n'est un homme possédant ces "notions communes à tous les hommes". Mais évidemment, tous les processus de mimétisme et d'émulation issu du "semblable" fonctionnent également a fortiori lorsqu'il s'agit d'un homme réel. Bref : en effet, tout usage est a priori commun, mais on passe de l'utile propre à l'utile commun seulement lorsqu'est reconnu le commun du bien utilisé.

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Messagepar Joske » 10 mai 2006, 19:33

Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris ni même de poser les bonnes questions.
Tu sembles dire que le bien commun peut aussi bien créer de la rivalité que de l'amitié ("En ce sens tout usage est déjà commun. D'où également la rivalité..." suivi de "En ce sens, ce sont des "biens communs". C'est du reste pourquoi également "rien n'est plus utile à l'homme que l'homme"."). Qu'est-ce qui fait pencher la balance d'un côté ou de l'autre?
Transposé dans le domaine politique, sur la question de savoir ce qui empêche la société de se désagréger sous l'effet de la rivalité ou (si l'on imagine un état de nature) qui l'a fait apparaître malgré la rivalité, qu'est-ce que cela donne?

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Messagepar Miam » 11 mai 2006, 16:40

Ce qui fait pencher la balance, c'est la régulation politique. Mais même les peuples barbares et sans Etat connaissent l'aide mutuelle, comme le dit Spinoza dans le TTP. L'"état de nature", chez Spinoza est soit théorique (dans le TTP), soit illusoire (dans le TP) puisque le pacte est soit théorique (dans le TTP), soit illusoire (dans le TP). Spinoza, ce n'est ni Hobbes ni Rousseau. Par conséquent considérer un homme comme une monade est un non-sens. L'"état de nature", s'il n'est pas politique, demeure pourtant bien communautaire, au moins parce que chaque homme a besoin d'autrui pour survivre (TTP au même endroit que les "barbares"). Ce qui suppose un minimum d'usages communs ou de productions communes, au moins (par exemple) dans la communauté familiale. De fait nous ne naissons ni ne grandissons seuls. La distinction n'est pas alors entre l'individu et la communauté, mais entre l'homme toujours déjà communautaire (comme les Juifs à la sortie d'Egypte) et le moment où cette communauté - ou plutôt l'ensemble labile de petites communautés naturelles et ponctuelles - se fait politique (avec Moïse) c'est-à-dire se fixe en usages ou habitudes qui régulent la fluctuation crainte - espoir.

Tu auras compris que, selon moi, Spinoza n'est pas "libéral". Mais nombreux sont qui pensent le contraire, comme Matheron et (je suppose) Bardamu (et d'autres car on a déjà eu ce débat mais je n'y ai pas participé). Mais dis-moi : le rôle central du mimétisme, l'as- tu posé tout seul ou à partir d'un commentaire ?

A+
Miam

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Messagepar Joske » 11 mai 2006, 17:55

Merci pour cette réponse, qui m'a laissé pleinement satisfait. En particulier par cette phrase "Par conséquent considérer un homme comme une monade est un non-sens.", car c'est pour cela précisément que je cherche des réponses chez Spinoza (et accessoirement chez Machiavel). C'est cela-même qui me pose difficulté et je cherchais un appui quelque part.
Tu dis que selon toi Spinoza n'est pas "libéral" et à priori je t'approuve, ne serai-ce que par ce rejet de la conception de l'homme comme monade. Néanmois, il me semble réussir à fonder sans cela une politique "libérale" ou proche, ce qui le rend très intéressant à mes yeux. D'ailleurs, si tu pouvais me conseiller une lecture sur Spinoza et son rapport à ces thèmes, ce serait le bonheur... :)
Pourrais-tu aussi m'en dire plus sur ce débat qui eu lieu ici car j'aimerai le lire? Ou me dire en quoi, politiquement parlant, Spinoza se rapproche ou s'éloigne du libéralisme classique?

En ce qui concerne ta question, ce rôle central du mimétisme je ne l'ai pas trouvé chez un lecteur de Spinoza mais un lecteur de Smith disciple de Girard (Jean-Pierre Dupuy pour tout dire). C'est ensuite moi qui me suis demandé quel rôle ce mimétisme jouait chez Spinoza dans la construction du lien social pour m'être vaguement souvenu qu'il en parlait (Spinoza était mon philosophe préféré du temps de mes études) et j'espèrais secrètement une réponse comme la tienne.

Voilà, tu sais tout. :)

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Messagepar Miam » 11 mai 2006, 21:05

Quant à la discussion dont je t'ai parlé, tu m'excuseras car je ne l'ai pas trouvée. En gros, il s'agissait 1° de savoir si Spinoza était un contractualiste comme Rousseau et 2° si on pouvait considérer ses quelques louanges du commerce civilisateur (dans le TTP en tout cas)pour l'indication d'un libéralisme économique. Le fond du problème, je crois, c'est de savoir si dans les notions communes, la raison se constitue par les valeurs d'échange ou les valeurs d'usage. Pour ma part, je trouve que l'importance de l'"usage" dans l'Ethique et le TTP suffit à répondre. Mais bon, sur ces questions-là nul ne saurait réclamer l'unanimité.

Au plaisir
Miam

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Messagepar AUgustindercrois » 12 mai 2006, 14:51

Tous dépend de la défintion de libéral. Je distingue pour ma part les libéraux au sens politique (et là SPinoza à mon sens est un libéral, incontestablement), et les libéraux au sens économique...

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Messagepar Miam » 14 mai 2006, 21:00

Bien sûr.


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