Ethique et morale

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Miam
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Messagepar Miam » 15 mars 2007, 21:28

Henrique a écrit :

« il le conduit à affirmer impérativement les commandements de la raison »

Et cette raison, elle vient d’où ? Elle tombe du ciel ? Il y aurait un impératif de la raison comme il y a une loi morale formelle chez Kant ? En aucun cas. La raison, c’est ce qu’on déduit des notions communes (II 40s2). Et celles-ci naissent de notre expérience des convenances, contrariétés et oppositions (II 29s). Pas inductivement bien sûr, car l’induction ne consiste pas « à partir du particulier pour en inférer le général » comme le dit Henrique. L’induction infère le général à partir de la comparaison, des ressemblances entre les particuliers. Aussi bien, pour Spinoza, la raison est tirée des expériences particulières, mais non inductivement. Les notions communes – en particulier les idées des « propres communs » - sont bien des expériences particulières et la Raison consiste à tirer des notions générales de (ex) ces expériences particulières (II 40s2 : (ex eo, quod notiones communes… habemus). Pas inductivement, car les ressemblances sont les produits de l’imagination, mais synthétiquement, car un propre commun naît d’un acte, d’une appropriation soutenable du monde, de la production de ce monde : la notion commune n’est rien d’autre qu’une production « convenante » comme l’est l’art de monter à cheval, d’élever des vaches, de planter du maïs ou de construire un abris. Quant aux notions communes à tous les hommes, elles ne sont pas « a priori » car il n’y a pas de nature humaine dans le ciel des idées. Elles se décèlent par la coopération et la solidarité nécessaire aux hommes et certainement pas selon un impératif moral. A l’instar de la nature humaine, la raison se construit à partir des notions communes, et non l’inverse. Il ne convient donc certainement pas de déduire du général au particulier. D’où viendrait ce « général », sinon des mots et de l’imagination ? (cf. II 40s2 encore). Quant au « commandement de la raison », j’ose espérer que l’explication que j’en ai faite selon l’exemple de la gestapo (voir « anthropologie ») a bien montré qu’il ne s’agit précisément pas d’un « commandement » au sens d’impératif.

Henrique a écrit :

« Spinoza part de l'idée générale de conatus individuel »

Il part d’abord de l’idée d SON conatus individuel, car « nous sommes conscients de notre conatus ». Comment pourrait-il se faire une idée générale du conatus individuel sans cela ?

« Et ce qui le conduit à agir, ce n'est donc en aucun cas la conscience de son intérêt de classe, mais la recherche de l'intérêt général (E4P37). »

Je ne lis aucun « intérêt général » en IV 37, mais un « bien commun à tous ». Et comment pourrait-on savoir que ce bien est commun à tous sinon par le biais des notions communes ? Trouve-t-on un « bien commun » avant l’expérience du commun ? Nullement. Le « bien commun » n’est pas une notion générale a priori dont on pourrait déduire notre éthique. Elle est construite à partir de l’utilité. Or, sans conteste, chez Spinoza l’utile commun est fondé sur l’utile propre. Cela Henrique semble l’avoir oublié. Pas « utile » au sens utilitariste, car cela relève du seul calcul et demeure fort aléatoire, mais du seul utile qui soit soutenable, à savoir l’utile propre que l’on connaît par les notions communes et dont par conséquent relève également l’utile commun.

Ensuite passer du « bien commun » de l’Ethique aux lois du TTP et du TP me paraît bien téméraire. Là où Spinoza parle de lois civiles, à savoir dans l TTP et le TP, nous ne sommes précisément plus en régime éthique. Le TTP considère l’imagination commune qui est très éloignée du bien commun. Le TTP est précisément une théorie de la communication (des prophètes, de la traduction, des Ecritures) de l’idée de Dieu qui est obscurcie par l’imagination culturelle des peuples mais que celle-ci recèle pourtant dans la mesure où elle est fondée sur une communauté, c’est à dire sur une production commune et une solidarité de fait. La loi ne fait qu’entériner une communauté de fait (cf. la première apparition de Dieu au peuple sous forme de bruit). Son rôle est de faire perdurer cette communauté. Mais jamais une loi, ni un « intérêt général », ni une notion générale de « raison » ne donnera naissance à une communauté. C’est la production commune (les notions communes) qui fait la communauté, pas la loi.

Ensuite, le TTP aboutit à une aporie due à sa considération exclusive des images qui témoignent d’une communauté. Non pas de l’imagination (car on ne pourrait supprimer l’imagination qui, en tant que puissance, est identique à celle de l’entendement) mais du contenu de ces images, donc de l’image de Dieu, si bien qu’à la fin du TTP, Spinoza est bien obligé d’affirmer la nécessité d’un ministre du culte. Tel n’est plus le cas du TP où il considère les seuls conatus comme des forces à équilibrer et harmoniser comme autant de pendules. Bref : on passe de l’imagination comme premier genre de connaissance à l’imagination comme « puissance d’imaginer » (II 17s, voir aussi II 49s) identique à la « puissance de l’entendement ». Dans ce cas, qui est aussi en régime « politique », c’est à dire pratique, et où les philosophes n’ont rien à dire (TP 1), il ne s’agit plus de concevoir une communauté selon l’image de Dieu, l’image de la raison ou l’image de l’intérêt général qu’elle peut avoir (ces « lieux communs » politiques), mais comme une coopération de puissance qui fonctionne le mieux en régime démocratisé - et non « démocratique » car une monarchie peut être plus démocratique qu’une république, contrairement à ce que croient de nombreux Français. La RDA était aussi une « république démocratique ». Ne confondons pas le mot et la chose, comme semble le faire Henrique.

Ensuite : je n’ai parlé que de l’intérêt de la classe possédante de faire durer une image tandis que la communauté se désagrège en réalité. N’est-ce pas là l’histoire des Hébreux dans le TTP ? Par ailleurs, lorsque les trois quart de l’humanité crève la dalle, se fait empoisonné et manque de soin, alors oui : l’intérêt de classe peut devenir l’ »intérêt général » de même que l’utile propre indique l’utile commun, d’autant que c’est la classe qui produit. Autrement dit : c’est la classe qui fait face aux vraies réalités et pas aux images, pas à l’ « intérêt général » (terme risible s’il en est !). Par conséquent c’est la classe qui a le plus de notions communes. D’ailleurs ce n’est pas une classe. C’est le peuple. La « classe », ce sont les faiseurs d’images, de symboles et autres billets de banque.

Enfin : « Si j'étais en mesure de vaincre les fils d'Egyptos sans difficulté, je donnerai immédiatement asile aux filles de Danaos et j'enverrais un ambassadeur auprès d'Egyptos pour faire entendre raison à son roi, »

Tu oublies que tu est le roi d’un peuple ! Il ne s’agit pas seulement d’avoir la plus grande armée. Peut-être faudrait-il connaître l’avis de peuple, même en régime non démocratique, sans quoi je ne donne pas cher de la peau de ta dynastie. Car combien même ton roi serait très raisonnable, il devrait encore rendre compatible ses décisions avec l’imagination commune. Tout dépend de cela. Machiavel l’avait compris. Et Spinoza.

« Et s'il n'accepte pas de parlementer malgré ces arguments, je saurais qu'Egyptos est tellement bête qu'il serait finalement assez facile à vaincre. »

A bête, bête et demi, car on peut se faire tuer par un débile armé d’un révolver. D’une autre façon, les arguments de ton roi ne tiennent pas car ton rival pourra torturer pour savoir où sont cachées les filles.

Ton discours qui déduit de notions générales (des mots, oui !) telles que « intérêt général », « raison » « lois sages dans l’intérêt de tous » me semblent fort électoraliste. Qui décidera ce qu’est la raison, l’intérêt général et les lois sages dans l’intérêt de tous ? Celui qui fait les lois ? Parce qu’il contemple ces Idées ? Non. Elles sont nées de la production sociale et le législateur n’est que la conclusion des forces imaginatives (et donc culturelles et historiques) qui composent le peuple.

« pour en tirer, dans Ethique IV, les normes qui sont définitivement les plus utiles à tous les hommes »

Je ne vois aucune norme dans Ethique IV. Ni de principe stoïcien. C’est ce que j’entends par « modèle », à l’instar de la « raison » de l’ « intérêt général » ou des « lois sages ». Je n’y vois au mieux que des images (culturelles françaises et européennes), et au pire des mots. « Que cela impliquait non que la morale, c'est-à-dire les normes de l'action individuelle, soient subordonnées à la politique, mais que la politique, comme moyen d'établir le bien vivre ensemble en vue de la liberté de tous, soit subordonnée à l'exigence morale de cette liberté. ». C’est tout le contraire car c’est la vie qui produit la conscience et non l’inverse. La vie est toute entière politique avant toute norme morale. La norme morale est produite par la vie politique – c’est à dire la communication, le commun soit imaginaire, soit de la notion commune. Comment pourrait-il y avoir de normes à l’imagination avant qu’il y ait puissance d’imaginer, c’est à dire commun, c’est à dire vie politique ? Allons bon ! Déjà je m’étonnais qu’ Henrique prête main forte à Hokusai lorsque je chamboule avec Spinoza les termes et structures de notre belle culture philosophique d’origine ecclésiale (c’est manifeste et historique), mais vla ti pas qu’il devient kantien !

Salut et fraternité.
Miam.


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