Un jour sans fin

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Henrique
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Un jour sans fin

Messagepar Henrique » 12 nov. 2007, 23:52

Korto a écrit :En revoyant hier le film d'Harold Ramis avec Bill murray et Andie MacDowell, "Un jour sans fin", où un présentateur vedette odieux, persévérant dans son égoïsme et dépourvu de tout sens du bien et du mal, se retrouve enfermé dans la journée du 2 février (le Jour de la Marmotte), condamné à la revivre indéfiniment chaque matin à son réveil, je me suis puissamment senti plongé dans le monde-divin spinozien, un monde sans fin.
Le héros malgré lui de cet éternel retour quotidien devient un dieu. Il parvient, après plusieurs milliers de retours, à augmenter jusqu'à la perfection sa puissance d'agir et sa connaissance du monde dont il est une des parties et dont il partage l'éternité. Son amoralisme perdure et ses agitations ou actes sans but, s'accordent parfaitement avec cette nature sans évolution et sans progrès.
L'horreur de cette condition de deus sive natura ne tarde pas cependant à lui apparaître et de multiples suicides ne lui permettent même pas d'échapper à ce monde sans lendemain et sans espoir puisque la nature ne saurait se suicider (autre mode d'être-plus) et qu'il se réveille intact chaque matin.
Seul l'amour de sa collaboratrice, mille fois revue dans cette journée et mille fois "réinitialisée" et ignorante, atteint par la sincérité et par l'abandon de soi pour un "nous" supérieur et non par une instrumentalisation de l'autre-objet pour s'attacher une joie (multiples tentatives vaines du héros), lui permet de vaincre cette malédiction et de se retrouver enfin un lendemain 3 février, au matin de leur première nuit d'amour. Durée et évolution retrouvées !
Très jolie fable illustrant les charmes de notre condition humaine imparfaite face à l'immuabilité et à l'immortalité d'un monde sans devenir, qui heureusement n'existe pas.


Un jour sans fin est une comédie américaine que j'aime beaucoup, c'est un de mes "films culte". Parvenir à allier aussi bien les intuitions métaphysiques, la lucidité, le rire et l'interrogation éthique, le tout dans un langage accessible à un enfant de 13 ans, c'est rare...

J'y vois une belle illustration de la signification éthique de l'éternel retour chez Nietzsche. Votre analyse est intéressante Korto, mais vous ne serez pas étonné que je ne la partage pas entièrement. Depuis le début le héros , Phil Connors, désire Rita et dès la moitié du film il commence à s'intéresser à elle pour elle-même, à l'aimer vraiment, non plus par égoïsme. Mais il est condamné à revivre à chaque fois la même journée tant qu'il ne vit pas cette dernière comme une journée parfaite qu'il pourrait revivre éternellement. Cette dernière journée, qui est parfaite parce qu'il la vit sans culpabilité ni plus aucune haine de soi, voilà une image charmante de l'acquiescentia in se ipso dont nous parle Spinoza.

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Faun
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Messagepar Faun » 13 nov. 2007, 04:16

Vous ne devriez pas critiquer comme ça l'immortalité, KORTO, car, en tant que chrétien, c'est ce qui vous attend au paradis...

"Et donc, ce trait qu'ils nous destinent, c'est contre eux-même, en vérité, qu'ils le lancent."

E, I, 15, sc.

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FabriceZ
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Messagepar FabriceZ » 13 nov. 2007, 04:42

J’aime aussi beaucoup ce film, car derrière cette petite comédie hollywoodienne se cache une belle allégorie spinoziste.

En ne faisant rien de différent, la réalité de Bill Murray reste immuablement la même. Mais en analysant les situations, ses propres affects et ceux de Andie MacDowell - sur le mode de « Plus je connais les choses singulières, plus je connais Dieu » - en se confrontant à la réalité de cette journée sans fin il parvient à la changer tout en découvrant et en affirmant sa propre singularité. Et cela, jusqu'à ce que l’extériorité de cette journée devienne l’image miroir de son intériorité la plus essentielle. Dans la prison de cette journée sans fin il découvre finalement que le bien, le vrai, la joie, la liberté, c’est ce qu’il peut vivre une infinité, une éternité de fois, sans contradiction.
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bene agere et lætari (EIV73 scholium)

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Messagepar Korto » 14 nov. 2007, 03:04

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Messagepar Korto » 14 nov. 2007, 03:05

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Messagepar Faun » 14 nov. 2007, 06:14

Votre lecture partiale et superficielle de Spinoza pourrait prêter à rire et me rendre triste pour vous, si la moquerie et la pitié n'étaient pas déraisonnables. Permettez moi de tenter de vous éclairer.

Vous dites premièrement que l'univers selon Spinoza ne change pas et qu'il demeure toujours le même, c'est à dire qu'il ne comporte aucun devenir possible. Je vous demande d'après quels textes vous arrivez à cette conclusion. Certes il est vrai que Dieu est défini par Spinoza comme une chose immuable et éternelle, et que les vérités éternelles qui constituent les notions communes, autrement dit le second genre de connaissance, sont également immuables et ne peuvent changer. Cependant il est tout aussi vrai que tous les êtres vivants ne sont pas Dieu, et que si leur essence est en effet une vérité éternelle, leur existence est un changement perpétuel :

"[...] il faut ici bien remarquer que nous vivons dans un continuel changement, et que c'est selon que nous changeons en mieux ou en pire que nous sommes dit heureux ou malheureux. [...] Dans cette vie nous nous efforçons donc avant tout de faire que le corps de bébé se change, autant que sa nature le souffre et s'y prête, en un autre qui soit apte à beaucoup de choses [...]"
E, V, Prop. 39, scolie.

Du reste le vocabulaire même de Spinoza devrait vous éclairer : les êtres vivants sont des modifications, c'est à dire des puissances prises dans un éternel devenir, qui affectent et sont affectées, c'est à dire qui modifient et sont modifiées perpétuellement.

"Et, si nous continuons ainsi à l'infini, nous concevrons facilement que la nature toute entière est un seul individu, dont les parties, c'est à dire tous les corps, varient d'une infinité de manières sans que change l'individu tout entier."
E, II, Lemme 7, scolie.

Quant à votre discours sur le sacrifice et le "mal nécessaire", j'avoue n'y voir rien d'autre que le vieux discours chrétien et son culte de la mort, sa passion de la douleur physique et de la tristesse mentale, son apologie du martyr et du suicide, discours qui n'est pas si différent de celui de toutes les grandes religions, de l'islam au bouddhisme et passant par l'hindouisme et surtout le shivaïsme, bref cette conspiration universelle qui pousse l'humanité à la destruction et à la mort, en lui faisant croire que c'est pour son bien, c'est à dire, comme je le disais plus haut, afin de gagner un illusoire paradis qui n'existe que dans l'imagination des âmes trompées par les prêtres.

"Je reconnais tout l'avantage de l'ordre politique qu'instaure l'Eglise romaine et que vous louez tant; je n'en connaîtrais pas de plus apte à duper la foule et à dominer les âmes s'il n'existait l'Eglise musulmane, qui, de ce point de vue, l'emporte de loin sur toutes les autres;"
Lettre 76, à Albert Burgh

Mon petit Faun


Je ne comprend pas ce qui vous permet d'user de cette familiarité avec moi, vous qui passez votre temps à répandre les mensonges et la haine sur ces forums, à faire l'apologie des pouvoirs établis quels qu'ils soient, et à défendre toutes les sortes de tyrannies qui agissent sur cette planète dévastée par vos semblables. Je vous prie donc d'éviter à l'avenir toute expression de ce genre à mon égard.

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Messagepar Korto » 14 nov. 2007, 06:52

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Messagepar bardamu » 15 nov. 2007, 19:07

KORTO a écrit :(...)
Ayant perdu certes l'immortalité de l'éternel retour mais ayant gagné l'expérience, même transitoire, même fugitive, de l'infinie nouveauté de l'amour, bien différent de cet horrible "amour-Joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure" qui n'est qu'un amour de soi instrumentalisant l'autre.
(...)

Bonjour,
comment comprenez-vous la conclusion de l'Ethique ?
Spinoza a écrit :La béatitude n'est pas le prix de la vertu, c'est la vertu elle-même, et ce n'est point parce que nous contenons nos mauvaises passions que nous la possédons, c'est parce que nous la possédons que nous sommes capable, de contenir nos mauvaises passions.
(...)
Scholie : J'ai épuisé tout ce que je m'étais proposé d'expliquer touchant la puissance de l'âme sur ses passions et la liberté de l'homme. Les principes que j'ai établis font voir clairement l'excellence du sage et sa supériorité sur l'ignorant que l'aveugle passion conduit. Celui-ci, outre qu'il est agité en mille sens divers par les causes extérieures, et ne possède jamais la véritable paix de l'âme, vit dans l'oubli de soi-même, et de Dieu, et de toutes choses ; et pour lui, cesser de pâtir, c'est cesser d'être. Au contraire, l'âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d'être ; et la véritable paix de l'âme, il la possède pour toujours. La voie que j'ai montrée pour atteindre jusque-là paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu'il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j'avoue qu'un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s'il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu'il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare.

Ne pensez-vous pas que le héros de "Un jour sans fin" a fini par comprendre quelque chose sur lui-même, les choses et Dieu pour finalement sortir d'un enchaînement de passions qu'il ne comprenait pas ?
Pour certains il faut de douloureuses répétitions pour parvenir à un peu de connaissance. Il faut même souvent lire plusieurs fois Spinoza pour le comprendre.
Par exemple, il dit qu'on peut mourir plusieurs fois durant sa vie (au sens biologique), que le vieil homme ne se reconnaît pas forcément dans l'enfant qu'il était et que sans doute le sage ne se reconnaît plus dans l'ignorant qu'il était. La "mort" de ce qu'on était, on la constate a posteriori lorsqu'on ne se reconnaît plus, lorsqu'on voit qu'on a changé.
Si on ne l'a pas expérimenté soi-même, on peut essayer de faire confiance à ceux qui ont testé pour nous, comme suivre les recommandations de Spinoza sur quelques principes à retenir en attendant d'avoir changé.
Certains préfèrent fonctionner à partir de fictions, rêver d'un point oméga que nul n'a jamais vu, espérer un paradis ou craindre un enfer dont nul n'est jamais revenu, d'autres s'en tiennent à des expériences d'hommes transmises par des hommes.
Et d'un point de vue spinoziste, je dirais que les sages qui usent de fictions ne font que faire partager leur expérience par des moyens poétiques. Si Spinoza avait rencontré Teilhard, il ne m'aurait pas étonné qu'il lui demande pourquoi il encombrait sa pensée d'un point oméga, d'un tel finalisme alors qu'on peut très bien s'en passer pour atteindre l'objectif éthique, l'objectif de vie et de joie voulu.

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Messagepar hokousai » 15 nov. 2007, 23:13

Ecoutez Faun ce n'est pas bien grave .

C 'est un peu familier certes et sur ce forum bien que de la même famille on est pas "familier" ( et j'en suis peut être un peu responsable ) :oops:
Faun c'est aussi faune , ça fait penser à faune et les faunes c'est jeune .

Mais quel âge avez vous ?

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Messagepar Korto » 16 nov. 2007, 16:38

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