persévérer dans son être?

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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saxophil
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persévérer dans son être?

Messagepar saxophil » 17 nov. 2007, 16:17

Ayant depuis peu découvert spinoza et le spinozisme,pourriez vous m'expliquez l'affirmation suivante:"chaque chose cherche à persévérer dans son être"et plus particulièrement pour les êtres humains.Doit on voir là un épanouissement personnel?La recherche d'une certaine"qualité"de vie?L'amour(intellectuel de dieu ou autre)?un peu de tout ça?
J'attends vos propositions et autres expliquations avec intérêt.
Merci....

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pi
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Messagepar pi » 19 nov. 2007, 02:05

Bonjour Saxophil,

Bienvenu chez Spinoza, j’essaye moi aussi de bien comprendre son vocabulaire.

Tout d’abord tu as raison de faire le rapprochement entre « chose » et « être humain », car pour Spinoza l’homme est aussi une chose (res).

L’essence de cette chose qu’est l’homme, c’est-à-dire, ce sans quoi elle ne pourrait exister, c’est son désir ou Conatus ou effort pour persévérer dans l'être et dans l'existence : «Le désir est l'essence même de l'homme» (IV, Prop. 18, démonstration).

Il faut avoir conscience de son propre Conatus, c’est-à-dire, se connaître, avoir une idée adéquate de son âme, «Persévérer dans son être» ; autrement dit, faire effort pour que ce Conatus existe encore et toujours et pour qu’il dure le plus longtemps possible.

Cet effort, est en effet la source de notre épanouissement personnel, bien que ce terme n’existe pas chez Spinoza, en tous cas il est la source de notre vraie vie, qui est joie et liberté.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 20 nov. 2007, 10:45

Bonjour Pi et Saxophil,
Et bienvenue à vous ici !
Tout d'abord la citation exacte n'est pas "chaque chose cherche à persévérer dans son être" mais plutôt "toute chose s'efforce de persévérer dans son être". Persévérer dans son être, autrement dit continuer d'exister, d'affirmer son essence parmi les autres essences, n'est pas en effet une fin, un objet idéal qu'on chercherait à atteindre dans un avenir indéterminé, c'est au contraire l'exercice d'une force présente, d'où le terme d'effort pour traduire conatus, c'est une puissance et non un devoir ou un objectif.

Cette idée est effectivement valable pour l'homme mais comme l'indique aussi cette citation, toute autre chose : un chat, une araignée, un brin d'herbe, un grain de sable. Toutes, nous dit Spinoza sont "animées à des degrés divers" (scolie de E2P13 : http://www.spinozaetnous.org/wiki/E2P13). La vie étant justement la force par laquelle les choses persévèrent dans leur être (PMII,6).

Et pour cause, chaque chose singulière est mode de la substance unique, ce qui revient à dire que chaque chose est Dieu d'un point de vue déterminé ou encore une expression de la puissance d'un de ses attributs, comme l'extension (en longueur, largeur, profondeur...) ou la cogitation (intelligence, raisonnement, affectivité...). Comme Dieu est puissance infinie d'exister, chaque chose est donc puissance d'exister d'un point de vue déterminé. Puissance d'exister est alors à comprendre autant comme effort de conservation de son essence (essence : ce qu'une chose est globalement - de telle sorte que cet être supprimé, la chose n'est plus) que comme augmentation, extension indéfinie de cette essence.

Ainsi, une pierre s'efforce de persévérer dans son être dans le sens où elle se maintient autant qu'elle le peut dans sa forme, sa configuration, en un mot sont extension propre. En effet, on ne la verra jamais se désagréger instantanément et encore moins disparaître d'un coup sans laisser de trace. On peut voir ici une application de l'indéfectible principe d'Anaxagore : rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. La pierre est ainsi vibrante de vie à sa manière au sens où si elle cessait de persévérer dans son être - si par hypothèse fictive elle le pouvait - elle cesserait aussitôt de résister à la pression de tous les autres corps qui l'environnent et disparaîtrait alors comme par magie.

Mais une pierre n'étendra pas sa puissance d'exister du fait que les autres corps qui l'environnent s'efforcent aussi de persévérer dans leur être. Elle s'efforce de le faire pourtant autant qu'il est en elle. Mais lorsque par hasard, la nature agence des corps de telle sorte qu'ils peuvent constituer un organisme, c'est-à-dire un corps dont les parties interagissent de façon organisée, ce corps complexe parviendra à s'étendre dans la nature, malgré la résistance opposée par les autres corps, à augmenter sa puissance d'exister.

L'homme est un être dont la complexité lui permet de s'étendre beaucoup plus que tous les autres organismes connus. Le terme d'épanouissement à cet égard me semble des plus adéquats : on dit d'une fleur dont les pétales s'ouvrent et s'étalent qu'elle s'épanouit. La joie ou augmentation de notre puissance d'exister, c'est-à-dire pour un corps de s'étendre malgré la résistance des autres corps, est épanouissement de notre puissance d'exister.

Seulement, nous sommes en permanence soumis à des corps qui s'efforcent aussi de s'épanouir et qui tendent ainsi, qu'ils le veuillent ou non, à réduire notre puissance d'exister. L'Ethique de Spinoza se présente comme un cheminement pour favoriser autant que possible la joie par rapport à la tristesse, ce notamment au moyen d'une compréhension rationnelle de soi et des autres corps/mentaux, c'est-à-dire les données du problème dont toute vie est un essai de solution. Mais c'est aussi et surtout un cheminement pour parvenir à comprendre la nécessité de tout cela et ainsi une acceptation générale de l'ordre naturel par lequel il ne peut y avoir de vivants sans destruction de vivants, ce qui permet alors de dépasser radicalement le balancement inévitable de l'augmentation et de la diminution de la puissance d'exister, la cyclothymie foncière de la vie ordinaire.

L'amour intellectuel de Dieu ou connaissance intuitive de cette nécessité de la vie comme expansion permanente de soi et de tout corps est béatitude plutôt que joie, c'est-à-dire état de perfection, connaissance de la perfection de toute existence, plutôt qu'augmentation ou diminution de la perfection d'un être.

A cet égard, l'Ethique n'est pas un livre qui nous explique qu'il faudrait rechercher et cultiver la joie plutôt que la tristesse, la béatitude plutôt que l'ignorance ou la haine de la vie. La question ne se pose pas puisque chaque vivant s'efforce de le faire à sa façon : même celui qui se suicide, en disant non à la souffrance devenue insupportable ne fait encore que chercher à s'affirmer par cet acte ultime contre tout ce qui tend à le nier : "Nul ne peut avoir Dieu en haine" (= personne ne peut haïr la vie : E5P18).

La question dont l'Ethique se veut la réponse, et ce encore aujourd'hui de la façon la plus complète qui soit, c'est comment cultiver la joie plutôt que la tristesse, sachant que nous pouvons confondre ce qui conduit à la joie et ce qui conduit plutôt à la tristesse, prenant à cause de l'imagination le nuisible pour l'utile, comment connaître notre perfection, c'est-à-dire jouir de notre béatitude.

Une telle connaissance, on le voit, n'est pas un horizon qu'il faudrait tenter d'atteindre pour donner sens à une vie, elle est, si nous nous y ouvrons, connaissance de la vie même, bien comprise, c'est-à-dire jouissance de la vie éternelle.

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Messagepar saxophil » 21 nov. 2007, 21:55

Donc ,si je comprends bien , persévérer dans mon être nécessite une parfaite connaissance des autres et de moi même?Seule condition pour,selon spinoza,avoir une vie vertueuse .
Mais comment peut-on parvenir à connaitre autrui et ce qui le motive dans les rapports que nous entretenons les uns les autres?La nature humaine est d'une telle complexité, et nos jugements sont souvents tronqués(inadéquats?)...
Et de plus, j'ai déjà moi même du mal à canaliser mes désirs et les comprendre;donc pour parvenir à cette sérénité spinoziste, je dois passer mon temps à réfléchir pour mieux agir,et m'affimer de façon positive?Bien comprendre autrui, savoir ce que je veux "vraiment" au sens étymologique "d'une manière réelle ,effective.."(petit larousse 2005..) .
Bref, avoir une vision "intelligente" du monde, d'autrui et de moi...de dieu(c'est ça?)
J'ai bien compris?

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Messagepar Henrique » 22 nov. 2007, 00:25

saxophil a écrit :Donc ,si je comprends bien , persévérer dans mon être nécessite une parfaite connaissance des autres et de moi même?


Mais non puisque j'ai dit que même une pierre persévère dans son être. Pour persévérer dans votre être, vous n'avez besoin de rien d'autre que d'être vous-même. Car vous êtes déjà de bout en bout une expression de la substance unique et infinie. La raison ne fait ensuite que permettre de persévérer plus pleinement dans votre essence, en en comprenant mieux la nécessité,et ainsi de mieux éviter de s'automutiler dans les passions tristes.

Seule condition pour,selon spinoza,avoir une vie vertueuse .


La raison ne se développe jamais en l'homme que partiellement, d'où la servitude humaine vis-à-vis des passions, jamais totalement évitable. Comme je l'expliquais, l'important est de savoir ce qui domine un homme : l'imagination incontrôlée ou la raison ? ce qui revient à se demander quel est le rapport de force entre connaissance du premier genre et connaissance du second. Mais, aucun homme ne possède aucune notion commune, tous savent ce que sont l'extension, le mouvement, le repos, la pensée, l'entendement, la conscience du fait qu'ils ont tous un corps et un mental ; de même qu'aucun homme ne pense qu'en termes de notions communes.

Et la vertu, c'est-à-dire les affects dont la raison est cause adéquate, tels que la fermeté ou courage, ce "désir qui porte chacun de nous à faire effort pour conserver son être en vertu des seuls commandements de la raison", n'a pas besoin que nous connaissions tout sur tout pour s'exercer.
Ce n'est pas si compliqué que cela : imaginons que vous êtes face à un individu qui porte atteinte à votre dignité en vous menaçant d'user de force si vous ne dites pas des choses contraires à ce que vous pensez.

Peu importe ici la vérité de ce que vous pensiez, si vous cédez à ces menaces, alors que vous auriez pu y échapper, si vous y cédez seulement parce que l'imagination des dommages qui pourraient vous être infligés l'a emporté sur la conscience de votre puissance, vous ne pourrez plus être en accord avec vous-même. Or la raison commande avant tout qu'on soit en accord avec soi-même. Si au contraire vous tenez bon et restez attentif à l'occasion où vous pourrez vous soustraire à l'oppression, vous tirerez une joie d'avoir surmonté cette oppression, joie dont vous serez la cause adéquate puisqu'aucune pression extérieure ne vous aura conduit à prendre votre décision.

La voie que propose Spinoza n'est pas facile, mais elle n'a rien d'impossible. Si vous souhaitez en jouir, commencez par être attentif à vos pensées et affects, repos et mouvements ("caute", c'est plus que la simple précaution, c'est l'ouverture, l'éveil à ce qui est). Voyez à quel point la puissance d'affirmation est déjà partout hors de vous et en vous.


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