Vulgarisation musicale

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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cl4dou
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Vulgarisation musicale

Messagepar cl4dou » 24 nov. 2007, 12:57

En quoi l’esthétisme et la complexité des musiques d’aujourd’hui sont-ils moins prononcés qu’hier? Ou, pire, pourquoi les jeunes se désinteressent-ils de plus en plus de leur culture occidentale? Qui des jeunes d’aujourd’hui pourraient citer quelques grandes œuvres de Strauss, d’Albinoni, de Vivaldi, de Bach, de Schubert…? Peu. Là où la mondialisation nous a permis d’accéder à toutes les musiques de la planète et à n’importe qui d’en produire, elle a également contraint un grand nombre à se jetter sur les œuvres contemporaines de peur de croire au passé en écoutant ou en réécoutant leurs prédécesseurs. Sans faire de sentimentalisme, l’inculture musicale des jeunes d’aujourd’hui conduit inéluctablement à leur néant réflexif en matière de littérature, de science, de philosophie…
La cause est avant tout d’ordre systémique : l’industrie musicale exige aujourd’hui un rythme de production rapide et compétitif. Ainsi, il est forcément hors de question pour l’artiste de créer une œuvre atypique de peur d’être mis à l’écart de la mouvance actuelle. Il propose alors un objet très proche des précédents en ne prenant aucun risque ce qui lui permet de se renouveller sans être éjecter.
Je pense aussi que le fait est d’ordre psychosocial. « Ce qui sert de nourriture et de réconfort à une espèce d’hommes supérieure doit faire pres­que l’effet d’un poison sur une espèce très différente et de valeur inférieure » nous dit Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal. L’Homme qui vit continuellement de manière simple, voire abrutissante suivant ses activités, ne veut pas se mettre à penser ou à imaginer lorsqu’il écoute de la musique. Il veut retrouver la substance qu’il côtoie quotidiennement. De manière cognitive, il doit être capable de prévoir ce qu’il va entendre ; s’il est trop surpris, il lui faudra un certain temps pour s’y accommoder ce qui implique davantage de force nerveuse à concentrer (cette dernière étant déjà beaucoup dissiper au travail sans parler de la soustraction qui se fait à son insue sur sa réflexion). Là où les musiques créées par ordinateur (avec des « samples ») ont un avantage énorme sur les grandes œuvres de notre histoire, c’est qu’elles habituent l’oreille de manière progressive en y ajoutant une sonorité de manière aléatoire et graduelle.
La vulgarisation musicale nous a déjà mené à un constat simple : n’importe qui aujourd’hui – sans rien savoir de la musique et sans en avoir sué – peut proposer à l’industrie et au monde (par les maisons de disque et par Internet) un produit baclé sans aucune qualité substantielle. Imaginons alors le pire comme le meilleur (processus déjà engagé) : la découverte de génie, de virtuose contemporain comme la promotion d’horreurs auditives qui n’auront de profonds que le vide artistique de leurs créateurs…
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Faun
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Messagepar Faun » 24 nov. 2007, 19:48

Vous m'avez donné le désir de réécouter mes disques d' Anton Webern, merci. :)

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substanceunique
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Messagepar substanceunique » 12 mars 2008, 16:30

c'est vrai... on a là un problème immanent à la culture Française actuelle, à savoir la considération de l'intellectuel comme quelque chose d'ennuyeux ou d'élitiste. Pourtant, est-ce la culture Française qui considère la musique "classique" comme élitiste ou la musique classique qui se considère comme élitiste et est incapable de donner une image ear-friendly d'elle même? Je crois qu'on en est encore au même niveau que quand Spinoza écrivait : l'individu est scotché à sa maxime et de là conçoit une répulsion qui n'a pas d'autre fondement que le ouï-dire... Est-ce réellement indispensable d'expliquer la musicologie dans son ensemble à quelqu'un pour lui faire comprendre qu'une sonate pour piano de Haydn exprime avant tout la Beauté? Ce qui est bien avec la musique "savante" c'est qu'elle peut s'envisager de multiples façon différentes : d'abord par ce qu'elle est en elle même, son essence (faite pour ravir les oreilles), et par ce qu'elle exprime de façon sous-jacente : évidemment il n'est pas indispensable de savoir que Schumann souffrait d'un dédoublement de personnalité et que l'écriture des Kreisleriana s'en ressent, mais ça permet d'apporter quelque chose à la musique.
On peut prendre les expériences réalisées dans des collèges ZEP depuis quelques années : l'équipe enseignante s'était mobilisé autour d'un projet sur une année consistant à travailler autour d'un opéra de JB Lully, et voici les résultats :
-les élèves étaient ravis parce que c'était beau et qu'on les considérait comme des gens intelligents,
-la conséquence a été une motivation sans faille des élèves qui ont vu leurs notes remonter. Vive la pluridisciplinarité!
Et pour revenir à ce que disait cl4dou, on a certes cette sous-musique TFM6 qui n'a pas d'autre but de se faire du fric (ce n'est donc pas de l'art, nous dit Kant vu qu'elle a comme finalité, non d'être belle, mais de rendre célèbre), mais c'est de la musique jetable : 1 qui se souviendra d'un clip du gagnant de la cuvée 2006 de la Star Ac? 2 Qui se souvient de l'interprétation de Pablo Casals des suites de Bach pour violoncelle d? 1 : personne; 2 : elles ont été enregistrées entre 1932 et 1934.
Une vulgarisation de la musique oui, mais de pas manière vulgaire!
Rdv l'été prochain à la Waldbühne de Berlin pour le prochain Sommerkonzert du Berliner Philarmoniker : là ou plusieurs milliers de personnes viennent en famille écouter de la jolie musique! Pourquoi pas en France? Pourquoi pas les Proms de Londres au Théâtre des Champs Elysées?

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Messagepar Pej » 13 mars 2008, 11:38

La production musicale contemporaine, quelles que soient les critiques que l'on peut lui faire (et qui sont souvent justifiées), n'en demeure pas moins extrêmement riche. Ainsi, toutes les oeuvres qui ont été produites au XVIIIe siècle ne représentent qu'une goutte d'eau comparées à celles qui ont été produites au XXe siècle.
Bien entendu, la qualité n'est pas la principale caractéristique de la production de masse, mais on ne peut nier que dans le tas, on trouve un nombre extrêmement important de véritables bijoux. Personnellement, je n'ai pas assez de mes deux oreilles pour me tenir au courant de tout ce qui se fait actuellement dans le domaine musical.
Pour ne prendre qu'un exemple, le récent succès du dernier album d'Amy Winehouse (à mon sens le meilleur album soul de ces 20 dernières années) m'a réconcilié avec l'idée que la "bonne" musique peut encore parler à tout le monde. :)

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Re: Vulgarisation musicale

Messagepar Schmuke » 13 mars 2008, 22:53

cl4dou, votre analyse est intéressante, mais elle sert une opinion terriblement caricaturale.

1. la musique contemporaine ne se réduit pas à ce qu'on entend sur les ondes ou que l'on voit à la télé ; si on s'en donne la peine on peut trouver des merveilles d'"esthétisme" et de "complexité" musicale (on en produit beaucoup plus qu'au temps de Mozart, soit dit en passant).
Je vous renvoie à ce que les pseudo-mélomanes enfermés dans leur Panthéon musical et leur vision réductrice des choses n'admettront jamais (à vous de voir si vous en êtes) : certains groupes de metal (death mélodique, doom, instrumental particulièrement) fabuleux de talent, par la richesse et la variété des structures, la virtuosité de l'interprétation, la performance musicale. Evidemment, il faut bien vouloir se défaire des préjugés intellectuels, sociaux et élitistes, et avoir la curiosité musicale nécessaire.

2. "les jeunes". Et "les vieux" ? Les "vieux" seraient dotés d'une culture musicale "classique" (le beau patrimoine de l'Occident) plus large ? J'en connais un paquet qui ne soupçonnent même pas l'existence d'un Bach ou d'un Paganini, et qui ne connaissent que les mélodies ultra-populaires d'un Mozart, qui font office de fond sonore publicitaire.
A propos de supposés "jeunes", que faites vous enfin d'un phénomène aussi original que les Ogres de Barback, qui sans coup publicitaire férir et sans tempo électro-abrutissant, parvient à conquérir des milliers de gens ?

3. Je voudrais aussi rappeler, tant qu'à faire, que l'acquisition par "les jeunes" d'une connaissance du patrimoine musical dit "classique" est largement subordonné aux conditions sociales de ladite acquisition. Si papa écoute Wagner ou Rachmaninov tous les soirs, évidemment, ça aide. Si maman veut que son "grand garçon" apprenne à jouer du piano et à de quoi lui offrir et le piano (quand il n'a pas été hérité) et les leçons hebdomadaires, le bout de chou, devenu un "jeune", a beaucoup plus de chances de connaître les Nocturnes de Chopin.

4. Votre distinction entre un patrimoine sacré, classique, et une production musicale profane et inculte me semble pour tout dire : ridicule. Cet aristocratisme qui stigmatise une "inculture" supposée tirerait beaucoup de profit de sa propre analyse "psychosociale", comme vous dites. A chacun selon ses moyens : une oreille non "éduquée" musicalement aura bien du mal à saisir et jouir des subtilités d'un Bach. De même qu'un esprit dyslexique ou réfractaire à l'effort intellectuel aura bien du mal à percer l'Ethique.

Pour le reste, je le répète, vos analyses sont tout à fait intéressantes. Alors de grâce, si elles pouvaient servir autre chose que ce propos élitiste et ces préjugés d'un aristocratisme éculé... La réalité ne se réduit pas à M6 et NRJ.

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Messagepar Joie Naturelle » 15 mars 2008, 17:36

Bonjour Schmucke,
Votre pseudo aurait-il à voir avec la cantate BWV 180 de JS.Bach : Schmücke dich, o liebe Seele ?

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Messagepar Schmuke » 15 mars 2008, 20:06

Non, c'est le nom d'un personnage de Balzac, mal orthographié (faute de frappe à la saisie). En allemand bien sûr, le "Schmuck" c'est le bijou, et "sich schmücken" se parer, comme l'âme de Bach.

En dehors de cela, désolé pour mon emportement ci-dessus, d'autant plus que je viens de me rendre compte que le sujet, déjà ancien, a été "déterré". Quoi qu'il en soit, il me semble que c'est se mentir à soi-même et perpétuer de fausses hiérarchies et de vrais mépris que de pré-raisonner (préjuger) comme le faisait cl4dou...

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Messagepar substanceunique » 16 mars 2008, 19:57

Evidemment ça peut être perçu comme politiquement pas très correct de considérer qu'il y a une hiérarchie. Evidemment il y a certaines musiques dites "populaire" qui sont très agréables et très jolies à écouter. Mais pour parler Spinozien, la différence entre Sonne de Rammstein et la 3e symphonie dite héroïque de Beethoven est que, même si chacun exprime leur vérité parfaitement, l'une exprime le principe de musique plus profondément que l'autre. D'un côté vous avez un bon morceau et de l'autre un chef-d'oeuvre absolu. On ne peut comparer Madame Bovary et Maigret, si?

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Messagepar thibautt » 25 mars 2008, 13:38

Sans faire de sentimentalisme, l’inculture musicale des jeunes d’aujourd’hui conduit inéluctablement à leur néant réflexif en matière de littérature, de science, de philosophie…

Que voulez-vous dire? Je ne vois pas le rapport entre écoute de musique et capacité de réflexion. L'écoute de musique est selon moi toujours passive, et propice plutôt au délassement et justement au "néant réflexif": on pense à rien quand on écoute de la musique. Ca me rappelle une étude qui avait été faite sur l'écoute de musique classique supposée augmenter l'intelligence de jeunes (je sais plus l'age):ca n'avait rien donné...

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Messagepar substanceunique » 25 mars 2008, 18:17

ça dépend dans quel but on écoute la musique. On peut tout à fait écouter la musique en tant que délassement, mais de la même façon que ça peut faire plaisir de décortiquer un peu Proust et de se dire "c'est quand même merveilleux que ce soit aussi aboutis", être heureux d'avoir compris pourquoi ce chef d'oeuvre en était un, on peut écouter la musique de façon active. Je ne serais peut-être pas aussi catégorique que cl4dou sur le néant réflectif conféré par le manque de connaissance musicales puisque, ayant fréquenté des musiciens classique je peux dire avec certitude que chez certains, leur manque de connaissance autre que musicale les conduit aussi vers un néant réflectif.
Par contre, le fait qu'ils manquent de connaissance en général (même mes profs de khâgne s'en plaignent) les conduit effectivement vers une pauvreté intellectuel. Pourquoi? Parce que pour pouvoir monter un raisonnement, il est nécessaire d'avoir les vis, tournevis, écrous et boulons de la philo, de la littérature etc. Ça ne les empêche pas de réfléchir mais leur réflexion sera comme un hamac, fait de cordes. Utile et pratique une fois, moins confortable sur le long terme.


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