Determinisme et bonheur

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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DGsu
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Messagepar DGsu » 08 déc. 2007, 18:53

Bonsoir nepart.

Les explications et exemples qui précèdent sont excellent(e)s et clair(e)s, relisez-les lentement et attentivement.

Pour résumer, la fatalisme est une attitude irrationnelle liée à l'idée que tout est écrit par avance et donc que les faits eux-mêmes sont déjà établis. Alors que le déterminisme postule l'idée simple que des causes engendrent des effets, donc que rien n'est écrit à l'avance.

Il nous revient d'essayer de comprendre comment s'agencent ces causes, en nous et hors de nous, qui nous déterminent. En d'autres termes, tout reste à faire puisque les causes n'auront jamais donné tous leurs effets, et tout reste à comprendre, en tout cas à notre niveau d'entendement et de puissance.

Le fait que vous vous posiez déjà la question ici manifeste bien que vous cherchez à comprendre. Ce qui ne peut que vous emplir de joie, d'autant plus si vous poursuivez dans cette voie.

:D :D :D
"Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes." Rosa Luxemburg

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Messagepar Krishnamurti » 08 déc. 2007, 19:06

nepart, veux-tu dire que le pouvoir de l'insensé est aussi grand que celui de l'homme raisonable?

"Si le battement d'ailes d'un papillon peut déclencher une tornade, il peut aussi l'empêcher." Lorenz
http://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_du_chaos

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Henrique
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Messagepar Henrique » 08 déc. 2007, 19:09

nepart a écrit :Je ne vois pas comment on peut distinguer determinisme et fatalisme.

J'ai pourtant donné pas mal d'éléments pour cela...

Si le déterminisme dit que tout est l'effet d'une cause et que l'on pense que l'homme n'est que matière, alors l'homme ne choisit rien, et ne peut rien changer et donc tout est fait, sauf que l'homme ne pourrais jamais connaitre cette prévision.

C'est comme si vous disiez que vous ne voyez pas la différence entre amour et haine du fait que dans les deux cas il s'agit d'affects dans lesquels on a l'idée que quelque chose agit sur nous...

D'un point de vue spinoziste, l'homme n'est pas que matière mais cela ne change rien ici. Le fait est que dans le fatalisme et le déterminisme, l'idée de choix libre passe pour une illusion, mais pas pour les mêmes raisons. Dans le fatalisme, on suppose qu'on a été conduit à choisir A plutôt que B par des causes x et y parce qu'au final le destin l'a voulu, de telle sorte que si on agissait sur ces causes x ou y, rien n'y changerait, on reviendrait toujours vers A plutôt que B, parce que le destin c'est toujours plus fort que toi. Dans le déterminisme, on a aussi été conduit à choisir A plutôt que B pour les raisons x et y, seulement, comme nous sommes aussi une cause naturelle, nous avons, par la vertu de notre intellect, la puissance de comprendre que B peut être préférable à A (par les raisons r et s) et ainsi d'agir sur x et y pour aller avec certitude vers B plutôt que A.

Toute l'histoire actuelle est l'effet d'effet d'effet ... et ce sera pareil pour le futur.

Donc tout est déja fait.

Certes mais en quoi cela peut-il vous attrister si vous n'êtes pas rien mais une puissance essentielle dans l'ordre total de l'univers ?

Certes, vous perdez l'idée d'une volonté toute puissante, qui aurait le pouvoir indéterminé de se déterminer, ce que Serge appelle l'ego. Cette désillusion peut paraître douloureuse. Mais vous ne perdez en fait rien de réel si ce n'est l'illusion d'une volonté extérieure à l'ordre naturel, ce n'est pas comme perdre un bras ou une jambe ! Et vous gagnez le moyen intellectuel de cesser de vous culpabiliser chaque fois que quelque chose de désagréable vous arrive, sans pour autant justifier la paresse fataliste. C'est comme si Don Quichotte cessait de croire qu'il est un Chevalier errant : il souffrirait dans un premier temps de perdre cette illusion, mais bien moins qu'en persistant dans cette folie qui ne lui attire que coups de bâtons, moqueries, doutes lancinants nés de l'opposition permanente entre la puissance romanesque dont il veut se croire capable et la nécessité de constater au jour le jour qu'il ne jouit que d'une puissance limitée - qui n'est pas nulle, c'est celle d'un hidalgo du 17ème siècle et qui peut même en fait bien plus qu'un héros qui n'existe que sur le papier, mais limitée tout de même. En cessant d'avoir à inventer des histoires toujours plus farfelues pour justifier le décalage entre ce qu'il rêve et ce qu'il constate, ce que son corps subit, il pourrait enfin jouir de ce qu'il est, de sa puissance réelle, au lieu de devoir s'attrister du constat du décalage entre sa puissance imaginée et sa puissance réelle.

Enfin certe sans déterminisme on ne pourrais pas être heureux, mais le déterminisme, je pense qu'il ne vaudrait mieux ne pas en être conscient.


Comme vous le dites vous même, c'est par la puissance des causes en jeu dans la nature que nous pouvons augmenter notre puissance et ainsi connaître la joie - joie d'autant plus durable que nous connaissons bien les causes en présence dans la nature, au lieu de les ignorer comme l'animal qui y est entièrement soumis. Un animal peut connaître l'augmentation de sa puissance et ainsi ce que Spinoza appelle la joie, mais celle-ci étant entièrement dépendante des conditions extérieures, elle ne peut être durable. Au moyen de la raison, l'homme connaît ses déterminations et peut dès lors agir sur elle pour qu'elles tournent à son avantage, de sorte que ses joies, à commencer par celle de vivre longtemps, sont beaucoup plus durables que chez un animal de nature approchante comme le chimpanzé. Si donc nous n'étions conscients, comme l'animal, d'aucune cause nous déterminant, nous serions comme lui soumis à tous les vents des causes extérieures et nous pourrions ainsi jamais stabiliser le moindre affect positif. Mais, comme nous ignorons aussi nombre d'autres causes, notamment en ce qui concerne celles qui déterminent notre comportement, nous nous plaisons à imaginer que cela viendrait d'une volonté libre de toute causalité. Ainsi en vient-on à refuser de chercher les causes de nos comportements qui pourraient remettre en cause notre chère illusion. Mais de même que l'animal est moins puissant que l'homme qui a conscience de certaines causes déterminant son existence, de même l'homme qui vit dans le préjugé de la toute puissance de sa volonté est moins puissant que celui qui connaît les causes qui le déterminent à vouloir ceci plutôt que cela.

Et il faut lire ou relire Cervantès, qui décrit avec une ironie féroce le décalage entre le monde imaginaire dans lequel vit Don Quichotte et le monde réel, les histoires toujours plus incroyables dont Quichotte doit tenter de se persuader pour maintenir son rêve. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, Don Quichotte n'est pas heureux malgré la relative douceur de sa folie. Le Quichotte nous apprend ainsi beaucoup sur nous-mêmes qui voulons croire ordinairement que nos illusions, nos petites folies, nous protègent de la douloureuse vérité. En fait, ce n'est jamais la vérité qui fait souffrir mais la distance entre nos illusions et la vérité : souffrir de la vérité, c'est ainsi le symptôme qu'une part d'illusion demeure en nous. Se rendre entièrement à la vérité, ce qui n'est possible pleinement qu'au moyen de l'intellect (n'en déplaise aux sagesses misologues), c'est la connaissance de notre perfection même, c'est la béatitude.

Spinoza, qui fût un lecteur de Cervantès, ne nous dit pas autre chose dans les troisième et quatrième parties de l'Ethique : l'homme qui vit dans l'illusion d'une puissance qui n'est pas la sienne ne peut même pas avoir l'illusion de la joie qui devrait s'en suivre : il ne cesse certes de se dire joyeux mais il ne l'est pas.
Modifié en dernier par Henrique le 08 déc. 2007, 23:43, modifié 1 fois.

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Messagepar nepart » 08 déc. 2007, 19:44

J'ai l'impression que je n'arrive pas à m'expliquer, tout du moins par écrit.

Quelqu'un voudrais t'il me parler, je peut laisser mon skype, msn, telephone ou je peut prendre le votre, par message privé

Libre à vous de m'aider ou pas, mais je suis vraiment très mal actuellement, et une simple discussion m'aiderai beaucoup.

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Joie Naturelle
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Messagepar Joie Naturelle » 08 déc. 2007, 20:27

Henrique a écrit : Mais de même que l'animal est moins puissant que l'homme qui a conscience de certaines causes déterminant son existence, de même l'homme qui vit dans le préjugé de la toute puissance de sa volonté est moins puissant que celui qui connaît les causes qui le déterminent à vouloir ceci plutôt que cela.


Oui. L'homme n'est-il pas avant tout finalement l'être de la peur ? Mais de quoi a-t-il donc si peur ? De l'inconnu vers lequel il se dirige ? De la mort ? Du néant ? Il lui suffirait de réaliser qu'une vie éternelle passée sous la même forme serait la pire des choses pour qu'il cesse immédiatement de craindre la mort, du moins de la craindre à ce point.

Quant à la connaissance de ce qui nous détermine, elle vaut, je suis d'accord, mille fois mieux que son ignorance, laquelle ne saurait nous permettre d'accéder au rang d'homme libre.

Henrique a écrit :Et il faut lire ou relire Cervantès, qui décrit avec une ironie féroce le décalage entre le monde imaginaire dans lequel vit Don Quichotte et le monde réel, les histoires toujours plus incroyables dont Quichotte doit tenter de se persuader pour maintenir son rêve. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, Don Quichotte n'est pas heureux malgré la relative douceur de sa folie. Le Quichotte nous apprend ainsi beaucoup sur nous-mêmes qui voulons croire ordinairement que nos illusions, nos petites folies, nous protègent de la douloureuse vérité. En fait, ce n'est jamais la vérité qui fait souffrir mais la distance entre nos illusions et la vérité : souffrir de la vérité, c'est ainsi le symptôme qu'une part d'illusion demeure en nous. Se rendre entièrement à la vérité, ce qui n'est possible pleinement qu'au moyen de l'intellect (n'en déplaise aux sagesses misologues), c'est la connaissance de notre perfection même, c'est la béatitude.

Spinoza, qui fût un lecteur de Cervantès, ne nous dit pas autre chose dans les troisième et quatrième parties de l'Ethique : l'homme qui vit dans l'illusion d'une puissance qui n'est pas la sienne ne peut même pas avoir l'illusion de la joie qui devrait s'en suivre : il ne cesse certes de se dire joyeux mais il ne l'est pas.


Eh oui. Qu'il est dur de renoncer à ses illusions. Voilà qui donne envie de lire ou relire Cervantès ! Merci pour ce rappel.

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Ulis
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Messagepar Ulis » 09 déc. 2007, 09:52

Henrique,
Don quichotte, la vie d'un fou, la mort d'un sage. C'était le sujet d'une de mes premières dissert au collège !
L'extraordinaire pari d'un homme qui, parce que le monde tel qu'il est ne lui convient pas, en imagine un autre, tel qu'il voudrait qu'il soit. Il postule que l'illusion peut se substituer valablement au réel, que par la pensée, on peut créer un monde idéal, affranchi du réel.
Beaucoup, n'ayant peut être pas eu la chance de lire Cervantès en ont fait la triste expérience!
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Korto
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Messagepar Korto » 09 déc. 2007, 15:20

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Henrique
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Messagepar Henrique » 09 déc. 2007, 16:50

KORTO a écrit :Les illusions, les mythes, les fantasmes et les passions sont fabuleusement riches et porteurs de vérité. Toute l'histoire des sciences, toute l'Histoire l'attestent.
Vive don Quichotte !
Et l'art ? Hein ? L'art.
Pas très poète le Spino...
Allez, mettons avec lui à la poubelle tous les rêves et tous les arts.


Quand une illusion est identifiée comme telle, ce n'est plus une illusion. Lorsque nous avons compris que le soleil ne saurait être à une centaine de mètres au dessus de nos têtes, malgré la persistance de l'illusion perceptive, nous ne le pensons plus pour autant : l'important n'est pas ce que nos sens ou notre imagination nous montrent mais de quelle façon nous en interprétons le sens.

Ainsi, la poésie, les arts et notamment le roman, dont nous parlons ici, peuvent être un formidable outil de lucidité et ainsi de libération. Ils peuvent aussi être une source d'illusion et alors d'aliénation : ainsi en est-il des romans de chevalerie pour Don Quichotte. Mais le roman de Cervantès, lui, est en permanence dans la distanciation par rapport au rêve éveillé dans lequel vit le héros. Le roman lui-même est ainsi bien plus riche que Don Quichotte pris abstraitement et élevé en dernier héros de la pensée superstitieuse.

C'est d'ailleurs le deuxième grand roman moderne juste après les Cing Livres de Rabelais, qui au lieu de s'attrister du désenchantement du monde par la raison en tirent leur jubilation - joie possible parce que c'est une libération par rapport aux illusions de l'imagination et à leur forte tendance à nous faire nous prendre au sérieux, même quand nous affectons par la forme de parler sur un ton détaché de tout mais que nous conservons les illusions fondamentales du libre-arbitre, d'une providence divine, d'une action de l'âme sur le corps etc. C'est sur ce principe de distanciation que fonctionnent tous les grands romans de Scarron, Swift, Balzac, Maupassant, Flaubert, Proust, Céline, Kundera... Céline, au passage, dont il n'est pas donné à tout le monde d'imiter le style sans bien des lourdeurs :twisted:

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Messagepar Henrique » 09 déc. 2007, 17:15

Flumigel a écrit :Oui. L'homme n'est-il pas avant tout finalement l'être de la peur ? Mais de quoi a-t-il donc si peur ? De l'inconnu vers lequel il se dirige ? De la mort ? Du néant ? Il lui suffirait de réaliser qu'une vie éternelle passée sous la même forme serait la pire des choses pour qu'il cesse immédiatement de craindre la mort, du moins de la craindre à ce point.

"Si les hommes naissaient libres, ils ne se formeraient aucune idée du bien ou du mal tant qu'ils garderaient cette liberté." (E4P68) car la liberté, c'est de penser et d'agir pleinement par soi-même et donc d'avoir des idées adéquates tandis que lorsque nous parlons d'un mal et corrélativement d'un bien donnés, nous voyons une tristesse ou une joie là où du point de vue de la nature totale, objet des idées adéquates, il n'y a que perfection et non augmentation ou diminution de la perfection.


Eh oui. Qu'il est dur de renoncer à ses illusions. Voilà qui donne envie de lire ou relire Cervantès ! Merci pour ce rappel.

Je me réjouis de t'avoir communiqué cette envie ! C'est d'ailleurs remarquable de voir comment en général l'esprit humain admet difficilement que d'autres l'influencent dans un sens ou un autre, tout en se plaisant à constater l'influence positive qu'il peut exercer sur autrui...

Ulis a écrit :Don quichotte, la vie d'un fou, la mort d'un sage. C'était le sujet d'une de mes premières dissert au collège !

C'était costaud dis donc l'enseignement dans ton collège ! Les notions de folie et de sagesse ne sont pas simples à maîtriser pour un jeune de 13-14 ans.

L'extraordinaire pari d'un homme qui, parce que le monde tel qu'il est ne lui convient pas, en imagine un autre, tel qu'il voudrait qu'il soit. Il postule que l'illusion peut se substituer valablement au réel, que par la pensée, on peut créer un monde idéal, affranchi du réel.
Beaucoup, n'ayant peut être pas eu la chance de lire Cervantès en ont fait la triste expérience!


On se plaît aujourd'hui à présenter le fou comme plus libre que le commun des mortels. Cela va bien avec la tendance irrationnaliste qui accompagne la vague néo-libérale : chacun pense ce qu'il veut tant qu'il ne nuit pas à la sérénité du marché, il n'y a pas d'erreur de jugement possible en matière éthique. Pour être heureux, il suffit de se croire heureux : c'est tellement plus pratique de maintenir ce préjugé dans les consciences, par et pour la publicité, la marchandisation du monde. Il ne faut jamais avoir mis les pieds dans un hôpital psychiatrique pour croire qu'il suffit de se croire heureux pour l'être vraiment.

Pourquoipas
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Messagepar Pourquoipas » 09 déc. 2007, 21:26

Henrique a écrit :(...) On se plaît aujourd'hui à présenter le fou comme plus libre que le commun des mortels. Cela va bien avec la tendance irrationnaliste qui accompagne la vague néo-libérale : chacun pense ce qu'il veut tant qu'il ne nuit pas à la sérénité du marché, il n'y a pas d'erreur de jugement possible en matière éthique. Pour être heureux, il suffit de se croire heureux : c'est tellement plus pratique de maintenir ce préjugé dans les consciences, par et pour la publicité, la marchandisation du monde. Il ne faut jamais avoir mis les pieds dans un hôpital psychiatrique pour croire qu'il suffit de se croire heureux pour l'être vraiment.


Cher Henrique,

Juste sur ce point : je ne suis pas vraiment d'accord avec toi, je pense que (et pour Spinoza et "en vrai") la sensation de joie correspond à une joie réelle (= un passage à plus de réalité-perfection), le problème est celui de la durée. Pour le dire rapidement (et je sais de quoi je parle), la différence entre la joie de l'ivrogne (qui est réelle, j'insiste) et celle du philosophe est que celle de ce dernier ne donne pas la gueule de bois... D'où l'insistance de Spinoza sur les tristesses utiles, bonnes, et les joies nocives, mauvaises, et sur l'utilité des premières pour combattre les secondes.
Autre cas : la joie de l'orgueilleux (qui se sent plus que de juste : qui de se plus justo sentit) est réelle et constante, ce qui au fond la rapproche de la fameuse "béatitude" (manque évidemment le juste sentiment de soi-même). Et, si Spinoza se fend d'un très court scolie pour dire que l'"abject" (qui se sent moins que de juste : qui de se minus justo sentit) a des chances de s'en tirer, il ne dit rien de l'orgueilleux... La conclusion qu'il me semble qu'il faut en tirer est tout simplement que, pour que l'orgueilleux ait des chances de parvenir à la béatitutde, il faut qu'il en prenne plein la gueule (s'attriste donc), ce qui ne peut venir que de l'extérieur, puisque de lui-même, bien évidemment, il ne s'attristera pas (d'où par exemple, la proposition sur l'amour de l'orgueilleux pour les flatteurs et les parasites, ces derniers lui donnant l'illusion de la générosité).
Etc. Je me demande si avec tout ça, je ne me suis pas éloigné du sujet du post...

Autre point qui me vient à l'esprit : il y a dans la littérature un personnage très proche de Don Quichotte (mais le ton du roman est plus tragique), c'est une petite-bourgeoise normande qui a lu trop de romans d'amour et finit par se suicider à l'arsenic. Il y a, dans ce même roman, un personnage de pharmacien qui, lui, vit sans illusion et tient compte du réel (du moins argent et honneurs) : M. Homais, homme de science s'il en est... Et il est fort possible que Emma Bovary, quand elle a fait l'amour, a connu des moments de béatitude éternelle (je pèse mes mots - l'éternité est divine, même si, pour nous, êtres de durée, elle est passagère) que M. Homais ne connaîtra jamais...
Et au moins on peut dire que ni Emma ni l'hidalgo n'ont peur : ils affrontent et combattent, et de plus sont généreux (une souillon devient Dulcinée, femme idéale, les amants d'Emma, minables dragueurs, deviennent des princes charmants, etc.)... Après tout, Napoléon ou Hitler n'ont-ils pas créé du réel (et dont nous sommes conséquences) à partir de leur rêve ? (Cela au sujet de la réflexion sur l'idéal et le réel.)

Bon, tout ça en vrac. Mais disons que j'essaie de réfléchir à tous ces points.

Portez-vous bien

PS - Pour Korto, au sujet d'un Spinoza non "poétique" : je me demande quel sens tu donnes au mot "poésie", mais Spinoza est quelqu'un qui sait écrire et décrire le réel dans son style très personnel, à la fois rigoureux et concis, tout en sachant parfois s'étendre quand il le faut. Il suffit de lire quelques scolies comme celui sur le non-refus à Dieu de l'attribut Etendue (Ethique I, 15 S), celui sur la jalousie, le très long de la partie III, prop. 2 (sur la non-causalité entre le corps et l'âme). Il me fait parfois penser à La Rochefoucauld ou René Char (entre autres).
Autre remarque : pour être véritablement polémiste, il faut du talent. Voir Voltaire, par exemple (j'ai cité quelque part un poème de lui où il sait être totalement injuste mais au moins drôle), et l'infâme mais génial Céline (je maintiens les deux termes), etc.

Bon, sur ce, assez de bavardage pour aujourd'hui...


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