La question du suicide

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Marc
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La question du suicide

Messagepar Marc » 08 févr. 2004, 10:13

Bonjour,

Je souhaiterais recueillir votre avis sur ce que dit Spinoza concernant le suicide, car je ne sais pas ce qui l'en est.

D'une part, Spinoza semble dire à Blyenberg que s'il était dans la nature de l'homme de se suicider, il serait absurde qu'il ne le fît pas :
[...] C'est comme si on demandait s'il pouvait convenir à la nature de quelque être qu'il se pendît ; ou s'il y a des raisons pour qu'il ne se pende pas. Supposons cependant qu'une telle nature puisse exister, je l'affirme alors : si quelque homme voit qu'il peut vivre plus commodément suspendu au gibet qu'assis à sa table, il agirait en insensé en ne se pendant pas.


D'autre part, Spinoza semble nous dire que le suicide n'est pas dans la nature de l'homme, à cause du concept de conatus. L'homme qui connaît sa vraie nature ne peut que persévérer dans son être et par conséquent ne peut vouloir se donner la mort.

Voir aussi : http://perso.wanadoo.fr/sos.philosophie/spinoza.htm

Pour Spinoza chaque mode s'efforce de persévérer dans son être et cet effort, ce désir, qu'il appelle conatus, caractérise l'essence de cette chose. [...] Parce que vivre est à soi-même sa propre fin (nous voulons persévérer dans notre être) et parce que la raison n'est pas autre chose que nous-mêmes, la vie de la raison est, chez l'homme, fin en soi et non moyen.


Voir aussi : http://www.yrub.com/philo/spinozaeth3d.htm

[Proposition IV] « Spinoza prend le cas concret du suicide : le comportement de quelqu'un qui se suicide étant en soi illogique, il ne peut s'expliquer que par le fait qu'il est possédé, aliéné par des influences extérieures (des causes) étrangères à sa propre nature. Les phénomènes apparents de destruction de soi concernent un groupe de parties qui sont déterminées à entrer sous d'autres rapports et se comportent en nous comme des corps étrangers. Un autre exemple étant celui des maladies « auto-immunes » (cf. Deleuze, Spinoza, philosophie pratique, p.60) où un groupe de cellules dont le rapport est perturbé par un agent extérieur (un virus) sera détruit par notre système immunitaire. Dans le suicide, c'est le groupe perturbé qui prend le dessus et qui, sous son nouveau rapport, induit nos autres parties à déserter notre système caractéristique. »


De plus, d'après Deleuze, Spinoza distinguerait les parties intensives que nous sommes et qui sont éternelles, des parties extensives que nous avons et qui sont temporaires. Et d'après moi, comme Spinoza était un garçon on ne peut plus rationnel, le suicide devait lui paraître aussi saugrenu qu'inefficace dans la mesure où nous ne pouvons tuer la partie intensive de nous-mêmes puisqu'elle est éternelle.

Voir aussi : http://minilien.com/?44gWYsa8Fh

Et encore une fois, qu'est-ce que ça veut dire, mourir ? Mourir ça ne veut dire qu'une chose: c'est que les parties qui m'appartenaient sous tel ou tel rapport sont déterminées du dehors à entrer sous un autre rapport qui ne me caractérise pas, mais qui caractérise autre chose. [...] Expérimenter que je suis éternel c'est expérimenter que "parties" au sens intensif coexiste et diffère en nature de "parties" au sens extrinsèque extensif. J'expérimente ici et maintenant que je suis éternel, c'est-à-dire que je suis une partie intensive ou un degré de puissance irréductible aux parties extensives que j'ai, que je possède, si bien que lorsque les parties extensives me sont arrachées (= mort), ça ne concerne pas la partie intensive que je suis de toute éternité. J'expérimente que je suis éternel.[Gilles Deleuze]


Enfin, Gilles Deleuze qui vénérait Spinoza choisit de se donner la mort en se défenestrant à l'âge de 70 ans.

Qu'en pensez-vous ?

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bardamu
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Messagepar bardamu » 08 févr. 2004, 17:09

Salut,
chez Spinoza la mort vient toujours du dehors.
On est suicidé par l'extérieur plutôt qu'on ne se suicide. C'est donc quand notre puissance d'être est détruite par l'extérieur qu'on a l'idée qu'il faut "se" suicider et qu'on passe l'acte. Lorsqu'on a l'idée claire, on est déjà mort.
La mort par le suicide, par un cancer ou par un accident de voiture semble différente mais elle est essentiellement la même.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 10 févr. 2004, 13:30

Dans une approche spiritualiste, la capacité de se donner la mort serait la preuve ultime de l'indépendance et de la supériorité de l'esprit par rapport au corps. Du point de vue spinoziste, le mental et le corps sont une seule et même chose considérée sous l'angle de l'étendue ou de la pensée, il ne saurait donc y avoir de "domination" du mental sur le corps et inversement. Comme chaque être, pas seulement l'homme, s'efforce de persévérer dans son être en tant que partie "intensive" de la nature, expression de la puissance de s'affirmer de la substance, la raison ne peut être à l'origine du suicide. La raison en effet n'est que compréhension de la nature dans son rapport immanent de causalité, elle ne peut donc rien commander de contraire à la nature : E4P18, scolie.

Il n'y a donc pas de suicide à proprement parler, il n'y a que des corps qui poussés par des causes extérieures se détruisent eux-mêmes. La cause déterminante ici n'est pas le corps lui-même avec son conatus propre, mais les corps extérieurs qui prennent le pas sur le corps du "suicidaire" : "Ainsi, celui qui tire par hasard son épée et à qui un autre saisit la main en le forçant de se frapper lui-même au coeur, celui-là se tue parce qu'il y est contraint par une cause étrangère. Il en est de même d'un homme que l'ordre d'un tyran force à s'ouvrir les veines, comme Sénèque, afin d'éviter un mal plus grand. Enfin, il peut arriver que des causes extérieures cachées disposent l'imagination d'une personne et affectent son corps de telle façon que ce corps revête une autre nature contraire à celle qu'il avait d'abord, et dont l'idée ne peut exister dans l'âme (par la Propos. 10, part. 3)." (E4P20, scolie).

Je pense que tout en restant dans une logique spinoziste, on peut encore interpréter différemment ou du moins compléter cette compréhension du suicide : dans l'acte de se donner la mort, le suicidaire affirme encore sa puissance d'exister contre les causes extérieures, même si c'est de façon fort inadéquate et illogique. Pascal disait à cet égard que celui qui va se pendre espère encore de vivre. Une personne qui est en permanence humiliée dans son cadre professionnel par exemple et qui finit par se dire qu'elle est effectivement aussi "nulle" qu'on le dit affirmera à sa façon que cette vie n'est pas celle qu'elle veut avoir, celle dans laquelle elle se reconnait et dans laquelle ce corps qu'elle est peut se sentir à son aise. Elle affirmera alors une idée d'elle-même et son corps une partie de lui-même contre la partie qu'elle juge confusément différente et mauvaise d'elle-même.

C'est comme cela que je peux comprendre la démarche d'un Deleuze qui vaincu par la maladie, devenu physiquement impotent et dépendant, a affirmé la partie de lui-même qu'il jugeait la plus digne : son pouvoir d'être un corps/mental autonome et philosophe contre les parties soumises à la durée de son corps/mental. Mais ce faisant, il a en même temps affirmé qu'il perdait le contrôle de lui-même, vaincu par la maladie, ce qui est cohérent avec la théorie spinozienne.

Il faut bien voir à mon sens qu'il n'y a pas de condamnation morale du suicide chez Spinoza. Un corps qui est conduit à se donner la mort agit inadéquatement avec sa propre nature, c'est donc mauvais comme la maladie est mauvaise mais ce n'est pas un mal comme ce serait le cas si nous pouvions nous déterminer de façon absolument indépendante du reste de la nature. Ne pouvant être véritablement tenu pour responsable de son acte, le suicidaire n'a pas à être condamné comme ayant été animé d'une intention méchante en soi.

Amicalement,
Henrique

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Marc
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Messagepar Marc » 14 févr. 2004, 18:15

Merci Henrique pour cette réponse très complète.
"[...] Enfin, il peut arriver que des causes extérieures cachées disposent l'imagination d'une personne et affectent son corps de telle façon que ce corps revête une autre nature contraire à celle qu'il avait d'abord, et dont l'idée ne peut exister dans l'âme (par la Propos. 10, part. 3)." http://www.spinozaetnous.org/ethiq/ethiq4.htm#p20(E4P20, scolie).
Là, je coince : des causes extérieures cachées disposeraient notre imagination de telle sorte que l'idée de la nouvelle nature de notre corps ne pourrait exister dans notre âme (?) J'ai du mal avec le sens précis des termes "imagination", "idée", "corps" et "âme". J'avais cru comprendre que le corps et l'âme ne faisaient qu'un pour Spinoza... Peux-tu (encore) m'aider ?
C'est comme cela que je peux comprendre la démarche d'un Deleuze qui vaincu par la maladie, [...]
Oui, c'est ce que j'ai supposé également.
Il faut bien voir à mon sens qu'il n'y a pas de condamnation morale du suicide chez Spinoza [...] Ne pouvant être véritablement tenu pour responsable de son acte, le suicidaire n'a pas à être condamné [...]
C'est ce que je pressentais sans pouvoir me l'expliquer.

Bien à toi,

Marc

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succube
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Messagepar succube » 16 févr. 2004, 12:20

Il y a comme de l'embarras devant le suicide d'un fervent spinoziste .Car enfin, l'un des objets et l'un des buts de cette ascèse intellectuelle est bien de nous procurer par la connaissance adéquate des raisons de notre état dépressif et de notre fatigue de vivre par l'apaisement des passions dites tristes . Il y aurait à suivre la médecine de Spinoza un aspect préventif et curatif à notre mal-être congénital . L'aboutissement suicidaire de Deleuze en signe l'échec .

Henrique nous dit :

"
C'est comme cela que je peux comprendre la démarche d'un Deleuze qui vaincu par la maladie, devenu physiquement impotent et dépendant, a affirmé la partie de lui-même qu'il jugeait la plus digne : son pouvoir d'être un corps/mental autonome et philosophe contre les parties soumises à la durée de son corps/mental. Mais ce faisant, il a en même temps affirmé qu'il perdait le contrôle de lui-même, vaincu par la maladie, ce qui est cohérent avec la théorie spinozienne
"

Je pourrais m'interroger sur la nature de cette partie de soi-même que le suicidaire pense avoir perdu et qui serait paraît-il plus digne à vivre que celle à laquelle il se voit réduit . Outre que son entraînement eut dû le préparer à comprendre et donc à accepter les causes matérielles irrésistibles et donc prévisibles de sa déchéance , comment n'a t-il pas perçu le caractère construit et donc inessentiel d'une image de son être en tant qu'écrivain philosophe maître de ses pensées comme de son corps ? La vie n'est pas un parterre de roses et s'il y a bien quelque chose à apprendre c'est que nous sommes en permanence en équilibre instable entre espoir et désespoir , entre le dégoût de ce que nous sommes et la désespérance de nous perdre ou de ne pas nous trouver . Ces deux derniers points sont essentiels et correspondent à notre état le plus courant , ils sont si essentiels que cela explique la plus grande place qu'occupe le désespoir dans notre vie , quelle que soit notre puissance contingente et passagère de penser et d'agir .C'est pourquoi le chemin de la béatitude , celui du bonheur parfait , est moins le chemin de la connaissance que celui de la consolation et de la justification de notre être , aussi misérable soit-il .

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Messagepar bardamu » 16 févr. 2004, 23:33

succube a écrit :(...) Il y aurait à suivre la médecine de Spinoza un aspect préventif et curatif à notre mal-être congénital .

Quelle drôle d'idée que ce "mal-être" congénital...
Freud avait beau insister : l'homme n'est pas malade de naissance.
A lire absolument : "L'anti-Oedipe" par Gilles Deleuze et Félix Guattari.
L'aboutissement suicidaire de Deleuze en signe l'échec .

Le suicide de Deleuze est le suicide d'un vieil homme malade qui a eu la générosité, pour lui-même et pour les autres, de ne pas finir en mort-vivant. Dès lors qu'on identifie la vie au corps organique, on peut exiger la survie sous perfusion des corps humains, mais dans une vision plus spirituelle comme celle de Spinoza ou de Deleuze, ce serait sans doute dans cette survie qu'on serait vraiment mort. On peut en effet mourir plusieurs fois dans sa vie et cette mort par la décadence organique est rationnellement une chose qu'on peut vouloir éviter, de même qu'on s'est efforcé dans le reste de son existence de ne pas rester idiot et d'éviter de passer sous une voiture.

E4P39 :

Je ferai seulement remarquer ici que j'entends par la mort du corps humain une disposition nouvelle de ses parties, par laquelle elles ont à l'égard les unes des autres de nouveaux rapports de mouvement et de repos ; car je n'ose pas nier que le corps humain ne puisse, en conservant la circulation du sang et les autres conditions ou signes de la vie, revêtir une nature très différente de la sienne. Je n'ai en effet aucune raison qui me force à établir que le corps ne meurt pas s'il n'est changé en cadavre, l'expérience paraissant même nous persuader le contraire. Il arrive quelquefois à un homme de subir de tels changements qu'on ne peut guère dire qu'il soit le même homme. J'ai entendu conter d'un poète espagnol qu'ayant été atteint d'une maladie, il resta, quoique guéri, dans un oubli si profond de sa vie passée qu'il ne reconnaissait pas pour siennes les fables et les tragédies qu'il avait composées ; et certes on aurait pu le considérer comme un enfant adulte, s'il n'avait gardé souvenir de sa langue maternelle. Cela paraît-il incroyable ? Que dire alors des enfants ? Un homme d'un âge avancé n'a-t-il pas une nature si différente de celle de l'enfant qu'il ne pourrait se persuader qu'il a été enfant, si l'expérience et l'induction ne lui en donnaient l'assurance ? Mais pour ne pas donner sujet aux esprits superstitieux de soulever d'autres questions, j'aime mieux n'en pas dire davantage."


C'est pourquoi le chemin de la béatitude , celui du bonheur parfait , est moins le chemin de la connaissance que celui de la consolation et de la justification de notre être , aussi misérable soit-il .


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Messagepar succube » 17 févr. 2004, 11:26

Entre se suicider par désespoir de ne plus pouvoir coller à l'image idéale que l'on se fait de soi-même , selon Henrique :

C'est comme cela que je peux comprendre la démarche d'un Deleuze qui vaincu par la maladie, devenu physiquement impotent et dépendant, a affirmé la partie de lui-même qu'il jugeait la plus digne : son pouvoir d'être un corps/mental autonome et philosophe contre les parties soumises à la durée de son corps/mental. Mais ce faisant, il a en même temps affirmé qu'il perdait le contrôle de lui-même, vaincu par la maladie, ce qui est cohérent avec la théorie spinozienne.


et se suicider dans un mouvement altruiste afin de ne pas représenter un poids pour son entourage selon Bardamu :

Le suicide de Deleuze est le suicide d'un vieil homme malade qui a eu la générosité, pour lui-même et pour les autres, de ne pas finir en mort-vivant. Dès lors qu'on identifie la vie au corps organique, on peut exiger la survie sous perfusion des corps humains, mais dans une vision plus spirituelle comme celle de Spinoza ou de Deleuze, ce serait sans doute dans cette survie qu'on serait vraiment mort


il y a comme un gouffre . Ce gouffre c'est celui qui se creuse entre le narcissisme et l'extrême humilité et générosité .Les deux attitudes bien que fausses et injustifiées en elles même , sont incompatibles .On ne peut sans inconséquence les soutenir simultanément .

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Marc
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Messagepar Marc » 17 févr. 2004, 11:56

Succube nous dit :
Entre se suicider par désespoir de ne plus pouvoir coller à l'image idéale que l'on se fait de soi-même et se suicider dans un mouvement altruiste afin de ne pas représenter un poids pour son entourage, il y a comme un gouffre. Ce gouffre c'est celui qui se creuse entre le narcissisme et l'extrême humilité et générosité. Les deux attitudes bien que fausses et injustifiées en elles même , sont incompatibles
Je ne le dirais pas comme ça. Pour moi, avoir à la fois conscience d'être diminué physiquement et intellectuellement et de représenter un fardeau potentiel pour les autres ne me semble pas incompatible. Si le souci de l'autre me semble bien participer de la générosité et de l'altruisme, la prise de conscience d'une impotence (ou diminution du pouvoir d'agir) me semble relever plus du réalisme que du narcissisme, dans ce cas.

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Cesare
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suicide, maladie auto-immune, et Gilles Deleuze

Messagepar Cesare » 06 mars 2004, 11:03

Bonjour,

Je reviens sur cette citation tirée de "Spinoza, philosophie pratique" de G. Deleuze portant sur les maladies auto-immunes dont je reprends ici la citation par Marc:

" Un autre exemple étant celui des maladies « auto-immunes » (cf. Deleuze, Spinoza, philosophie pratique, p.60) où un groupe de cellules dont le rapport est perturbé par un agent extérieur (un virus) sera détruit par notre système immunitaire. Dans le suicide, c'est le groupe perturbé qui prend le dessus et qui, sous son nouveau rapport, induit nos autres parties à déserter notre système caractéristique. »

Il me semble que dans cet exemple, il n'y aurait suicide que pour autant qu'il y aurait perturbation d'un groupe de cellules, ce qui veut être montré ici de façon contradictoire par l'emploi inexact de l'exemple "auto-immun" dès lors qu'il existe une cause externe. Et si tel n'est pas le cas, si le groupe de cellules n'est pas perturbé mais dans un cycle d'évolution non connu, que reste-t-il de l'argument sur le suicide?

Si ce groupe de cellules n'est pas pertubé, ne serait-ce pas parce qu'il serait dans l'essence même de ces cellules - du corps - d'évoluer vers une modifcation non de ses rapports externes ou internes, mais bien de son essence propre: et dans ce cas, pourquoi n'en n'irait-il pas tout autant pour un groupe de pensées, pour une idée, pour un concept, que pour un groupe de cellules, si j'entends bien ce que Spinoza nous dit du corps et de l'esprit.


Sur l'exemple choisit:

G. Deleuze reprend ce texte dans les années 80, ce que l'on pourrait deviner en lisant cet extrait qui fait allusion au sida, de même que GD cite Schwarzenberg quelques pages plus haut: il me semble que cette remarque de Deleuze est en effet nettement datée, par l'état des connaissances médicales lorsqu'il écrit ces lignes, qui en effet reflètent assez bien ce que l'on savait du sida au milieu des années 80.

Cet exemple est en fait, comme souvent quand on prend exemple sur un phénomène nouveau actuel et encore inexpliqué, un contre-exemple. En effet, on choisit une maladie auto-immune tout justement parce qu'elle est censée être produite par une modification ce l'organisme lui-même et plus exactement par une modification de certains rapports biologiques à l'intérieur du corps - mais donc, sans cause extérieure.

Ce qui n'est pas ici le cas, puisqu'il s'agit d'un virus:

si l'on veut reprendre les notions spinozistes fondamentales qui sont celles des modifications de rapports, ici du corps avec lui-même, le fait que le dérèglement du système immunitaire soit dans le cadre du sida, en effet provoqué par une présence virale ramène à une situation qui appartient au mauvais en cela que cette présence, ou cet intrusion dans le corps est cause d'une bouleversement de ces rapports, et qu'il s'agit là d'une cause externe: au même titre qu'un quelconque autre poison.

Voila qui me semble désamorcer l'intérêt de cet exemple qui est parti d'une référence aux maladies auto-immunes en prenant une maladie virale comme cas précis, alors même que cette maladie virale, causée par un agent exterieur, n'est en rien une maladie auto-immune mais en effet une maladie infectieuse virale.

La confusion tient semble-t-il à l'explication erronée de ces années aux malaides immunitaires longtemps considérées comme "auto-immunes" parce que les moyens de la sciences ne permettaient pas d'en repérer la cause: tout au plus d'en soupçonner la cause (un virus) que l'on n'a pu soit dit en mémoire de l'histoire du sida, que très tardivement observer directement. ( les premiers clichés directs du VIH datent de la fin des années 80, début 90).

Le glissement de sens provient en fait d'une méprise qui dura longtemps sur l'éthiologie du sida, et qui tient sans doute pour partie au contre-emploi du terme emploi de maladies "auto-immunes": qu'il est plus conséquent de désigner sous le vocable ancien mais toujours scientifiquement exact, d'"idiopathique": il a l'avantage d'exclure par définition tout cause extérieure.

Une affection idiopathique n'a d'autre cause imaginable qu'un dérèglement du corps lui-même dont rien ne permet de dire qu'il est provoqué par une cause externe.

Prenons brièvement l'exemple d'une affection qui se retrouve à la fois dans le sida et dans une amaldie effectivement auto-immune:le purpura thrombopénique, maladie de l'hématopoièse qui se caractérise par une disparition des plaquettes sanguines: il s'agit d' une maladie sans cause extérieure - dûe à un fonctionnement idiopathique du corps - qui menace à court terme la vie des personnes qui en sont atteintes.

La présence du virus VIH, même relativement inactif, voire la simple latence du VIH, suffit à déclencher des thrombopénies dites "VIH+" avec potentiellement les mêmes effets, pour des causes tout à fait différentes, le système immunitaire étant trompé et détruisant ces plaquettes maculées par des particules virales, donc modifiant les rapports du systèmes immunitaires à ces plaquettes de telle sorte qu'elles ne sont plus reconnues et donc éliminées.

En fait, pour revenir proprement au commentaire de Deleuze à propos du suicide dans le cadre des maladies auto-immunes il faudrait être assuré qu'elles sont bien définies comme idiopathiques non pas faute d'avoir les moyens scientifiques d'en découvrir l'éthiologie, mais parce qu'il y aurait des pathologies purement idopathiques donc entraînant une modification du fonctionnement du corps ne consistant pas tant en une modification de des rapports entre certaines de ses parties internes organiques ou non ( biochimiques?) mais bien une situation où l'on pourrait être certain que cette apparence de modification serait en effet une évolution "sui generis". Ce ne sont plus des rapports qui se trouveraient modifiés, et on peut peut-être imaginer qu'interviennent ici outre la question de l'essence du corps et de l'esprit, la difficle question de la durée et de l'influence de la durée sur les essences.

A partir de quelle durée le corps pourrait-il procéder à sa propre évolution essentielle en :) passant d'un état de vivant à un autre?

Cordialement,

Cesare

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le suicide de Deleuze

Messagepar virpolo » 17 avr. 2004, 19:55

Plusieures appréciations du cas (suicide-de-deleuze) me semblent inadéquates :

1. on ferait ici de Deleuze, principalement, voire exclusivement, un spinoziste (alors qu'il est deleuzien par essence). Il l'a clairement dit (abécédaire) et écrit : faire de la philosophie en partant d'un autre philosophe, c'est lui faire un enfant dans le dos (lui faire dire ce qu'il ne dit pas) ET lui rapporter un peu de cet amour qu'il nous a donné. C'est avant tout et toujours faire sa propre philosophie, celle que l'autre n'a pas faite. En ceci, le suicide de Deleuze renvoie directement à la philosophie de Deleuze (et, très indirectement seulement, à celle de Spinoza, quelque soit l'amour de l'un pour l'autre).

2. Le texte clé de ce cas, c'est, me semble-t-il, le dernier texte de Deleuze, paru dans "Philosophie 47", et intitulé : "L'immanence : une vie". Ce texte est, il en avait conscience, le texte testamentaire du philosophe.

3. Le suicide de Deleuze, comme acte privé, n'appel à aucun commentaire. Comme acte public (l'une de ses indéniables dimensions), il se présente comme une question philosophique : celle du suicide. Spinoza donne une vue sur cette question. D'autres philosophes également. Le geste de Deleuze n'y répond pas. Il la pose, clairement, dans le domaine public, sur le trottoire. La question n'est donc pas de savoir si ce serait, ou non, adéquat et spinoziste pour Deleuze de se suicider, mais tout simplement ce que c'est que le suicide, en tant qu'acte singulier et philosophique, s'exprimant dans une collectivité.

4. A cette question, Spinoza apporte une réponse, que vous avez citée... Deleuze n'en livre aucune.

Pour en être presque passé par là (au bord de la fenêtre et du geste "final"), je dois dire que Spinoza, en ce qui me concerne, voit juste : des forces extérieures plus puissantes que celles qui maintiennent à l'instant les rapports du corps viennent menacer ces rapports, etc. Mais tout est dans le presque. Si je ne suis passé à l'acte, c'est que les forces de persévérance dans mon être ont su "garder la main". Et notre question, donc, ne pourrait être résolue qu'à la condition de pouvoir la poser, post mortem, à Deleuze.
nul ne sait ce que peut la fabrique du corps


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