Messagepar Joie Naturelle » 06 déc. 2008, 08:47
Bonjour Phiphilo,
Je te remercie pour ta réponse extrêmement intéressante qui m’a aidé dans mon cheminement. Les sources relatives au contexte historique et à Bach étaient à la fois instructives et éclairantes pour moi.
Je voudrais revenir un instant sur la notion de Beau, sa relativité et l’intersubjectivité que tu énonces.
Quelle est cette « culture d’une époque ou d’une civilisation » qui nous « pousse à trouver beau » et influencerait ou orienterait ainsi notre goût ? Je suppose qu’il s’agit de l’ensemble des affects communs, de la synthèse des manifestations intersubjectives dont tu parles plus loin. Cette synthèse (naturelle) des goûts des uns et des autres exercerait une forme de « pression positive » sur l’individu, sur sa façon de ressentir les choses. L’enjeu pour lui : créer du lien social. Moi, individu, je désire créer du lien social, car tel est mon intérêt premier. Je vais donc adhérer (consciemment ou non) aux valeurs de la société, je serai porté à aimer et trouver belles les œuvres qu’elle aura retenues, les œuvres qui se seront dégagées de la synthèse qu’elle aura opérée.
Le Beau est donc à la fois une notion relative et intersubjective. Relative, car révélatrice de l’état du corps de chaque individu (c’est un Beau relatif), et intersubjective car dépendant des influences de la société dans laquelle l’individu évolue (ce Beau là est relatif à la synthèse des goûts communs qui se sont inter-influencés). Le Beau né de l’intersubjectivité est-il un Beau absolu ? Il contient davantage d’absolu sans doute que celui qui ne révèle que l’état du corps de l’individu pris isolément. Mais il demeure relatif à la synthèse d’un ensemble de désirs, de goûts humains. Il révèle en cela une certaine essence de la nature humaine. Le Beau, c’est le constat qu’existe, dans l’Homme pris au sens large, telle ou telle tendance.
Je voudrais en venir à la question qui me préoccupe : comment s’opère cette synthèse des goûts des uns et des autres ? Tu me dis (avec Spinoza, je pense) que ce qui affecte l’être le plus souvent et avec le plus d’intensité, c’est la société des hommes, c’est le lien social, enjeu principal des actions humaines. D’où comme l’affirme Kant, une tendance irrépressible du jugement esthétique à valoir universellement.
Toutefois, l’individu qui écoute une musique, regarde un tableau, ou lit une poésie, recherche en principe le plaisir des sens que lui procure l’œuvre qu’il a sous les yeux ou au creux de l’oreille. Il me semble donc que dans le domaine précis de l’Art, ce qui nous affecte le plus souvent et avec le plus d’intensité, ce n’est pas la société et le commerce des humains, mais le fait que nous éprouvions des sentiments et des émotions que nous sentons venir en nous comme une montée de fièvre. C’est ainsi que si la société des hommes nous pousse aux produits de consommation courante, aux tubes à succès rémunérateurs, des individus choisiront pourtant de ne pas se tourner vers ce type de produit culturel et lui préfèreront des beautés d’accès plus difficile et nettement moins diffusées, mais plus prometteuses en termes de retour émotionnel. Car comme le dit Spinoza lui-même à la fin de l’Ethique : « Tout ce qui est beau est difficile autant que rare ».
Pour reprendre Spinoza que tu cites, les notions de valeur, de beauté ne sont pas formées de la même façon par tout le monde. Elles varient pour chacun suivant ce qui dans les images a le plus souvent affecté son corps et ce que l’âme imagine ou rappelle avec plus de facilité. Voilà qui me semble relever de l’expression de la nature de l’être, de sa complexion, de sa constitution naturelle...
Ainsi les êtres ne forment pas tous de la même façon les notions de valeur et de Beau. Car ils sont constitués différemment et ne ressentent pas nécessairement la même chose face au même objet. Il se pourra sans doute que ce que ressentent certains individus face à une œuvre quelconque n’atteigne pas une intensité en vérité si considérable. Il se peut alors que la faiblesse de leur « ressenti », que l’on peut deviner plus qu’apprécier réellement, cède la place au désir d’aimer ce qu’aime la société des hommes, dans ses constantes interactions. Dans ce cas, l’enjeu ontologique n’est-il pas ce qui nourrit un engouement plus ou moins passager pour une œuvre, qu’on appelle l’effet de mode ?
Je remarque également que le goût personnel de certains individus s’accorde assez bien avec le Beau tel qu’il ressort de l’intersubjectivité. Par exemple certains individus entendent JS.Bach, or les grandes œuvres de Bach ont été consacrées par l’intersubjectivité. Le goût personnel d’autres ne s’accordera en revanche jamais avec ce Beau (ou alors seulement fortuitement), mais s’alignera plutôt sur les inclinations du plus grand nombre à un moment précis et très limité dans le temps. Ainsi le Beau intersubjectif me paraît exister dans l'homme, mais peut-être pas dans tous les hommes. Par ailleurs on ne peut y retrouver (dans l'homme-individu) que des fragments incomplets de ce Beau intersubjectif puisque le subjectif ne saurait recouvrir entièrement l'intersubjectif.
Modifié en dernier par
Joie Naturelle le 06 déc. 2008, 12:57, modifié 1 fois.