Et pendant ce temps-là, à la même heure, tout là-bas...

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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Durtal
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Messagepar Durtal » 08 nov. 2009, 21:35

"Explication" suite à la définition XX (indignation)

S a écrit :"Je sais que ces mots ont dans l'usage ordinaire un autre sens. Mais mon dessein est d'expliquer la nature des choses non le sens des mots, et de désigner les choses par les vocables dont le sens usuel ne s'éloigne pas entièrement de celui où je les emploie, cela soit observé une fois pour toutes.
"

D.

Bon un commentaire tout de même: "tristesse" chez Spinoza: toute espèce de "mal être" ( et oui je ne recule devant rien: aussi de "mal-à-être"), même quand celui ci est très fugace, même quand celui ci s'ignore comme tel. Et j'ai peur que Spinoza géométrisant ne soit bien plus profond psychologue sur ce point qu'un certain marin d'eau douce des "mers du sud" le vilipendant sans l'avoir lu.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 09 nov. 2009, 02:53

Enegoid a écrit :Pour Louisa (que je salue au passage):

Deux travaux pratiques spinoziste. Décrivez comment on brise le cercle vicieux de la haine dans les deux cas suivants :

1 Deux passagers du Titanic se retrouvent dans l’eau autour d’une planche. Celle-ci ne peut porter qu’un passager. Donc deux morts ou un seul. Décrivez l’enchaînement des passions.

2 Iles Salomon. La mer monte (réchauffement climatique). Le peuple des plages doit monter se réfugier sur les plateaux. Ces derniers sont déjà occupés par un autre peuple. Les représentants des deux peuples disent,calmement (pour l'instant!), qu’ils ne voient pas comment éviter la guerre.
La solution serait très utile car il s’agit d’un cas réel (présenté sur Thalassa FR3 vendredi).

Je tiens que ces situations extrêmes constituent une composante plus ou moins importante mais significative de toutes les situations sociales. Il s’agit tout simplement de la question économico-politique de la rareté.
On en retrouve une part infime sur le forum (la place, le nombre de sujets, l’attention des lecteurs n’est pas extensible à l’infini). Mais les corps ne sont pas impliqués, alors, c’est cool !


Bonjour Enegoid,

merci pour ces questions, qui de toute évidence sont très intéressantes vu ce dont on discute.

Je commencerai par la fin: vous dites qu'en discutant sur un forum comme celui-ci, les "corps ne sont pas impliqués". D'un point de vue chrétien c'est peut-être vrai (et encore ...), mais d'un point de vue spinoziste ... ? Chez Spinoza il n'y a pas de mouvement corporel sans que l'Esprit en forme une idée. Les corps sont donc toujours autant impliqués que le sont les Esprits, non ... ?

Ce qu'il y a c'est que sur un forum électronique où l'on travaille avec des pseudos, notre vie ne peut pas être menacée. On ne risque pas la mort. Mais la mort est une affaire aussi corporelle que spirituelle, chez Spinoza, non?

Enfin, passons aux exemples que vous donnez.

Comme déjà dit ci-dessus à DGsu, à mon sens le remède spinoziste à la Haine ne vaut que pour la Haine au sens "quotidien" du terme, et non pas pour la lutte contre la mort, qui est une Haine d'un tout autre ordre, ou un cas extrême. Par conséquent, je ne pense pas qu'on puisse appliquer le même raisonnement à l'un et à l'autre.

Ceci étant dit:

1. la Haine étant la diminution de la puissance accompagnée d'une cause extérieure, il faut à mon sens dire que seul celui qui aura Peur et/ou qui perd le combat contre l'autre éprouvera de la Haine. Mais peut-on vraiment encore l'appeler "Haine"? Je dirais que non, puisqu'au lieu d'une diminution de la puissance, il s'agit de la mort, c'est-à-dire d'une situation où celui qui perd le combat perd aussi la vie, ce qui signifie que plus rien n'effectue le rapport de mouvement et de repos qui le caractérise dans le temps. Au lieu d'une diminution de sa puissance, il s'agit donc d'un arrêt tout court du conatus lié à cette puissance. C'est pourquoi ce n'est plus de la Haine, mais simplement la mort. C'est aussi la raison pour laquelle à mon avis on ne peut pas se baser sur de telles situations extrêmes pour pouvoir penser la Haine au sens propre, puisque là il ne s'agit pas de la mort, il s'agit du fait qu'on a une idée imaginaire d'une autre chose et que si on n'a pas trop de puissance de penser, on va tenter de détruire cette chose qu'on imagine être la cause de la diminution de notre puissance. On a donc un autre mécanisme, qui demande un autre type d'action donc de remède, non ... ?

2. Je n'ai pas vu l'émission, mais de prime abord je conseillerais Lilypad (http://www.terra-economica.info/Lilypad ... e,715.html), la solution inventée par l'architecte Vincent Callebaut .. :D

Seul désavantage: elle ne sera disponible qu'à partir de 2100 :? . Que faire en attendant? Je dirais: ne pas supposer d'emblée que les deux peuples en question sont stupides. S'il n'y a vraiment pas de place pour ceux qui vivent au bord de la mer sur les plateaux (mais comment cela pourrait-il être possible?), alors il devrait y avoir moyen de trouver une solution pour que les deux peuples paient l'émigration du peuple d'en bas vers d'autres régions, quitte à ce qu'on fait appel à l'ONU pour financer cette opération, non?

Enfin, cette réponse va peut-être vous décevoir, mais encore une fois, je crois que les deux exemples ne sont pas tout à fait représentatifs de la situation où quelqu'un Haït quelqu'un d'autre. Le remède spinoziste à la Haine est avant tout d'ordre individuel, il me semble, et concerne prioritairement la gestion de ses propres Affects. Ensuite, il s'agit de comprendre que lorsqu'on est Haï par quelqu'un, cette personne d'une part est victime d'une Tristesse (donc on ne peut pas la tenir entièrement responsable de ses actes), et d'autre part exprime tout de même aussi quelque chose de positif. Pour briser le cerle de la Haine, il faut activement aller à la recherche de ce côté positif. Bref il s'agit d'affirmer au lieu de nier, ce qui n'a rien à voir avec la construction grammaticale d'une phrase, mais plutôt avec le fait d'avoir compris ce qu'il y a de réellement bon chez l'autre pour soi-même, autrement dit ce qu'on peut Aimer chez l'autre.

Mais vous ne serez peut-être pas d'accord .. ?

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Messagepar Louisa » 09 nov. 2009, 03:35

DGsu a écrit :
louisa a écrit :
je crois qu'il faut en effet dire que la Générosité spinoziste implique nécessairement d'essayer de "répandre la raison", comme vous le dites.


Là-dessus nous nous accordons, et sur l'aspect agréable et joyeux de l'activité, sur le fait qu'il ne s'agit en aucun cas de répandre une doctrine mais plutôt un mode de réflexion ou de remise en question, voire de sa nécessité absolue. Mais à nouveau cette objection sous forme de citation:

Georges a écrit :
Mourir pour des idées d'accord, mais de mort lente.


Il est bien de répandre la raison mais à quel prix ? Et là je reviens sur la question du lien entre idées et porteurs d'idées, du mélange courant que cela engendre et surtout de l'immense haine que cela ne manque pas de susciter.


Bonjour DGsu,

je n'ai pas tout à fait compris ce que vous vouliez dire par là, ce qui est dommage puisqu'il semble s'agir d'une objection ... serait-il possible d'expliquer davantage? Merci!

DGsu a écrit :
louisa a écrit :
Et si vous pensez à des situations que nous vivons régulièrement, pourriez-vous peut-être en donner un exemple, qui permettrait de mieux comprendre de quoi il s'agit plus précisément?


Je pense à des situations où sans frôler la mort proprement dite, je suis confronté à un danger qui peut me déséquilibrer au point de laisser des traces durables. Un danger contre lequel il ne suffit pas d'opposer la bienveillance et de proposer une jolie éthique de la communication (cfr Habermas et Rawls). Ce serait faire fi de tout ce qu'il y a d'inconscient dans nos modes de communication, voir de pervers (j'y arrive pour la suite), même si l'imagination y prend une part importante. Je doute que des exemples soient nécessaires, nous en vivons régulièrement.


si les exemples sont nécessaires, c'est non pas parce qu'éventuellement ce dont vous parlez ne relèverait pas de l'expérience quotidienne, mais simplement parce que sans exemple ce que vous dites ici est pour moi trop vague pour pouvoir comprendre de quoi vous voulez parler. D'où ma question, que je ne peux que répéter ... .

Puis en ce qui concerne la bienveillance: à mon sens elle n'existe pas dans le vocabulaire spinoziste, et cela à juste titre (voir à ce sujet mon message précédent).

DGsu a écrit :
Hokousai a écrit :
La perversion est à l'origine le fait de détourner de l'orientation de base, de la cause commune ou des logiques naturelles.

(accusation)


certes. D'autant plus que dans une discussion rationnelle, la "cause commune" est précisément sujet de débat voire de controverses.

DGsu a écrit :
Captain-troy a écrit :J'archive cependant tout de suite vos précieux propos et je les garde au frais. Ils prendront certainement de la valeur un jour.

(menaces ?)


on peut le lire ainsi. On peut aussi se dire que Captain-Troy suggère que ces messages doivent avoir de la valeur, mais qu'il lui faut encore y réfléchir pour comprendre en quoi ce serait le cas. La deuxième lecture me semble être plus spinoziste.

DGsu a écrit :
Hokousai a écrit :
Vous êtes d' une très grande générosité , et,ce qui de bonne guerre, il a su l'utiliser . Je n'apprécie pas le procédé .On est dans la manipulation pure et simple .


Louisa a écrit :
Hokousai a écrit :Si Korto a changé ( mentalement ) qu'il le montre . Je jugerai sur pièce .


encore une fois, je ne vois pas l'utilité de tels jeux.


... bon je peux continuer comme ça longtemps, je m'arrête.

Sans vouloir en faire une obsession, je ne pense pas que la question soit si inintéressante que cela. D'abord parce qu'elle interroge aussi nos manières de communiquer, de même que la haine et l'imagination qui y sont associées. D'où la nature auto-référentielle assez prononcée de ce fil.

Quant à l'exclusion et la partie de la charte qu'y se réfère aux règles de communications sur ce forum, je dirais qu'il n'est pas tellement habituel (dans aucun forum que j'ai fréquenté) de laisser un internaute banni se réinscrire sous un autre nom. Ce n'est pas le pseudo qui est banni, c'est l'internaute qui se trouve derrière. L'idée n'est pas ici de décider si Korto est effectivement Captain-troy (ça ne se décide pas, ça se prouve), ni s'il s'est assagi, mais 1. si la réinscription est effectivement autorisée 2. si les propos eux-mêmes sont intéressants. Or, preuve en est qu'ils le sont un peu puisque nous parvenons tout de même à en échanger à leur suite. Et cela même si Hokousai en trouve une bonne part sans intérêt, ce qui n'est pas mon cas ni surtout celui de Louisa, sans que l'on doive pour autant en conclure que cela provient exclusivement d'une manipulation (d'ailleurs, je ne pas retire pas un seul mot de ce que j'ai écrit précédemment dans ce fil.)


j'avoue que l'idée qu'un modérateur d'un forum s'imaginerait être compétent à juger non pas de l'adéquation des propos d'un internaute à la charte en question mais de sa structure psychologique même m'effraie un peu. Il faut savoir que déjà les spécialistes en la matière (les psychologues et psychiatres) ne s'entendent pas du tout (à titre d'exemple: certains travaillent avec la notion de "perversion", d'autres trouvent qu'elle est totalement inutile et peu scientifique). Pourquoi dès lors bannir non pas un pseudo mais la personne même .. ? Et à quoi bon, si en adoptant un autre pseudo elle respecte la charte .. ? Depuis quand un modérateur d'un forum pourrait-il légitimement se comporter comme un psychiatre, juge ou prêtre... ? D'ailleurs, je ne dirais pas que si un internaute en adoptant un autre pseudo respecte cette fois-ci la charte, il s'est "assagi". C'est juste qu'il a compris que s'il veut communiquer sur tel ou tel forum, il devra s'y prendre autrement.

Enfin, dans la charte de ce forum il n'est nullement inscrit qu'on doit dire des choses "intéressantes". Si c'était le cas, pas mal de messages auraient déjà dû être censurés, non ... ?

Bref, je crains que si l'on veut aller plus loin que de censurer des infractions manifestes à la charte, on risque d'exercer une violence difficilement justifiable et encore moins spinoziste. Mais .. je peux me tromper bien sûr, ceci n'est que mon opinion personnelle (pas d'ironie).

DGsu a écrit :Et maintenant, je fais référence à ce que j'ai écrit dans une de mes premières réponses à Louisa mais qui n'avait pas été relevé: la possibilité que la haine ou l'amour soient partiellement feints lorsqu'on communique. Doit-on considérer qu'une communication est totalement sincère ? Ou est-ce que la question est sans intérêt ? Ou conduit-elle à cette psychologisation que nous tentions d'éviter ?


je crois en effet qu'elle est sans intérêt, et cela encore plus sur un forum qui se veut spinoziste.

D'abord parce que Spinoza n'accorde pas trop d'importance à la "sincérité".

Puis parce sur un forum philosophique le débat porte sur des idées et sur leur pertinence ou vérité. Le pseudo qui propose une idée X peut être totalement insincère, pervers et tout ce qu'on veut, cela ne changera rien à la vérité ou fausseté de X. Il suffit donc d'essayer de montrer la vérité ou fausseté de X pour qu'une discussion proprement philosophique soit possible. Le reste appartient au domaine des apprentis-psychologues. Si ce pseudo ne respecte pas du tout la charte, comme c'était le cas avec Korto, alors il faut le censurer. Mais s'il la respecte, qu'il soit la "suite" de Korto ou non n'a à mes yeux vraiment aucune importance. On ne rentre pas dans la vie privée des gens, sur un forum philosophique, non seulement par principe, mais aussi parce que c'est l'une des conditions de possibilité même d'une discussion philosophique.

Quant à l'idée d'une Haine "feinte": comme déjà dit, je ne vois pas comment intégrer cette idée dans le spinozisme. Comment le feriez-vous ... ?

DGsu a écrit :On peut parler de "manipulation" (il en avait déjà été question il y a quelques mois) comme le fait Hokousai mais aussi de "communication perverse", et pas dans un sens moral mais dans un sens fonctionnel. J'énonce ici sans crainte une banalité: à moins d'échanger des théorèmes et des démonstrations mathématiques, ne sommes-nous pas tous dans une certaine mesure (et inconsciemment) en train d'utiliser des modes de communication qui tendent à entraîner l'autre dans son propre mode de pensée ? Ici, qui (ne) manipule (pas) qui ?


bonne question en effet.

Mais alors, qu'appelleriez-vous "pervers" ou "communication perverse" ... ?

DGsu a écrit :Ce qui m'intéresse plus que de savoir qui est pervers, qui l'est plus ou l'est moins, c'est de savoir si l'on peut combiner ce mode de communication courant avec les concepts spinozistes et comment.


idem, ce serait quoi selon vous, une "communication perverse"?

Bien cordialement,
L.

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Messagepar Enegoid » 09 nov. 2009, 19:03

Louisa a écrit :Je commencerai par la fin: vous dites qu'en discutant sur un forum comme celui-ci, les "corps ne sont pas impliqués". D'un point de vue chrétien c'est peut-être vrai (et encore ...), mais d'un point de vue spinoziste ... ? Chez Spinoza il n'y a pas de mouvement corporel sans que l'Esprit en forme une idée. Les corps sont donc toujours autant impliqués que le sont les Esprits, non ... ?

Ce qu'il y a c'est que sur un forum électronique où l'on travaille avec des pseudos, notre vie ne peut pas être menacée. On ne risque pas la mort. Mais la mort est une affaire aussi corporelle que spirituelle, chez Spinoza, non?


Oui les corps et les esprits sont également impliqués, c’est même une des bases de la doctrine spinoziste. Et oui on ne risque pas la mort sur un forum électronique, et oui la mort est une affaire corporelle et spirituelle. Mais pourquoi ces remarques ?



Louisa a écrit :Enfin, passons aux exemples que vous donnez.

Comme déjà dit ci-dessus à DGsu, à mon sens le remède spinoziste à la Haine ne vaut que pour la Haine au sens "quotidien" du terme, et non pas pour la lutte contre la mort, qui est une Haine d'un tout autre ordre, ou un cas extrême. Par conséquent, je ne pense pas qu'on puisse appliquer le même raisonnement à l'un et à l'autre.

D’accord. Pour évacuer la spécificité de la lutte contre la mort, je vous propose, si ça vous intéresse encore, de modifier un peu l’exemple des naufragés du Titanic : ils sont deux et disposent de deux esquifs. L’un est une planche pourrie qui signifie des heures de barbotage dans une eau glaciale, l’autre un canot à moteur confortable (monoplace).
Je ne vais pas plus loin, car j’ai l’impression que le point de vue fondamental qui sous-tend ce que vous dites ensuite, consiste dans cette distinction : « quotidien » d’une part/ »lutte contre la mort » d’autre part. Mais la mort est présente dans la haine dite ordinaire sans qu'on puisse parler de "lutte contre la mort" : cf deux automobilistes qui s'entretuent pour une place de parking.
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Messagepar Louisa » 09 nov. 2009, 20:15

Enegoid a écrit :
Louisa a écrit :
Je commencerai par la fin: vous dites qu'en discutant sur un forum comme celui-ci, les "corps ne sont pas impliqués". D'un point de vue chrétien c'est peut-être vrai (et encore ...), mais d'un point de vue spinoziste ... ? Chez Spinoza il n'y a pas de mouvement corporel sans que l'Esprit en forme une idée. Les corps sont donc toujours autant impliqués que le sont les Esprits, non ... ?

Ce qu'il y a c'est que sur un forum électronique où l'on travaille avec des pseudos, notre vie ne peut pas être menacée. On ne risque pas la mort. Mais la mort est une affaire aussi corporelle que spirituelle, chez Spinoza, non?


Oui les corps et les esprits sont également impliqués, c’est même une des bases de la doctrine spinoziste. Et oui on ne risque pas la mort sur un forum électronique, et oui la mort est une affaire corporelle et spirituelle. Mais pourquoi ces remarques ?


Bonjour Enegoid,

c'était une réponse à ce que vous venez de dire:

Enegoid a écrit :Je tiens que ces situations extrêmes constituent une composante plus ou moins importante mais significative de toutes les situations sociales. Il s’agit tout simplement de la question économico-politique de la rareté.
On en retrouve une part infime sur le forum (la place, le nombre de sujets, l’attention des lecteurs n’est pas extensible à l’infini). Mais les corps ne sont pas impliqués, alors, c’est cool !


si vous trouvez que esprits et corps sont toujours également impliqués, que vouliez-vous dire par la dernière phrase ci-dessus (que dès lors j'aurai sans doute mal comprise)?

Enegoid a écrit :
Louisa a écrit :
Enfin, passons aux exemples que vous donnez.

Comme déjà dit ci-dessus à DGsu, à mon sens le remède spinoziste à la Haine ne vaut que pour la Haine au sens "quotidien" du terme, et non pas pour la lutte contre la mort, qui est une Haine d'un tout autre ordre, ou un cas extrême. Par conséquent, je ne pense pas qu'on puisse appliquer le même raisonnement à l'un et à l'autre.


D’accord. Pour évacuer la spécificité de la lutte contre la mort, je vous propose, si ça vous intéresse encore, de modifier un peu l’exemple des naufragés du Titanic : ils sont deux et disposent de deux esquifs. L’un est une planche pourrie qui signifie des heures de barbotage dans une eau glaciale, l’autre un canot à moteur confortable (monoplace).
Je ne vais pas plus loin, car j’ai l’impression que le point de vue fondamental qui sous-tend ce que vous dites ensuite, consiste dans cette distinction : « quotidien » d’une part/ »lutte contre la mort » d’autre part. Mais la mort est présente dans la haine dite ordinaire sans qu'on puisse parler de "lutte contre la mort" : cf deux automobilistes qui s'entretuent pour une place de parking.


lorsque deux automobilistes s'entretuent, on est de nouveau dans un exemple de la lutte pour la survie même, donc à mon sens on bascule là dans une situation où le remède à la Haine perd son sens/utilité.

C'est que pour détruire en soi-même la Haine, il faut éloigner de son Esprit l'idée d'une cause extérieure de la diminution de puissance qu'on vient de subir (E5P2). Or je ne vois pas à quoi bon éloigner cette idée au moment même où on est en train de risquer sa vie, car on sait que pour Spinoza toute mort vient du dehors, et combattre la mort c'est empêcher la cause extérieure qui va non pas faire diminuer ma puissance mais carrément l'anéantir de pouvoir avoir un effet sur mon Corps. Ici on n'est donc pas dans la gestion de l'effet, on est dans la lutte pour arrêter voire détruire la cause elle-même.

Je crois donc que Spinoza a voulu montrer, par sa théorie des remèdes aux Affects, que contrairement à ce qu'on pourrait croire, traiter la Haine comme s'il s'agit d'une lutte à mort est inadéquate. C'est rester dans le registre imaginaire, où là dès qu'on sent sa puissance diminuer et que l'idée de cette diminution est accompagnée de l'idée d'une cause extérieure, on aura immédiatement tendance à essayer de s'attaquer à la cause extérieure, pour essayer de diminuer sa puissance (comme on l'a fait par rapport à Korto). Cela, d'un point de vue spinoziste, est une réaction adéquate lorsqu'on risque de perdre la vie, mais ce risque étant totalement absent dans la majorité des situations où nous sentons de la Haine, on ne peut pas traiter de la Haine comme s'il s'agissait d'une lutte à mort, il faut même faire exactement l'inverse: éloigner l'idée d'une cause extérieure, et, de manière préventive, toujours penser maximalement à ce qu'il y a de bon chez autrui. Tandis qu'on voit bien que ce serait peu "adéquat" de commencer à se dire qu'il y a toujours quelque chose de bon dans un tsunami lorsqu'on est sur le point d'être englouti par la vague, tout comme lorsque je me trouve seul dans le désert devant un chien (ou un canibale) affamé, je ne vais pas essayer de construire une "amitié", je vais essayer de le tuer avant qu'il ne me tue moi. Je vais donc faire l'inverse que ce qu'il faut faire pour traiter la Haine que je peux ressentir pour un collègue ou pour un ami lorsqu'il vient de me blesser en disant quelque chose de désagréable, par exemple.

C'est pourquoi, pour pouvoir comprendre le remède spinoziste à la Haine, il me semble qu'il vaut mieux prendre des exemples tels que Sinusix vient d'en donner, c'est-à-dire des exemples de la vie quotidienne, où il n'y va pas de notre propre vie ou survie, car les deux types de "traitement" sont radicalement opposés.

Sinon, donc si vous pensez qu'on peut les rapprocher, comment résoudriez-vous vous-même de manière spinoziste la situation du Titanic décrite ci-dessus, par exemple ... ?

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Messagepar Sinusix » 10 nov. 2009, 18:31

Bonsoir Louisa,

Louisa a écrit :le problème c'est que chez Spinoza, la peur est par définition une Tristesse. Si donc vous aviez eu peur au moment où votre petit enfant s'en va, il faut dire que d'un point de vue spinoziste vous étiez Triste.

S'il faut donc interpréter l'exemple que vous donnez non pas comme on le ferait spontanément nous tous, mais en adoptant un instant le point de vue spinoziste, il faut dire que si vous saviez, au moment même où votre petit enfant vous échappe, qu'il était impossible qu'une voiture allait passer, ou qu'il était certain que quelqu'un d'autre allait l'empêcher de quitter le trottoir etc., alors selon la définition spinoziste vous n'auriez jamais eu de la peur. C'est le fait qu'au moment où il vous échappe vous ne savez pas encore ce qui va se passer par après, qui crée la peur.

Jusque là vous serez encore d'accord, je suppose. Or la peur signifie, pour Spinoza: l'idée d'un événement futur très précis, dans ce cas-ci l'idée de la mort de votre petit enfant, idée que vous ne pouvez pas avoir sans être Triste, accompagnée d'une incertitude quant à savoir si cet événement va réellement se produire ou non, puisqu'au moment même où vous avez peur vous ne savez pas encore si quelqu'un d'autre va apparaître ou non.

Il faut donc faire l'effort explicite de repenser la situation en se servant de la définition spinoziste de la peur pour pouvoir commencer à voir comment elle pourrait avoir du sens et donc comment déceler une Tristesse là où notre façon habituelle de penser n'en voit pas. On ne peut pas s'en tenir à cette façon habituelle de penser, puis constater que non, lorsqu'on a peur on n'est pas triste, et ensuite attribuer cette idée à Spinoza.


Préambule : message sans haine, émis dans l’Allégresse (Hilaritas) Spinoziste.

Vous avez un art consommé d’infantiliser votre (vos) interlocuteur(s) et/ou de prendre leur propos par le petit bout de la lorgnette. De fait, ledit (lesdits), convaincu(s) qu’il(s) est (sont) de la rigueur conceptuelle et démonstrative de la pensée Spinoziste, n’a (n’ont) pour seul recours que de retourner à ses (leurs) chers études. Voyez-vous !

Or, et tel était bien mon propos, nulle Philosophie (en tant qu’on la limite à la manipulation réflexive de concepts et de raisonnements, même débouchant sur la connaissance adéquate) ne prépare le Corps à la rencontre d’événements inconnus de lui, a fortiori quand ils sont exceptionnels. D’où le rappel de E3P2.
Dans la mesure en effet où nul ne sait ce que peut le Corps, en ce bien compris Son propre Corps, aucun savoir « théorique » ne peut prétendre nous préparer à affronter une situation donnée, s’il n’est accompagné d’une « Pratique » du Corps, quelle qu’en soit l’origine (innée, apprentissage manuel, apprentissage situationnel, expérience vécue), toutes pratiques qui vont permettre l’enregistrement des enchaînements qu’appelle le mode de fonctionnement propre à notre nature (Habitude, Désir, Mémoire), selon la mécanique corporelle induite par le postulat V de E2P13 (on remarquera au passage que Spinoza fonde un aspect essentiel de sa pensée sur une considération purement imaginative, à savoir l’opposition dur/mou. Passons !).

Permettez-moi de citer ce passage extrait du livre de Laurent Bove (Stratégie du Conatus – p117) :

Laurent Bove a écrit :
"C’est que l’Ecole (philosophie morale et science de l’éducation), l’Appareil sanitaire (la médecine), le Monde du travail (la mécanique) sont trois institutions qui concernent et côtoient directement la vie et la mort des hommes, l’existence même du Conatus. Mais plus particulièrement encore ces institutions concernent les corps, leur "équilibre", l’"agrément de la vie". On comprend alors mieux la détermination sociale-historique de ces « aptitudes corporelles » auxquelles Spinoza attribue un rôle essentiel en ce qu’elles sont, dans la vie pratique, à la base des modifications de l’esprit et, dans le même mouvement d’affirmation, à la base de la production des idées vraies."


C’est pourquoi encore et enfin, aucune Philosophie ne peut vous permettre de répondre par anticipation volontariste et réfléchie à la mise en situation que propose Enegoïd avec sa planche et ses deux rescapés provisoires. (je prend la première situation, car il est difficile de lui trouver une période de conditionnement préparatoire, au contraire de la seconde).

Les situations extrêmes (comme les autres d'ailleurs, de manière générale, mais avec moins de marge d'appréciation théorique préalable) ne peuvent que se vivre pour permettre de connaître la réaction qu’aura le Corps, réaction dont on peut certes admettre qu’elle puisse être partiellement préparée (mises en épreuves extrêmes, technique préparatoire de commando ou de kamikaze, etc.) ou conditionnée par notre nature innée (les deux rescapés sont mère et fille, par exemple). Tout autre laïus ne pourrait qu’être assimilé à l’Utopie stoïcienne de la maîtrise totale, par la volonté et l’ascèse, de l’événementiel du Corps, quelle que soit la cruauté ou l’horreur de ce qu'il subit (n’est pas Jean Moulin qui croit pouvoir l’être).
Dans ces conditions, que la Béatitude Spinoziste relève pour moi de l’Utopie, vous l’aurez compris depuis longtemps (ne l’est-elle pas d’ailleurs pour lui également ?). Mais ceci ne retranche rien à la pertinence opérationnelle, dans cette vie, de la Stratégie personnelle et collective que Spinoza élabore pour y parvenir, le chemin emprunté pour parvenir à l’Idéal étant en soi pertinent.

Mais c’est un chemin d’exercice pratique, et non d’accumulation logomachique évanescente.

Amicalement

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Messagepar Louisa » 10 nov. 2009, 20:12

Sinusix a écrit :Préambule : message sans haine, émis dans l’Allégresse (Hilaritas) Spinoziste.

Vous avez un art consommé d’infantiliser votre (vos) interlocuteur(s) et/ou de prendre leur propos par le petit bout de la lorgnette. De fait, ledit (lesdits), convaincu(s) qu’il(s) est (sont) de la rigueur conceptuelle et démonstrative de la pensée Spinoziste, n’a (n’ont) pour seul recours que de retourner à ses (leurs) chers études. Voyez-vous !


Bonjour Sinusix,

merci de votre message, qui est pour moi aussi mystérieux qu'il est intéressant. Mystérieux car j'avoue que je ne vois pas très bien le lien entre ce que vous écrivez et ce que vous venez de citer de moi. Intéressant parce que vous y dites des choses auxquelles je n'avais pas encore pensées. Tentative d'expliquer davantage.

D'abord jamais je ne dis à mes interlocuteurs qu'ils sont prétentieux etc. de dire ceci ou cela de Spinoza et qu'ils doivent d'urgence aller l'étudier davantage avant de pouvoir dire ce qu'ils en pensent. Et que je ne le dise jamais n'est pas un hasard, c'est parce que je ne le pense jamais non plus. Au contraire, cette idée va tout à fait à l'encontre de ce que je pense être le but même d'un forum de discussion philosophique.

Dès lors, d'où vient le sentiment que certains ont (car en effet, vous n'êtes pas le seul) d'être "infantilisé" par mes messages ... ? Mon hypothèse: de l'indignation que j'éprouve parfois face à telle ou telle idée proposée par quelqu'un, indignation que je ne fais aucun effort de réprimer avant de répondre ... ? Si cette hypothèse est vraie, il faudrait dire que si je veux être bien comprise, il me faudrait attendre le moment où l'idée avec laquelle je ne suis pas d'accord ne me choque plus avant de répondre. Ce qui n'est peut-être pas inintéressant ... .

En attendant, je ne peux que vous répéter que si j'explique en quoi je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, et vous n'êtes pas d'accord avec ma réponse, alors je n'attends pas du tout de vous que vous allez d'abord un peu étudier pour seulement ensuite être autorisé à dire ce que vous en pensez. Savoir ou essayer de comprendre pourquoi vous n'êtes pas d'accord est la seule chose qui m'intéresse. Si pour ce faire vous voulez d'abord retourner dans le texte ou non, c'est une décision qui ne me regarde pas.

Sinon il est vrai que, surtout dans votre cas (mais aussi assez régulièrement et pour la même raison dans le cas de Hokousai), j'ai tendance à ne répondre qu'à une ou deux choses que vous dites. Or si je laisse de côté le reste, ce n'est pas parce que j'ai envie de vous embêter, c'est parce que souvent votre manière de réfléchir est trop éloignée de la mienne pour pouvoir faire quelque chose avec, donc je ne prends que ce qui me fait penser moi, et très souvent cela signifie prendre l'une ou l'autre idée concernant Spinoza et avec laquelle de prime abord je ne serais pas d'accord. Cela n'implique aucun Mépris par rapport à ce que vous écrivez par ailleurs, et encore moins par rapport à vous en tant que personne. C'est juste que souvent, vous semblez être dans la construction d'une vision du monde à vous, et il se fait que personnellement une telle démarche ne me parle pas, au sens où je n'en vois pas l'intérêt. Mais dire cela ou penser cela ne contient aucun jugement de valeur. Ou il faudrait peut-être dire: ne devrait contenir aucun jugement de valeur, car il est vrai que lorsqu'une idée m'indigne, voire même une démarche (ce qu'on peut peut-être sentir en me lisant), qu'on pourrait dire qu'il s'agit d'une dévalorisation, ce qui en un sens est correct. Mais seulement en un sens: au sens où là moi je pâtis, je réagis sur base d'une Haine d'une idée, sachant que toute Haine est une idée inadéquate, et ne correspond surtout pas à ce que je pense en vérité de mon interlocuteur.

Enfin ... je ne sais pas dans quelle mesure ceci aidera à clarifier les choses ... (en remerciant en passant DGsu, puisque c'est grâce à l'un de ces messages ci-dessus que j'ai commencé à faire attention à l'idée qu'on peut avoir une idée en Haine et qu'il ne suffit peut-être pas de ne pas Haïr un interlocuteur pour briser maximalement le cercle vicieux de la Haine... et si Captain-Troy lit ceci: qu'en penses-tu...?)?

Sinusix a écrit :Préambule : message sans haine, émis dans l’Allégresse (Hilaritas) Spinoziste.

Vous avez un art consommé d’infantiliser votre (vos) interlocuteur(s) (...)


sachant que je cours le risque de produire le même effet que lors de mon message précédent ... ce que j'ai voulu dire dans ce que vous citez ci-dessus, s'applique également à ce que vous écrivez ici.

Infantiliser quelqu'un, c'est le Mépriser. Or le Mépris chez Spinoza est une propriété de la Haine. Si donc vous vous sentez infantilisé par ce que j'écris, vous vous imaginez que je vous Haï, d'un point de vue spinoziste. Ce qui est d'office une idée inadéquate. C'est là où commence à mon sens le remède spinoziste aux idées: dès qu'on se sent Méprisé par quelqu'un, il faut se dire qu'il s'agit d'une idée inadéquate, et donc que dans un certain sens on se trompe, on ne lui a pas bien compris. C'est cela par exemple qui à mon avis permet de comprendre au moins quelque chose (peut-être pas encore tout) de ce que Captain-Troy a voulu dire dans son tout premier message dans ce fil. Il ne s'agit pas de nier qu'il y avait dans un certain sens du Mépris pour Louisa, Durtal etc. dans ce message, il s'agit de comprendre que ce Mépris contient toujours aussi quelque part une idée adéquate, et qu'il faut l'aborder de ce côté-là pour pouvoir en discuter un peu sérieusement au lieu de renforcer la Haine mutuelle (ce qui bien sûr parfois est plus facile à dire qu'à faire, d'où l'importance de s'entraîner à ne voir que du bon chez l'autre (E5P10 propose vraiment une sorte de schéma d'entraînement de l'imagination et de l'attention) ...).

Mais quand je dis cela (ou quand j'y ajoute un "vous voyez?", qui peut-être a une autre connotation (pas du tout moralisant) en anglais qu'en français .. ?) ce n'est pas pour donner des leçons, je dis simplement ce que je pense, à vous de me dire où je me trompe ou ou vous n'êtes pas d'accord si c'est le cas (le "vous voyez?" est à lire au sens de "vous voyez ce que je veux dire, vous comprenez ce que je veux dire, ou je dois ré-expliquer autrement?", et non pas au sens de "voici maintenant La Vérité, contemplez-la jusqu'à ce que vous voyez vous aussi La Lumière" ...).

Sinusix a écrit :Or, et tel était bien mon propos, nulle Philosophie (en tant qu’on la limite à la manipulation réflexive de concepts et de raisonnements, même débouchant sur la connaissance adéquate) ne prépare le Corps à la rencontre d’événements inconnus de lui, a fortiori quand ils sont exceptionnels. D’où le rappel de E3P2.
Dans la mesure en effet où nul ne sait ce que peut le Corps, en ce bien compris Son propre Corps, aucun savoir « théorique » ne peut prétendre nous préparer à affronter une situation donnée, s’il n’est accompagné d’une « Pratique » du Corps, quelle qu’en soit l’origine (innée, apprentissage manuel, apprentissage situationnel, expérience vécue), toutes pratiques qui vont permettre l’enregistrement des enchaînements qu’appelle le mode de fonctionnement propre à notre nature (Habitude, Désir, Mémoire), selon la mécanique corporelle induite par le postulat V de E2P13 (on remarquera au passage que Spinoza fonde un aspect essentiel de sa pensée sur une considération purement imaginative, à savoir l’opposition dur/mou. Passons !).


mais justement ... le même E3P2 dit que le Corps et l'Esprit c'est "une seule et même chose", et ce qui se produit dans l'un va "de pair" avec ce qui se produit dans l'autre. C'est dire que tout changement dans l'Esprit a en même temps un changement parallèle dans le Corps et inversément ("vous voyez?", je voulais y ajouter, mais je commence à m'en méfier ... :D ), c'est-à-dire toute pratique du Corps a un effet simultané sur l'Esprit (voir notamment l'E4P38).

Donc il y a au moins une philosophie qui conteste ce que vous écrivez ici, c'est celle de Spinoza, non ... ?

Vous pouvez bien sûr ne pas être d'accord avec Spinoza sur ce point (ou vous allez peut-être me faire voir en quoi c'est moi qui à ce sujet lis mal Spinoza), mais il faut savoir que la distinction "théorie-pratique" que vous utilisez ici est tout à fait kantienne. Je ne veux pas du tout dire par là que vous auriez lu Kant et est ici en train de l'appliquer, je veux dire par là que la distinction théorie-pratique telle qu'elle fait aujourd'hui partie du sens commun, n'est pas plus ou moins vraie que la pensée spinoziste, c'est avant tout simplement une idée, idée qui a été développée par l'un des philosophes qui a le plus laissé son empreinte sur le sens commun contemporain en Occident. Vous allez peut-être me dire que c'est faux parce que pour vous c'est la réalité qui est ainsi, c'est la "pratique", vous n'avez pas d'abord inventé cette idée "en théorie" (ou lue chez Kant) pour ensuite l'appliquer au réel, vous avez essayer de vous demander ce qu'est en réalité la vie humaine et vous avez "constaté", dans la "pratique", que la philosophie est incapable à nous préparer à des rencontres avec des corps inconnus, mais la seule chose que j'essaie de dire, c'est que pour pouvoir éprouver ainsi la vie humaine, il faut déjà posséder les catégories de "théorie" et de "pratique". Tandis qu'il suffit de ne pas les accepter (ne fût-ce un instant) pour pouvoir ressentir le réel tout autrement, par exemple selon des catégories spinozistes.

Sinusix a écrit :Permettez-moi de citer ce passage extrait du livre de Laurent Bove (Stratégie du Conatus – p117) :

Laurent Bove a écrit :"C’est que l’Ecole (philosophie morale et science de l’éducation), l’Appareil sanitaire (la médecine), le Monde du travail (la mécanique) sont trois institutions qui concernent et côtoient directement la vie et la mort des hommes, l’existence même du Conatus. Mais plus particulièrement encore ces institutions concernent les corps, leur "équilibre", l’"agrément de la vie". On comprend alors mieux la détermination sociale-historique de ces « aptitudes corporelles » auxquelles Spinoza attribue un rôle essentiel en ce qu’elles sont, dans la vie pratique, à la base des modifications de l’esprit et, dans le même mouvement d’affirmation, à la base de la production des idées vraies."


en tout respect pour Laurent Bove, qui est un commentateur très intéressant, je crois que dire que les aptitudes corporelles sont "à la base" des modifications de l'esprit risque d'induire en erreur. On sait que chez Spinoza le Corps n'a pas du tout le pouvoir de produire des effets sur l'Esprit.

Sinusix a écrit :C’est pourquoi encore et enfin, aucune Philosophie ne peut vous permettre de répondre par anticipation volontariste et réfléchie à la mise en situation que propose Enegoïd avec sa planche et ses deux rescapés provisoires. (je prend la première situation, car il est difficile de lui trouver une période de conditionnement préparatoire, au contraire de la seconde).


pas mal de philosophies laissent tomber l'idée du libre arbitre. Cela ne les empêche aucunement de proposer une manière de penser la situation proposée par Enegoïd. Et à mon sens il suffit de s'entraîner suffisamment dans cette manière de penser pour que lorsqu'une situation nouvelle pour nous arrive, on la "ressentira" immédiatement selon les catégories conceptuelles auxquelles on s'est habituée. C'est le sens même de la philosophie que de pouvoir produire de tels effets. Sans cela, toute philosophie ne serait qu'un épiphénomène, un peu de blabla érudit pour occuper notre Esprit ... non?

Sinusix a écrit :Les situations extrêmes (comme les autres d'ailleurs, de manière générale, mais avec moins de marge d'appréciation théorique préalable) ne peuvent que se vivre pour permettre de connaître la réaction qu’aura le Corps, réaction dont on peut certes admettre qu’elle puisse être partiellement préparée (mises en épreuves extrêmes, technique préparatoire de commando ou de kamikaze, etc.) ou conditionnée par notre nature innée (les deux rescapés sont mère et fille, par exemple). Tout autre laïus ne pourrait qu’être assimilé à l’Utopie stoïcienne de la maîtrise totale, par la volonté et l’ascèse, de l’événementiel du Corps, quelle que soit la cruauté ou l’horreur de ce qu'il subit (n’est pas Jean Moulin qui croit pouvoir l’être).


en tout respect, je ne vois pas ce qui vous fait dire cela. A mon sens vous confondez l'idée de maîtrise totale et donc de libre arbitre avec l'idée d'un monde déterminé dans lequel l'Esprit humain est une puissance réelle comme tous les autres "êtres physiques".

Pour changer d'idées, et pouvoir orienter son Esprit sur base d'autres idées que celles que nous avons plus ou moins spontanément, on n'a nullement besoin de l'hypothèse d'un libre arbitre ou d'une maîtrise totale. Il suffit de considérer l'enchaînement des idées comme un enchaînement de puissances, et notre Esprit comme une idée et donc une puissance, pour utiliser cette puissance autrement que ce qu'on fait spontanément.

Sinusix a écrit :Dans ces conditions, que la Béatitude Spinoziste relève pour moi de l’Utopie, vous l’aurez compris depuis longtemps (ne l’est-elle pas d’ailleurs pour lui également ?). Mais ceci ne retranche rien à la pertinence opérationnelle, dans cette vie, de la Stratégie personnelle et collective que Spinoza élabore pour y parvenir, le chemin emprunté pour parvenir à l’Idéal étant en soi pertinent.

Mais c’est un chemin d’exercice pratique, et non d’accumulation logomachique évanescente.


non je n'avais pas encore compris que pour vous la Béatitude spinoziste relève de l'utopie. J'en prends bonne note.

Sinon, encore une fois, pour Spinoza les mots sont des mouvements corporels. Déjà cette idée seule (et comment la nier ... ?) nous met dans un tout autre paradigme conceptuel que celui du sens commun d'aujourd'hui où les mots, et encore plus les idées, ne seraient que des épiphénomènes, et non pas des entités naturelles à part entière.

Certes, devenir plus heureux demande, aussi chez Spinoza, pas mal d'exercices pratiques. Mais exercer son Esprit à ne pas sentir de la Haine lorsque quelqu'un se fâche sur nous c'est un exercice pratique. Il faut partir d'un dualisme qui n'est en rien spinoziste (mais pas moins théorique pour autant!!) et il faut oublier que "dire c'est faire", comme l'a montré notamment Austin, pour pouvoir reléguer les mots dans une sorte de monde "surnaturel", qui n'aurait plus de pouvoir causal sur les phénomènes naturels. Et pour tout dire, c'est à mon sens rater l'essence et l'utilité même de la philosophie, de toute philosophie. C'est pourquoi j'ai dit ci-dessus que c'est votre démarche même qui à mon sens est hautement problématique, au sens où elle est non seulement non philosophique, mais elle semble être aussi anti-philosophique. Ce qui ne signifie en rien qu'elle est à mes yeux sans valeur, ou que je pense mieux savoir que vous ce qu'est la philosophie à cause de l'une ou l'autre qualité personnelle que moi j'aurais et que vous n'auriez pas. Je ne peux que vous dire que d'après ma pratique philosophique à moi, mon expérience me dit que la philosophie est beaucoup plus puissante (et donc nécessaire) que ce que vous en dites, ce dont j'aimerais bien vous convaincre, tandis qu'en même temps cela ne m'intéresse pas moins de voir si vous n'allez pas pouvoir me convaincre du contraire.

Enfin ...

Amicalement,
L.

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Messagepar Louisa » 10 nov. 2009, 20:17

PS: et pendant ce temps-là, à la même heure, tout là-bas .. que pense Captain-Troy de ce qu'on est en train de dire ... ?
L.

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Messagepar captain-troy » 10 nov. 2009, 23:29

Louisa a écrit :PS: et pendant ce temps-là, à la même heure, tout là-bas .. que pense Captain-Troy de ce qu'on est en train de dire ... ?
L.


Bonjour chère Louisa, c'est gentil de penser à moi ! Depuis 2 ou 3 jours, je travaille sur le schéma "arrangé" (comme le rhum arrangé ! Lol !) de la chaîne peur-colère-haine.
Je découvre ce matin vos textes à toi et Sinusix. Je vais rester ce matin dans le fil de ma pensée et je vous répondrai après.
Je vais d'abord envoyer des réflexions ou propositions préliminaires puis un essai de schéma évolué les utilisant, un brouillon imparfait, qui vaudra ce qu'il vaudra mais sur lequel j'aimerais avoir des remarques.

Pouvoir traiter la haine, la peur, la force, gérer sa puissance, la puissance de l'autre, ce serait quand même pas mal. Je vois plutôt la philosophie comme ça.
Plutôt que de tourner en rond avec des histoires de roues :roll: ...

Troy

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Messagepar captain-troy » 11 nov. 2009, 00:01

Louisa a écrit :PS: et pendant ce temps-là, à la même heure, tout là-bas .. que pense Captain-Troy de ce qu'on est en train de dire ... ?
L.


Voilà !
Avant de partir ce matin à ma cérémonie du 11/11, dont tout le monde ne se fout pas encore chez moi "tout là-bas", je te livre ça :

Remarques préliminaires en vu d'une proposition de chaîne évoluée de la haine :

1) S'énerver, se mettre en colère, insulter, agresser, invectiver, haïr, c'est le signe de l'inquiétude, et de la peur, et la peur c'est le signe de la faiblesse, et l'intuition de se propre débilité et de sa propre faiblesse relativement à l'autre et/ou même dans l'absolu.

2) On ne peut pas agir sur l'autre directement et le modifier, sauf à le supprimer radicalement et définitivement.

3) On peut agir sur l'autre en modifiant l'affichage que nous lui offrons de nous-mêmes et en l'amenant à se modifier lui-même selon ce nouvel affichage et la perception qu'il en a.

4) On ne peut pas commander à l'autre "aime-moi", "crains-moi", "respecte-moi", "déteste-moi" ou "admire-moi". Mais on peut aisément s'afficher aimable, redoutable, détestable ou admirable à ses yeux et obtenir ainsi le même résultat qu'avec les impératifs initiaux.

5) On peut et on doit constamment se valoriser et se sur-valoriser soi-même : c'est une hygiène mentale et physique élémentaire, une hygiène intellectuelle et psychologique naturelle.

Comme construite cette force personnelle ?

Utilisons la métaphore métallurgique pour présenter le process de cette auto-valorisation, de cet enrichissement du "nickel personnel" :

- il faut trier et enrichir son minerai
- il faut chauffer, surchauffer, exalter les composants
- il faut rassembler au maximum, fondre ensemble, allier tous les éléments divers, les terres et les métaux initiaux qui nous composent
- il faut éliminer au maximum toutes les peaux, tous les grumeaux, toutes les scories du nouvel alliage liquide personnel
- il faut poursuivre les bains de fusion et les refroidir lentement jusqu'à ce que cet alliage soit le plus massif, le plus homogène, le plus dense, le plus dur possible, Un métal sans paille, ni faille.

6) La faiblesse de l'autre, la peur chez l'autre, l'humilité chez l'autre, la posture de proie et de reddition chez l'autre, la renonciation à toute résistance ou dissuasion chez l'autre, l'impuissance de l'autre, l'attitude de victime éternelle ou/et de martyre de l'autre (son auto-victimisation), entraînent naturellement et immanquablement en moi, la puissance qui fait face à l'autre, la colère, la menace, le mépris, la démonstration de force, l'agression, la haine, l'attaque.

Troy


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