Propositions IX et XVI du De Deo

Lecture pas à pas de l'Ethique de Spinoza. Il est possible d'examiner un passage en particulier de cette oeuvre.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 14 févr. 2012, 00:26

cher Henrique

Vous ironisez et déformez ma manière de voir quand vous dîtes
Les phénoménistes (i.e. sensualistes, empiristes, sceptiques), dont nous avons quelques sympathiques specimen ici nous diront que l'essence est une fiction de l'esprit, parce qu'ils arrivent apparemment à concevoir sans rire que quelque peut exister sans pour autant être quelque chose, mais laissons les là.


L 'essence n'est pas une fiction de l'esprit, c' est une fiction tout court . L'essence est réelle puisque c'est le fruit d'une activité de l'esprit . Le problème est que c'est une activité qui ne tient pas ses promesses.

Aucun sceptique ne va dire que quelque va exister sans que nous en cernions quelques limites qui le présente comme distinct d un fond qui n'est pas ce quelque en question. Ainsi le quelque est une chose .
La chose peut très bien être comprise en dehors de l'esprit.

Si l'essence est ce qui est dit exister, pas de problème .
Mais si ce qui est dit exister sous une certaine forme précise possède cette même forme précise en dehors de l'entendement il y a un problème.

Spinoza le voit très quand il dit que ce que nous connaissons des choses du monde nous renseigne plus sur les affections de notre corps que sur la nature des corps exterieurs . corol2 prop 16/2.
Spinoza est sceptique .

.......................................................
J' avoue ne pas bien comprendre cette bougie qui existerait moins que le soleil. La substance serait- elle divisible en entités plus ou moins étendues ou plus ou moins durables ou plus ou moins ce qu'on veut de poids de masse ou d'énergie ad hoc ?

Le mot<b> réalité</b> est employé par Spinoza associé à perfection. Pas à essence . Car quand on a dit, comme il le dit , que l'essence de la chose envelope plus de réalité ou que la définition dune chose enveloppe plus de réalité on n a rien dit sur la réalité .
Et conséquemment sur la plus ou moins grande réalité .
La réalité est donc ( en fait ) la<b> perfection</b> .Ce qui est expliqué au scolie de prop 11/1

" Les choses, en effet, qui naissent des causes extérieures, soit qu'elles se composent d'un grand nombre ou d'un petit nombre de parties, doivent tout ce qu'elles ont de<b> perfection ou de réalité</b> à la vertu de la cause qui les produit, et par conséquent leur existence dérive de la perfection de cette cause, et non de la leur."

Puisque la connaissance de l' effet enveloppe celle de la cause et la cause étant Dieu ....

Que peut- on conclure d'autre qu' il n'y a pas de degrés de réalité ?


bien à vous
jlhokousai

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Messagepar Shub-Niggurath » 14 févr. 2012, 09:48

hokousai a écrit :
Puisque la connaissance de l' effet enveloppe celle de la cause et la cause étant Dieu ....

Que peut- on conclure d'autre qu' il n'y a pas de degrés de réalité ?


Vous oubliez dans votre raisonnement que les choses qui sont dans la Nature ne sont pas produites immédiatement par Dieu en tant qu'il est infini, mais par d'autres modes, comme cela est démontré par la proposition 28 de la partie 1. C'est dans la série infinie des causes que se situe le plus ou moins de perfection que l'on peut attribuer aux choses, et non dans la puissance de Dieu prise absolument. Ainsi, le degré de réalité des êtres de la Nature dépend non pas de Dieu en tant qu'il est infini, mais des causes qui les ont produites. Et en cela les êtres naturels ne sont pas tous égaux entre eux, puisque leur degré de réalité dépend du degré de réalité de leur cause. Ainsi c'est la puissance de la cause qui confère à l'effet son degré de perfection. Dans le cas de Dieu, puisque sa cause n'est rien d'autre que lui-même, sa perfection est absolue, mais dans le cas des êtres qui sont en lui, il existe une infinité de degrés de réalité ou de perfection, autrement dit de différences de puissance. Ainsi il est clair, je pense, que certains êtres sont plus faibles que d'autres, qui sont au contraire plus forts que les premiers. C'est cela qui explique aussi que les êtres de la Nature peuvent devenir de plus en plus forts ou au contraire voir leur puissance diminuer. Ainsi les hommes naissent tous faibles et fragiles et deviennent de plus en plus forts et solides avec le temps, puis redeviennent avec la vieillesse de plus en plus faibles. Dans un même mode donc le degré de perfection peut différer, ainsi que l'expérience l'atteste avec évidence.

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Messagepar Henrique » 14 févr. 2012, 10:28

Merci à Shub-Niggurath pour son explication très claire.

Il n'est pas difficile de trouver des références de Spinoza expliquant qu'il y a des degrés de réalité (taper degré dans l'outil de recherche du wiki).

Je citerai simplement cet extrait de l'appendice d'Ethique I :

"Quant à ceux qui demandent pourquoi Dieu n'a pas crée tous les hommes de façon à ce qu'ils se gouvernent par le seul commandement de la raison, je n'ai pas autre chose à leur répondre sinon que la matière ne lui a pas manqué pour créer toutes sortes de choses, depuis le degré le plus élevé de la perfection, jusqu'au plus inférieur."

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Messagepar hokousai » 14 févr. 2012, 10:53

Vous oubliez dans votre raisonnement que les choses qui sont dans la Nature ne sont pas produites immédiatement par Dieu en tant qu'il est infini, mais par d'autres modes, comme cela est démontré par la proposition 28 de la partie 1.


cher Shub-Niggurath

Je n' oublie pas. Je connais mon Spinoza . Cela dit je ne vous fais pas le reproche de me rappeler au texte.

Je ne suis pas d accord avec le traitement des choses finies par Spinoza . Il en parle (dans les parties de 1 à 4) selon le second genre de connaissance mais il ne le précise pas.( ou pas assez )
La 5 eme partie me semble juste. Le troisième genre de connaissance est le véritable degré de la connaissance vraie.

Tout ce qui se dit en deçà est du second genre et est légitime comme toute connaissance usuelle, commune,habituelle et partagée par le sens commun est légitime.
Il est tout à fait legitime et de bon sens de concevoir la bougie comme moins parfaite que le soleil , du point de vue sur la substance comme modifiée en modes finis .

Du point de vue sur la substance comme indivisible ce n'est pas légitime.

Si je comprends les choses du point de vue du troisième genre de connaissance je comprends autrement les choses .
La spécificité et l'originalité de Spinoza tient pour moi dans la 5eme partie et dans le troisième genre de connaissance .
Ce ne peut pas être le second genre.
Il y a une conversion du regard .

Je ne sais pas si je comprends les choses telles que Spinoza les comprenait selon le troisième genre tel qu'il en parle . Qui peut le savoir ?
En tout cas je sais que je ne les comprends pas comme certains spinozistes les comprennent au vu du moins de ce qu'ils écrivent .

Que de plus, je ne sais si c'est un signe, la manière dont je comprends<b> me remplit de joie</b> et pas d'autres.

La cinquième parte de l' Ethique est donc ce à quoi j' adhère chez Spinoza . Je suis là en harmonie avec lui. Et je dirais bien qu' alors je suis dans l'infinitude des choses lesquelles de ce fait n'ont plus de finitude du tout.

Cette vison intuitive intellectuelle des choses éclaire ( voir illumine ) le second genre de connaissance et non l'inverse .

bien à vous
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Messagepar Babilomax » 14 févr. 2012, 11:11

Je vous remercie tous pour vos réponses détaillées qui me donnent matière à réfléchir.
Pour revenir sur la prop. 9, je crois qu'elle me gêne un petit peu car elle sort complètement de l'ordre géométrique qui m'avait en premier lieu attiré chez Spinoza. On peut la justifier par des arguments, certes éclairants, mais je ne suis pas sûr qu'elle ressorte, de façon absolument rigoureuse, des sept axiomes de cette première partie.

On pourrait certes tenter de la considérer comme une sorte de définition qu'il n'est pas besoin d'admettre : « Par réalité ou perfection d'une chose, j'entends ce qui en son essence est fonction croissante de son nombre d'attributs », par exemple.
Mais alors on ne fait que déplacer le problème, car il est erroné de baser des démonstrations sur une définition du second genre (v. lettre 9 à Simon De Vries) telle que celle-ci.

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Messagepar marcello » 14 févr. 2012, 13:00

Hokusai
Il est tout à fait legitime et de bon sens de concevoir la bougie comme moins parfaite que le soleil , du point de vue sur la substance comme modifiée en modes finis .

Pouvez-vous développer ? Dans quelles propositions puis-je trouver l'explication de ce qui rend la bougie moins parfaite (donc avec moins de réalité) que le soleil ?

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Messagepar Shub-Niggurath » 14 févr. 2012, 13:14

A vrai dire je ne vois pas ce qui vous arrête dans la proposition 9. Admettons une chose dans la nature, par exemple un caillou, qui n'existe que dans un seul attribut, à savoir l'étendue. Celui-ci aura moins de réalité ou d'être qu'un homme, qui existe dans deux attributs à la fois, à savoir l'étendue et la pensée. Et à son tour cet homme aura moins de réalité ou d'être qu'un autre être qui possède trois attributs, et ainsi à l'infini. Nous pouvons donc déduire de cette proposition qu'il existe des êtres dans la Nature possédant un nombre bien plus grands d'attributs que nous, les humains, et de là nous nous élevons à la Nature entière, qui parce qu'elle consiste en la réalité absolue, ou infinie, possède une infinité d'attributs. Je ne vois rien de plus clair à dire sur cette proposition...

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Messagepar Shub-Niggurath » 14 févr. 2012, 13:22

hokousai a écrit :Je ne sais pas si je comprends les choses telles que Spinoza les comprenait selon le troisième genre tel qu'il en parle . Qui peut le savoir ?


Concevoir les choses selon le troisième genre de connaissance consiste à saisir l'essence des choses en tant qu'elles participent à l'essence de Dieu, et on pourrait aussi bien remplacer le terme d'essence par le terme de puissance. Or la puissance des choses n'est pas la même pour toutes. Donc il est loin d'être absurde de concevoir les choses, même par le troisième genre de connaissance, selon divers degrés de puissances. Si vous voulez que les choses conçues par nous ainsi soient infinies plutôt que finies, il faut aussitôt préciser qu'elles sont infinies en certaines limites, sinon l'essence de l'homme serait infinie absolument, et il n'y aurait plus de différence entre la puissance de l'homme et celle de Dieu, ce qui est absurde.

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Messagepar Henrique » 16 févr. 2012, 11:56

Shub-Niggurath a écrit :Admettons une chose dans la nature, par exemple un caillou, qui n'existe que dans un seul attribut, à savoir l'étendue. Celui-ci aura moins de réalité ou d'être qu'un homme, qui existe dans deux attributs à la fois, à savoir l'étendue et la pensée. Et à son tour cet homme aura moins de réalité ou d'être qu'un autre être qui possède trois attributs, et ainsi à l'infini. Nous pouvons donc déduire de cette proposition qu'il existe des êtres dans la Nature possédant un nombre bien plus grands d'attributs que nous, les humains, et de là nous nous élevons à la Nature entière, qui parce qu'elle consiste en la réalité absolue, ou infinie, possède une infinité d'attributs. Je ne vois rien de plus clair à dire sur cette proposition...


On peut en effet interpréter la prop. 9 "Suivant qu'une chose a plus de réalité ou d'être, un plus grand nombre d'attributs lui appartient." comme cela, car il n'a pas encore été établi à ce stade qu'il n'y a qu'une seule substance.

Mais il y a lieu se demander à quoi sert en fait cette proposition vu qu'elle n'est pas ensuite utilisée dans le corps démonstratif de l'Ethique. Dans le cadre du système, elle ne me semble pouvoir servir qu'à faire comprendre pourquoi on doit concevoir Dieu comme une substance consistant en une infinité d'attributs : si c'est un être absolument infini, alors il doit posséder une infinité d'attributs car plus une chose a de réalité (une chose infinie en a plus qu'une chose finie) plus elle doit avoir d'attributs c'est-à-dire de façon dont l'entendement peut percevoir son essence. Mais cette proposition aurait dû alors apparaître dans l'explication d'E1D6 plutôt que dans le corps des propositions.

On ne peut alors vraiment dire d'après cette proposition qu'un caillou existant dans l'étendue seule a moins de réalité qu'un homme qui existe dans la pensée également. C'est inverser la proposition. Spinoza part du principe qu'il y a des degrés de réalité ou de positivité comme d'une évidence pour en tirer l'idée qu'on doit lui attribuer d'autant plus de caractères essentiels.

Dans le système, toute chose existe en même temps sur tous les plans d'existence. Les attributs ne sont pas des parties de l'être dont l'assemblage constituerait la nature totale, ils sont tous la totalité de l'être même, considéré sous un angle donné. La totalité de l'être se trouve dans l'étendue comme elle se trouve également dans la pensée et les autres attributs qui nous échappent. Dieu ne s'exprime pas en tant qu'il est étendu dans le caillou sans s'exprimer en même temps dans l'idée de ce caillou. Il y a donc dans la pensée une idée du caillou comme il y en a une de notre corps et qui constitue notre mental même. Ce n'est pas nous qui formons l'idée de notre corps mais bien la nature en tant que puissance de penser. Ainsi, il y a aussi un mental du caillou.

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Messagepar Babilomax » 16 févr. 2012, 21:12

Henrique a écrit :Mais il y a lieu se demander à quoi sert en fait cette proposition vu qu'elle n'est pas ensuite utilisée dans le corps démonstratif de l'Ethique.

Si c'est bien le cas (je n'ai pas fini l'Éthique encore), alors de mon côté le problème disparaît, puisque je peux concevoir cette proposition comme une définition qu'il n'est pas besoin d'admettre (voir mon message plus haut).
Mais je me demande pourquoi Spinoza n'a pas fait le choix de l'inclure dans les définitions.


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