E2P38

Lecture pas à pas de l'Ethique de Spinoza. Il est possible d'examiner un passage en particulier de cette oeuvre.
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bardamu
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Messagepar bardamu » 17 mars 2007, 01:13

Enegoid a écrit :Je réactive le sujet en espérant trouver des personnes encore intéressées par lui. J'ai toujours du mal avec les notions communes.

Les notions communes
Une notion est une pensée, une idée de quelque chose. Une notion commune est donc une idée, commune à tous les hommes, de quelque chose.
Or l’objet de l’idée (dans l’âme humaine) est le corps humain. Pour qu’une idée commune existe il faut qu’elle soit relative à quelque chose de commun à plusieurs corps humains. Or, dans l’espace, tous les corps sont distincts, et n’ont rien de commun entre eux.

Salut,
Spinoza ne définit pas les corps par leur position spatiale et/ou temporelle mais par le mouvement et le repos pour les corps simples, et des rapports de mouvement et de repos pour les corps composés.
2 billes de billard, par exemple, ont en commun d'être à peu près sphérique, d'avoir des mouvements de parties organisés en sphère, avec ce que cela implique pour une communauté d'"affection" et d'"affect" : elles réagissent en sphères lors d'un choc, et l'une et l'autre peuvent "ressentir" le fait de rouler comme une "joie", une augmentation de puissance.
Il y a donc "billes" qui détermine une communauté et 2 qui détermine des singularités.
La distinction spatiale peut être conçue comme expression seconde d'une différence d'essence singulière qui n'annule pas pour autant ce qu'on partage avec un autre être et qui conditionne la possibilité de notions communes.
Enegoid a écrit :La partie et le tout
Quand Spinoza parle de ce qui est commun à toutes choses (ETII prop 37, 38, 39), il ajoute « et ce qui se trouve pareillement dans la partie et dans le tout ».
Je ne comprends pas pourquoi il ajoute cela, car il ne se sert pas de cette précision dans ses raisonnements.
Et je ne comprends pas non plus ce que çà veut dire. Pour moi ce qui est dans la partie se trouve obligatoirement dans le tout puisque toute partie est partie du tout. Si il veut parler de ce qui se trouve dans toute partie quelle qu’elle soit on en revient à l’étendue.

Je dirais que le mouvement est le suivant :
E2P37 permet d'indiquer que ce qui est commun à toute chose ne détermine l'essence d'aucune chose particulière
E2P38 dit que ce qui est commun à toute chose et identique dans les choses particulières permet des notions communes à tous les hommes
E2P39 et son corollaire indique que plus on a de point commun avec les choses extérieures mieux on est apte à les connaître

Par exemple :
- LE mouvement ne détermine l'essence d'aucun corps particulier (E2P37)
- LE mouvement est une notion commune accessible à tous les corps (E2P38)
- DES mouvements particuliers sont partagés par des choses particulières et permettent une connaissance réciproque entre elles (E2P39)
- UN mouvement spécifique constitue l'essence de chacune (Définition après Lemme 3 de E2P13)

On pourrait peut-être dire que ce système fonde une connaissance par communion plutôt que communication.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 17 mars 2007, 03:41

bardamu a écrit :Spinoza ne définit pas les corps par leur position spatiale et/ou temporelle mais par le mouvement et le repos pour les corps simples, et des rapports de mouvement et de repos pour les corps composés.
2 billes de billard, par exemple, ont en commun d'être à peu près sphérique, d'avoir des mouvements de parties organisés en sphère, avec ce que cela implique pour une communauté d'"affection" et d'"affect" : elles réagissent en sphères lors d'un choc, et l'une et l'autre peuvent "ressentir" le fait de rouler comme une "joie", une augmentation de puissance.
Il y a donc "billes" qui détermine une communauté et 2 qui détermine des singularités.
La distinction spatiale peut être conçue comme expression seconde d'une différence d'essence singulière qui n'annule pas pour autant ce qu'on partage avec un autre être et qui conditionne la possibilité de notions communes.


salut bardamu,

dans un certain sens, ton explication ci-dessus me semble être très claire. Et pourtant, quand on définit d'une telle façon ce qui est commun à tous, je ne vois plus trop ce qui pourrait faire la singularité d'une bille, c'est-à-dire son essence. Je suppose que tu sois d'accord pour dire que chez Spinoza, la 'différence d'essence singulière' ne peut pas consister en une distinction spatiale, vu que cette distinction est imaginaire et les essences non. Mais est-ce que selon toi, toute chose singulière (toujours chez Spinoza, bien sûr) a une essence singulière? Si oui, comment la définir, une fois que l'on définit la 'communauté' telle que tu viens de le faire? Si le fait d'être sphérique, et de ressentir une augmentation de puissance et donc de la joie, est propre aux billes, il faudrait que ceci ne constitue l'essence d'aucune bille singulière. Mais si ce qui définit l'augmentation de puissance n'est plus ce qui constitue l'essence singulière, qu'est-ce qui pourrait encore la constituer? C'est ce que je ne vois pas très bien. Autrement dit, comme pour Enegoid la différence entre notion commune et essence ne m'est pas encore très claire.
Cordialement,
Louisa

Enegoid
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Messagepar Enegoid » 17 mars 2007, 18:31

Merci de votre réponse

Il y a donc "billes" qui détermine une communauté et 2 qui détermine des singularités


1. Remarque préalable :« Billes » est une dénomination, une notion générale qui appartient à l’imagination et qui ne peut donc constituer un élément commun aux deux billes. (Du moins c’est ce que je comprends de la scolie I de la proposition 40).
2. Les deux billes ont bien en commun ce que vous dites (forme, matière, dimension). Vous en déduisez une communauté d’affects. Peut-être. Je cherche quelles pourraient être leurs « notions communes ». Et je trouve : une idée de la forme sphérique, une idée de l’ivoire qui est leur matière, et une idée des événements significatifs de la vie d’une boule de billard (rencontres avec d’autres billes, avec les bandes, avec la queue de billard, avec la main des joueurs, course sur le tapis etc.)
3. Si maintenant je remplace bille de billard par corps humain, qu’est-ce que je trouve ? des agencements de forme, de matière, et de mouvements (très peu différents de certains autres animaux).
4. Et si, comme pour les boules de billard, je cherche les notions communes je trouve des idées de corps liées à l’identité de forme de matière et de mouvements, je trouve le sommeil et l’éveil, les sensations de faim, les désirs de base etc. et des idées liées aux expériences communes (qui sont pour la plupart dépendantes de la société particulière et de l’époque dans laquelle vit le corps : utiliser un téléphone portable, par exemple).

Voilà résumée ma perception (actuelle) des notions communes.
Mais je ne vois toujours pas ce que les corps ont en commun, à part d’appartenir à l’étendue et d’être capable de mouvement, si l’on considère tous les corps. Si l’on s’intéresse à un genre particulier (tel que le corps humain), on arrive à des notions de forme, d’agencements de forme et de mouvements, c’est-à-dire à des modes particuliers de l’étendue.

Et ce qui continue à me gêner c’est cette histoire de partie et de tout.
J’ai l’impression que pour vous le « tout » est constitué par les deux boules et la partie par chaque boule.
Alors que dans la proposition 38 on trouve « …dans la partie et dans le tout d’un corps quelconque ». Ce que je comprends comme « dans la partie et dans le tout de chaque boule » (ou de chaque corps humain).
La proposition 37 pourrait aussi bien s ‘énoncer « ce qui est commun à toutes choses ne constitue l’essence d’aucune chose singulière », sans parler de partie ni de tout.


Pour la question de l’essence : si les deux boules sont rigoureusement identiques, aucune n’a une essence particulière, à moins que les boules aient une mémoire.

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Miam
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Messagepar Miam » 17 mars 2007, 22:38

Ce qui est à la fois dans le tout et les parties de toutes choses, ce sont les communs universels comme l'étendue et le mouvement. Selon le scolie du Lemme 7, il faut se représenter un corps comme composé d'une multitude de parties elles mêmes composées de parties etc... à l'infini. Et bien sûr, selon II 38, ces parties (le tout et les parties et les parties de ces parties, etc...) sont des corps eux-mêmes, c'est à dire des choses étendues et des mouvements.

En II 39, par contre, il s'agit du commun qui est dans la partie et le tout de l'objet, mais non du sujet (de celui qui a l'idée). C'est pourquoi il s'agit d'un "propre" commun : d'une communauté entre une partie du "sujet" (de perception) et le tout et les parties de l'objet. Ainsi quand tu élèves un animal pour le monter, il s'agit d'une communauté entre une partie de ton corps et le tout et les parties de l'animal, et non l'inverse, car c'est toi qui nourrit et fait vivre l'animal pour le monter et non l'inverse, c'est toi qui conduit l'animal et non l'inverse, mais en accord avec le tout et la partie de l'animal. Tu ne pourras le monter s'il crève de faim ou est malade.

De même lorsque je soulève un verre pour boire son contenu, seule une partie de mon corps doit imprimer le mouvement du verre, tandis qu'il s'agit de la totalité du verre. De même, plus simplement,; lorsque je regarde (perçoit) adéquatement un objet. Seul mon oeil est affecté par cet objet, mais il s'agt de la totalité de l'objet. Les propres communs sont donc comme des essences partielles. Je perçois adéquatement l'objet, mais avec une partie de mon corps seulement, une partie "propre" à mon corps. Ou alors je perçois adéquatement le tout et les parties de l'objet avec tout mon corps, comme lorsque je nage, ou lorsque je fais l'amour (dans le meilleur des cas), mais jamais avec à la fois le tout de mon corps et les parties et les parties de ces parties. Il s'agira toujours d'un "propre" à mon corps mais pas de la structure essentielle de mon corps c'est à dire le tout, les parties de ce tout, les parties des parties etc... à l'infini, sans quoi il ne s'agirait pas d'un "propre" commun mais d'un commun universel comme en II 38. (Du reste, le "propre", dans le De Anima d'Aristote, relève d'un seul sens comme l'ouïe, la vision, le toucher, etc...)

Miam

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Messagepar Enegoid » 18 mars 2007, 16:13

Je trouve votre réponse éclairante et je vous en remercie.

Je reste cependant perplexe sur vos exemples de II39. Mais je voudrais d'abord être sûr de vous comprendre :

il y a vos exemples avec du mouvement (verre, cheval, nage, faire l'amour) : dans ce cas je comprends que ce que notre corps et l'objet ont en commun, c'est le mouvement (mon bras et le verre ont le même mouvement). Est-ce bien celà ?

il y a l'exemple de la vision : je peux dire que mon oeil est dirigé vers l'écran d'ordinateur sur lequel je tape ce message, mais çà ne va pas beaucoup plus loin. Donc là j'ai du mal à voir ce qu'il y a de commun.

J'apprécierais quelques précisions. D'avance merci.

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Messagepar Miam » 18 mars 2007, 20:15

Salut

Quant à l'oeil, il ne faut pas oublier que lorsqu'on parle de "propres communs", il s'agit d'idées adéquates. Toute vision n'est pas adéquate. L'objet doit être assez proche et on doit pouvoir en faire le tour, le voir sous ses différents aspects, ce qui implique un mouvement adéquat de l'oeil. On sait aujourd'hui que la vision n'est jamais immédiatement globale mais suppose un mouvement de l'oeil qui circonscrit l'objet dans son environnement. Et ce mouvement peut être adéquat ou non.

PS: quant à mon dernier exemple, je le retire. Il est sans doute issu d'une association de mon imagination avec l'eau et cette matière (si je puis dire) est certainement trop complexe pour servir ici d'exemple adéquat.

Amicalement
Miam


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