Partie III, prop. 30

Lecture pas à pas de l'Ethique de Spinoza. Il est possible d'examiner un passage en particulier de cette oeuvre.
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YHVH
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Partie III, prop. 30

Messagepar YHVH » 04 avr. 2007, 23:53

Spinoza, selon Emile Saisset a écrit :L’amour n’étant autre chose (par le Scol. de la Propos. 13) que la joie, accompagnée de l’idée d’une cause extérieure, et la haine, que la tristesse également accompagnée de l’idée d’une cause extérieure, la joie et la tristesse dont on vient de parler seront donc une sorte d’amour et de haine ; mais comme l’amour et la haine se rapportent aux objets extérieurs, il faudra donner d’autres noms à ce genre de passions. Ainsi, la joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure, nous l’appellerons vanité, et la tristesse correspondante, honte...


Voyez vous la flagrante contradiction? Ne voulait il pas dire "cause intérieure" plutot? La joie à l'idée de la cause exterieure, c'est l'amour!

J'ai trouvé ce texte sur ce site, qui me semble fiable pourtant : http://hyperspinoza.caute.lautre.net/ar ... rticle=470 .
Et je viens de remarquer que cette erreur est présente dans l'édition qui est proposée sur ce site ici.

Voici la phrase en latin qui me conforte dans l'idée qu'il a effectivement fait une faute et que ce n'est pas seulement mon imagination : lætitiam concomitante idea causæ internæ gloriam et tristitiam huic contrariam pudorem appellabimus

[j'aurais voulu poster cette remarque dans la partie "Traduction" mais mon statut ne me l'autorisait pas]

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Louisa
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Messagepar Louisa » 05 avr. 2007, 22:45

Bonjour,

lors de la première lecture de l'Ethique, j'avais exactement le même sentiment que vous. J'avais donc barré les deux 'externes', dans la version française ET dans la version latine (car dans l'édition qui donne la traduction de Pautrat, le latin mentionne également 'externae', ce qui justifiait bien sûr la traduction).

Or entre-temps, je crois qu'il s'agit d'une erreur de notre part, et qu'il faut bel et bien respecter le latin.

Car si on relit bien le scolie, on voit qu'en fait, Spinoza y énumère TROIS 'classes' d'affects différents:

1. L'Amour et la Haine = JOIE et TRISTESSE qu'accompagne l'idée d'une CAUSE extérieure.

1.a CAUSE EXTERIEURE + OBJET EXTERIEUR:
Les Amours et les Haines dont Spinoza avait parlé jusqu'à présent, étaient tous caractérisés par le fait de se rapporter à des OBJETS extérieurs, dans le sens où nous aimons ou haïssons pe notre voisin. C'est cela qui s'accompagne de l'idée d'une cause extérieure: nous nous imaginons, en plus de rapporter l'Amour à l'objet extérieur qu'est notre voisin, que c'est bien ce voisin lui-même qui a causé l'augmentation de notre puissance, et pas nous-même.

1.b CAUSE EXTERIEURE + OBJET = moi:
Or ici (en III.30), il ajoute une deuxième catégorie d'affects d'Amour et de Haine: il s'agit toujours de Joie et de Tristesse accompagnée de l'idée d'une CAUSE extérieure, mais maintenant, l'objet de l'Amour ou de la Haine n'est plus en dehors de moi-même, car c'est moi même.
-> GLOIRE (traduire par 'vanité', qui traditionnellement rend le latin 'vanitas', me semble être assez absurde) = l'Amour que je ressens pour moi-même tout en l'attribuant à une cause externe (les autres qui me louent)
-> HONTE = la Haine que je ressens envers moi-même, accompagnée d'une idée de cause extérieure (c'est parce que les autres m'ont blâmé que je me haïs).

2. JOIE et TRISTESSE accompagnée de l'idée de CAUSE INTERIEURE + OBJET = moi:
Ici, nous ressentons une augmentation ou diminution de notre puissance, mais celles-ci ne sont plus attribuées à une cause extérieure (ce ne sont donc plus des espèces d'Amour ou de Haine). Nous nous imaginons être nous-mêmes la cause de ce changement de puissance.
-> SATISFACTION DE SOI-MÊME = Joie + idée d'être soi-même la cause + ressentie envers soi-même comme objet
-> REPENTIR = idem, mais Tristesse.

Donc voilà la raison pour laquelle je me suis dit qu'il vaut peut-être mieux réfléchir tout de même deux fois avant de commencer à barrer des mots dans le texte original ... :)
Louisa

PS: je pars de l'idée que la version latine qu'accompagne la traduction de Pautrat est la plus correcte ... d'où vient la vôtre? En tout cas, si l'on change le latin 'externae' par 'internae', je crains que le texte n'ait plus aucun sens. Si donc il s'avère que dans la version originale il y avait 'internae', la correction qui remplace ce mot par 'externae' est à mon sens nécessaire ... .
Y a-t-il quelqu'un ici qui s'y connaît en matière d'éditions de texte en latin, et qui pourrait confirmer/infirmer ceci ... ?

PPS : quant au scolie de 51, le problème ne se pose plus, car Spinoza y parle effectivement de cause intérieure, et donc il s'agit de la Satisfaction de soi-même et du Repentir, pas de la Gloire et de la Honte.

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Re: Partie III, prop. 30

Messagepar YHVH » 07 avr. 2007, 15:52

Merci beaucoup pour cette précision. J'avais cru préssentir cette distinction hier quand j'y repensait en sortant du métro mais c'était encore bien trop flou dans ma tête.

Cependant, en relisant la traduction d'Emile Saisset, je ne peux toujours pas m'empécher de penser qu'il y a un truc qui cloche :
Spinoza, selon Emile Saisset a écrit :L’amour n’étant autre chose que la joie, accompagnée de l’idée d’une cause extérieure(...) ]Ainsi, la joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure, nous l’appellerons vanité

Deux fois il s'agit bien de la joie accompagnée de l'idée d'une cause, cette cause étant extérieure et il lui donne deux noms différents. Si j'ai bien compris, ce qui les distingue, c'est l'objet de cette joie (dans le premier cas l'objet est extérieur, dans le deuxieme, c'est soi-même). Ce que je regrette, c'est qu'il n'ait pas indiqué la nuance à ce moment là. Quoi qu'il le sous entende un peu en disant "mais comme l’amour et la haine se rapportent aux objets extérieurs, il faudra donner d’autres noms à ce genre de passions".

Donc l'erreur se situerait dans ce texte latin et non dans la traduction? Parce que moi j'ai bien "lætitiam concomitante idea causæ internæ" comme définition de la gloire. J'ai déja placé le lien qui mène vers le site où j'ai trouvé ce texte dans mon premier message.

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Re: Partie III, prop. 30

Messagepar Pourquoipas » 07 avr. 2007, 16:40

YHVH a écrit :Merci beaucoup pour cette précision. J'avais cru préssentir cette distinction hier quand j'y repensait en sortant du métro mais c'était encore bien trop flou dans ma tête.

Cependant, en relisant la traduction d'Emile Saisset, je ne peux toujours pas m'empécher de penser qu'il y a un truc qui cloche :
Spinoza, selon Emile Saisset a écrit :L’amour n’étant autre chose que la joie, accompagnée de l’idée d’une cause extérieure(...) ]Ainsi, la joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure, nous l’appellerons vanité

Deux fois il s'agit bien de la joie accompagnée de l'idée d'une cause, cette cause étant extérieure et il lui donne deux noms différents. Si j'ai bien compris, ce qui les distingue, c'est l'objet de cette joie (dans le premier cas l'objet est extérieur, dans le deuxieme, c'est soi-même). Ce que je regrette, c'est qu'il n'ait pas indiqué la nuance à ce moment là. Quoi qu'il le sous entende un peu en disant "mais comme l’amour et la haine se rapportent aux objets extérieurs, il faudra donner d’autres noms à ce genre de passions".

Donc l'erreur se situerait dans ce texte latin et non dans la traduction? Parce que moi j'ai bien "lætitiam concomitante idea causæ internæ" comme définition de la gloire. J'ai déja placé le lien qui mène vers le site où j'ai trouvé ce texte dans mon premier message.


Voici l'état du dossier de III 30 S, d'après l'excellente édition-traduction d'Edwin Curley dans The Collected Works of Spinoza, vol. I, Princeton University Press, 1988, p. 511.
Il signale que les Opera posthuma (OP, parus peu après la mort de Spinoza) donnent causae externae dans les deux cas que tu indiques (définitions de la gloria puis de l'acquiescentia in se ipso). Mais les Nagelate Schriften (NS, traduction hollandaise parue en même temps, et faite d'après les manuscrits de Spinoza, ensuite détruits probablement) donnent eux innerlijke oorzaak, "cause intérieure", dans ces deux cas.
Saisset traduit d'après l'éditeur Van Vloten et Land qui donne la leçon des OP.
Appuhn et d'autres retiennent la leçon des NS. L'éditeur Gebhardt retient "intérieure" dans le premier cas, "extérieure" dans le second, ce qui paraît absurde à Curley et d'autres, dont Akkerman (je pense qu'ils ont raison), soupçonnant une double erreur d'imprimerie dans l'édition latine, ce qui arrive toujours dans les ouvrages les plus soignés.
Mais, dans tous les cas, ne donne lieu à aucune contestation le début du scolie : Cum Amor (per Schol. Prop. 13) sit Laetitia, concomitante ideâ causae externae, et Odium Tristitia concomitante etiam ideâ causae externae, erit ergo haec Laetitia, et Tristitia Amoris, et Odii species. Sed quia Amor, et Odium ad objecta externa referuntur, ideò hos Affectûs aliis nominibus significabimus
PS - De manière générale, il faut, je pense, se méfier de la trad de Saisset, et se fier plutôt à Appuhn ou Pautrat etc.

Porte-toi bien, si j'ose dire, ô imprononçable Tétragramme !
Modifié en dernier par Pourquoipas le 08 avr. 2007, 11:28, modifié 1 fois.

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Re: Partie III, prop. 30

Messagepar Pourquoipas » 07 avr. 2007, 17:16

Et voici comment j'interprète ce scolie :
L'amour et la haine sont une joie ou tristesse avec idée de cause extérieure à moi-même. Donc la joie et tristesse dont Spinoza vient de parler dans la prop. 30 (quand on s'imagine bien ou mal considéré par autrui) sont des espèces de l'amour et de la haine. Mais il va falloir les nommer autrement dans le vocabulaire, puisque l'objet de l'amour ou haine est moi-même, mais dans l'idée que je me fais qu'autrui a de moi, donc une idée indirecte de moi, passée par la médiation d'autrui (un autrui imaginé bien sûr). Ainsi on va nommer "gloire" ou "honte" cet amour ou haine indirects de moi-même.
Autrement, quand cet amour ou haine est direct (sans médiation, au moins consciente, d'autrui), on l'appellera "satisfaction de soi" ou "repentir". Et là, je ne suis pas sûr du tout que Spinoza parle bien d'amour et de haine (la phrase est très succincte), il me semble plutôt qu'il s'agit de joie et de tristesse directes (voir aussi la 1re phrase de III 55 S).
Ici, je vois plusieurs questions dont au moins celle-ci : le rapport humilité-repentir (voir dans l'annexe de la partie III les n° 25-27.


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