Martin H., la pensée et sujets annexes (salut Augustin)

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
Pourquoipas
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Martin H., la pensée et sujets annexes (salut Augustin)

Messagepar Pourquoipas » 28 août 2010, 09:30

AUgustindercrois a écrit :(...)
@Pourquoipas: Si tu n'aimes pas Heidegger, je t'invite à lire Eckhart chez GF. On comprend que Martin H. est un gros copieur, et on ne peut soupçonner Eckhart de nazisme. Comme cela, on voit ce qu'il convient de retenir et d'éliminer dans ce courant.


Pourqoipas a écrit :Cher Augustin,
J'avais écrit une longue intervention sur ce que tu dis là, mais, comme, d'une part, elle a disparu lors d'un incident informatique qui me l'a supprimé, et que, d'autre part, elle sortait du cadre initial du sujet, je vais essayer de la reprendre dans un nouveau fil.


Cher Augustin,

Une précision : tu parles bien de Maître Eckhart, le célèbre penseur mystique dominicain. Et non d’un auteur contemporain qui aurait écrit contre Heidegger en l’accusant de plagiat. S’il s’agit du premier cas, pourrais-tu me donner deux ou trois exemples (des titres suffiront) montrant cela – car s’il s’agit de commentaires, ou même de paraphrases, je n’y vois pas vraiment d’inconvénients. Après tout, beaucoup de penseurs reprennent souvent ce qu’ont pu dire leurs prédécesseurs, souvent en les transformant, en donnant un autre sens à ce qu’ils ont dit, etc. S’il s’agit de pur et simple copiage, c’est une autre affaire… S’il s’agit du second cas (un auteur moderne critiquant Heidegger), peux-tu me donner les références de son ouvrage ?

Non, disons ma « haine » (tristesse avec Martin H. comme cause) vient surtout d’un ouvrage dont j’ai eu à m’occuper dans le cadre de mon boulot (une histoire du IIIe Reich vue du côté du peuple allemand à l’époque), où il est montré, avec références à l’appui, que, en tant que recteur de l’université de Fribourg, il s’est activement occupé, et assez tôt (en 1933-1934) de « dé-juiver » le personnel professoral et administratif, sinon estudiantin, dont il avait la charge. Et donc il ne s’est pas agi de sa part, disons de faiblesse, d’obéissance, ou de lâcheté.
A quoi s’ajoute le fait que, sauf erreur, toujours possible, les Leçons de phénoménologie sur la conscience intime du temps de Husserl, éditées d’après les notes de, et en collaboration avec, Edith Stein, l’assistante de Husserl (également, je le note au passage tant que j’y suis, connue depuis sous le nom de « sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix », et qui d’ailleurs, soit dit en passant, a écrit vers la fin de sa vie un ouvrage sur Denys l’Aréopagite, puis un autre sur Jean de la Croix – j’ajoute que cette philosophe devenue carmélite mourut peu après, en 1942, lors d’un petit voyage d’agrément à Oświęcim, en Pologne…), MH a, semble-t-il, tout fait pour ne pas mentionner correctement sa contribution à l’édition de l’ouvrage de Husserl, paru en 1928.
Sans oublier que lors de la réédition de Sein und Zeit dans les années 30, il élimina sa dédicace à Husserl (juif comme Stein)…

A l’inverse, je note qu’un savant, qui le valait largement intellectuellement, Max Planck (dont le fils participa – et en mourut – à l’attentat, bien trop tardif, contre Hitler de Stauffenberg en 1944), eut lui le courage de demander un entretien à Hitler, où il lui dit qu’il y avait des juifs dans son équipe, et qu’il en avait besoin pour mener à bien ses travaux scientifiques : à quoi Hitler aurait répondu en substance : « L’avancée de la science peut attendre, la première chose à faire est de s’occuper des juifs… »

— En aparté, j’ajoute une idée qui me vient à propos des « rapports » Hitler et nazis-judaïsme, une idée d’ordre disons métaphysique ou religieux : il ne s’est pas agi dans la Shoah d’un gigantesque pogrom, mais du fait que, les nazis considérant le peuple allemand comme un peuple élu, il ne pouvait y en avoir deux : il s’agissait d’un combat à mort où il fallait éliminer jusqu’au dernier représentant de cet autre peuple élu qu’ils considéraient comme voulant dominer le monde (et donc les tuer eux-mêmes), et ne pouvant s’assimiler, étant juif avant d’être de n’importe quelle nationalité… Et je ne suis pas si sûr que MH füt si éloigné de cette idée… Bon, maintenant tout cela demande bien plus ample réflexion. Je pense donc qu'on n'en a pas fini avec ce qu'on peut appeler la pensée (sinon la philosophie) nazie et ses rapports avec celle de Martin H.

Pour revenir à celui-ci, j’en suis d’autant plus "haineux" que j’ai apprécié certaines de ses analyses et pas mal de ses commentaires de textes : notamment les Holzwege (fort mal traduits par Chemins qui ne mènent nulle part, car les Holzwege sont des chemins forestiers, qui mènent donc quelque part…) et Le principe de raison, etc. Il y a d'ailleurs une étrange absence dans son œuvre, lui qui parle de tous les grands philosophes : et c'est celle de Spinoza, sauf une fois, et dans une courte allusion aux penseurs du système, si j'ai bonne mémoire... (et je ne pense pas que ce soit par antisémitisme).

Il est probable que, si je parviens à dominer cet affect, j’arriverai à relire et lire calmement ce penseur, car, je le répète, j’avais apprécié pas mal de ses analyses et de ses manières de lire les textes. Et, peut-être et même sans doute, m’aidera-t-il à comprendre ce que c’est que le nazisme et sa philosophie, et plus largement le monde technicisé contemporain.
Donc, en fait, au fur et à mesure que j'y réfléchis et que je me renseigne un peu plus, sans doute ma position se nuance-t-elle quelque peu.

Et maintenant, j’ai quand même une question, naïve mais fondamentale : peut-on être un salaud et un philosophe en même temps ? A cette question, il me paraît clair que Platon, et les Grecs en général, ainsi que Spinoza, répondraient non (pour les chrétiens, Thomas d’Aquin compris, j’en suis moins sûr). Mais, qu’en est-il de la philosophie contemporaine sur ce point ?

Ce sera tout pour aujourd’hui.

Portez-vous bien.

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Sur Heidegger

Messagepar AUgustindercrois » 28 août 2010, 13:28

Cher Pourquoi.

D'un point de vue spinozophile, il convient de distinguer deux plans. Sur le plan métaphysique, Martin Heidegger est nazi et intelligent, comme Carl Schmitt. Faut - il répondre à la N par la N?

Les plus grandes spinozophiles (Edith Stein, Etty Hillesum) ont montré par leur consentement au sacrifice ultime que non.

Mais sur le plan politique, il est clair qu'un autre spinozophile comme Eintein a tout fait pour combattre les Nazis en vertu du principe: "Si ton chien a la rage, tue le."

Il a notamment favorisé la recherche de l'arme ultime, atomique, aux Etats-Unis, qui l'ont mal employée, d'ailleurs, chose que le même Einstein a condamné avec la même vigueur car Albert, était un spinozophile pacifiste.

Il en va de même pour Gandhi, spinozophile suprême du XXe siècle, qui a dit que tous les hommes sont frères.

La solution à ton problème est donc dans le juste milieu: la N de la N n'est jamais l'Amour au plan métaphysico-psychologique, mais il fallait combattre politiquement et militairement Heidegger et ses semblables, en s'abstenant de tout N à son endroit.

Cette solution t'agrée - t- elle?

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Messagepar Louisa » 29 août 2010, 01:36

Pourquoipas a écrit :Et maintenant, j’ai quand même une question, naïve mais fondamentale : peut-on être un salaud et un philosophe en même temps ? A cette question, il me paraît clair que Platon, et les Grecs en général, ainsi que Spinoza, répondraient non (pour les chrétiens, Thomas d’Aquin compris, j’en suis moins sûr).


A vrai dire, de prime abord je ne vois pas pourquoi la combinaison {(grand) philosophe, (grand) salaud} serait impossible, ni pourquoi Platon, Thomas d'Aquin ou Spinoza le penseraient.

1. Etre un inventeur remarquable, que ce soit dans le domaine de l'art, de la philosophie ou des sciences, c'est avoir acquis une expertise et créativité hors normes en matière de l'une de ces trois activités, mais ne faudrait-il pas dire que l'histoire a amplement montré que l'on peut parfaitement exceller dans l'un et néanmoins ne pas être très "doué" en ce qui concerne la vie "concrète"?

On pourrait penser à Newton par exemple, dont le successeur à Cambridge (et également éditeur de son Arithmétique universelle), G. Whiston, dit:

"Newton (...) était du caractère le plus craintif, le plus cauteleux et le plus soupçonneux que j’aie jamais rencontré, et je n’eusse osé publier, lui vivant, ma réfutation de sa Chronologie, car, comme je le connaissais, j’aurais redouté qu’il ne me tuât. "

On sait aussi qu'il a tout fait pour masquer et falsifier la contribution de Leibniz à l'invention du calcul infinitésimal, querelle qui l'a occupé sans cesse pendant les dernières années de sa vie.

Puis il y a notamment Verlaine, ce merveilleux et doux poète ... qui a néanmoins essayé plusieurs fois de tuer sa mère, idem en ce qui concerne sa femme (notons que Hélène, la femme d'Althusser, a eu moins de chance...), tout en ayant quasiment tué Rimbaud ... .

Et Heidegger lui-même est sans doute un "bon exemple" aussi, lui dont on dit qu'il est peut-être le plus grand philosophe du XXe siècle, ayant pour seul rival potentiel Wittgenstein (qui d'ailleurs aurait pu être le soldat qui a tué Charles Péguy si on ne l'avait pas envoyé au front russe, lors de la première guerre mondiale, guerre dans laquelle tous les deux se sont volontairement engagés avec beaucoup d'enthusiasme ... tu as sans doute vu les images de Parisiens partant à la guerre, éclatant de joie et sûrs de faire subir une défaite écrasante au peuple auquel appartenait Wittgenstein ... Spinoza dirait: "Dieu qui a écrit le Tractatus essaie de tuer Dieu qui a écrit Clio").

Bref, je pense que les exemples de grands créateurs qui dans la vie personnelle n'étaient pas vraiment ce qu'on appellerait des "sages" ne manque pas.

2. Platon, Thomas d'Aquin et Spinoza auraient-ils été des exceptions? On sait qu'on ignore presque tout de la vie de Spinoza et de son tempérament ou caractère. Difficile, dans ces circonstances, de le proclamer "sage" simplement parce qu'il a écrit un bouquin sur la sagesse, non?

Je ne connais pas la biographie de Thomas d'Aquin, mais en ce qui concerne Platon on a le même problème qu'avec Spinoza: très peu est connu de sa vie.

3. Quant à leurs doctrines ou théories: le rôle que Platon a préféré donner au "philosophe" est ce qu'aujourd'hui on appelle "dictateur" (ce qu'en bons démocrates on peut certainement appeler un "salaud").

Et si tu penses que le philosophe aux yeux de Spinoza serait plus vertueux/puissant que d'autres êtres humains, sur quel(s) passage(s) te baserais-tu pour le penser .. ?

Il me semble qu'en règle générale, si Spinoza parle de philosophes c'est pour expliquer qu'ils se sont trompés et pour montrer en quoi telle ou telle idée qu'ils défendaient était inadéquate. Puis n'oublions pas ce passage assez marrant, où (après Cicéron) il accuse allègrement les philosophes (sans distinction, apparemment) d'être affecté du seul affect dont il dit qu'il peut à peine être surmonté: l'Ambition.

"Mêmes les philosophes, en têtes des livres qu'ils écrivent pour inciter à mépriser la gloire, inscrivent leur nom, etc."

Spinoza et Cicéron sont d'accord pour dire que ceci montre que "Les meilleurs sont au plus haut point menés par la gloire".

Ce qui signifie bien, j'en conviens, qu'ils considèrent quand même que les philosophes appartiennent à la classe des "meilleurs". Mais une fois qu'on admet qu'ils soient "au plus haut point" menés par la gloire, je ne vois pas ce qui exclut la possibilité de l'un ou l'autre "philosophe-salaud" à leurs yeux .. .

En fait, je pense qu'il ne faut simplement pas confondre "philosophe" et "sage".

Pour les personnes religieuses, il ne suffit pas d'écrire de bons bouquins pour être un "sage", il faut y ajouter tout un style de vie.

A part cela, il y a des philosophes, dont le métier est d'écrire des livres afin d'inventer des nouvelles façons de penser, mais justement, ce qu'ils inventent est une nouvelle pensée, ce qui est déjà un défi assez énorme. Un "grand" philosophe y a réellement réussi, ce qui souvent implique qu'il a donné une nouvelle définition de la philosophie, et parfois aussi de l'idée du sage, comme c'est le cas dans le spinozisme.

Mais on ne va jamais aller vérifier la vie personnelle d'un philosophe pour savoir s'il est un grand philosophe ou non, son oeuvre suffit. Ce qui est exclut dès que l'on parle de "sages" ou de "saints". Là toute leur vie est censée être "oeuvre". Ils ne doivent même pas avoir écrits des livres ou lu d'autres livres ou avoir inventé des concepts nouveaux (chose qui vaut aussi pour le sage spinoziste, remarquons en passant).

Conclusion: en tout respect, je pense que l'idée du "bon" créateur est assez "romantique". Ce sont les Lumières qui sont arrivées avec l'idée qu'on pourrait améliorer le monde, le rendre plus "moral", juste en "cultivant" les gens, en leur rendant sensibles à l'art, la philosophie et les sciences. Auschwitz a montré que c'était une grande erreur.

Comme le raconte Anita Lasker-Wallfisch, l'une des derniers survivants de l'orchestre d'Auschwitz (aujourd'hui 83, si je ne m'abuse): le plus affreux était de se rendre compte que ces Allemands, ces bourreaux, étaient des "gens comme nous" (elle vient d'une famille très cultivée). Un soir, le docteur Mengele entre dans sa baraque, le bâtiment numéro 1, où dormaient les musiciens de l'orchestre. Il demande si quelqu'un savait jouer la Träumerei de Schumann au violoncelle. Quelqu'un lui répond qu'elle était la seule à connaître ce morceau. Elle était tout à fait stupéfiée d'apprendre qu'un homme comme lui, dont à ce moment-là tous les prisonniers savaient déjà qu'il faisait des expériments absolument horribles sur des enfants et adultes jumeaux, connaissait une telle pièce, pas très connue à l'époque.

Elle n'avait bien évidemment pas de choix, c'était cela ou mourir. Donc elle a joué la Rêverie, toute seule, jeune fille de moins de 17 ans, étant en train d'essayer de survivre dans l'un des plus terribles camps de concentration, la mort étant partout, ses parents tués dans une chambre à gaz, assise là devant le docteur Mengele. Qui écoutait attentivement et était fort ému.

Je suis convaincue que l'art et la philosophie peuvent changer et améliorer le monde. Mais seulement si on les pratique d'une certaine façon, si on en fait "quelque chose de bon". Pas en tant que telles ... .

Pablo Casals jouant la Träumerei pour néanmoins terminer "en beauté" ... :

http://www.youtube.com/watch?v=Ia62s3sz9fU


Porte-toi bien.

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Messagepar Pourquoipas » 29 août 2010, 13:40

Louisa a écrit :
Pourquoipas a écrit :Et maintenant, j’ai quand même une question, naïve mais fondamentale : peut-on être un salaud et un philosophe en même temps ? A cette question, il me paraît clair que Platon, et les Grecs en général, ainsi que Spinoza, répondraient non (pour les chrétiens, Thomas d’Aquin compris, j’en suis moins sûr).


A vrai dire, de prime abord je ne vois pas pourquoi la combinaison {(grand) philosophe, (grand) salaud} serait impossible, ni pourquoi Platon, Thomas d'Aquin ou Spinoza le penseraient.

(...)
Je suis convaincue que l'art et la philosophie peuvent changer et améliorer le monde. Mais seulement si on les pratique d'une certaine façon, si on en fait "quelque chose de bon". Pas en tant que telles ... .

Pablo Casals jouant la Träumerei pour néanmoins terminer "en beauté" ... :

http://www.youtube.com/watch?v=Ia62s3sz9fU


Porte-toi bien.


Réponse fort longue et un peu fouillis à une question, je dois le dire, fort mal posée : j'avais surtout en tête ce qu'on appelle les "philosophies du salut", et au double sens du terme "sagesse" chez les Grecs (et les Latins pré-chrétiens), puis chez Spinoza : sagesse comme pensée et comme action. (La fameuse déf. de Deleuze : "philosophie = création de concepts" me laisse dubitatif, pour rester dans l'euphémisme.) Pour moi, je conserve toujours au mot "philosophe" son sens étymologique (qui tend vers, qui aime, qui s'efforce à, etc., la sagesse, le savoir, en son double sens : théorique et pratique). Je vais essayer de retrouver les citations, là j'ai pas le temps et si "je ne suis pas trop fatigué" comme d'aucuns ; mais Platon, p. ex., fait bien la différence entre "philo-sophe" et "sophiste", non ? Ta dernière phrase n'est pas si éloignée de ce que je voulais dire.

A contrario – et on l'oublie toujours celui-ci – il existe un philo-sophe (et qui mérite ce nom) qui demande qu'on soit un pur salaud, et dont la béatitude exige de faire le plus de mal possible à son prochain : il s'agit d'un célèbre marquis du XVIIIe siècle, dont je pense qu'il est inutile de donner le nom... (Devise : "Fais à autrui ce que tu n'aimerais pas qu'il te fasse.")

J'aurais dû préciser ce que j'entendais et par "philo-sophe" et par "salaud". Mais, sur le fond de la question, il n'y a de ma part aucun mea culpa.

PS en passant, tant que j'y pense : tu ne peux mettre Péguy et Wittgenstein dans le sac des "salauds" : tous deux obéissent aux lois de leur pays, ce qui n'est pas une saloperie.

Porte-toi bien

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Messagepar AUgustindercrois » 29 août 2010, 15:25

@ Louisa et pourquoipas

On pourrait avoir, si je vous comprends bien, deux conceptions de la philosophie.

L'une, large, qui est la recherche de la sagesse par l'exercice de la pensée et la création de concepts. C'est la conception qui prévaut depuis le XXe siècle.

L'autre, stricte, qui est non seulement la recherche de la sagesse par l'exercice de la pensée et la création de concepts, mais aussi, par l'observance de règles éthique et la pratique d'exercices spirituels. C'est la position de Pierre Hadot.

Au premier sens, Heidegger est philosophe.

Au second, OeildeGuerre n'est pas philosophe.

Cette soluytion vous agrée -t- elle?

Pourquoipas
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Re: Sur Heidegger

Messagepar Pourquoipas » 29 août 2010, 15:32

AUgustindercrois a écrit :Cher Pourquoi.

D'un point de vue spinozophile, il convient de distinguer deux plans. Sur le plan métaphysique, Martin Heidegger est nazi et intelligent, comme Carl Schmitt. Faut - il répondre à la N par la N?

Les plus grandes spinozophiles (Edith Stein, Etty Hillesum) ont montré par leur consentement au sacrifice ultime que non.

Mais sur le plan politique, il est clair qu'un autre spinozophile comme Eintein a tout fait pour combattre les Nazis en vertu du principe: "Si ton chien a la rage, tue le."

Il a notamment favorisé la recherche de l'arme ultime, atomique, aux Etats-Unis, qui l'ont mal employée, d'ailleurs, chose que le même Einstein a condamné avec la même vigueur car Albert, était un spinozophile pacifiste.

Il en va de même pour Gandhi, spinozophile suprême du XXe siècle, qui a dit que tous les hommes sont frères.

La solution à ton problème est donc dans le juste milieu: la N de la N n'est jamais l'Amour au plan métaphysico-psychologique, mais il fallait combattre politiquement et militairement Heidegger et ses semblables, en s'abstenant de tout N à son endroit.

Cette solution t'agrée - t- elle?


Cher Augustin (quel nom ! quand nous écris-tu tes Confessions ou ta Cité de Dieu ?), pour ne pas dire

Caro Agostino della Cruce :D

Je ne suis pas en désaccord avec toi : sauf erreur, le sage doit tuer Hitler et ses comparses tout les aimant, pour le bien-utilité de tous, et des nazis et du peuple qu'ils dirigent (et qui les a élus démocratiquement) tout les premiers – bon, à part ça, dans la vraie vie, un peu de haine ne fait pas de mal et est même bien utile ! (Louisa : désolé, mais je pense que "la haine peut parfois être bonne", i.e. utile, puisque nous ne sommes pas des sages, qui parfois m'apparaissent comme un pur rêve, sinon fantasme, philosophique...)

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Messagepar Louisa » 30 août 2010, 05:18

Pourquoipas a écrit :PS en passant, tant que j'y pense : tu ne peux mettre Péguy et Wittgenstein dans le sac des "salauds" : tous deux obéissent aux lois de leur pays, ce qui n'est pas une saloperie.


En fait, il se fait qu'ils n'y étaient pas obligés du tout ... si je les ai pris comme exemple c'est précisément parce que tous les deux s'y sont engagés volontairement (Péguy après avoir écrit un pamphlet (1905, si je ne m'abuse) où il rejette l'internationalisme de la gauche et prône un nationalisme qui apparemment signifiait qu'à ses yeux il était plus utile d'aller tuer quelques Allemands que de rester à la rue de la Sorbonne publier des revues littéraires...).

AUgustindercrois a écrit :On pourrait avoir, si je vous comprends bien, deux conceptions de la philosophie.

L'une, large, qui est la recherche de la sagesse par l'exercice de la pensée et la création de concepts. C'est la conception qui prévaut depuis le XXe siècle.

L'autre, stricte, qui est non seulement la recherche de la sagesse par l'exercice de la pensée et la création de concepts, mais aussi, par l'observance de règles éthique et la pratique d'exercices spirituels. C'est la position de Pierre Hadot.

Au premier sens, Heidegger est philosophe.

Au second, OeildeGuerre n'est pas philosophe.

Cette soluytion vous agrée -t- elle?


Oui, éventuellement ... . Si j'hésite c'est parce qu'il me semble que depuis Platon, "père fondateur" de la philosophie, la philosophie s'est définie en se distinguant nettement de deux autres "personnages conceptuels": le sage et le sophiste.

Pourquoipas pourras peut-être me corriger (ou d'autres), mais pour autant que j'aie compris, le sage chez Platon ne s'identifie pas au sophiste. Le sophiste prétend être un philosophe, alors qu'il ne l'est pas. Le sage ne prétend pas être un philosophe, il prétend avoir acquis la sagesse, ce à quoi le philo-sophe ne fait qu'aspirer sans jamais un jour détenir un savoir absolu et "immuable".

"Dans ces conditions, dis-je, quels sont, Diotime, ceux qui philosophent, puisque ce ne sont ni les sages, ni les ignorants?"

(Banquet, 203 e-204b).

Le sophiste est ni sage ni ignorant non plus, c'est simplement quelqu'un qui excelle dans "l'art de la contradiction", et qui fait croire à ses disciples qu'il dispose d'un "art" qui une fois qu'ils le maîtrisent leur permettra d'obtenir des autres tout ce qu'ils veulent dans la vie.

Si le sophiste n'est pas un philosophe, c'est parce qu'il n'a jamais essayé de construire une Idée du Bien, il confond le bien et l'utile, qui ne peut être qu'un moyen, moyen "aveugle" si l'on n'a pas d'abord trouvé une idée du Bien. Et donc il ne sait rien enseigner à ses disciples qui ressemble à l'enseignement d'un philosophe.

Le sage en revanche pense posséder un savoir achevé concernant le Bien, et pense qu'il ne lui reste qu'à le mettre en pratique, le "vivre" (et éventuellement le "dicter" à d'autres, ou pour les plus délicats, l'"enseigner"). Ceux qui veulent devenir des sages eux-mêmes ont besoin de connaître ce savoir, mais pour le connaître il faut déjà tout un style de vie à part entière. On progresse donc dans l'un et dans l'autre parallèlement, et de préférence en suivant les conseils d'un "guide" (qui en général inspire de l'Admiration, au sens spinoziste du terme).

Ce qu'en ce cas Deleuze (de prime abord "anti-platonicien" par excellence) a en commun avec Platon, c'est l'idée que pour le philosophe le sage n'est précisément qu'une Idée, un concept. Si le philosophe s'y intéresse(si, en effet, car on peut tout aussi bien penser le Bien sans en passer par une idée du sage), c'est uniquement parce qu'il veut construire une "idée pure" du sage, une figure "qui n'est que sage", un "intelligible pur" du sage.

Est-ce qu'en faisant cela il devient plus "sage" lui-même? Pas forcément je pense. Tout dépend de comment il va définir le sage.

Aristote par exemple ne définit le sage que comme celui qui possède un savoir parfait et achevé. Selon lui cela n'existe tout simplement pas, donc en créant sa philosophe le philosophe ne devient certainement pas plus sage, il devient plutôt plus philosophe.

Platon en revanche semble dire que le philosophe est intermédiaire entre l'ignorant et le sage, et qu'en cela il est "toujours déjà" un peu "sage" (même les "philosophes-salauds", dirais-je...), du moins aussi longtemps qu'il reste "en chemin", c'est-à-dire qu'il "pense", c'est-à-dire qu'il "fait bouger sa pensée", ce qui du coup n'a plus grand-chose à voir avec l'idée de posséder un savoir immuable et absolu (ou d'évoluer de plus en plus vers la possession d'un tel savoir), au contraire même.

De prime abord je pense que Spinoza se trouve plus proche de Platon que d'Aristote sur ce point. Dans le TIE il dit clairement que c'est son activité de philosophe, la recherche philosophique (sa recherche d'une idée du Bien (du bien souverain)) en tant que telle, qui lui a donné des moments de béatitude. Puis la sagesse semble être "graduelle" chez lui aussi: on est toujours aussi sage qu'on est "conscient de soi, et de Dieu, et des choses", ni plus ni moins. En même temps, il faut bien un style de vie particulier pour avoir de plus en plus de tels moments. Mais justement, dans le concept de "sage" que nous propose Spinoza, il ne faut aucun guide pour avancer sur le chemin de la sagesse, il ne faut se laisser guider/conduire que par une seule chose: la Raison. Et bien sûr avoir aussi pour commencer une idée adéquate de Dieu (mais cela on a tous).

Enfin, chez Spinoza cela a donc l'air assez compliquée ... on est sage dans la mesure où l'on est conscient de soi, de Dieu et des choses, on est ignorant dans la mesure où l'on ne l'est pas. En tant que partie de la Nature on a toujours un tas d'idées inadéquates, donc on est toujours ignorant, mais en tant que mode fini et éternel, on a toujours une idée adéquate de Dieu, donc on est toujours déjà un peu sage aussi (comme il le dit, la Béatitude n'a pas de commencement ni fin, on ne s'en est simplement pas toujours "conscient", et on peut certes devenir plus ou moins "bienheureux").

Toujours est-il que dans les deux cas (Spinoza et Platon) il me semble que les philosophes peuvent être des "salauds" (même si en effet, comme l'a déjà dit Pourquoipas, il faudrait voir ce qu'on comprend par lá), puisqu'on n'est jamais entièrement sage, donc il y a toujours moyen de pâtir d'un affect-passion qui par moments domine tout, alors qu'on est philosophe dès qu'on cherche activement à développer une idée du Bien, ou plutôt lorsqu'on le cherche ... .

Qu'en pensez-vous ... ?

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Messagepar AUgustindercrois » 30 août 2010, 12:18

En un sens, je oense que non.

Jésus est pas un salaud, et il a existé.
Bouddha est pas un salaud, et il a existé.
Socrate est tout sauf un salaud, et il a existé.

En un autre sens, le sens contemporain, tu as raison: la philosophie comme discours est neutre.

Mais tout est question de frontière de la philosophie.

Convient - il, en définitive, de séparer la recherche de son but?

Je pensais aux exercices mentaux de Pierre Hadot: la pensée d'en haut (se penser comme moins qu'une fourmi dans l'univers), et la pensée de l'instant (affirmation perpétuelle du présent).

Ces deux exercices nous font passer, s'ils sont pratiqués avec constance, immédiatement dans le 3e genre de connaissance: "nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels."

Pierre Hadot le dit, avec simplicité et bonté, dans son livre "La philosophie comme manière de vivre."

Ce philosophe était un sage, qui a eu une expérience mystique.

Sur la frontière entre mystique et philosophie, on peut lire aussi, si l'on a des réserves, "La mystique sauvage", de Michel Hulin.

Philosopher, n'est-ce pas rien de plus que de faire l'union mentale avec la Nature?

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Messagepar Miam » 30 août 2010, 13:25

Selon Morau, le terme de "philosophe" demeure péjoratif chez Spinoza. Et si l'on lit toutes les occurences du mot dans l'oeuvre de l'auteur de l'Ethique, on peut en effet s'en convaincre.

Le sage (sophos), n'est pas qu'une idée. La plupart des présocratiques sont qualifiés de "sages", de même que le réformateur politique Solon. Le nom de "sage" témoigne paradoxalement d'une évolution humaniste de la pensée grecque ancienne. Les "sophistes" eux-mêmes, qui se voulaient les héritiers des "sages", étaient des démocrates, contrairement aux philosophes.

Le terme de philosophe n'apparaît qu'avec Pythagore et le terme de philosophie beaucou plus tard avec Jamblique. Pourquoi ? Parce qu'alors la sagesse n'appartient plus qu'à Dieu. Tandis que pour le sophiste Protagoras c'est l'homme qui est la mesure de toute chose, ici (et à partir de PLaton via Pythagore) c'est Dieu qui devient la mesure de toute chose. Bref : la philosophie n'apparaît qu'accompagnée d'une théologisation de la pensée grecque et, politiquement, avec la figure du philosophe comme éducateur de tyrans.

En conclusion : il faut se méfier des philosophes...

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Messagepar AUgustindercrois » 30 août 2010, 23:07

;op Car ce sont parfois des philosophistes ou des filousophes!


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