Un fragment du gai savoir consacré à Spinoza

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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Bruno31415
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Un fragment du gai savoir consacré à Spinoza

Messagepar Bruno31415 » 02 janv. 2011, 01:48

Bonjour (et bonne année !),

Je lisais le § 333 ("Qu'est-ce que c'est que connaître ?") de Nietzsche et je ne comprends absolument pas son avant dernière phrase.

Tout d'abord, voici, dans son intégralité, ce fragment :

§333. Qu'est-ce que c'est que connaître ?. - Non ridere, non lugere necque detestari sed intelligere ! " dit Spinoza, avec cette simplicité et cette élévation qui lui sont propres. Cet intelligere, qu'est-il en dernière instance, sinon la forme par quoi les trois autres nous deviennent sensibles d'une seul coup ? Le résultat des différents instincts qui se contredisent, du désir de se moquer, de se plaindre ou de maudire ? Avant que la connaissance soit possible, il fallut que chacun de ces instincts avançât son avis incomplet sur l'objet ou l'événement ; alors commençait la lutte de ces jugements incomplets et le résultat était parfois un moyen terme, une pacification, une concession mutuelle entre les trois instincts, une espèce de justice et de contrat : car au moyen de la justice et du contrat tous ces instincts peuvent se conserver dans l'existence et garder raison en même temps. Nous qui ne trouvons dans notre conscience que les traces des dernières scènes de réconciliation, les définitifs règlements de comptes de ce long procès, nous nous figurons par conséquent qu'intelligere est quelque chose de conciliant, de juste, de bien, quelque chose d'essentiellement opposé aux instincts ; tandis que ce n'est en réalité qu'un certain rapport des instincts entre eux. Longtemps on a considéré la pensée conscience comme la pensée par excellence : maintenant seulement nous commençons à entrevoir la vérité, c'est-à-dire que la plus grande partie de notre activité intellectuelle s'effectue de façon inconsciente et sans que nous en ayant la sensation ; mais je crois que ces instincts qui luttent entre eux s'entendront fort bien à se rendre perceptibles et à se faire mal réciproquement ; - il se peut que ce formidable et soudain épuisement dont tous les penseurs sont atteints ait ici son origine (c'est l'épuisement sur le champ de bataille). Oui, peut-être y a-t-il dans notre intérieur en lutte bien des héroïsmes cachés, mais certainement rien de divin, rien qui repose éternellement en soi-même comme le pensait Spinoza. La pensée consciente, et surtout celle du philosophe, est la moins violente et par conséquent aussi, relativement la plus douce et la plus tranquille catégorie de la pensée : et c'est pourquoi il arrive le plus souvent au philosophe d'être trompé sur la nature de la connaissance.

Nietzsche, Le gai savoir, §333, R. Laffont, coll. Bouquins, page 193 ; trad. Henri Albert


=> Ma question :

Malgré mon peu de connaissance de la philosophie de Spinoza, j'arrive à suivre les grandes lignes de ce texte. Cependant, je ne comprends pas du tout l'avant-dernière phrase :

" Oui, peut-être y a-t-il dans notre intérieur en lutte bien des héroïsmes cachés, mais certainement rien de divin, rien qui repose éternellement en soi-même comme le pensait Spinoza. "

J'ai mis, en gras, ce que je ne comprends pas. De quoi parle-t-il quand il cite ce "rien de divin", ce "rien qui repose éternellement en soi" ? Quel rapport y a-t-il entre ce divin, cette chose qui reposerait éternellement en soi, et la connaissance, et tout ce qu'en a dit Nietzsche tout au long de ce fragment ?

Pourriez-vous, s'il vous plait, me donner quelques éclaircissements sur cette question ?

Merci d'avance pour vos réponses.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 04 janv. 2011, 14:34

Nietzsche estime que Spinoza pensait qu'il y a dans notre intérieur quelque chose de divin qui repose éternellement en soi-même .

De quoi doit on juger ? De ce que pense Nietzsche de Spinoza ? De ce que pense Spinoza .

En tout état de cause il semble que Nietzsche ne connaissait pas Spinoza dans le texte mais par le commentateur Kuno Fisher .(1824-1907)

Je n'ai pas moi, lu Kuno Fischer donc ne peut savoir le degré de profondeur de sa lecture de Spinoza laquelle bien évidemment conditionne celle que Nietzsche en a .

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Louisa
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Messagepar Louisa » 04 janv. 2011, 19:32

Bonjour Bruno,

bonne année à vous aussi!

Merci beaucoup de cette citation de Nietzsche, que je ne connaissais pas, et qui est très belle.

Voici comment je la comprendrais à première vue.

Chez Spinoza, l'idée vraie est une idée qui se trouve dans l'Esprit humain telle qu'elle se trouve dans l'intellect divin, alors qu'une idée fausse n'est concevable par l'intellect divin qu'en tant qu'il pense non seulement cet Esprit humain qui l'a, mais également une deuxième chose (la chose qui a causé l'idée fausse, sachant que pour Spinoza on n'est toujours qu'une cause partielle, et non pas unique, de nos idées fausses) (voir E2P11).

En ce sens, on peut dire, comme le dit Nietzsche, qu'une idée fausse est une idée incomplète. Le mépris et la haine étant pour Spinoza des idées inadéquates, elles sont effectivement incomplètes, des idées "tronquées", si l'on veut. Une fois que l'on a compris au lieu de détester/mépriser/ridiculiser, on a dans un certain sens complété l'idée fausse qu'était la Haine, et en cela on l'a neutralisée.

Mais lorsque cela se fait, lorsqu'on complète une idée méprisante afin de l'intégrer dans une idée vraie, le résultat (= l'intellection, ou l'idée vraie) est une idée qui se trouve dans l'Esprit humain (= dans l'esprit de celui qui a cette idée vraie) telle qu'elle se trouve en l'intellect divin, donc en Dieu, en tant qu'il constitue cet Esprit humain seul, et non pas en tant que Dieu constitue cet Esprit humain et une chose extérieure à lui, et qui a partiellement causé sa Haine ou son Mépris.

Donc en cela je pense que Nietzsche a raison quand il dit que chez Spinoza la connaissance, l'intelligence, est divin et repose éternellement en soi. Là où il se trompe, si j'ose dire, c'est lorsqu'il pense qu'obtenir une telle idée chez Spinoza n'est pas le résultat d'une lutte. Dès qu'on considère les choses du point de vue du temps, chez Spinoza, on a tout ce qu'il faut pour pouvoir reconnaître la lutte dont parle Nietzsche. Je dirais donc que comme beaucoup de commentateurs de Spinoza, Nietzsche dans cette citation ne distingue pas clairement les deux points de vue (species) fondamentaux du spinozisme, le point de vue du temps et le point de vue de l'éternité (qui ne se définit pas par le temps).

Du point de vue du temps, chacune de nos idées vraies est le résultat d'une lutte passionnelle, la conscience ne se produit qu'au moment où la lutte est finie et qu'on a enfin compris quelque chose, on a produit une idée vraie. Alors que du point de vue de l'éternité, toute idée vraie est éternelle et produite par l'intellect divin, donc toute idée vraie est divine.

Nietzsche ici se place du point de vue du temps, et semble supposer que Spinoza ne se place que du point de vue de l'éternité. C'est comme si il n'y avait que la deuxième partie du livre 5 de l'Ethique, et non pas tout ce qui précède.

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Messagepar Louisa » 04 janv. 2011, 19:34

Hokousai a écrit :En tout état de cause il semble que Nietzsche ne connaissait pas Spinoza dans le texte mais par le commentateur Kuno Fisher .(1824-1907)


Cher Hokousai,

savez-vous par hasard qui a montré que Nietzsche n'a pas lu le texte même de Spinoza?

Merci par avance.

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Messagepar hokousai » 04 janv. 2011, 20:46

je connais un biographe qui montre ce qu 'a lu Nietzsche
en revanche il ne monte pas ce que Nietzsche n'a pas lu .

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Messagepar hokousai » 04 janv. 2011, 20:51

il me semble que la question sur ce passage du Gay savoir a été postée deux fois en peu de temps sur le forum .
????


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