Platon et Spinoza

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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Messagepar hokousai » 26 sept. 2004, 23:39

cher bardamu

Spinoza dit """' appendice partie 1)
" les hommes préfèrent l'ordre à la confusion; comme si l'ordre était quelque chose dans la nature indépendamment de notre imagination et il disent que Dieu a tout crée dans l'ordre...... Quant aux autres notions ensuite ,elles sont aussi des manières d' imaginer et cependant les ignorants les considèrent comme les attributs principaux des choses; """"""""""

et encore
""ajoute que les fondement de la raison sont des notions qui expliquent ce qui est commun à tout et qui n'expliquent pas l' essence d' aucune chose singulière "" démonstration de prop 44 partie 2""""


Question à vous ...quelle serait l'essence de l 'eau pour un poisson , aurait -il seulement une idée de l'eau ?.Ou bien quelle serait l 'essence du sang pour un globule rouge ? je veux dire il y a t-il une et une seule essence de l'eau ou du sang ou bien une infinité d' essences possibles, ce qui fait finalement ....aucune .

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Messagepar sescho » 26 sept. 2004, 23:51

Bardamu a écrit :Mais est-ce à dire que chez Platon il n'y a pas d'être formel des choses singulières ? Et la noesis ne se rapprocherait pas du 3e genre de connaissance ? On n'a pas une connaissance intuitive d'un être formel des choses singulières ?

Je ne vois effectivement pas grande différence entre la noésis et la connaissance du troisième genre.

Bardamu a écrit :… ta définition du Bien est assez hypothétique.

Non, non.

Bardamu a écrit :Mais ce "Bien" ne correspond à aucun bien particulier, il ne contient pas un état réel de contentement vécu par une personne réelle et n'a de force qu'épistémologique ou pédagogique. Quand on se dit qu'on va faire le bien de quelqu'un, on ne sait encore rien de ce qu'on doit faire.

D’accord. Mais si on en reste là, pas besoin de Spinoza, d’Éthique, de livres, de discussions, il faut tout arrêter : les choses sont ce qu’elles sont, et celui qui ressent ressent ce qu’il ressent, et il est le seul à le ressentir en vérité. Car pour ce qui concerne la différence entre Platon et Spinoza, je ne vois pas que le second renâcle plus que le premier à user d’êtres de Raison. Spinoza ne parle-t-il pas de la Béatitude ? Que reste-t-il de Spinoza dans ton optique ? Même parler des êtres réels n’est pas les percevoir…

Bardamu a écrit :C'est en cela que je considère les êtres de Raison comme moins réel que les essences singulières et que certains me semblent mériter le terme de "fiction" en cela qu'ils sont de simples images pour se représenter quelque chose d'assez creux du genre "l'homme = animal bipède sans plume"...

Je dis que ces êtres de Raison sont des objectivations pratiques pour exprimer des lois de la Nature. Je répète ma question et te prie de bien vouloir y répondre : les lois de la Nature sont-elles réelles ou non ? Sont-elles « creuses » ?

Bardamu a écrit :E3P55 scolie : (...) le plaisir le plus grand que l'on puisse trouver dans la contemplation de soi-même c'est d'y considérer quelque qualité qui ne se rencontre pas dans le reste des hommes. Si donc ce qu'on affirme de soi-même se rapporte à l'idée universelle de l'homme ou de l'animal, la joie qu'on éprouve en sera beaucoup moins vive ; et l'on ressentira même de la tristesse si l'on se représente ses propres actions comme inférieures à celles d'autrui.

Notre bien passerait-il par l'évitement de l'universel ?

Sans vérifier, le parierait ma chemise que cette proposition a plus de rapport avec l’Orgueil et la Vanité qu’avec les fondements de la santé psychique…

Bardamu a écrit :L'introspection des "meilleurs des hommes" me semble assez limité pour m'indiquer ce qui est bon pour moi. Je ne sais pas qui sont les "meilleurs des hommes" et qui qu'ils soient, je ne crois pas qu'ils me connaissent.
Spinoza dit : "je ne sais pas ce qui est bien pour vous, mais je sais que c'est à vous de le trouver."
Et il donne la voie qu'il a suivi sans garanti qu'elle convienne à tous.

Fort bien. Chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. On ne peut évoluer qu’à sa propre marge et on ne reçoit donc positivement que ce qui s’y prête. Il n’y aura jamais de consensus universel sur une théorie quelle qu’elle soit. Je suppose néanmoins que tu comptes quand-même plus sur Spinoza que sur ton charcutier (mais pourquoi pas ?) pour t’aider à progresser…

Bardamu a écrit :
sescho a écrit :Tu viens de mentionner la « plus ou moins grande perfection » selon Spinoza ! La « moindre perfection » n’est pas un désordre de la Nature, mais c’est quand-même, dans un sens relatif, une « moindre perfection ».

Mais la plus ou moins grande perfection n'est pas le plus ou moins bon ordre.

C’est précisément ce que je voulais dire. Donc, pour répondre à ta question hypothétique initiale, Platon répondrait à Spinoza qu’il n’a jamais dit que l’écart au Bien (ou au Bon) était un désordre de la Nature et donc que ce n’est tout simplement pas une objection. Mais Spinoza n’aurait sans doute pas formulé cette « objection ».

Bardamu a écrit :Par perfection il entend réalité sans considération sur la valeur de l'ordre qu'on perçoit dans cette réalité.

Là tu confonds à mon avis deux choses : 1) Dans un sens absolu, la perfection – si l’on veut employer ce mot – de toute chose sans exception dans la Nature, parce tout ce qui est s’impose par le simple fait qu’il est, et qu’il n’y a aucune référence extérieure à la Nature à quoi la comparer. 2) Dans un sens relatif (raisonné), la perfection consistant dans la puissance maximale potentiellement accessible à tout être (qui ne s’y trouve généralement pas), qui est l’enjeu Éthique. Et c’est pourquoi Spinoza peut dire aussi :

Spinoza, traduit par E. Saisset, a écrit :E5P28 : De ce troisième genre de connaissance naît pour l’âme le plus parfait repos dont elle puisse jouir.
Démonstration : La suprême vertu de l’âme, c’est de connaître Dieu (par la Propos. 28, part. 4), en d’autres termes, de connaître les choses d’une connaissance du troisième genre (par la Propos. 25, part. 5), et cette vertu est d’autant plus grande que l’âme use davantage de ce genre de connaissance (par la Propos. 24, part. 5). Par conséquent, celui qui connaît les choses de cette façon s’élève au comble de la perfection humaine, et par suite (en vertu de la Déf. 2 des passions) il est saisi de la joie la plus vive, laquelle (par la Propos. 43, part. 2) cet accompagnée de l’idée de soi-même et de sa propre vertu ; d’où il résulte enfin (par la Déf. 25 des passions) que de ce genre de connaissance naît pour l’âme le plus parfait repos. C. Q. F. D.


Bardamu a écrit :Platon me semble dans une conception esthétisante où il y aurait une harmonie en soi, une beauté en soi et un bon ordre en soi.

Mais il y a !… comme façon d’exprimer des lois réelles de la Nature qui s’appliquent aux êtres conscients. La Nature n’a pas faim, moi oui. La Nature ne pue pas la charogne, mais pour moi la charogne pue. Etc.

Et pour Spinoza, il y a en quelque sorte une Puissance en soi, qu’il s’emploie à définir. Mais d’accord, parler de la Puissance n’est pas avoir la puissance, et avoir est mieux que parler, mais bien parler peut conduire à avoir ce qu’on n’a pas de fait. Quant à celui qui connaît vraiment la loi du Bien réalisé, ce ne peut être que parce qu'il la vit ; dans ce cas, il n'a pour lui-même alors plus aucun besoin d'en parler.

Bardamu a écrit :
sescho a écrit :(...)
Mais certes le parallélisme de Spinoza est une différence nette d'avec Platon. Néanmoins, pour les deux, au-delà des théories sur les corps, le sujet est évidemment de très très loin les opérations de l'Âme.

C'est peut-être un peu trop général comme point commun...

Certes ; ce que je voulais dire, c’est qu’alors que le sujet est de très loin les opérations de l’Âme, il est peut-être un peu limité de focaliser sur la place donnée au Corps.

En prime, un passage de...

Platon ou Spinoza a écrit :De ces trois espèces d'objets, lesquels doivent être recherchés, lesquels rejetés ?
Pour ce qui est des choses corruptibles, quoiqu’il soit nécessaire, avons-nous dit, à cause de la faiblesse de notre nature, que nous aimions quelque bien et que nous nous unissions à lui pour exister, il est certain néanmoins que par l'amour et le commerce de ces choses, nous ne sommes en aucune façon fortifiés, puisqu’elles sont elles-mêmes fragiles, et qu’un boiteux ne peut pas en supporter un autre. Non-seulement elles ne nous sont pas utiles, mais elles nous nuisent : en effet, on sait que l'amour est une union avec un objet que l'entendement nous présente comme bon et imposant ; et nous entendons par union ce qui fait de l’amour et de l’objet aimé une seule et même chose et un seul tout. Celui-là donc est certainement à plaindre qui s'unit avec des choses périssables, car ces choses étant en dehors de sa puissance, et sujettes à beaucoup d'accidents, il est impossible que, lorsqu’elles sont atteintes, lui-même demeure libre. En conséquence, si ceux-là sont misérables qui aiment les choses périssables, même lorsqu'elles ont encore une sorte d'essence, que devons-nous penser de ceux qui aiment les honneurs, le pouvoir, la volupté, qui n’en ont aucune ?



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Messagepar hokousai » 27 sept. 2004, 14:55

réponse à Sescho

"""les lois de la Nature sont-elles réelles ou non ? Sont-elles « creuses » ?""""

Réelles ! réelles! comment l'entendez -vous .Ce concept de réel est des plus obscur qui soit .

Creuse? je dirais creusées ,elles sont creusées .
Ce sont des interprétaion dans de certaines perspectives . les lois de la nature sont selon le point de vue où l'on se tient et selon le travail qu'on y fait .

Il n'y a pas d' essence d'une loi de la nature pas plus que d' essence objective d'une chose .. ce sont des manières de pensée .

Voila pourquoi Spinoza est si différent de Platon .( ou de Socrate ) qui de façon de penser n'en admettait qu'une ..
' (d'où la recherche de la bonne définition )
.......................................................................................................;

I"""""l n’y aura jamais de consensus universel sur une théorie quelle qu’elle soit. """""""

Spinoza justifie sa théorie non en terme de Vérité mais en terme de puissance :
""" le sage .....jamais il ne cesse d 'être !!!."""
il ne dit pas: de penser dans le vrai, il dit :d 'être .
.le sage ne possède pas en son esprit une connaissance particulière .( une science théorétique ) mais a conscience de Dieu de lui et des choses
(Spinoza termine l'Ethique là -desus .C'en est dire l 'importance)
...........................................................................................;;;;;;

PS Il y a diverses façons de justifier une théorie ,la logique ,le consensus , le sentiment personnel ..ou d' autres )

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Messagepar sescho » 27 sept. 2004, 22:44

hokousai, sur le "parallélisme", a écrit :pas vraiment:le mot est de Liebniz et concerne sa position , et la métaphysique de Malebranche relève du parallélisme .

Donc acte (je n'ai pas lu ces deux auteurs.)

hokousai a écrit :Vous dîtes """" Les Formes représentent en fait tout ce qui appartient à la connaissance claire et distincte, à l’intelligible, et qui, par conséquent et aussi plus généralement, est stable et éternel, et ne change donc pas comme les choses du monde sensible """"""

L'optique de Spinoza me semble très différente de celle de Platon ...

Je suis peut-être allé un peu vite en besogne, et ma phrase manque d'aplomb. Disons, peut-être : immuable et donc potentiellement intelligible.

hokousai a écrit :Des idées éternelles ,peut- être ,il faudrait s’entendre sur l éternité ,stables c’ est à voir dans un mouvement incessant de production d’ idées ….. en tout état de cause ce sont des modes de l’attribut pensée , elles ne se tiennent pas hors de leur expression dans le donné là .( ou la présence )..

Il me semble que Platon fait plus référence, lorsqu'il idéalise, - pour parler comme Spinoza - à l'entendement infini de Dieu, qui a idée de lui-même et donc des essences éternelles qui sont en lui-même. Pour le reste, il s'interroge sur ce qui en est préhensible concrètement par l'esprit humain et il argumente contradictoirement dans ce sens, en particulier dans un de ses derniers ouvrages, le Parménide. Platon ne trouve pas dans les modes changeants matière à vérité mais il sent en lui le Sens, qui est manifestement situé hors de ces modes en tant que modes. "Réel" est effectivement "piégeux". Platon considère comme plus réel ce qui ne se voit pas et est intelligible que ce qui se voit et ne l'est pas.

Concernant Spinoza, il fait de même pour l'essentiel, mais il lie éternité et instantanéité, parce que, du fait que les modes conviennent en certaines choses, ce qui est commun entre eux dans une interaction est adéquat dans l'idée de l'affection de l'un d'eux, autrement dit, pour un être humain, est en Dieu en tant qu'il s'explique par l'Âme humaine seule. Le troisième genre de connaissance est une perception directe de Dieu par la perception directe de ce qui est commun entre mon corps et le corps avec lequel j'interagis, et ce commun n'est l'essence d'aucune chose singulière. Pour autant, plus j'interagis avec des choses singulières, plus je connais Dieu, et c'est Dieu que j'atteins, partiellement mais clairement et distinctement, dans ce cas.

hokousai a écrit :Pardonnez moi de ne faire que des citations mais je ne peux procéder autrement quand il faut comparer un auteur à un autre ..je ne suis pas si bien outillé en ce qui concerne Platon mais vous l’êtes .

Pour autant, comme je l'ai dit, j'ai un problème de temps pour tenter de restituer la pensée de Platon dans l'ensemble de son oeuvre, d'autant que celle-ci n'est pas systématique, comme celle de Spinoza, mais ouvre plus de voies d'analyse qu'elle n'apporte de réponses définitives. Mais bon, je vais faire un effort ; le résultat ne sera pour tout de suite...

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Messagepar sescho » 27 sept. 2004, 23:32

hokousai, sur les Lois de la Nature, a écrit :Ce sont des interprétations dans de certaines perspectives . les lois de la nature sont selon le point de vue où l'on se tient et selon le travail qu'on y fait .

Il n'y a pas d' essence d'une loi de la nature pas plus que d' essence objective d'une chose .. ce sont des manières de pensée .

D'où alors ces lois peuvent-elles tenir cette valeur prédictive, au moins partielle, qui est, il me semble, de toute évidence ?

hokousai a écrit :Spinoza justifie sa théorie non en terme de Vérité mais en terme de puissance :
""" le sage .....jamais il ne cesse d 'être !!!."""
il ne dit pas: de penser dans le vrai, il dit :d 'être .
.le sage ne possède pas en son esprit une connaissance particulière .( une science théorétique ) mais a conscience de Dieu de lui et des choses
(Spinoza termine l'Ethique là -desus .C'en est dire l 'importance)

Je pense que cette puissance (car il faut dire ce qu'est la Puissance, pas seulement la nommer), c'est précisément ce qu'il appelle "vérité", la perception adéquate de Dieu en partie, le penser vrai...
Je crois que tu es dans le juste : il n'y a de vérité proprement dite qu'en l'instant (c'est ce qu'a défendu toute sa vie Krishnamurti - le "vrai" : Jiddu :wink: - ), mais percevoir les lois de la Nature en l'instant (c'est pour moi ce qu'illustre l'exemple de la rêgle de trois), avec l'idée de cette Nature immuable et universelle comme cause, c'est cela qui procure la joie, outre la satisfaction des besoins de base et la maîtrise consciente de soi, cette joie ayant elle-même la Nature pour cause.
Par ailleurs, quoiqu'on perçoive généralement en l'instant, lorsqu'il s'agit d'un livre, écrit d'une part, reçu de l'autre, on n'est plus dans l'instantanéité, mais bien dans la théorie.

Spinoza, traduit par P. Janet, dans le Court Traité, CT2C5(2), a écrit :Certains objets sont corruptibles en soi ; d'autres sont incorruptibles par leur cause ; un troisième enfin est éternel et incorruptible par lui-même et par sa propre vertu. Les corruptibles sont les choses particulières qui n'existent pas de toute éternité et qui ont eu un commencement. Les incorruptibles par leur cause, sont les modes universels, dont nous avons déjà dit qu’ils sont les causes des modes particuliers. L'incorruptible par soi est Dieu, ou, ce qui est la même chose, la vérité.


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Messagepar bardamu » 03 oct. 2004, 20:29

sescho a écrit :D’accord. Mais si on en reste là, pas besoin de Spinoza, d’Éthique, de livres, de discussions, il faut tout arrêter : les choses sont ce qu’elles sont, et celui qui ressent ressent ce qu’il ressent, et il est le seul à le ressentir en vérité. Car pour ce qui concerne la différence entre Platon et Spinoza, je ne vois pas que le second renâcle plus que le premier à user d’êtres de Raison. Spinoza ne parle-t-il pas de la Béatitude ? Que reste-t-il de Spinoza dans ton optique ? Même parler des êtres réels n’est pas les percevoir…

Dans mon optique, il y a un Spinoza montrant par la Raison comment pratiquer la Science Intuitive et laissant ensuite chacun user de cette Science Intuitive pour lui-même. Et donc, effectivement, chacun est seul face à ce qu'il ressent par la Science Intuitive, bien qu'on puisse faire des rapprochements entre les êtres par la Raison.
Les êtres proches auront des sensations proches et auront des modes de vie et un accès à la béatitude par des moyens proches. C'est ainsi qu'on peut raisonnablement dire que l'homme est le meilleur ami de l'homme, mais néanmoins, pour chaque homme, la question de son essence se pose et ce qu'on reconnait raisonnablement comme étant un homme ("bipède sans plume") peut se sentir réellement mieux avec les chiens.
La raison voudra alors qu'on laisse l'homme-chien à sa nature parce que c'est là qu'est son bien. Il n'est alors pas question de le ré-éduquer, de le formater pour en faire un "véritable" homme mais éventuellement de le dresser si c'est un homme-chien qui mord.
Sescho a écrit :Je dis que ces êtres de Raison sont des objectivations pratiques pour exprimer des lois de la Nature. Je répète ma question et te prie de bien vouloir y répondre : les lois de la Nature sont-elles réelles ou non ? Sont-elles « creuses » ?

Il y a un ordre de la nature.
Cet ordre nous est connu de manière générale par ce qu'on appelle des "lois". Le terme "loi" est d'ailleurs impropre puisqu'il n'y a pas de législateur.
Il y a aussi un "chaos" de la nature.
Ce chaos nous est connu de manière singulière chaque fois qu'un être sort des lois, chaque fois que notre attente est déçue, que du nouveau surgit. A l'harmonie qu'on se construit par des relations générales, répond une puissance qui dépasse ces constructions. Chaque être étant singulier, il lui faut sa loi propre, et il faut une infinité de lois c'est-à-dire le dépassement du commun.
Et le fond de ce qu'est Dieu, c'est ce chaos de production plutôt que cet ordre des lois générales. De Dieu découle une infinité de choses, et il n'y a pas de loi possible, de régularité possible pour un absolu infini.

Donc, les lois de la Nature existent réellement, mais le chaos de la Nature exprime mieux son essence, son infini prolixité.
Sescho a écrit :
Bardamu a écrit :E3P55 scolie : (...) le plaisir le plus grand que l'on puisse trouver dans la contemplation de soi-même c'est d'y considérer quelque qualité qui ne se rencontre pas dans le reste des hommes.

Sans vérifier, le parierait ma chemise que cette proposition a plus de rapport avec l’Orgueil et la Vanité qu’avec les fondements de la santé psychique…

Ou bien avec la paix de l'âme :
E3 Définition des affections, Définition 25 : La paix intérieure est un sentiment de joie qui provient de ce que l'homme contemple son être et sa puissance d'agir.

Sescho a écrit : Je suppose néanmoins que tu comptes quand-même plus sur Spinoza que sur ton charcutier (mais pourquoi pas ?) pour t’aider à progresser…

Dans une lettre Spinoza écrit : "Maintenant, je laisse chacun vivre selon sa complexion et je consens que ceux qui le veulent, meurent pour ce qu'ils croient être leur bien, pourvu qu'il me soit permis à moi de vivre pour la vérité."
Platon, en se considérant comme le meilleur des hommes, prétendra au pouvoir, à la "guidance" pour employer un terme religieux.
Que Spinoza m'apporte quelque chose, n'implique pas qu'il apporte quelque chose à tout le monde. Mon expérience montre plutôt le contraire et aucune des personnes à qui j'ai conseillé sa lecture n'a réussi à en retirer profit. A la limite, elles auraient sans doute mieux fait d'apprendre à choisir du boudin de qualité auprès de leur charcutier.
De même, je n'ai rien retiré, pour l'instant, de Platon.
sescho a écrit :Platon répondrait à Spinoza qu’il n’a jamais dit que l’écart au Bien (ou au Bon) était un désordre de la Nature (...)
la perfection consistant dans la puissance maximale potentiellement accessible à tout être (qui ne s’y trouve généralement pas), qui est l’enjeu Éthique.
Bardamu a écrit :Platon me semble dans une conception esthétisante où il y aurait une harmonie en soi, une beauté en soi et un bon ordre en soi.

Mais il y a !… comme façon d’exprimer des lois réelles de la Nature qui s’appliquent aux êtres conscients. La Nature n’a pas faim, moi oui. La Nature ne pue pas la charogne, mais pour moi la charogne pue. Etc.

J'ai retrouvé un point où cette question est évoqué :
Platon, Parménide a écrit :[130c] « Quoi encore ? Un eidos d'homme distinct de nous et de tous ceux qui sont tels que nous sommes, un certain eidos même d'homme ou de feu ou encore d'eau ? »
« C'est dans une impasse », déclara-t-il, « que bien des fois déjà, Parménide, à propos de ces [choses], je me suis retrouvé. Lequel des deux faut-il déclarer ? Comme à propos de celles-là ou autrement ? »
« Et encore de ces [choses], Socrate, qui peuvent aussi sembler être ridicules, comme chevelure et boue et crasse ou quelque autre encore plus dépourvue de valeur et vulgaire. Es-tu dans l'impasse [sur la question de savoir] s'il faut déclarer aussi que de chacune d'elles, [130d] il est un eidos distinct, qui est autre une fois encore que ceux que nous, nous touchons de nos mains, ou bien pas ? »
« Nullement », déclara Socrate. « Mais pour sûr, celles-là qu'en effet nous voyons, celles-là aussi sont. Un eidos cependant, d'elles, penser qu'il en soit un, ne serait-ce pas tout à fait déplacé ? Déjà pourtant dans le passé cela m'a aussi troublé : quelque chose ne serait-il pas pour toutes [choses] le même ? Et puis, chaque fois que je m'y arrête, je pars en fuyant, craignant qu'un de ces jours, en tombant dans quelque abîme de niaiserie, je ne me perde. Eh bien ! étant donc revenu là, vers celles dont nous avons dit à l'instant qu'elles ont des eidè, je passe mon temps à m'occuper d'elles. »
[130e] « C'est que tu es encore jeune », déclara Parménide, « Socrate, et la philosophie ne s'est pas encore saisie de toi comme elle s'en saisira un jour, selon mon opinion, lorsque tu ne mépriseras aucune d'elles. Mais maintenant, tu as encore les yeux rivés sur les opinions des hommes du fait de ton âge.
http://plato-dialogues.org/fr/tetra_6/p ... alsoc1.htm

Quelle est finalement, la réponse de Platon à la question des idées singulières, "chevelure et boue et crasse" ?

Il me semble que Platon distingue entre un monde d'en-bas mal fait, et un monde d'en-haut parfait, même si le terme de "monde" est une simple analogie et ne doit pas être prise au pied de la lettre, même si on le remplace par "potentiel" ou "puissance maximale" (note : je pensais ces notions plutôt aristotélicienne et je ne sais pas trop comment elles se développent chez Platon).
Son esthétique me semble ontologique reliant le Beau au Bien, alors que chez Spinoza le bien est relié au fort, au réel, et que le beau est simple effet pour un mode, effet auquel il ne faut pas s'attacher.
Chez Platon on aurait : Beau = Bien = Puissance
Chez Spinoza : Réel = Puissance = Bien
Plus la charogne pue et plus elle est parfaite dans sa nature de charogne. On peut même en faire de la poésie : http://www.feelingsurfer.net/garp/poesi ... rogne.html
Le sage est celui qui au-delà de la répugnance spontanée peut se réjouire aussi de la puanteur de la charogne en tant qu'elle exprime sa positivité. En art, je dirais que Platon est impressioniste alors que Spinoza est expressioniste.

sescho a écrit :
Platon ou Spinoza a écrit :De ces trois espèces d'objets, lesquels doivent être recherchés, lesquels rejetés ?(...)

Il y a eu évolution du Court Traité à l'Ethique mais c'est un sujet en soi.

Quelques extraits de Platon où je vois des divergences avec Spinoza :
Platon, Sophiste XLII a écrit :L’ÉTRANGER — Alors n’est-il, comme tu l’as dit, inférieur en être à aucune autre chose, et faut-il dès lors affirmer hardiment que le non-être a une existence solide et une nature qui lui est propre, et, comme nous avons dit que le grand est grand et le beau beau, et que le non-grand est non grand et le non-beau non beau, ne dirons-nous pas de même que le non-être était et est non-être au même titre, et qu’il compte pour un genre dans la multitude des genres ? Ou bien aurions-nous encore, Théétète, quelque doute là dessus ?

THÉÉTHÈTE — Aucun

http://www.cvm.qc.ca/encephi/contenu/te ... phiste.htm

Je vois bien la logique qui mène à dire que ce qui n'est pas un être grand est un être non-grand mais j'ai l'impresson qu'il ne s'agit que d'une question de formalisme du discours.
Alors, certes la Raison impose les genres et les notions communes pour fonctionner, et à cette réalité du discours correspond des mélanges de fait dans les choses en général, mais elle impose aussi, me semble-t-il, des essences singulières qui marque l'originalité de la chose, son autonomie. Ce "non-être" est un "non-être" abstrait né de la comparaison abstraite, tandis que la réalité la plus profonde est un être toujours incomparable.
Il n'y pas de "grand" et de "non-grand", il y a des degrés continus de grandeur, de l'infiniment petit à l'infiniment grand.

Dans la suite, il défend l'alternative vrai-faux du discours que le sophiste niait au nom de l'inexistence du non-être et donc du faux. Spinoza considère cette question comme assez superficielle. La vérité n'est pas tellement de l'ordre des signes, des mots, et "je n'ai pas cru dans l'erreur un homme que j'ai entendu crier tout à l'heure : Ma maison s'est envolée dans la poule de mon voisin ; par la raison que sa pensée véritable me paraissait assez claire" dit Spinoza.
Il me semble que Platon défend une vision de la vérité comme signe adéquat, comme discours juste, alors que Spinoza pense la vérité comme expression réelle de ce qui est.
Je poursuis sur ce point :
Platon, Sophiste, XLV a écrit :L’ÉTRANGER — Et que l’on dise de même : lion, cerf, cheval et tous les noms qu’on a donnés à ceux qui font les actions, cette succession de mots non plus n’a jamais composé un discours; car ni dans un cas, ni dans l’autre, les mots prononcés n’indiquent ni action, ni inaction, ni existence d’un être ou d’un non-être, tant qu’on n’a pas mêlé les verbes aux noms. Alors seulement l’accord se fait et le discours naît aussitôt de la première combinaison, qu’on peut appeler le premier et le plus petit des discours.
THÉÉTHÈTE — Qu’entends-tu donc par là ?
L’ÉTRANGER — Quand on dit : l’homme apprend, ne reconnais-tu pas que c’est là le discours le plus court et le premier ?
THÉÉTHÈTE — Si.
L’ÉTRANGER — C’est que, dès ce moment, il donne quelque indication sur ce qui est, devient, est devenu ou doit être et qu’il ne se borne pas à le nommer, mais fait voir qu’une chose s’accomplit, en entrelaçant les verbes avec les noms. C’est pour cela que nous avons dit, de celui qui s’énonce ainsi, qu’il discourt et non point seulement qu’il nomme, et c’est cet entrelacement que nous avons désigné du nom de discours
(...)
L’ÉTRANGER — Eh bien, pensée et discours ne sont qu’une même chose, sauf que le discours intérieur que l’âme tient en silence avec elle-même, a reçu le nom spécial de pensée.
(...)
L’ÉTRANGER — Nous avons divisé l’art de faire des images en deux formes, celle qui copie et celle qui produit des simulacres.
(...)
L’ÉTRANGER — Et nous étions embarrassés, disions-nous, de savoir dans laquelle placer le sophiste.
(...)
L’ÉTRANGER — Et tandis que cette question nous tenait perplexes, nous avons été envahis par un vertige encore plus grand à l’apparition de l’argument qui soutient envers et contre tous qu’il n’existe absolument ni copie, ni image, ni simulacre d’aucun genre, puisqu’il n’y a jamais nulle part aucune espèce de fausseté.
(...)
L’ÉTRANGER — Mais maintenant que nous avons mis en lumière l’existence et du discours faux et de l’opinion fausse, il est possible qu’il y ait des imitations des êtres et que, de la disposition à les produire, il naisse un art de tromperie.

Tant qu'on identifie la vérité à un discours juste, il faut une grammaire, des noms et des verbes.
Mais l'idée adéquate n'est pas un discours sur les choses et n'implique pas une énonciation adéquate. On peut comprendre sans savoir dire.
On peut donc affirmer comme Spinoza qu'il y a une vérité en toute chose, une positivité qui ne disparait pas du fait de son contenu faux. La fausseté n'étant rien d'autre qu'un manque de connaissance, elle n'est rien, de même que ne pas courir le 100 mètres en 10 sec n'est rien. Ce qui est, c'est la vitesse à laquelle on court.

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Messagepar sescho » 10 oct. 2004, 17:04

Bien, j’ai fait un nouveau petit parcours sur Platon. Ce que j’ai dit plus haut de sa « théorie des Idées » n’étant pas par trop inexact et comme il existe en outre de courtes et néanmoins excellentes synthèses sur le sujet sur le Web, je ne vois pas raison d’y revenir. J’ajouterai juste que ce sujet apparaît nettement dans République V à X, le Phédon, le Sophiste, le Philèbe et le Parménide. On en trouve une racine dans le dialogue antérieur du Ménon et on peut y joindre le Théétète, qui traite de la Science et de sa relation aux sensations.

1) Si l’on considère que Spinoza n’accorde d’essence qu’aux choses singulières, il en découle effectivement qu’il y a pas mal de différences entre les eidos de Platon et les essences « de Spinoza », puisque manifestement, comme dit plus haut, Platon pose en premier lieu comme Formes, et ce de façon assez assurée : le Bon, le Beau, le Juste etc. Même si, suivant les commentateurs avertis, on écarte comme décalé par rapport à l’ensemble l’introduction de Formes associées à des universaux (« Table », « Lit », …), brièvement dans République X (Platon commence d’ailleurs le sujet par un « Nous avons l’habitude de poser une certaine Forme… » qui relativise d’entrée la chose), les choses singulières n’apparaissent certes pas en tête (d’autant que, comme les Formes platoniciennes sont les intelligibles, il y une certaine difficulté à en « attribuer » à des êtres changeants, qui ne le sont pas...) Mais globalement, elles apparaissent bien :

Platon, République VI, traduit par R. Baccou, a écrit : ... le véritable ami de la science aspire naturellement à l'être, ne s'arrête pas à la multiplicité des choses particulières auxquelles l'opinion prête l'existence, mais procède sans défaillance et ne se relâche point de son ardeur qu'il n'ait pénétré l'essence de chaque chose avec l'élément de son âme à qui il appartient de la pénétrer - cela appartient à l'élément apparenté à cette essence - puis, s'étant attaché et uni par une sorte d'hymen à la réalité véritable, et ayant engendré l'intelligence et la vérité, atteint à la connaissance et à la vraie vie, et y trouve sa nourriture et le repos des douleurs de l'enfantement...

Platon, Phédon, traduit par R. Baccou, a écrit : — L’essence elle-même, que dans nos demandes et nos réponses nous définissons par l’être véritable, est-elle toujours la même et de la même façon, ou tantôt d’une façon, tantôt de l’autre ? L’égal en soi, le beau en soi, chaque chose en soi, autrement dit l’être réel, admet-il jamais un changement, quel qu’il soit, ou chacune de ces réalités, étant uniforme et existant pour elle-même, est-elle toujours la même et de la même façon et n’admet-elle jamais nulle part en aucune façon aucune altération ?
— Elle reste nécessairement, Socrate, répondit Cébès, dans le même état et de la même façon.
— Mais que dirons-nous de la multitude des belles choses, comme les hommes, les chevaux, les vêtements ou toute autre chose de même nature, qui sont ou égales ou belles et portent toutes le même nom que les essences ? Restent-elles les mêmes, ou bien, tout au rebours des essences, ne peut-on dire qu’elles ne sont jamais les mêmes, ni par rapport à elles-mêmes, ni par rapport aux autres ?
— C’est ceci qui est vrai, dit Cébès : elles ne sont jamais les mêmes.
— Or ces choses, on peut les toucher, les voir et les saisir par les autres sens ; au contraire, celles qui sont toujours les mêmes on ne peut les saisir par aucun autre moyen que par un raisonnement de l’esprit, les choses de ce genre étant invisibles et hors de la vue.

S‘agissant du dernier dialogue (a priori) sur le sujet, le Parménide, certains commentateurs le considèrent, avec le reste de la série tardive : Théétète, Sophiste, Politique, Philèbe, Critias, ou seulement les 2ème et 3ème de la liste, comme un ouvrage scolaire, plus destiné à illustrer l’exercice de la dialectique, du discours contradictoire complet, que d’un véritable travail philosophique personnel. Néanmoins, Platon n’a certainement pas écrit n’importe quoi pour autant, et il convient sans doute de les considérer aussi comme une remise en question - mettant en exergue les difficultés et stimulant par-là le sens critique (dont usera Aristote) - de l’application par Platon de sa méthode au Cosmos. La conclusion est néanmoins qu’il convient de poser des Formes et « d’en attribuer » en particulier aux choses singulières :

Platon, Parménide, traduit par L. Brisson, a écrit :Voilà pourtant, Socrate, rétorqua Parménide, quelles sont les difficultés, - et, en plus de celles-là, il y en a un plus grand nombre encore - qui s'attachent inévitablement aux Formes, à supposer que les Formes des choses présentent une existence en soi et qu'on définisse chaque Forme comme quelque chose en soi. De là, les incertitudes qu'on éveille chez celui à qui l'on expose ces théories, et les objections qu'il soulève: « Ces Formes n'existent point et, même si à la rigueur elles existent, elles restent de toute nécessité inconnaissables à l'humaine nature. » En disant cela, il semble dire quelque chose, et, comme nous venons de le rappeler, changer la conviction de celui qui tient ces propos est chose extraordinairement difficile. Et ce serait un homme particulièrement doué, celui à qui on pourrait faire comprendre qu'il y a de chaque chose un Genre, un être en soi et par soi Ce serait un homme plus merveilleux encore celui qui aurait fait cette découverte et qui pourrait la transmettre par l'enseignement à quelqu'un d'autre après en avoir auparavant éprouvé tous les détails par une critique adéquate.

Je suis de ton avis, Parménide, répondit Socrate. Ce que tu dis là correspond fort bien à ce que je pense.

Mais pourtant, rétorqua Parménide, si, Socrate, il se trouve quelqu'un qui, au vue de toutes les difficultés qui viennent d'être soulevées et d'autres du même genre, n'admette point qu'il y ait des Formes des choses, quelqu'un qui refuse de poser à part une Forme pour chaque chose en particulier, cet individu ne saura de quel côté tourner sa pensée, parce qu'il n'admet point que pour chaque chose il y a une Forme qui est toujours la même ; et, par suite, il détruira toute possibilité de pratiquer la dialectique. Voilà le genre de conséquence dont, me semble-t-il, tu n'es que trop conscient.

Il reste donc, selon Platon, bien que les Formes apparaissent nécessaire à la dialectique, voie vers la Vérité, et donc incontestablement utiles, de nombreuses difficultés à résoudre. Cette attitude est pour moi, je le répète, éminemment philosophique, même si elle contraste avec l’air du temps en France, où qui que ce soit, ou presque, qui s’exprime sur quoi que ce soit, prend un ton de donneur de leçon, comme s’il avait, seul contre tous les ânes approximatifs, atteint la vérité divine (tout opposant en faisant évidemment de même de son côté). Par ailleurs, comme l’avait déjà noté Hume en son temps, si les progrès de la Physique ont été très importants depuis l’Antiquité, s’agissant de la Philosophie en général, et morale en particulier, il n’y a pas eu grand changement. Le travail de Platon est très loin – malgré 2 400 ans –, selon moi, de tomber sous la critique, d’un revers de main, du béotien d’aujourd’hui, et est au contraire toujours large et puissant, lorsqu’on en fait une lecture d’ensemble et approfondie. D’ailleurs, nous en discutons encore ...

Pour revenir au sujet :

2) Si l’on considère, au contraire, et c’est mon cas, que Spinoza voit les Lois de la Nature (je vais augmenter les citations sur ce thème sur le site), - accessibles, elles, à l’entendement, et à l’entendement seulement -, comme étant aussi d’essence divine, alors il y a une grande communauté sur les essences entre Platon et Spinoza. Car faire des êtres de Raison des êtres réels est finalement peu de chose sur le fond si ces êtres de Raison sont des objectivations de lois réelles. Et c’est ainsi que je comprends les Formes du Bien, du Bon, du Juste, etc. chez Platon, au même titre que la Puissance chez Spinoza.

Spinoza, Lettre X, traduit par E. Saisset, a écrit :À MONSIEUR SIMON DE VRIES,
B. DE SPINOZA.


MON CHER AMI,

Vous me demandez si nous avons besoin de l’expérience pour être assurés que la définition d’un attribut est vraie. Je réponds que l’expérience n’est requise que pour les choses dont la définition n’emporte pas l’existence, par exemple, pour les modes, l’existence d’un mode ne résultant jamais de sa seule définition ; mais l’expérience est inutile pour les êtres en qui l’existence ne diffère pas de l’essence et dont la définition par conséquent implique l’existence réelle. L’expérience n’a rien à voir ici ; elle ne nous donne pas les essences des choses ; le plus qu’elle puisse faire, c’est de déterminer notre âme à penser exclusivement à telle ou telle essence déterminée. Or l’existence des attributs ne différant pas de leur essence, il s’ensuit qu’aucune expérience n’est capable d’y atteindre.
Vous me demandez ensuite si les êtres et leurs affections sont aussi des vérités éternelles. - Oui sans doute. - Mais pourquoi, direz-vous, ne pas les appeler vérités éternelles ? - Pour les distinguer, comme c’est l’usage universel, de ces principes qui n’ont point de rapport aux êtres ni à leurs affections, celui-ci, par exemple : Rien ne vient de rien. Ces propositions et autres semblables se nomment proprement, je le répète, vérités éternelles ; par où l’on entend qu’elles n’ont point d’autre siège que l’âme.


Amicalement

Serge
Modifié en dernier par sescho le 10 oct. 2004, 21:17, modifié 1 fois.
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Messagepar sescho » 10 oct. 2004, 18:13

Ne pouvant pour l'instant les passer en catégories "Extraits", je n'attends pas pour livrer à la méditation des éminents débatteurs de ce forum les extraits ajoutés concernant les Lois de la Nature, tirés du Traité Théologico-Politique (qui, rappelons-le, a sans doute été écrit après l'Ethique, quoique publié avant) :

Pour les extraits actuels (en particulier ceux du TRE) : http://www.spinozaetnous.org/modules.php?name=Sections&op=viewarticle&artid=20

Spinoza, Traité Théologico-Politique, traduit par E. Saisset, a écrit :TTP3 : « Mais avant d’entrer en matière, je veux expliquer en peu de mots ce que j’entendrai dans la suite par gouvernement de Dieu, secours interne et externe de Dieu, élection de Dieu, enfin par ce qu’on nomme fortune. Par gouvernement de Dieu, j’entends l’ordre fixe et immuable de la nature, ou l’enchaînement des choses naturelles. Car nous avons dit plus haut et nous avons montré aussi en un autre endroit que les lois universelles de la nature, par qui tout se fait et tout se détermine, ne sont rien autre chose que les éternels décrets de Dieu, qui sont des vérités éternelles et enveloppent toujours l’absolue nécessité. Par conséquent, dire que tout se fait par les lois de la nature ou par le décret et le gouvernement de Dieu, c’est dire exactement la même chose. De plus, comme la puissance des choses naturelles n’est que la puissance de Dieu par qui tout se fait et tout est déterminé, il s’ensuit que tous les moyens dont se sert l’homme, qui est aussi une partie de la nature, pour conserver son être et tous ceux que lui fournit la nature sans qu’il fasse aucun effort, tout cela n’est qu’un don de la puissance divine, considérée comme agissant par la nature humaine ou par les choses placées hors de la nature humaine. Nous pouvons donc très-bien appeler tout ce que la nature humaine fait par sa seule puissance pour la conservation de son être secours interne de Dieu ; et secours externe de Dieu tout ce qui arrive d’utile à l’homme de la part des causes extérieures. Il est aisé d’expliquer, à l’aide de ces principes, ce qu’il faut entendre par élection divine ; car personne ne faisant rien que suivant l’ordre prédéterminé de la nature, c’est-à-dire suivant le décret et le gouvernement de Dieu, il s’ensuit que personne ne peut se choisir une manière de vivre, ni rien faire en général que par une vocation particulière de Dieu, qui le choisit pour cet objet à l’exclusion des autres. Enfin, par fortune, j’entends tout simplement le gouvernement de Dieu, en tant qu’il dirige les choses par des causes extérieures et inopinées. »

TTP4 : « Le nom de loi, pris d’une manière absolue, signifie ce qui impose une manière d’agir fixe et déterminée à un individu quelconque, ou à tous les individus de la même espèce, ou seulement à quelques-uns. Cette loi dépend d’une nécessité naturelle, ou de la volonté des hommes : d’une nécessité naturelle, si elle résulte nécessairement de la nature même ou de la définition des choses ; de la volonté des hommes, si les hommes l’établissent pour la sécurité et la commodité de la vie, ou pour d’autres raisons semblables. Dans ce dernier cas, elle constitue proprement le droit. Par exemple, que tout corps qui choque un corps plus petit perde de son propre mouvement ce qu’il en communique à l’autre, voilà une loi universelle des corps qui résulte nécessairement de leur nature. De même encore, c’est une loi fondée sur la nécessité de la nature humaine, que le souvenir d’un certain objet rappelle à l’âme un objet semblable ou qu’elle a perçu en même temps que le premier. Mais quand les hommes cèdent ou sont forcés de céder une partie du droit qu’ils tiennent de la nature, et s’astreignent à un genre de vie déterminé, je dis que cela dépend de leur bon plaisir. Ce n’est pas que je n’accorde pleinement que toutes choses, sans exception, sont déterminées par les lois universelles de la nature à exister et à agir d’une manière donnée ; mais il y a deux raisons qui me font dire que certaines lois dépendent du bon plaisir des hommes. 1° L’homme, en tant qu’il est une partie de la Nature, constitue une partie de la puissance de la Nature. Par conséquent, tout ce qui résulte nécessairement de la nature humaine, c’est-à-dire de la Nature en tant qu’on la conçoit déterminée par la nature humaine, tout cela résulte, bien que nécessairement, de la puissance de l’homme : d’où il suit qu’on peut dire, en un sens excellent, que l’établissement des lois de cette espèce dépend du bon plaisir des hommes. Elles dépendent en effet de leur puissance, à ce point que la nature humaine, en tant qu’elle perçoit les choses comme vraies ou fausses, se peut comprendre très-clairement, abstraction faite de ces lois, tandis qu’elle est inintelligible sans ces autres lois nécessaires que nous avons définies plus haut. 2° Ma seconde raison, c’est que nous devons définir et expliquer les choses par leurs causes prochaines. Or, la considération du fatum en général et de l’enchaînement des causes ne peut nous servir de rien pour former et lier nos pensées touchant les choses particulières. J’ajoute que nous ignorons complètement la coordination véritable et le réel enchaînement des choses ; et par conséquent il vaut mieux pour l’usage de la vie, et il est même indispensable de considérer les choses, non comme nécessaires, mais comme possibles. Je n’en dirai pas davantage sur la loi prise d’une manière absolue.
Mais comme ce mot de loi semble avoir été appliqué aux choses naturelles par extension, et qu’on n’entend communément par loi rien autre chose qu’un commandement que les hommes peuvent accomplir ou négliger, parce qu’il se borne à retenir la puissance humaine en des limites qu’elle peut franchir, et n’impose rien qui surpasse les forces de l’homme, il semble nécessaire de définir la loi dans un sens plus particulier : une règle de conduite que l’homme s’impose et impose à autrui pour une certaine fin. Toutefois, comme la véritable fin des lois n’est aperçue d’ordinaire que par un petit nombre, la plupart des hommes étant incapables de la comprendre et de régler leur vie suivant la raison, voici le parti qu’ont pris les législateurs afin d’obliger également tous les hommes à l’obéissance : ils leur ont proposé une fin toute différente de celle qui résulte nécessairement de la nature des lois, promettant à ceux qui les observeraient les biens les plus chers au vulgaire, et menaçant ceux qui oseraient les violer des châtiments les plus redoutés ; et de telle sorte ils ont entrepris de maîtriser le vulgaire comme on fait un cheval à l’aide du frein. De là vient qu’on s’est accoutumé d’appeler proprement loi une règle de conduite imposée par certains hommes à tous les autres, et à dire que ceux qui obéissent aux lois vivent sous leur empire et dans une sorte d’esclavage. Mais la vérité est que celui-là seul qui ne rend à chacun son droit que par crainte de la potence, obéit à une autorité étrangère et sous la contrainte du mal qu’il redoute ; le nom de juste n’est pas fait pour lui. Au contraire, celui qui rend à chacun son droit parce qu’il connaît la véritable raison des lois et leur nécessité, celui-là agit d’une âme ferme, non par une volonté étrangère, mais par sa volonté propre, et il mérite véritablement le nom d’homme juste. C’est là sans doute ce que Paul a voulu nous apprendre quand il a dit que ceux qui vivaient sous la loi ne pouvaient être justifiés par la loi. La justice en effet, selon la définition qu’on en donne communément, consiste dans une volonté ferme et durable de rendre à chacun ce qui lui est dû. C’est pourquoi Salomon a dit (Proverbes, chap. XXI, vers. 12) que l’exécution de la justice est la joie du juste et la terreur du méchant.
La loi n’étant donc autre chose qu’une règle de conduite que les hommes s’imposent à eux-mêmes ou imposent aux autres pour une certaine fin, il paraît convenable de distinguer deux sortes de lois, l’humaine et la divine. J’entends par loi humaine une règle de conduite qui sert à la sûreté de la vie et ne regarde que l’État ; j’appelle loi divine celle qui n’a de rapport qu’au souverain bien, c’est-à-dire à la vraie connaissance et à l’amour de Dieu. Ce qui fait que je donne à cette dernière loi le nom de divine, c’est la nature même du souverain bien, que je vais expliquer ici en peu de mots et le plus clairement qu’il me sera possible.
La meilleure partie de nous-mêmes, c’est l’entendement. Si donc nous voulons chercher ce qui nous est véritablement utile, nous devons nous efforcer de donner à notre entendement toute la perfection possible, puisque notre souverain bien consiste en cette perfection même. Or, comme toute la connaissance humaine et toute certitude parfaite dépendent exclusivement de la connaissance de Dieu, soit parce que sans Dieu rien ne peut exister ni être conçu, soit parce qu’on peut douter de toutes choses tant qu’on n’a pas une idée claire et distincte de Dieu, il s’ensuit clairement que c’est à la connaissance de Dieu, et à elle seule, que notre souverain bien et toute perfection sont attachés. De plus, rien ne pouvant être ni être conçu sans Dieu, il est certain que tout ce qui est dans la nature, considéré dans son essence et dans sa perfection, enveloppe et exprime le concept de Dieu ; d’où il résulte qu’à mesure que nous connaissons davantage les choses naturelles, nous acquérons de Dieu une connaissance plus grande et plus parfaite ; en d’autres termes (puisque connaître l’effet par sa cause, ce n’est autre chose que connaître une des propriétés de cette cause), à mesure que nous connaissons davantage les choses naturelles, nous connaissons d’une façon plus parfaite l’essence de Dieu, laquelle est cause de tout le reste. Et, par conséquent, toute la connaissance humaine, c’est-à-dire le souverain bien de l’homme, non-seulement dépend de la connaissance de Dieu, mais y est contenu tout entier. Cette conséquence, du reste, peut aussi être déduite d’un autre principe, savoir : que la perfection de l’homme croît en raison de la nature et de la perfection de l’objet qu’il aime par-dessus tous les autres, et réciproquement. D’où il suit que celui-là est nécessairement le plus parfait et participe le plus complètement à la souveraine béatitude, qui aime par-dessus toutes choses la connaissance intellectuelle de l’être le plus parfait, savoir, Dieu, et s’y complaît de préférence à tout le reste. Voilà donc notre souverain bien, voilà le fond de notre béatitude : la connaissance et l’amour de Dieu. Ce principe une fois posé, tous les moyens nécessaires pour atteindre la fin suprême des action humaines, je veux dire Dieu, en tant que nous en avons l’idée, peuvent très-bien s’appeler des commandements de Dieu, puisque l’emploi de ces moyens nous est en quelque sorte prescrit par Dieu même, en tant qu’il existe dans notre âme ; et par conséquent la règle de conduite qui se rapporte à cette fin peut aussi très-bien recevoir le nom de loi divine. Maintenant, quels sont ces moyens ? quelle est la règle de conduite qui nous est imposée pour atteindre à cette fin ? comment l’État y trouve-t-il son plus solide fondement ? ce sont là des questions qui embrassent la morale tout entière. Or je ne veux traiter ici de la loi divine que d’une manière générale.
Puisqu’il est établi maintenant que l’amour de Dieu fait la suprême félicité de l’homme et sa béatitude, qu’il est la fin dernière et le terme de toutes les actions humaines on doit conclure que celui-là seul observe la loi divine, qui prend soin d’aimer Dieu, non par crainte du châtiment ou par amour d’un autre objet, comme la gloire ou les plaisirs célestes, mais par cela seul qu’il connaît Dieu, ou encore parce qu’il sait que la connaissance et l’amour de Dieu sont le souverain bien. La loi divine est donc tout entière dans ce précepte suprême : Aimez Dieu comme votre souverain bien ; ce qui veut dire, je le répète, qu’il ne faut point aimer Dieu par crainte du châtiment, ni par amour pour un autre objet ; car l’idée de Dieu nous enseigne que Dieu est notre souverain bien, que la connaissance et l’amour de Dieu sont la fin dernière où il faut diriger tous nos actes. C’est là ce que l’homme charnel ne peut comprendre ; ces préceptes lui semblent choses vaines, parce qu’il n’a de Dieu qu’une connaissance imparfaite, parce qu’il ne trouve dans ce bien suprême qu’on lui propose rien de palpable, rien d’agréable aux sens, rien qui flatte la chair, source de ses plus vives jouissances, parce qu’enfin ce bien ne consiste que dans la pensée et dans le pur entendement. Mais pour ceux qui sont capables de comprendre qu’il n’y a rien dans l’homme de supérieur à l’entendement ni de plus parfait qu’une âme saine, je ne doute pas qu’ils n’en jugent tout autrement.
Nous avons expliqué ce qui constitue proprement la loi divine. Toutes les lois qui poursuivent un autre objet sont des lois humaines : à moins toutefois qu’elles ne soient consacrées par la révélation ; car sous ce point de vue, comme nous l’avons montré plus haut, elles se rapportent à Dieu ; et c’est dans ce sens que la loi de Moïse, tout en étant une loi particulière appropriée au génie particulier et à la conservation d’un seul peuple, peut être appelée Loi de Dieu ou loi divine. Nous croyons en effet que cette loi a reçu la consécration de la lumière prophétique.
Si nous considérons maintenant avec attention la nature de la loi divine naturelle, telle que nous l’avons définie tout à l’heure, nous reconnaîtrons : 1° qu’elle est universelle, c’est-à-dire commune à tous les hommes ; nous l’avons déduite en effet de la nature humaine prise dans sa généralité ; 2° qu’elle n’a pas besoin de s’appuyer sur la foi des récits historiques, quels que soient d’ailleurs ces récits. Car comme cette loi divine naturelle se tire de la seule considération de la nature humaine, on la peut également concevoir dans l’âme d’Adam et dans celle d’un autre individu quelconque, dans un solitaire et dans un homme qui vit avec ses semblables. Ce n’est pas non plus la croyance aux récits historiques, si légitime qu’elle soit, qui peut nous donner la connaissance de Dieu, ni par conséquent l’amour de Dieu, qui en tire son origine ; cette connaissance, nous la puisons dans les notions universelles qui se révèlent par elles-mêmes et emportent une certitude immédiate ; tant il est vrai que la croyance aux récits historiques n’est pas une condition nécessaire pour parvenir au souverain bien. Toutefois, bien que les récits historiques soient incapables de nous donner la connaissance et l’amour de Dieu, je ne nie point que la lecture de ces récits ne nous soit très-utile dans la vie sociale. Plus en effet nous observons, et mieux nous connaissons les mœurs des hommes, que rien ne nous dévoile plus sûrement que leurs actions, plus il nous est facile de vivre en sûreté dans leur commerce, et d’accommoder notre vie et notre conduite à leur génie, autant qu’il est raisonnable de le faire. 3° Nous voyons aussi que cette loi divine naturelle ne nous demande pas de cérémonies, c’est-à-dire cette sorte d’actions, de soi indifférentes, et qu’on n’appelle bonnes qu’à la suite d’une institution, ou si l’on veut, qui représentent un certain bien nécessaire au salut, ou enfin, si l’on aime mieux, dont la raison surpasse la portée de l’esprit humain. Car la lumière naturelle n’exige rien de nous qu’elle ne soit capable de nous faire comprendre et qu’elle ne nous montre clairement comme bon en soi ou comme moyen d’atteindre à la béatitude. Et quant aux actions qui ne sont bonnes que par le fait d’une institution qui nous les impose, ou en tant que symboles de quelque bien réel, elles sont incapables de perfectionner notre entendement ; ce ne sont que de vaines ombres, qu’on ne peut mettre au rang des actions véritablement excellentes, de ces actions filles de l’entendement, qui sont comme les fruits naturels d’une âme saine. Mais il est inutile d’insister plus longuement sur ce point. 4° Nous voyons enfin que le prix d’avoir observé la loi divine, c’est cette loi elle-même, savoir : de connaître Dieu et de l’aimer d’une âme vraiment libre, d’un amour pur et durable ; le châtiment de ceux qui violent cette loi, c’est la privation de ces biens, la servitude de la chair, et une âme toujours changeante et toujours troublée.
Ces quatre points bien établis, nous avons à résoudre les questions suivantes. 1° Pouvons-nous, par la lumière naturelle, concevoir Dieu comme un législateur, ou comme un prince qui prescrit aux hommes certaines lois ? 2° Qu’enseigne l’Écriture sainte touchant la lumière et la loi naturelles ? 3° Pour quelle fin a-t-on institué autrefois des cérémonies religieuses ? 4° À quoi sert de connaître l’histoire sacrée et d’y croire ? Nous traiterons la première et la seconde de ces questions dans le présent chapitre, les deux autres dans le suivant.
Il est aisé de résoudre la première de ces questions en considérant la nature de la volonté de Dieu, laquelle ne se distingue de son intelligence qu’au regard de l’esprit humain : en d’autres termes, la volonté de Dieu et son entendement ne sont qu’une seule et même chose, et toute la distinction qu’on y établit vient des idées que nous nous formons de l’entendement divin. Par exemple, quand nous ne sommes attentifs qu’à ce seul point, savoir : que la nature du triangle est contenue de toute éternité dans la nature divine, à titre de vérité éternelle, nous disons alors que Dieu a l’idée du triangle, ou bien qu’il entend la nature du triangle ; mais si nous venons à concevoir que la nature du triangle est ainsi contenue dans la nature divine par la seule nécessité de la nature divine, et non par la nécessité de l’essence et de la nature du triangle ; bien plus encore, si nous considérons que la nécessité de l’essence et des propriétés du triangle, prises comme des vérités éternelles, dépend de la seule nécessité de la nature et de l’entendement divin, et non de la nature du triangle, il arrive alors que, ce que nous appelions entendement de Dieu, nous l’appelons volonté divine ou décret divin. Ainsi donc, dire que Dieu a voulu que la somme des angles d’un triangle fût égale à deux droits, ou dire que Dieu a pensé cela, c’est, au regard de Dieu, une seule et même chose. D’où il suit que les affirmations et les négations de Dieu enveloppent toujours une nécessité ou une vérité éternelles. Si, par exemple, Dieu avait dit à Adam : Je ne veux pas que vous mangiez du fruit de l’arbre du bien et du mal, il impliquerait contradiction qu’Adam pût manger de ce fruit ; et il serait par conséquent impossible qu’il en eût mangé, le décret de Dieu enveloppant une nécessité et une vérité éternelles. Cependant, suivant le récit de l’Écriture, Dieu fit à Adam cette défense, et Adam ne laissa pas de manger du fruit défendu. Il faut donc entendre de toute nécessité que Dieu révéla seulement à Adam le mal qu’il aurait à souffrir s’il mangeait du fruit de cet arbre, sans lui faire connaître qu’il était nécessaire que ce mal fût la suite de son action. D’où il arriva qu’Adam comprit cette révélation, non pas comme vérité éternelle et nécessaire, mais comme une loi, je veux dire comme un commandement, suivi de récompense ou de punition, non par la nécessité même et la nature de l’acte accompli, mais seulement par le vouloir d’un prince et par son autorité absolue. Par conséquent cette révélation n’eut le caractère d’une loi, et Dieu ne fut semblable à un législateur ou à un prince qu’au regard d’Adam et par l’imperfection et le défaut de sa connaissance. »

TTP6 : « Pour établir mon premier principe, il me suffit de rappeler ce que j’ai démontré au chap. IV, sur la loi divine, savoir : que tout ce que Dieu veut ou détermine enveloppe une nécessité et une vérité éternelles. L’entendement de Dieu ne se distinguant pas, nous l’avons prouvé, de sa volonté, dire que Dieu veut une chose ou dire qu’il la pense, c’est affirmer exactement la même chose. En conséquence, la même nécessité en vertu de laquelle il suit de la nature et de la perfection de Dieu qu’il pense une certaine chose telle qu’elle est, cette même nécessité, dis-je, fait que Dieu veut cette chose telle qu’elle est. Or, comme rien n’est nécessairement vrai que par le seul décret divin, il est évident que les lois universelles de la nature sont les décrets mêmes de Dieu, lesquels résultent nécessairement de la perfection de la nature divine. Si donc un phénomène se produisait dans l’univers qui fût contraire aux lois générales de la nature, il serait également contraire au décret divin, à l’intelligence et à la nature divines ; et de même si Dieu agissait contre les lois de la nature, il agirait contre sa propre essence, ce qui est le comble de l’absurdité. Je pourrais appuyer encore ma démonstration sur ce principe, que la puissance de la nature n’est, en réalité, que la puissance même et la vertu de Dieu, laquelle est le propre fond de l’essence divine ; mais ce surcroît de preuves est présentement superflu. Je conclus donc qu’il n’arrive rien dans la nature qui soit contraire à ses lois universelles, rien, dis-je, qui ne soit d’accord avec ces lois et qui n’en résulte. Tout ce qui arrive se fait par la volonté de Dieu et son éternel décret : en d’autres termes, tout ce qui arrive se fait suivant des lois et des règles qui enveloppent une nécessité et une vérité éternelles. Ces lois et ces règles, bien que toujours nous ne les connaissions pas, la nature les suit toujours, et par conséquent elle ne s’écarte jamais de son cours immuable. Or il n’y a point de bonne raison d’imposer une limite à la puissance et à la vertu de la nature, et de considérer ses lois comme appropriées à telle fin déterminée et non à toutes les fins possibles ; car la puissance et la vertu de la nature sont la puissance même et la vertu de Dieu ; les lois et les règles de la nature sont les propres décrets de Dieu ; il faut donc croire de toute nécessité que la puissance de la nature est infinie, et que ses lois sont ainsi faites qu’elles s’étendent à tout ce que l’entendement divin est capable d’embrasser. Nier cela, c’est soutenir que Dieu a créé la nature si impuissante et lui a donné des lois si stériles qu’il est obligé de venir à son secours, s’il veut qu’elle se conserve et que tout s’y passe au gré de ses vœux : doctrine aussi déraisonnable qu’il s’en puisse imaginer.
Maintenant qu’il est bien établi que rien n’arrive dans la nature qui ne résulte de ses lois, que ces lois embrassent tout ce que l’entendement divin lui-même est capable de concevoir, enfin que la nature garde éternellement un ordre fixe et immuable, il s’ensuit très-clairement qu’un miracle ne peut s’entendre qu’au regard des opinions des hommes, et ne signifie rien autre chose qu’un événement dont les hommes (ou du moins celui qui raconte le miracle) ne peuvent expliquer la cause naturelle par analogie avec d’autres événements semblables qu’ils sont habitués à observer. Je pourrais définir aussi le miracle : ce qui ne peut être expliqué par les principes des choses naturelles, tels que la raison nous les fait connaître ; mais comme les miracles ont été faits pour le vulgaire, lequel était dans une ignorance absolue des principes des choses naturelles, il est certain que les anciens considéraient comme miraculeux tout ce qu’ils ne pouvaient expliquer de la façon dont le vulgaire explique les choses, c’est-à-dire en demandant à la mémoire le souvenir de quelque événement semblable qu’on ait l’habitude de se représenter sans étonnement ; car le vulgaire croit comprendre suffisamment une chose, quand elle a cessé de l’étonner. »

[Etc.]
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Messagepar Miam » 11 oct. 2004, 12:18

Je m’excuse d’arriver si tard. J’ai dû m’occuper des gosses pendant deux semaines…

I. « Platonisme » demeure en effet un terme vague.
Selon Seischo lui-même : « Platon pose les problèmes de façon contradictoire sans souvent donner de solution finale (ce qui est d’ailleurs une attitude éminemment philosophique, qui est faite de recherches plus que de certitudes, et évite d’afficher une façade pure et dure, tranchée, de s’attacher à la forme et aux mots, ou – sans s’engager personnellement – de coller aux dires de tel ou tel, pour masquer la véritable profondeur du doute). Parler de « position de Platon » dans ce contexte est donc souvent y mettre trop de radicalité. ».

Il faudra donc commencer par distinguer le platonisme de ce que « voulait dire » Platon. Aussi n’est-il pas nécessaire de revenir au texte de Platon pour définir le platonisme sous peine d’engendrer un platonisme supplémentaire. Le platonisme, en effet, n’est que l’ensemble des lectures partisanes de Platon. Il est inutile de revenir aux textes de ce dernier, d’autant que la différence des définitions du platonisme proposés par Hokusaï et Seischo me demeure peu perceptible. A dire vrai ces deux ne se démarquent pas de la lecture aristotélicienne de Platon. Il est quand-même étonnant qu’un lecteur de Platon aussi assidu que Seischo n’ai pas remarqué qu’au delà de l’identité universaux-idées, Platon met l’accent sur les relations mathématiques. Bien plus que les termes généraux et universaux, ce sont les relations mathématiques qui sont prioritairement les idées (et partant les objets immédiats de connaissance) pour Platon. C’est du reste là ce qui montre le fondement platonicien du cartésianisme.

Il faut en outre observer que, d’une certaine façon, nous sommes tous ici peu ou prou platoniciens. Les trois grandes religions monothéistes se sont accommodées de Platon et leurs lectures de Platon forment la majeure partie de ce que l’on nomme aujourd’hui le « platonisme ». Mieux encore, le premier christianisme peut être conçu comme un mélange de judaïsme et de platonisme (outre des influences gnostiques et stoïciennes plus marginales). Bref, toute la « civilisation occidentale » pense et parle « platonicien »,… à tel point qu’un célèbre penseur allemand est peut-être devenu fou d’avoir voulu parler un autre langage. Chassez Platon par la porte, il revient par la fenêtre. Et on verra qu’il s’agit bien de langage…

Dans cette mesure, on ne saurait en effet affirmer l’absence de tout rapport entre Spinoza et Platon (et a fortiori le platonisme). Spinoza use de termes scolastiques et cartésiens, qui s’originent tous deux dans un certain platonisme. Certains commentateurs voient dans la hiérarchie des modes une influence néo-platonicienne. Mais cela ne fait pas pour autant de Spinoza un platonicien car il s’agit de termes dont la signification est détournée avant de prendre place dans le système spinoziste.

Lorsque Hokusaï écrit : « Vous êtes platonicien .Non pas parce que vous connaissez des essences ,cela tout le monde le fait ,mais parce que ces essence sont éternelles et indépendante de l ' actualisation .J'insiste mais démentez moi * », j’en déduis, à mon avis à bon droit, qu’il veut dire : les essences sont des vérités éternelles, actualisées sur le mode temporel lorsqu’elles passent à l’existence. C’est là sa définition du platonisme et je l’ai suivie, certes, par facilité.

Ce qui importe plus précisément à Hokusaï, c’est que selon le point de vue (aristotélicien) dans lequel il s’inscrit, ces vérités éternelles soient abstraites des choses singulières et donc que l’ « essence » ne soit pas « indépendante de l’actualisation » (c’est pourquoi il écrit ailleurs qu’il est plus « empiriste » que Spinoza). Or la définition spinozienne de l’essence affirme expressément la dépendance de l’essence à son « actualisation » : à la définition canonique « je dis appartenir à l’essence d’une chose ce qui, donné, pose nécessairement la chose, et qui, ôté, l’ôte nécessairement ; ou encore ce sans quoi la chose ne peut ni être ni être conçue », Spinoza ajoute de façon toute originale : « et qui inversement ne peut sans la chose ni être ni être conçu » (E II D2 (comme dans Star War !) :D :D ). Il insiste sur ce point déjà dans le CT I, 10 et II, préface.

Dans cette mesure et selon la définition d’Hokusaï, le spinozisme n’est pas un platonisme.

Ce qui importe en outre à Hokusai, et de façon toute logique, c’est que les « essences » spinozistes sont outre celles de la Substance, des attributs (II 40s2) voire des modes infinis, celles de modes finis existant en actes, c’est-à-dire de choses singulières, alors que l’abstraction ne peut conduire qu’à des termes généraux. C’est qu’évidemment Spinoza n’atteint pas les essences par abstraction. Les essences ne peuvent être des idées générales sous lesquelles tombent une multiplicité d’objets singuliers puisqu’il y a des essences de choses singulières. Reste que Spinoza mentionne l’ « essence », la « forme » la « nature « la « définition » de l’homme , et semble les assimiler à une idée générale, i.e. la classe des hommes. Ce que l’on expliquera plus loin.

II. Je ne vois pas pourquoi sous prétexte de l’usage des termes d’ « essence », de « forme » et d’ « idée », Spinoza devrait les entendre dans les mêmes acceptions que les traditions platoniciennes ou scolastiques en identifiant l’idée platonicienne, la forme et l’ειδος aristotélicien. Si l’âme est l’idée du Corps, est-ce à dire que l’Ame est l’essence du Corps comme l’idée d’homme est pour le platonisme l’essence de tout homme ? Ou même (dans la mesure où l’on trouve des essences de choses singulières chez des platoniciens), est-ce à dire que l’Ame est l’essence de ce Corps tandis que ce Corps, en tant que mode étendu, et cette Ame, en tant que mode pensant possèdent eux-même et par ailleurs une essence ? Evidemment non.

L’objet de connaissance de l’âme ne sont ni les idées éternelles (Platon) ni les choses même à partir desquelles on monte aux essences (Aristote) mais le Corps lui-même. Spinoza semble y insister lorsqu’il signifie la relation âme – corps par le terme fort connoté de « contemplation ». Il insiste également sur le caractère unitaire de l’idée et de son objet. L’idée est « ce qui est uni à l’objet » (CT app. II, par. 7). « L’Ame humaine est unie au Corps » (II 13s). Elle en est inséparable. Ce sont une seule et même chose (un individu). Voilà un point essentiel de la théorie spinoziste qui va à l’encontre de toute la tradition. Il illustre l’immanentisme de Spinoza.

Il apparaît en effet que, du moins dans l’Ethique, Spinoza n’identifie jamais l’idée et l’essence, sans quoi on n’aurait pas « Une idée est toutefois nécessairement donnée en Dieu qui exprime l’essence de tel ou tel Corps humain avec une sorte d’éternité » (V 22) mais bien « une idée est donnée en Dieu qui est l’essence de tel ou tel Corps humain avec une sorte d’éternité » (ce qui paraît déjà absurde puisque il y aurait conséquemment au moins une idée en Dieu qui ne serait pas sub specie aeternitatis). Le « parallélisme » suppose précisément, outre l’absence de causalité entre le corps et son idée, que l’ idée d’un corps ne saurait être l’essence de ce corps. L’essence (actuelle) du corps, c’est un rapport de mouvement et de repos. L’idée qui exprime cette essence, c’est bien entendu l’idée du Corps et non le rapport lui-même.

Mais l’idée qui exprime cette essence, est-ce bien l’idée qui a comme objet cette essence ? Car pourquoi alors ajouter « avec une sorte d’éternité » ? L’idée d’un corps n’est que rarement l’idée de l’essence de ce corps. C’est une idée qui exprime ce rapport en indiquant seulement la constitution du corps qui est son objet (II 17 et 18). Au niveau des modes finis, il faut en effet distinguer l’idée qui a comme objet le corps (l’âme du corps) et l’idée de l’essence de ce corps – qui a comme objet cette essence, bien que la première « exprime » en effet l’essence de ce corps. C’est bien là la difficulté de la connaissance humaine. Elle demeurerait toujours « indirecte » et « confuse » si elle ne référait son objet à l’essence de la substance, i.e. à sa puissance dont chaque essence de mode représente un degré. L’idée d’un corps exprime toujours l’essence de ce corps, mais cette essence n’est pas toujours l’objet de cette idée. Cette idée exprime mais n’ « explique » pas toujours l’essence du corps. L’essence du corps constitue (mais n’est pas) l’idée de ce corps. Et elle n’est l’objet de cette idée que si cette connaissance se réfère à la substance en tant qu’elle « s’explique » par l’âme i.e. cette idée de ce corps. Contrairement à ce que pense Seischo qui, comme beaucoup d’autres use de Deleuze comme d’un repoussoir (ce qu’il ne mérite pas), je ne m’accorde pas en cela à ce dernier qui assimile quelque peu « expression » et « explication ». D’ailleurs pourquoi Seischo ne pourrait-il accepter une lecture deleuzienne qui rapproche tellement Spinoza des néo-platoniciens ?

Quant à l’idée qui a pour objet l’essence du corps et non le corps lui-même : un mode étendu ne saurait être conçu sans une essence dont le concept exprime l’essence de son idée. L’idée est bien un concept (II D3). Par concept de l’essence du mode étendu, il faut bien entendre l’idée qui a comme objet le rapport mouvement-repos de ce mode. Mais cette idée possède elle-même une essence. L’idée de ce rapport exprime donc sa propre essence, qui n’est autre que sa puissance de penser et non l’essence de ce rapport.

L’essence d’une idée consiste à affirmer l’existence du mode étendu corrélé sans pour autant devoir y assigner quelque rapport mécanique. L’essence de l’idée consiste en effet à affirmer l’ « existence actuelle » du mode étendu, non son essence actuelle : c’est-à-dire non le rapport de mouvement et de repos en tant que tel. L’essence de l’Ame « consiste en ce qu’elle affirme l’existence actuelle d’un Corps » (III A 49 expl.). Elle le fait toujours sans pour autant concevoir l’essence de son corps, essence que, pourtant, elle exprime. L’idée du corps a comme essence l’affirmation de l’existence actuelle de ce corps, non de son essence i.e. le rapport de mouvement et repos, bien qu’elle l’exprime. Quant à l’idée de l’essence actuelle du corps, elle a comme essence l’affirmation de l’existence actuelle du rapport mouvement-repos et non d’une virtuelle essence de ce rapport qui serait comme une essence de l’essence du corps, sans quoi il y aurait ce regressus ad infinitum qui est l’une des principales apories de la scolastique en tant qu’elle s’origine dans le platonisme - aporie que Descartes évite par l’allégation d’une « conscience » dans son acception moderne. On verra plus précisément plus loin ce qui distingue l’existence actuelle des essences formelle et actuelle d’un mode.

L’Ame et le Corps qui est son objet constituent ensemble la forme d’un individu (II Lemmes 4, 5 et 6), qui donc n’est autre que l’unité de l’idée et de son objet (II 21s) mais qui est aussi un même degré de puissance dans deux attributs différents et renvoie à l’essence de la substance (la puissance infinie) comme à sa cause. L’idée et son Corps possèdent chacune dans leur essence formelle le même degré de puissance d’une même modification, forment chacune dans leur essence actuelle le même individu, mais possèdent cependant deux différentes essences, dans la mesure où l’on distingue ici essence et existence (on verra plus loin quelle est la mesure de cette distinction dans une pensée de l’immanence).

L’essence d’un mode étendu n’est donc pas son idée. D’autre part, l’essence d’une idée n’est pas l’idée de cette idée (qui pourtant est bien la forme de cette idée cf. II 21s). Qu’est-ce qui distingue alors une idée ou un corps de l’essence d’une idée ou d’un corps ? Autrement dit : qu’est-ce qui distingue l’essence de l’existence d’un mode ? Avant de répondre à cette question, il convient d’appréhender l’immanentisme de Spinoza. Je ne pense pas que l’on puisse lire Spinoza avec fruit sans penser cette immanence que l’on nomme « parallélisme ».Il convient de commencer par la définition spinozienne de l’essence car elle manifeste cette immanence : « j’ai dis que cela constitue nécessairement l’essence d’une chose, qu’il suffit qui soit donné, pour que la chose soit posée, et qu’il suffit qui soit ôté, pour que la chose soit ôtée ; ou encore ce sans quoi la chose ne peut ni être, ni être conçue, et qui vice versa sans la chose ne peut ni être, ni être conçue » (II 10s).

Selon la définition spinozienne – qui est donc réciproquable – l’essence d’une chose n’est autre que la définition par laquelle elle peut être et être conçue, et vice versa cette définition ne peut être ni être conçue sans la chose. Cette définition ne se présente pas comme la subsomption d’un objet à une classe d’objet visé lui-même comme objet de connaissance immédiate ou vérité éternelle, ni par genre et différences spécifiques (aristotélisme), ni même comme la composition de vérités éternelles et immédiates (platonisme cartésien). Elle est une définition par la cause et se réfère donc toujours à l’essence de Dieu comme puissance infinie de production.

L’immanentisme spinozien s’illustre dans la relation entre l’essence du mode (aspect épistémique) et la causalité productive de ce mode (aspect ontologique), étant donné que ces deux aspects s’identifient strictement dans la substance (essence = puissance) puisque son essence enveloppe son existence.

Je ne pense pas que Platon fasse usage de la notion de causalité. Selon Seischo, Platon avance l’idée de puissance, mais nous ne savons pas où ni comment. Si, comme l’écrit Seischo, cette « puissance » platonicienne est comparable à la puissance aristotélicienne, il ne peut s’agir de la puissance en acte de Spinoza.

Seischo écrit : « Ces « qualités à majuscules » représentent le potentiel maximum (« réel », dans la mesure où l’on peut dire cela d’un potentiel ; voir ma question sur l’énergie potentielle) de réalisation – et donc de puissance – d’un homme. Ce ne sont rien d’autre que les qualités de « l’homme parfait » » (…)
« Et si cet idéal « transcendant » était précisément la puissance maximale accessible à cette chose (seul l’Homme – l’individu humain – étant en fait véritablement en cause), ne jugeraient-ils pas finalement de même, au fond ? »

Qu’est-ce qu’un « potentiel de puissance » (sic) sinon la confusion de la puissance en acte et de la puissance (potentiel) au sens aristotélo-thomiste ? D’autre part il est clair que, comme le montre Bardamu, l’ « homme parfait », chez Spinoza, n’est qu’un être de raison, une sorte d’idée régulatrice, et non une essence. Dans le TRE 5 (ed.. Appuhn) Spinoza ne critique-t-il pas l’idée de perfection comme valeur et modèle, tandis qu’il en use dans l’Ethique dans son acception technique seulement ? Certes (et je suis content que Bardamu le reconnaisse) on trouve une évolution par laquelle Spinoza se départit de la notion cartésienne de perfection. Celle-ci, que l’on trouve aussi bien chez Thomas, se fonde sur les notions de réalité et de valeur objective de l’idée, c’est-à-dire du contenu de l’idée : choses qui disparaissent chez Spinoza au cours des œuvres. Cette disparition était bien nécessaire à l’écriture de l’Ethique et à sa formulation de l’essence telle qu’elle est exposée plus haut. J’ai dit que Spinoza use d’un vocabulaire cartésien et scolastique. Mais il en subvertit progressivement le sens lorsqu’il ne l’abandonne pas tout simplement (comme la notion de Souverain Bien disparaît après le TRE). De mon point de vue, Spinoza ne devient effectivement spinoziste qu’à partir de l’Ethique. La démarche même du TRE (recherche du Souverain Bien par un « je » opératoire et recherche (vaine) de la définition de l’entendement) témoigne encore de reliquats cartésiens et des apories auxquelles ils mènent dans la démarche évolutive générale des œuvres de Spinoza. On ne saurait en tenir rigueur à Seischo. En revanche, il est beaucoup moins pardonnable de confondre le modèle (exemplar), l’essence, la forme, la notion générale (ou universelle) et la notion commune. On y reviendra.

Revenons sur la relation entre l’essence et la causalité. La cause diffère de son effet quant à l’essence et quant à l’existence. Mais chez Spinoza le mode est à la fois une manière d’être de la substance et un de ses effets. L’originalité de Spinoza consiste au fait que pour lui la relation causale entre la substance et ses affections n’introduit cependant aucune extériorité entre elles. La substance produit l’effet comme autre chose qu’elle mais en elle. Tel est l’immanentisme de Spinoza. Celui-ci reprend la définition cartésienne de la cause efficiente selon laquelle elle diffère de son effet sans assimiler cette différence à une extériorité. « Le causé diffère de sa cause précisément en ce qu’il tient de sa cause » (I 17s). Il faut une commune mesure entre l’effet et sa cause, sans quoi cet effet devrait tirer du néant ses propriétés (CT I,2 et Lettre IV). Cette commune mesure, Descartes la trouve dans la valeur objective de la chose, cad la valeur du contenu de l’idée de la chose : sa perfection, mais entendue selon une hiérarchie a priori des êtres que l’on trouve également chez Thomas (c’est du reste de celui-ci qu’est issue la notion de quantité de réalité objective). Chez Spinoza, cette commune mesure est également la perfection. Toutefois celle-ci n’est plus entendue comme la valeur du contenu de son idée. Contrairement à Thomas ou Descartes, Spinoza ne saurait affirmer que l’idée d’un ange possède plus de valeur objective que l’idée de la merde sans rapporter ces deux idées à la puissance nécessaire à la production de leur être formel (et non de leur contenu objectif). Ce qui lui importe, ce n’est pas le contenu – la réalité objective - de cette idée (réalité objective qui n’est d’ailleurs contenue que dans l’idée de Dieu et non les attributs), mais la perfection, la réalité du mode, qui est un degré de la puissance divine. Bref, la commune mesure n’est plus la valeur objective de l’idée mais la puissance infinie de Dieu. De la sorte, « perfection » doit s’entendre au sens technique et non au sens axiologique comme le montre déjà la critique de la notion de perfection dans le TRE.

Comment un mode fini peut-elle avoir une cause infinie ou, autrement dit : comment une cause immanente à l’effet peut-elle la produire différente d’elle ? C’est que le mode fini est infini par sa cause (cf. Lettre XII : « certaines choses sont infinies (…) par la force de la cause en laquelle elles résident »). La cause par laquelle Dieu se produit est celle par laquelle il produit le mode. Aussi le mode fini possède-t-il une cause intérieure et infinie, cad qui affirme absolument son existence. C’est pourquoi, comme on l’a vu, l’essence d’une idée consiste à affirmer l’existence actuelle de la chose étendue qui lui est corrélée. Par cet aspect, le mode dérive de la seule essence divine. Le mode ne saurait être l’effet immanent de la puissance-essence divine sans que cette puissance soit en lui dans son indivisible présence : « La puissance des choses naturelles, par laquelle elles existent et agissent est la puissance de Dieu elle-même » (TP II, 3). Le mode est cette puissance infinie d’une certaine manière. Il est un degré ou une partie de cette puissance infinie, mais c’est une partie ou un degré lui-même infini, cad sans limite interne : une partie de l’infini ne peut être qu’infini et il existe des infinis de différentes grandeurs comme le montre la Lettre XII.

L’essence d’un mode est donc :

1) une réalité ou perfection, cad un degré de puissance (III 49s) physiquement contenu dans l’un des attributs exprimant l’essence – et donc la puissance – de Dieu. Ce sont la les « essences formelles », qui ne sont pas des possibles puisqu’elles existent (emploi de « esse ») dans les attributs. Ce sont des degrés de la puissance infinie et c’est pourquoi la puissance de l’homme est une partie de la puissance infinie de Dieu. Ce degré de puissance est bien la quantité (nous sommes dans la Nature naturante) d’une qualité (l’attribut fait partie de la Nature naturante) qui exprime l’essence-puissance de Dieu. Cette qualité de l’attribut est infinie (pensée infinie, étendue infinie). Comme une partie de l’infini ne saurait être finie et qu’il y a, d’autre part, des infinis de quantités différentes (Lettre XII), cette essence n’est que l’expression quantitative en termes de degrés d’un infini qualitatif. L’attribut contient une infinité de degrés de puissance correspondant aux modes qui sont tous contenus dans la production (causalité) de chaque autre. Ces degrés sont donc une quantité elle-même infinie. Il s’agit bien toujours d’une manière d’être d’une pensée ou d’une étendue infinie.

Je ne vois pas ce qui pourrait empêcher le lecteur de considérer l’étendue comme une matière qui, parce que infinie et exprimant la puissance de la substance, est constituée d’une infinité de degrés de puissance correspondant à tout ce qui peut être conçu comme matériel, y compris les modes étendus n’existant pas « sinon en tant que compris dans les attributs de Dieu » (II 8c). (Certes il s’agit de se départir de la conception aristotélicienne d’une matière informée de l’extérieur). Il en va de même pour les modes de l’attribut pensée. Car qu’a-t-il d’étonnant que l’attribut d’une cause de soi, lui-même en soi, conçu par soi et infini, puisse être le substrat physique (au sens de la phusis des plus anciens Grecs) de ses propres manières d’être ? Une essence de mode (étendu ou pensant) existe bien dans un attribut, quand bien même le mode serait inexistant, cad : quant à la chose étendue, lorsqu’elle n’est pas une « forme » constituée de l’union d’un très grand nombre de corps selon un même rapport mouvement-repos, et quant au mode pensant : lorsque, bien qu’incluse dans la production de toutes les autres idées, l’idée envisagée ne possède pas de rapport logique avec les idées particulières qui en sont la cause. Dans ce cas le mode passe certes à l’existence. Mais cette existence n’est pas encore l’ « existence actuelle » du mode. Il s’agit de son « essence actuelle », qui est la traduction extrinsèque, sous forme d’une ratio, de l’essence formelle du mode entendu comme degré de puissance.

Je fais une pose et je reviens un peu plus tard…

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Messagepar hokousai » 11 oct. 2004, 16:25

rep à miam

""Il faut en outre observer que, d’une certaine façon, nous sommes tous ici peu ou prou platoniciens. """""parlez pour vous ,pas pour moi .

........................................................................................
D'' accord avec vos remarques sur les mathématiques chez Platon

........................................................................................
Votre texte (intéressant ) brasse bien des sujets ( sur l'infini la lettre citée est instructive je n'y reviens pas )

En revanche ce que vous dîtes là demande vraiment réflexion :

""""".L’idée d’un corps exprime toujours l’essence de ce corps, mais cette essence n’est pas toujours l’objet de cette idée. Cette idée exprime mais n’ « explique » pas toujours l’essence du corps. L’essence du corps constitue (mais n’est pas) l’idée de ce corps. Et elle n’est l’objet de cette idée que si cette connaissance se réfère à la substance en tant qu’elle « s’explique » par l’âme i.e. cette idée de ce corps. """""""""""""

ce n'est vraiment pas très clair .C'est bien compliqué et je ne vois pas ce que vous voulez montrer '( justifier l'essence du corps ou l'existence des corps ??hors l'idée ) non je ne vois pas vraiment

par exemple" constituer mais ne pas être ???

et puis Je ne vois pas non plus en quoi la référence de la connaissance à la substance s' expliquant par l'âme ..etc .

je verrais plutôt l'essence du corps comme objet de cette idée du corps , s' expliquant par l'Etendue et sans le recours à la substance( la connaissance du second genre suffit ).Vous semblez recherchez une connaissance théorétique qui n'a pas lieu d' être .

Pour faire court à mon avis l 'essence du corps est une idée , c'est l'idée de l'essence des corps en général ou d'un corps particulier .

Ce n'est peut-être pas ce que pense Spinoza mais réexpliquez moi
je vous remercie par avance

hokousai


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