Amor fati

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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sescho
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Messagepar sescho » 21 mai 2005, 09:16

AUgustindercrois a écrit :Selon Nietzsche, la volonté de puissance est 'envisagée comme énergie conquérante et dominatrice, comme volonté d'un surplus de force active et dynamique, comme faculté créatrice et plénitude de l'âme; elle consiste, sous sa forme la plus haute, à donner et à créer". ( J. Russ, les chemins de la connaissance, p. 353) Cela vous convient - il comme réponse?


C'est assez exactement l'idée que je m'en faisais : Nietzsche - initialement philologue et grand connaisseur des Grecs, si mes souvenirs sont bons - identifie la puissance à l'aristocratie dans un sens proche de Platon dans la République et de l'ensemble des Anciens, avec un côté guerrier plus prononcé (quoique presque une norme chez les Grecs). Quoique Nietzsche apparaisse régulièrement comme habité de bonté, il me semble débordé par son énergie psychique hors normes, qui s'exprime alors sous la forme "irascible".

AUgustindercrois a écrit :Mais il y a un danger fondamental chez Nietzsche: l'apologie de la guerre. ( Comme d'ailleurs chez Kant)....


Oui, et le plus inquiétant, c'est que cela coule presque de source : si l'on considère premièrement - et c'est effectivement le cas à beaucoup d'égards - que l'aristocratie est la perfection et donc la puissance, deuxièmement, que la non-aristocratie occupe le pouvoir et donc la place revenant de droit à l'aristocratie (et donc, par exemple, que la démocratie amène inéluctablement des hommes corrompus au pouvoir) et troisièmement que, la puissance étant en acte, il suffit de se décider à agir pour changer les choses...


Mais - outre que chaque non-sage a sa propre conception de l'aristocratie - on peut prendre les choses autrement, comme Spinoza, sans renoncer à l'aristocratie : la puissance est essentiellement d'ordre individuel (tout en s'exprimant avec et au sein de la collectivité) et le pouvoir politique, entendu qu'il respecte le droit à philosopher de ses citoyens, n'est pas une composante de la véritable puissance aristocratique. La démocratie apparaît alors effectivement, comme "le plus mauvais des systèmes à l'exception de tous les autres". Par ailleurs, la force étant mise dans la puissance psychique (et donc, pour Spinoza, corporelle), le côté irascible s'efface et laisse place à la bonté.

Amicalement

Serge
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Henrique
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Messagepar Henrique » 04 juin 2005, 02:54

AUgustindercrois a écrit :Ca m'intéresse, cette idée que l'esprit est l'idée du corps. où la trouves - tu? Et si tu réponds, E2 45, tu es renvoyé à l"essence éternelle et infinie de Dieu", dont nous ne connaissons ue deux attributs, selon SPinoza, la substance et l'étendue.


E2P13 : "L'objet de l'idée qui constitue l'âme humaine, c'est le corps, en d'autres termes, un certain mode de l'étendue, lequel existe en acte et rien de plus. (...)
Corrollaire : Il suit de là que l'homme est compose d'une âme et d'un corps, et que le corps humain existe tel que nous le sentons."

Je crois que ta difficulté vient de ce que tu n'envisages le corps qu'en tant qu'objet d'une connaissance extrinsèque, connaissance du premier genre, apparaissant donc comme éminemment temporel. Connu de l'intérieur par son "essentia actuosa", à savoir son effort de persévérer dans l'être, le corps peut être saisi comme essence exprimant la puissance dynamique de l'étendue, donc par le troisième genre de connaissance, donc en tant qu'objet éternel.

Pour accéder à l'intuition intellectuelle de cet effort, il faut je pense justement cesser tout effort mental - nécessairement extérieur à ce dont il est question. Tu arrêtes de chercher cette essence actuelle et justement, elle est déjà là, cela vit sans que tu aies aucun effort à fournir. Cela s'efforce de vivre, cela respire, cela marche, écrit, s'inscrit dans des rapports de force, dort et tu es cela. Partant de la conscience de l'étendue singulière que tu es, étendue qu'il ne s'agit pas d'imaginer ou de concevoir généralement, mais qu'il s'agit d'éprouver dans son énergie actuelle, tu en éprouves la jouissance simple et illimitée (rien n'étant extérieur à l'étendue même).

Après cela semble disparaître parce que le mental revient à un mode de conscience dominé par l'imagination. Mais la béatitude est toujours là, c'est le regard qui n'est plus tourné vers elle. Toute l'éthique spinoziste est alors d'apprendre à maîtriser l'imagination et les affects qui en découlent pour éviter cette diversion du regard. Et une fois cet aspect bien maîtrisé, il s'agit de passer progressivement de cette béatitude de l'être à ses modalités plus complexes : respirer, marcher, écrire, s'inscrire dans des rapports de force etc.

On le voit ici la béatitude n'est pas du domaine de l'hystérie mystique comme le suggère bien Bardamu, quoique toutes les expériences humaines peuvent être abordées à partir de cette conversion du regard qu'est la béatitude. Faire du slam-diving sur un tas de pogoteurs à un concert de thrash metal peut être une façon comme une autre d'éprouver le courant de vie qu'est la substance.

Si on prend l'origine étymologique du mot "ex-stasis", cela signifierait "se tenir hors de" : hors de sa nature ordinaire, sortir de soi-même... La béatitude spinoziste serait plutôt une en-stase, une façon de rejoindre sa nature véritable, fondamentale, qui est la substance


Comment concilier l'idée que le corps est périssable, alors qu'il demeure l'esprit? La notion d'esprit, sans être théologique, me semble rapprocher ici Spinoza d'une idée plus "religieuse", moins purement matérialiste...


Ce que l'on traduit par esprit, c'est le mot latin mens - alors que les mots anima et spiritus existent aussi et ont une connotation religieuse.
Par ailleurs : E4P39, S. : "Je ferai seulement remarquer ici que j'entends par la mort du corps humain une disposition nouvelle de ses parties, par laquelle elles ont à l'égard les unes des autres de nouveaux rapports de mouvement et de repos" : en d'autres termes rien ne périt à proprement parler (c'est pourquoi aussi la sagesse est méditation de la vie, non de la mort).

Je n'ajouterai rien à la très belle image de Bardamu sur la feuille de papier pour rendre compte du 'parallélisme'.

Mais pour ce qui est de l'apparente opposition du corps et de l'esprit, ou tu considères les choses sous l'angle de la durée, c'est-à-dire à partir de l'imagination, voire de la raison et alors le mental n'est pas plus impérissable que le corps (puisqu'il en est l'idée). Ou bien tu considères les choses sous l'angle de l'éternité, avec l'intellect intutitif et alors tu comprends comment le corps aussi bien que le mental sont expressions éternelles de la substance, ainsi que je l'ai indiqué précédemment avec mon analyse de la béatitude.

En effet E3P34S : "Si l'on examine l'opinion du commun des hommes, on verra qu'ils ont conscience de l'éternité de leur âme, mais qu'ils confondent cette éternité avec la durée, et la conçoivent par l'imagination ou la mémoire, persuadés que tout cela subsiste après la mort."

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Messagepar AUgustindercrois » 04 juin 2005, 22:15

Cher henrique,

Tu me réponds:

E2P13 : "L'objet de l'idée qui constitue l'âme humaine, c'est le corps, en d'autres termes, un certain mode de l'étendue, lequel existe en acte et rien de plus. (...)
Corrollaire : Il suit de là que l'homme est compose d'une âme et d'un corps, et que le corps humain existe tel que nous le sentons."


Or, on est dans la seconde partie, et non pas dans la cinquième; le corps est caractérisé comme étant "en acte", ce qui suppose a contrario une essence... D'où la nécessité de revenir à la cinquième partie...Et mon serpent se mord la queue...



Par ailleurs : E4P39, S. : "Je ferai seulement remarquer ici que j'entends par la mort du corps humain une disposition nouvelle de ses parties, par laquelle elles ont à l'égard les unes des autres de nouveaux rapports de mouvement et de repos" : en d'autres termes rien ne périt à proprement parler


On est, d'après la lecture que je fais de la proposition 39, dans l'analyse de ce qui est bon ou mauvais pour le corps humain. Ce qui suppose, a contrario, que le corps peut disparaître. Spinoza se place dans l'hypothèse d'une possible mort du corps, comme le prouve a contrario la phrase du scolie: "... je ne vois rien qui me force à admettre que le corps ne meurt qu'ua cas où il se change en cadavre..." ce qui supopse bien que SPinoza admet la mort du corps, et la continuation de l'attribut divin qu'est l'étendue.


Donc, je ne vois pas comment avancer dans notre réflexion.

Amicalement,

Ader

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Messagepar Henrique » 05 juin 2005, 17:47

AUgustindercrois a écrit :Or, on est dans la seconde partie, et non pas dans la cinquième; le corps est caractérisé comme étant "en acte", ce qui suppose a contrario une essence... D'où la nécessité de revenir à la cinquième partie...Et mon serpent se mord la queue...

Tu demandais je pense s'il n'y avait pas moyen chez Spinoza de concevoir l'esprit indépendamment du corps. Je te réponds que s'ils existent en fait indépendamment, en tout point, en vertu du 'parallélisme' (pour avoir l'idée de mon corps, pas besoin de mon corps, l'idée de mes sensations, elles mêmes liées à d'autres idées suffisent), on ne peut jamais concevoir un esprit qui nagerait en pleine abstraction, sans corps réellement existant à penser.

En quoi le fait que l'esrpit tel qu'il est défini dans la seconde partie de l'Ethique ne concernerait-il pas celui dont il est question dans la cinquième ? Le corps possède la même essence que le mental, à savoir son conatus, mais considéré soit sous l'angle de l'étendue, soit sous celui de la pensée. Mais raison de plus pour comprendre que l'esprit n'est pas moins périssable que le corps, tandis que ce qui constitue son éternité - cette essence même quand elle est bien comprise - est également ce qui fonde l'existence du corps.



On est, d'après la lecture que je fais de la proposition 39, dans l'analyse de ce qui est bon ou mauvais pour le corps humain. Ce qui suppose, a contrario, que le corps peut disparaître.


Pour un corps totalement disparu, il n'y a ni bon ni mauvais, seul un corps existant peut être affecté dans le sens de son utilité ou pas.

Spinoza se place dans l'hypothèse d'une possible mort du corps, comme le prouve a contrario la phrase du scolie: "... je ne vois rien qui me force à admettre que le corps ne meurt qu'ua cas où il se change en cadavre..." ce qui supopse bien que SPinoza admet la mort du corps, et la continuation de l'attribut divin qu'est l'étendue.


Attends mais je n'ai pas dit non plus qu'il n'y avait pas passage du corps animé à celui de cadavre selon Spinoza. Je dis que la mort - considérée comme cessation totale de l'existence du corps - n'existe pas : le corps existe sous une nouvelle forme et va se composer avec d'autres corps dans la nature, c'est ce que Spinoza confirme dans la citation que j'avais donnée et que tu ne peux laisser de côté si tu veux bien comprendre la pensée de notre philosophe.

En conséquence, ma réponse à ta question sur l'apparente dichotomie entre le corps et l'esprit demeure qu'il n'y a de différence que dans la façon de considérer ce couple ontologique : ou bien sous l'aspect de la durée par l'imagination et alors l'existence du corps comme de l'esprit apparaît comme limitée, ou bien sous celui de l'éternité par l'intellect et alors l'existence de leur essence n'a plus aucune limite puisqu'elle se rapporte essentellement aux attributs de Dieu.

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Messagepar bardamu » 05 juin 2005, 23:45

sescho a écrit :(...)
2 - Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je n'ai lu qu'environ 50% de Nietzsche. J'apprécie son intelligence vive et la percussion - parfois heureusement déstabilisante - de ces aphorismes. Mais il y a quelque chose de très important que je n'ai pas trouvé chez Nietzsche et qui apparaît chez Spinoza :

Qu'est-ce que la puissance ?

Si quelqu'un peut me donner une idée simple et claire de ce qu'entend Nietzsche - selon lui-même - par "puissance" je lui en saurait gré.

Salut,
je me permets de revenir là-dessus.
Dans ma lecture, la puissance nietzschéenne ou la puissance spinozienne sont plus ou moins la même chose.

Le gai savoir, Nietzsche a écrit :349 - Encore l'origine des savants
Vouloir se conserver soi-même, c'est l'expression d'un état de détresse, une restriction du véritable instinct fondamental de la vie qui tend à l'élargissement de la puissance et qui, fort de cette volonté, met souvent en question et sacrifie la conservation de soi. Il faut voir un symptôme dans le fait que certains philosophes, comme par exemple Spinoza, le poitrinaire, ont considéré, ont dû justement considérer ce que l'on appelle l'instinct de conservation comme cause déterminante : - c'est qu'ils étaient des hommes en plein état de détresse. Si nos sciences naturelles modernes se sont à un tel point engagées dans le dogme spinoziste (en dernier lieu et de la façon la plus grossière avecle darwinisme et sa doctrine incompréhensiblement unilatérale de la "lutte pour la vie" -), c'est probablement l'origine de la plupart des naturalistes qui est en cause : en cela ils appartiennent au "peuple", leurs ancêtres étaient de pauvres et petites gens qui connaissaient de trop près les difficultés qu'il y a à se tirer d'affaire. Le darwinisme anglais tout entier respire une atmosphère semblable à celle que produit l'excès de population des grandes villes anglaises, l'odeur des petites gens, misérablement à l'étroit. Mais lorsqu'on est naturaliste, on devrait sortir de son recoin humain, car dans la nature règne, non la détresse, mais l'abondance, et même le gaspillage jusqu'à la folie. La lutte pour la vie n'est qu'une exception, une restriction momentanée de la volonté de vivre ; la grande et la petite lutte tournent partout autour de la prépondérance, de la croissance, du développement et de la puissance, conformément à la volonté de puissance qui est précisément volonté de vie.


Nietzsche se revendiquait de Dionysos et c'est sans doute dans la puissance végétale que se trouve la meilleure métaphore de la puissance nietzschéenne. La vigne ne lutte pas pour s'imposer, elle ne se bat pas, elle pousse, donne ses fruits et puis c'est tout.
Nietzsche n'a pas bien compris le dynamisme du conatus de Spinoza (à moins qu'il n'ait pas voulu trop le comprendre pour ne pas en être trop influencé...) mais il n'y a guère de différence entre sa volonté de puissance et ce conatus. Tendance naturelle, pure positivité, productivité, la puissance n'est pas quelque chose qui se mesure en se comparant à l'autre, ce n'est pas l'enjeu d'une guerre ou d'une "lutte pour la vie", c'est la vie elle-même, l'acte positif, l'affirmation.

Concernant la guerre, elle est une conséquence de la rencontre de puissances contraires, ce n'est pas un but mais l'effet de la diversité du monde. Le puissant ne fait réellement de guerre qu'à lui-même, pour se "tuer", se dépasser. La guerre, c'est aussi l'épreuve, le lieu par excellence où dans le rapport au monde se joue le meilleur de notre puissance, là où on joue sa vie.
Mais ce lieu n'est pas particulièrement celui de la boucherie des tranchées ou du défilé militaire, autant d'endroits où bien souvent c'est le plus minable de l'homme qui s'exprime, sa volonté de mort.
Guerriers de la connaissance :
Ainsi parlait Zarathoustra a écrit :De la guerre et des guerriers
Nous ne voulons pas que nos meilleurs ennemis nous ménagent ni que nous soyons ménagés par ceux que nous aimons du fond du coeur. Laissez-moi donc vous dire la vérité !
Mes frères en la guerre ! Je vous aime du fond du coeur, je suis et je fus toujours votre semblable. Je suis aussi votre meilleur ennemi. Laissez-moi vous dire la vérité !
Je n'ignore pas la haine et l'envie de votre coeur. Vous n'êtes pas assez grands pour ne pas connaître la haine et l'envie. Soyez donc assez grands pour ne pas en avoir honte !
Et si vous ne puvez pas être les saints de la connaissance, soyez-en du moins les guerriers. Les guerriers de la connaissance sont les compagnons et les précurseurs de cette sainteté.
Je vois beaucoup de soldats : puissè-je voir beaucoup de guerriers ! On appelle "uniforme" ce qu'ils portent : que ce qu'ils cachent dessous ne soit pas uniforme !
Vous devez être de ceux dont l'oeil cherche toujours un ennemi - votre ennemi. Et chez quelques-uns d'entre vous il y a de la haine à première vue.
Vous devez chercher votre ennemi et faire votre guerre, une guerre pour vos pensées ! Et si votre pensée succombe, votre probité doit néanmoins crier victoire !
Vous devez aimer la paix comme un moyen de guerres nouvelles. Et la courte paix plus que la longue.
Je ne vous conseille pas le travail, mais la lutte. Je ne vous conseille pas la paix, mais la victoire. Que votre travail soit une lutte, que votre paix soit une victoire !
(...)



Sescho a écrit :D'un point de vue Darwinien, ceux que Niezsche appelle "faibles", s'il dominent, sont en fait "forts" par ce simple fait : sont forts ceux qui s'imposent, fussent-ils, par hypothèse, grossiers, violents, fourbes, etc. Le seul fait d'être prolifique, indépendamment de toute qualité aristocratique, peut emporter la mise rien que par le nombre ; de hautes civilisations ont été balayées par des hordes sauvages ; des gens de haute culture ont été assassinés par des hommes incultes et sans véritable sens moral, les tibétains par les communistes chinois ; le lion recule quand la meute de hyènes devient importante (ceci dit sans aucun jugement de valeur, évidemment), etc.

Nietzsche me semble en cela s'écarter franchement de Darwin et, dans une moindre mesure (mais néanmoins réelle), de Spinoza : il n'accepte pas que l'aristocratie (la véritable : celle de coeur) puisse ne pas avoir le dessus.

Je crois comprendre que tu dis que Nietzsche considère que ceux qui domine "socialement", ceux qui ont le pouvoir seraient forcément les forts.
Si c'est le cas, c'est un peu plus compliqué que ça.
Nietzsche défend le "droit" du prédateur à être un prédateur. Dans la Généalogie de la Morale, il y a un passage assez ontologique où il explique qu'on peut parler d'un "sujet-utilisant-sa-force" mais qu'en fait, il n'y a pas de distinction entre l'être et sa force. Nous ne sommes pas libre de ne pas utiliser notre force, tout ce que nous faisons n'étant que l'expression de cette force, de cette puissance.
Ce sont les faibles qui ont intérêt à distinguer entre "sujet" et "force" ce qui leur permet de dire que les bons sont ceux qui n'utilisent pas leur soit-disante force, parce qu'ils sont "civilisés", et que les forts devraient faire pareil. Ruse...
Tout en étant par-delà le Bien et le Mal, Nietzsche distingue entre 2 modes de pouvoir, le bon et le mauvais :
- le bon pouvoir : spontané et positif, le pouvoir de celui qui exprime sa puissance et qui ne se mesure à autrui que pour voir chacun augmenter sa puissance
- le mauvais pouvoir : celui du "pervers" qui règne en brisant la puissance d'autrui, celui dont la volonté de puissance passe par la réduction de l'autre, son rapetissement à sa mesure à lui. L'homme du ressentiment, avec sa petite et nauséabonde envie, son désir de justice-vengeance et autres joyeusetés.

La critique nietzschéenne des valeurs chrétiennes ou des valeurs "modernes" porte sur ces ruses des prêtres et des moralistes qui tiennent absolument à ce qu'on considère que ne pas utiliser sa force soit bien, qu'être faible soit bon, que c'est ainsi qu'on gagnera le paradis.

On retrouve Spinoza dans l'identification nietzschénne de l'être à une puissance en acte et au droit naturel qui en découle. On le retrouve aussi dans sa critique de ces êtres qui se réjouissent de l'impuissance d'autrui, de leur humiliation, qui se complaisent dans le mépris.
Sescho a écrit :4 - Il me semble que la "volonté de puissance" chez Nietzsche allait plus loin que la "réalisation d'un potentiel (inné et limité en lui-même)" mais qu'il croyait à "l'évolution continue par l'acquis" (que l'on retrouve dans des passages de Paul Diel) : un homme peut emmener, en élevant sa puissance au sommet, son humanité prise en soi (voire l'humanité même) au-delà de ce qu'elle était auparavant et ce de façon en quelque sorte "absolue" (sans l'être à l'intérieur d'un "potentiel pré-existant") ; d'où le concept du "surhomme" (c'est assez confu mais rien de plus clair ne me vient pour l'instant à l'esprit). Quelqu'un peut-il m'éclairer sur ce point ?

Le surhomme n'est pas vraiment un sommet mais plutôt un horizon qui recule au fur et à mesure qu'on avance. Dans "Ainsi parlait Zarathoustra", il n'y a qu'un portrait en négatif : aucun surhomme n'a jamais vécu, ce n'est pas l'homme supérieur, ce n'est pas le roi, le savant etc.
L'idée est toujours de rester dans une positivité pure, c'est-à-dire sans limite a priori et qui ne correspond donc à aucun modèle qu'on puisse désigner. Nous ne savons pas ce que peut l'humain, ce qu'il devient lorsqu'il devient autre que ce qu'on croyait savoir de lui.
L'important est d'entrer dans l'entreprise de dépassement, d'adhérer au désir d'aller plus loin, au désir de créer de nouveaux modes d'êtres, toujours plus puissants, plus joyeux.

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Messagepar AUgustindercrois » 06 juin 2005, 10:25

Chers bardamu,


Ce texte du gai savoir est très intéressant. Nietzsche est un type qui écrit vraiment très bien, ce qui est rare chez les philosophes. (Il écrit beaucoup mieux que Spinoza, par exemple, qui est très mathématique, analytique.)

On voit bien le problème: Nietzsche pense que l'idée de nature renvoie à une richesse, à une surabondance presque luxuriante, qui exclut Spinoza de son monde. Spinoza, c'est "le poitrinaire", le faible, l'improductif, l'incarnation de la détresse...

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Messagepar bardamu » 06 juin 2005, 20:02

AUgustindercrois a écrit :Chers bardamu,


Ce texte du gai savoir est très intéressant. Nietzsche est un type qui écrit vraiment très bien, ce qui est rare chez les philosophes. (Il écrit beaucoup mieux que Spinoza, par exemple, qui est très mathématique, analytique.)

On voit bien le problème: Nietzsche pense que l'idée de nature renvoie à une richesse, à une surabondance presque luxuriante, qui exclut Spinoza de son monde. Spinoza, c'est "le poitrinaire", le faible, l'improductif, l'incarnation de la détresse...

Nietzsche est aussi celui qui écrivait :
"Je suis étonné, ravi ! J'ai un précurseur et quel précurseur ! Je ne connaissais presque pas Spinoza. Que je me sois senti attiré par lui en ce moment relève d'un "acte instinctif". Ce n'est pas seulement que sa tendance globale soit la même que la mienne : faire de la connaissance, l'affect le plus puissant - en cinq points capitaux je me retrouve dans sa doctrine ; sur ces choses ce penseur, le plus anormal et le plus solitaire qui soit, m'est vraiment très proche : il nie l'existence de la liberté de la volonté ; des fins ; de l'ordre moral ; du non-égoïste ; du Mal ; si, bien sûr nos divergences sont également immenses, du moins reposent-elles sur les conditions différentes de l'époque, de la culture, des savoirs."
Lettre à Overbeck du 30 juillet 1881.

En dehors de cette lettre, Nietzsche critique Spinoza pour son manque de "chair", pour son style trop géométrique, trop sec, mais cela ne va guère plus loin.

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Messagepar hokousai » 06 juin 2005, 21:24

Le potrait que bardamu dresse de Nietzsche par citations et commentaires personnel est à mon avis assez juste .Je dirais bien ,hélas .

Le livre deBernard Edelman « Nietzsche un continent perdu « va lui aussi le sens d’une compréhension dure et sans complaisance d'un Nietzschéisme sans illusions sur le monde en général.
Interprétation froide et cynique de Edelman du torride cynisme Nietzschéen .
Interprétation prétendue rectificatrice d’une dérive bien pensante , à l’ intention donc des édulcorations dîtes littéraires visant à sauver Nietzsche de l’appropriation historique par le national socialisme .


Nietzsche comprenait la psychologie des humains comme expression de conflits de forces plus ou moins inconscientes .En ce sens il préfigurait Freud sans doute plus qu’il ne continuait Spinoza .


A ce jeu des psychologues autant Spinoza apparaît comme un modèle de pondération d’équilibre ,de paix et d' harmonie ,autant Nietzsche parait son contraire .
Ce que nous savons de sa biographie psycho- physiologique expliquerait aussi et dans une analyse toute Nietzschéenne à lui appliquée cette différence constatée .

Sans plus de commentaires .
hokousai

résumé de « N un continent perdu «

« « « Nietzsche a découvert un continent, celui de la Volonté de Puissance - et nous l'avons perdu. Délibérément, consciencieusement perdu, avec un acharnement à la mesure de l'effroi qu'il nous inspire. Car nous n'aimons pas savoir qui nous sommes, nous n'aimons pas marcher à visage découvert, la poitrine nue, vêtus de notre seul courage : en bons pharisiens, en bons démocrates, en bons hypocrites, nous nous glissons le long des murs, furtivement, le dogme dans la ceinture, pour assassiner à coups de morale, de religion ou de philosophie les hommes exceptionnels, les héros de la pensée, les Argonautes de l'avenir. Nous voulons la bonne, la confortable chaleur du troupeau et nous bêlons de peur sous la cruelle et impitoyable lumière de Nietzsche. Pareils à de vieux hiboux dépenaillés, nous clignons des yeux, dérangés dans notre nocturne retraite. L'Homme suppose un être qui n'existe pas encore, mais qui est la fin de son existence. » » »

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amor fati chez Nietzsche

Messagepar Fragile » 19 nov. 2006, 21:19

Petite remarque rapide sur "amor fati" et Nietzsche - Spinoza.

1) Spinoza est un des philosophes préférés de Nietzsche. Il est souvent cité. J'ignore s'il l'a lu dans son entièreté (parfois Nietzsche s'est contenté de "digests").
D'après ce qu'il dit, Nietzsche n'ouvre pas de livres quand il rédige des textes; il marche (souvent dans des régions montagneuses) et il écrit dans un carnet; il confronte ses écrits à des philosophes de référence.

La liste de ces philosophes varie, mais Spinoza est souvent dans la liste. Exemple : "Il y eut quatre couples à ne pas refuser leur réponse (...) : Epicure et Montaigne, Goethe et Spinoza, Platon et Rousseau, Pascal et Schopenhauer. " in Opinions et sentences mêlées, § 408.
Cela ne signifie pas une adhésion à la pensée de ces philosophes, mais bien une confrontation.
Nietzsche met en doute l'existence de la philosophie "en soi" et préfère parler de philosophes. Parmi eux, il distingue ceux qui lui permettent de progresser : "Quoi que je puisse dire, résoudre, imaginer pour moi et les autres, je fixe les yeux sur ces huit-là et vois les leurs fixés sur moi." (ibidem)

En dépit d'une certaine proximité au plan philosophique, Nietzsche ne se réclame pas de la parenté de Spinoza. Le philosophe dont "il se sent le plus proche" est Héraclite.
Ceci dit, l'un dans l'autre, il a une opinion assez positive de Spinoza, mais aller plus loin dans la relation Nietzsche-Spinoza requiert de longs développements.

2) Chez Nietzsche, l'expression 'amor fati' est sinon empruntée (j'ignore si Spinoza l'utilise telle quelle) du moins inspirée par Spinoza; Nietzsche l'emploie à de nombreuses reprises dans ses écrits.

3) Pour Nietzsche, l'amor fati désigne l'attitude du philosophe dionysiaque qui accepte tous les aspects de l'existence, les mauvais comme les bons. Au sens de Nietzsche (et là il se distingue de Spinoza), il s'agit d'accepter la nécessité du DEVENIR sous tous ses aspects, mauvais comme bons.
Pour lui l'amor fati est directement lié à l'acceptation de l'éternel retour (du même), ce qui signifie être disposé à revivre 'éternellement' ce qu'on a vécu (cfr. le texte de Zarathoustra et du Nain (le pessimiste) : "C'était cela, la vie ? Allons, encore une fois."). C'est une perspective mouvante, héraclitéenne.
L'éternel retour et l'amor fati, c'est la réponse au pessimisme qu'engendre la mise en regard des valeurs morales et de la réalité du monde, c'est la réponse à Schopenhauer.

Exemple, parmi d'autres, de l'expression 'amor fati' :
" Ma formule pour ce qu'il y a de grand dans l'homme est 'amor fati' : ne rien vouloir d'autre que ce qui est, ni devant soi, ni derrière soi, ni dans les siècles des siècles. Ne pas se contenter de supporter l'inéluctable, et encore moins se le dissimuler - tout idéalisme est une manière de se mentir devant l'inéluctable - mais l'aimer... "
in Ecce homo, Pourquoi je suis si avisé § 10 (fin)

Francis Gielen

SoleneAttend
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Re: Amor fati

Messagepar SoleneAttend » 10 févr. 2018, 21:30

Bonjour,

Pour moi la principale différence est que Nietzsche est un passionné qui réagit au christianisme et Spinoza est un rationnel qui dépasse le christianisme.


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