Spinoza et Lovecraft

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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Shub-Niggurath
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Spinoza et Lovecraft

Messagepar Shub-Niggurath » 19 févr. 2012, 14:31

Il peut sembler un peu téméraire d'associer ainsi Spinoza et Lovecraft dans un sujet destiné à un forum de philosophie, mais ne peut-on voir dans la pensée de ces deux écrivains des rapprochements ou des similitudes ?

Les mythes des Dieux Anciens Lovecraftiens semblent en effet très éloignés de l'univers de Spinoza. Cependant ne peut-on associer ces deux penseurs en ce qu'ils nient tous deux l'idée d'un Dieu bon et miséricordieux, afin de poser au contraire l'existence dans la Nature de forces inconnues de l'esprit humain ?

Le monde infini et éternel de Spinoza n'offre-t-il pas la place pour des entités existant dans plusieurs dimensions hors celle de la matière et de la pensée ?
Dans ce cas il faut s'attendre à découvrir dans la Nature des forces dont la puissance dépasse de loin la faiblesse humaine, et seraient à même d'entraîner les hommes dans la folie et le délire ?

On pourrait aussi voir dans l'oeuvre de Lovecraft les Dieux anciens comme des caricatures des Dieux de la Terre, sur un mode humoristique qui nous forcerait à revoir toutes les considérations que nous avons sur les Dieux, et aboutirait au même athéisme que l'auteur de l'Ethique.

La présence dans l'Univers de forces qui dépassent largement la compréhension humaine n'est-elle pas compatible avec l'affirmation spinoziste selon laquelle de la nécessité de la nature divine doivent découler une infinité de choses ? Auquel cas les entités telles Nyarlathotep ou Yog-Sothoth auraient toute leur place dans la Nature, et seraient bien plus à craindre que la vengeance des Dieux des religions révélées...

Ces entités extra-terrestres n'auraient-elles pas envers nous la même considération que nous portons aux virus et aux bactéries, c'est-à-dire qu'elles nous prendraient pour des choses insignifiantes et nuisibles, toutes prêtes à être sacrifiées sur l'autel de leur utilité ? Cette vision d'un monde dans lequel nous n'aurions pas plus de place que des microbes inutiles n'est-elle pas au fond compatible avec la science Spinoziste ?

Que deviendraient alors nos prétentions à la béatitude et à la sagesse si ces entités existaient réellement ?

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Messagepar Shub-Niggurath » 22 févr. 2012, 09:27

"Bien que les hommes saluent leur terre du nom de réalité et flétrissent de celui d'irréalité la pensée d'un univers originel aux dimensions multiples, c'est, en vérité, exactement l'inverse. Ce que nous appelons substance et réalité est ombre et illusion et ce que nous appelons ombre et illusion est substance et réalité.
Le temps est immobile et sans commencement ni fin, qu'il ait un mouvement et soit cause de changement est une illusion. En fait, cela même est une véritable illusion, car, excepté pour la vue étroite des êtres vivant sur des mondes aux dimensions limitées, il n'existe pas des états tels que le passé, le présent et le futur. Les hommes n'ont l'idée du temps qu'à cause de ce qu'ils appellent le changement, mais cela aussi est une illusion. Tout ce qui a été, est et sera existe simultanément."

Lovecraft, A travers les portes de la clef d'argent, Chapitre 5.

Ces phrases très étranges semblent se rapprocher étonnamment de ce que dit Spinoza à propos de l'infinité des attributs et de la conception imaginaire que nous avons du temps.

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Messagepar jackpack96 » 22 févr. 2012, 21:10

Salut,

Pour ma part, je crois que vos propos ne sont pas hors sujet. En effet moi aussi j'aime beaucoup Lovecraft et Spinoza ; et surtout je reconnais leurs héritages massives et fondamentales, chacun dans leur domaine respective.

Sinon, juste un petit mot plus trenchant. En effet, il faut tout simplement dire que quoiqu'ils existent des entités aux plusieurs dimensions ou non, de toute façon ils ne peuvent pas avoir un effet sur nous. Spinoza est très net sur ce point. Nous sommes des choses materielles et mentales. Une chose mentale ne peut être que l'effet d'une autre chose mentale, et une chose materielle ne peut être que l'effet d'une autre chose materielle. Ces deux attributs se conçoivent par leurs puissances seules. Ça c'est notre réalité. Alors, imaginons pour l'argument une dimension 3, ni l'étendu ni la pensée. Spinoza dit d'accord, c'est tout simplement nécessaire qu'il y en a encore des dimensions, car Dieu ne s'épuise pas l'infinité de ses attributs. Néanmoins, le stricte parallelisme des attributs, c'est-à-dire le fait que chacun se conçoit par soi et que le concept de l'un n'a aucun recours au concept de l'autre, nous oblige à admettre que donnée dimension 3 ou non, la réalité de cette autre dimension est irréelle pour des choses materielles et mentales comme nous.

Enfin, selon la seule Axiome de la Partie 4 de l'Éthique il y a nécessairement dans l'univers des choses beaucoup plus fortes que nous.

J'espère tout cela paraît clair.

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Messagepar Shub-Niggurath » 23 févr. 2012, 15:03

Merci pour votre réponse très claire. J'ajouterais seulement ceci : il est fort possible que des entités bien plus puissantes que l'homme existent dans l'univers infini, dans les mêmes dimensions que nous, à savoir la matière et la pensée, et aussi, en plus, dans d'autres dimensions que nous ignorons. Et donc elles pourraient tout à fait entrer en interaction avec nous, et nous traiter comme bon leur semble. Cela n'est-il pas terrifiant ?

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Messagepar hokousai » 26 févr. 2012, 06:04

à Shub et Jack

Le monde infini et éternel de Spinoza n'offre-t-il pas la place pour des entités existant dans plusieurs dimensions hors celle de la matière et de la pensée ?


Spinoza a -t-il démontré que <b>nous</b> n'existions que sous deux attributs ?


Etant donnée la dimension 3 , la réalité de cette autre dimension est réelle pour des choses materielles et mentales et de dimension 3.

Si nous participons de la dimension 3 <b>sans en avoir conscience </b> l'ordre des enchainements dans la dimension 3 sont les mêmes que l ordre et l'enchaînement dans les dimensions 1 et 2.

la réalité de cette autre dimension est irréelle pour des choses materielles et mentales comme nous

Si seule la conscience d' exister dans 1 et 2 fait la différence, il un problème.
Un problème de réalité . Car quel est le statut ontologique de cette réalité qui est irréelle pour nous ?

Si cette réalité est irréelle pour nous mais réelle pour d'autres quel est le statut de<b> LA </b>REALITE ?

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Messagepar bardamu » 26 févr. 2012, 14:25

Shub-Niggurath a écrit :Merci pour votre réponse très claire. J'ajouterais seulement ceci : il est fort possible que des entités bien plus puissantes que l'homme existent dans l'univers infini, dans les mêmes dimensions que nous, à savoir la matière et la pensée, et aussi, en plus, dans d'autres dimensions que nous ignorons. Et donc elles pourraient tout à fait entrer en interaction avec nous, et nous traiter comme bon leur semble. Cela n'est-il pas terrifiant ?

Bonjour,
pourquoi "fort possible" ?
Qu'il y ait des forces dépassant les nôtres et qui in fine nous détruirons, c'est certain. Qu'elles aient la forme des chimères de notre imagination, c'est donner bien du pouvoir à celle-ci.

Mais si il y a un rapport entre Lovecraft et Spinoza, je le verrais sans doute dans cette vision d'une nature dont l'exubérance dépasse nos satisfactions esthétiques.

Suite à la lettre 32 où Spinoza expose sa conception de la composition de la nature, Oldenburg répond : "Je ne comprends cependant pas très bien comment nous pouvons exclure de la nature, comme vous semblez le faire, l'ordre et la symétrie. Vous-même ne reconnaissez-vous pas que tous les corps s'entourent les uns les autres et se déterminent mutuellement tant à exister qu'à agir dans des conditions arrêtées et immuables, un rapport constant subsistant, si on les considère tous ensemble, entre le mouvement et le repos, et n'est-ce point là le caractère formel de l'ordre véritable ?".
Et en fait, Spinoza récuse les pensées du type "harmonie des sphères", la limitation de la puissance de la nature a des représentations qui se conforment à nos facilités d'imagination. L'exemple biologique que prend Spinoza, cette vie d'un ver dans le sang, exprime un monde bouillonnant dont l'ordre nécessaire est bien plus riche que quelques symétries, figures et équations. Le stable, le constant, la répétition, ne sont pas fondés sur une architecture transcendante mais sur les nécessités qu'imposent l'idée d'un univers plein, d'un continu, d'un arrangement nécessaire par contact, frottement, de proche en proche, sans trou, sans vide.

De même, chez Lovecraft, le monde "civilisé" est posé sur un univers grouillant menaçant de détruire sa belle harmonie. Lovecraft fait de ce grouillement un objet de peur, traduisant sans doute ses propres craintes et celle de nombre de gens, mais Spinoza ne me semble pas dans cet état d'esprit : notre esprit est dans cette "infinité de choses infiniment modifiées" et peut la maîtriser de manière adéquate à notre vie, il n'y a pas à en avoir peur. Dans les histoires de Lovecraft, Spinoza serait peut-être plus proche de ces sorciers qui acquiert une science de l'occulte que des personnages "civilisés" dont la raison vacille face à l'innommable, qui sombrent dans la folie ou se font engloutir par un monstre baveux.
L'honnête homme de Nouvelle-Angleterre ne supporte pas l'irruption du "déraisonnable", de ce qui sort de son univers bien rangé, là où un Spinoza pourrait y trouver une excitation intellectuelle. Quel que soit le mode de fonctionnement du grand Cthulhu, il n'a rien de surnaturel, on peut l'étudier, et ce serait un sujet pour le moins exceptionnel. Au demeurant, les physiciens ne sont pas loin de cette mentalité quand ils se disent que ce serait pas mal que le LHC puisse créer des mini trous noirs. Et d'autres paniquent à cette idée, se mettent à imaginer la Terre engloutie par les mini trous noirs, sans doute parce qu'ils ne connaissent pas le sujet et se laissent emporter par leur imaginaire.

P.S. : si les fans de Lovecraft allaient au-delà du plaisir de se faire peur, si ils croyaient vraiment, ils devraient sponsoriser une expédition pour expliquer le "bloop", ce son étrange repéré dans le Pacifique, non loin de la mythique R'lyeh. Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn... :twisted:

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Messagepar hokousai » 26 févr. 2012, 17:58

Le bacille de la peste parut un temps bien plus puissant que l' homme. Une toute petite "chose" pourtant.
Une petite chose parfaite considérée en elle même, destructrice du point de vue de l' homme.
Comment en apprécier <b> objectivement </b> la puissance?

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Messagepar Shub-Niggurath » 26 févr. 2012, 21:22

La question des maladies infectieuses n'est pas soulevée par Lovecraft, à la différence d'Edgar Poe qui y fait allusions dans Le masque de la mort rouge et Le roi peste. Ces maladies ont en effet la puissance de détruire le corps humain. Je ne crois pas que Spinoza à son époque ait eu connaissance de ces êtres naturels, qui ne furent découverts qu'au XIXe siècle. Lui-même était atteint d'une maladie pulmonaire, probablement la tuberculose, qui est également une maladie infectieuse.

La question de savoir si ces êtres ont une puissance égale ou non à celle de l'homme est absurde, car ce n'est qu'à cause de leur multiplication dans l'organisme humain qu'elles peuvent développer leur puissance destructrice. Ainsi un seul de ces êtres n'a qu'une puissance infime, mais par leur génération continuelle et rapide, elles peuvent envahir le corps humain au point de le détruire. Ainsi un seul de ces être comparé à la puissance de l'homme sera infinitésimale, mais un très grand nombre d'entre eux aura une puissance égale ou supérieure à celle de l'homme infecté.

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Messagepar hokousai » 26 févr. 2012, 21:48

à Shub N

Dans ce cas parlez d' essence de population et de degrés de puissance( ou degrés d autre chose ) entre des individus et des populations d individus.

Mais ces bacilles ( en grands nombre ) dans l'organisme d'un chien ne sont pas mortels.
Un chien va donc donner une autre appréciation sur la puissance des bacilles de la peste.
Est -ce que le curare est plus puissant dans la nature que l'animal ?
Est- ce qu'un animal est plus puissant qu'une plante ?
Spinoza devait savoir l' existence de champignons vénéneux . Est-ce que l'essence de l' amanite phalloïde est plus éminente que celle de l 'homme ?

Je cherche à savoir comment vous établissez des degrés d' éminence entre les essences ( fussent -elles singulières ).

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Messagepar hokousai » 26 févr. 2012, 23:50

je reviens sur la question:<b>Spinoza a -t-il démontré que nous n'existions que sous deux attributs ?</b>
pas très evident !!

En fait Spinoza a rencontré la question dans sa correspondance avec Tschirnhaus .(T pose une question assez proche )

Spinoza répond que l'infinité d' idées ( idées /coprs est un exemple ) ne peuvent pas entrer dans dans la composition <b>d'une seule âme</b> ( lettre 66)
Spinoza ne démontre pas que l' âme (une âme) NE puise être l'idée du corps ET de l'expression d 1 autre attribut ou de 2 autres ou plus )

Sauf qu'il rappele que les idées se rapportant à des attributs <b>différents</b> n' ont aucune connexion entre elles .

Certes mais il faut pourtant admettre que entre l'attribut pensée et l'attribut étendue il ya une certaine forme de connexion.

La remarque souvent formulée est que l'attribut pensée a une prééminence chez Spinoza ( un statut à part des autres attribut )

Ce qui nous donne des âmes ayant des idées d' un seul autre attribut que la pensée ( donc l'esprit humain, par exemple, idée du corps )
et des âmes n' ayant l'idée de l'expression que d'un troisième attribut, puis encore d'autres pour un quatrième..... à l'infini .


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