Connaissance du troisième genre et hypnose

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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Re: Connaissance du troisième genre et hypnose

Messagepar Vanleers » 23 sept. 2014, 14:56

L’hypnotisé est-il nécessairement passif ?
Répondre par l’affirmative serait confondre hypnose et suggestion comme le dénonce François Roustang (Feuilles oubliées, feuilles retrouvées p. 87). Il lui apparaît au contraire que l’hypnose est une hypervigilance :

« C’est donc une vigilance modifiée. Elle réside essentiellement dans le fait que cet état est une mise entre parenthèses de l’intentionnalité qui caractérise la veille intégrale. Nous nous refusons dans cet état à guider nos sentiments, nos images et nos pensées, nous sommes seulement soumis à celles qui nous arrivent d’un autre lieu que celui de la conscience, de l’entendement ou de la raison. Sauf dans des états d’hypnose profonde, nous pouvons ne pas y perdre totalement conscience, mais cette conscience restera uniquement une conscience observante. Elle a le seul pouvoir d’enregistrer les faits dont nous sommes le théâtre.
Cette non-intentionnalité peut faire comprendre que nous soyons sensibles aux suggestions. Mais cela ne veut pas dire du tout que cet état hypnotique nous fasse entrer dans la pure passivité. […] Cette part non intentionnelle de l’hypnotisé, que j’appelle l’animalité humaine, réagit sans cesse à sa manière en fonction de son histoire, de ses préoccupations présentes et de ses projets. En ce sens, cette part n’est suggestible qu’en fonction de ce qu’elle est, de ce qu’elle désire, de ce qu’elle cherche à obtenir. » (ibid. pp. 89-90)

Selon Spinoza, nous sommes actifs lorsque nous sommes cause adéquate de ce qui se fait en nous ou hors de nous, c’est-à-dire qui peut se comprendre clairement et distinctement par notre nature seule. (E III déf. 2)

F. Roustang indique ci-dessus que les réactions de l’hypnotisé s’expliquent par sa nature et il ajoute même :

« Après tout, l’être humain est peut-être beaucoup plus facile à persuader dans sa part consciente que dans celle inconsciente qui représente toutes les forces dont un individu est constitué. »

Paradoxalement, nous pourrions être plus actifs, au sens de Spinoza, dans l’état hypnotique où nous nous appuyons sur le roc individualisé de notre « animalité humaine » que dans l’état de veille.

Il s’agit, en effet, dans l’hypnose, de laisser advenir des ressources nouvelles que nous avons exclues dans le souci illusoire d’une maîtrise qui « suppose que nous nous en tenions aux quelques paramètres qu’une conscience peut se soumettre ». (ibid. p. 93)

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Re: Connaissance du troisième genre et hypnose

Messagepar Vanleers » 24 sept. 2014, 15:30

Un mot encore, peut-être le mot de la fin pour ce fil.
Dans une note de bas de page, François Roustang écrit :

« Le jeu pourrait bien être une définition de l’hypnose. La transe donne du jeu, de l’espace, parce qu’elle sort des limitations et des rigidités de l’actuel. Elle est un jeu parce qu’elle brasse des possibilités en tout sens. Elle est encore un jeu par sa gratuité. Elle l’est bien plus parce que, pour l’effectuer, il faut n’en connaître ni le moyen ni le but. » (Savoir attendre p. 216)

De l’Ethique considérée, elle aussi, comme un jeu…et même le Grand Jeu !

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Re: Connaissance du troisième genre et hypnose

Messagepar Vanleers » 27 sept. 2014, 15:04

Dans un message précédent, nous écrivions que l’hypnose mettait en œuvre certains pouvoirs du corps peu ou mal connus et nous citions un extrait du scolie d’E III 2 dans lequel Spinoza écrit « […] ce que peut le Corps, personne jusqu’à présent ne l’a déterminé »

Quels sont les pouvoirs du corps, peu ou mal connus, que l’hypnose met en œuvre ?
Nous nous contenterons ici d’esquisser une réponse possible en rappelant d’abord les définitions de la mémoire et de l’imagination que Spinoza donne dans l’Ethique car elles ont un rapport direct avec le corps.

« Par là nous comprenons clairement ce qu’est la Mémoire. Ce n’est en effet rien d’autre qu’un certain enchaînement d’idées qui enveloppe la nature des choses qui sont à l’extérieur du Corps humain, enchaînement qui se fait dans l’Esprit suivant l’ordre et l’enchaînement des affections du Corps humain. » (E II 18 sc.)

« En outre, et pour conserver les mots en usage, les affections du Corps humain dont les idées représentent les corps extérieurs comme étant en notre présence, nous les appellerons les images des choses, quoiqu’elles ne rendent pas les figures des choses. Et quand l’Esprit contemple les corps de cette façon, nous dirons qu’il imagine. » (E II 17 sc.)

Nous suggérons que, dans la situation hypnotique, la mémoire s’auto-réorganise, l’imagination ayant été libérée par la suspension de la conscience intentionnelle. En d’autres termes, la situation hypnotique met la mémoire en capacité de procéder à de nouveaux arrangements des enchaînements « d’idées qui enveloppe[nt] la nature des choses qui sont à l’extérieur du Corps humain ».

C’est cette capacité d’auto-réorganisation de la mémoire dans la situation hypnotique (à laquelle correspond une capacité d’auto-réorganisation de l’esprit) qui constituerait le pouvoir du corps que l’hypnose met en œuvre.

Pour reprendre l’expression de Jean François Billeter, dans la situation hypnotique, l’imagination, libérée de la conscience intentionnelle, est une imagination « opérante », différente de l’imagination habituelle.
Spinoza distingue, lui aussi, deux sortes d’imagination, selon que « nous imaginons simplement » (simpliciter imaginamur) (E V 5 dém.) ou que « nous imaginons plus distinctement et avec davantage d’énergie » (distinctius et magis vivide imaginamur) (E V 6 sc.)

Ajoutons cet extrait du commentaire du scolie d’E II 17 par Pierre Macherey :
« Ainsi surtout est annoncée la déconcertante réhabilitation de l’imagination à laquelle procéderont les vingt premières propositions de la cinquième partie de l’Ethique, en la présentant comme un moyen particulièrement efficace dans le cadre d’une thérapeutique de la vie affective, et en développant le programme d’un art d’imaginer dont la mise en œuvre constitue une pièce essentielle du projet éthique de libération. » (p. 186)

L’imagination, connaissance du premier genre, est une connaissance temporelle liée à l’existence du corps dans le temps (E V 21 et 29 sc.).
Il est intéressant de remarquer, avec P. Macherey, que

« […] la mémoire n’est pas dépendante de la conscience de la durée, qu’elle précède et même prépare, car son processus s’effectue non pas dans le temps mais dans l’espace, proprement en rapport avec la configuration spatiale du corps qui fixe une fois pour toutes en les enregistrant toutes les traces de son histoire passée : c’est la mémoire spontanée liée, au présent, à l’exercice de la perception qui permet de comprendre comment se construit, par une sorte de projection rétrospective, et en rapport avec la vie du corps, la représentation de la durée. Et ainsi le temps passé, qui n’est jamais complètement perdu, se révèle, si l’on retourne cet effet de perspective, n’être que du temps retrouvé. » (Commentaire d’E II 18 sc. p. 189)
Modifié en dernier par Vanleers le 27 sept. 2014, 15:09, modifié 1 fois.

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Re: Connaissance du troisième genre et hypnose

Messagepar Miam » 28 sept. 2014, 15:08

Salut à tous,

Je suis bien d'accord avec les citations rapportées par Van Leers. En revanche, j'ai quelques réserves à émettre sur sa tentative d'identifier ce que Spinoza nomme "imagination libre" avec ce que Van Leers appelle "hypnose".

D'une part, l'"imagination libre" de II 17s ne consiste pas en une suspension du jugement. Spinoza critique cette idée (cartésienne) d'une suspension du jugement en II 49 scolie. Or ce n'est pas de l'hypnose dont il est alors question mais du doute cartésien.

Plus : la possibilité de suspendre son jugement est tout simplement niée par Spinoza. Affirmer l'existence d'une chose, c'est affirmer sa présence : c'est représenter la chose extérieure comme présente (II 17s et II 49s). Percevoir un cheval volant, c’est affirmer qu’un cheval a des ailes (II 49s). C’est là la manifestation de l’essence du Mental qui est d’affirmer l'existence actuelle du Corps dont il est l’idée.
L’imagination libre ne pourra donc consister en une suspension du jugement comme si la volonté pouvait être retirée à la représentation (comme le fait Descartes) mais via une idée supplémentaire niant l’existence de la chose comme telle.

« Nous éprouvons cela tous les jours dans notre sommeil et je ne pense pas que quiconque croit, durant qu'il rève, avoir le libre pouvoir de suspendre son jugement sur ce qu'il rève et faire qu'il ne rève pas ce qu'il rève; et néanmoins il arrive que même dans le sommeil, nous suspendions notre jugement, c'est à dire que nous rêvons que nous rêvons. J'accorde maintenant que nul ne se trompe lorsqu'il perçoit c'est à dire que les imaginations du Mental considérées en elles-mêmes n'enveloppent aucune sorte d'erreur (voir le scolie de la prop. 17), mais je nie qu'un homme n'affirme rien tant qu'il perçoit. Qu’est-ce donc en effet que percevoir un cheval ailé sinon affirmer qu’un cheval a des ailes ? (Quid est equatum alatum percipere, quam alas de aequo affirmare ?) Si le Mental en dehors du cheval ailé ne percevait rien d'autre elle le considérerait comme lui étant présent et n'aurait nul motif de douter de son existence et aucune faculté de ne pas assentir à moins que l'imagination du cheval ailé ne soit jointe (juncta) à une idée excluant l'existence de ce même cheval ou que le Mental ne perçoive que l'idée qu'elle a du cheval est inadéquate et alors elle niera nécessairement l'existence de ce cheval (NDR : cela veut dire qu'il a une notion commune qui exclue l'existence du cheval) ou bien elle en doutera nécessairement (NDR : fluctuatio animi entre deux idées d'affections) ».

L’imagination libre ne consiste donc pas en une idée en moins, mais en une idée en plus. Quelle est cette idée ? C’est une idée assez vive pour supprimer et/ou intégrer l’idée d’un cheval volant : par exemple l’idée d’une sculpture ou d’un automate ou d’une illustration en papier (et à ce moment le cheval volant existe comme tel : sculpture, automate ou illustration). C’est une idée assez forte pour intégrer la notion d’existence que l’on accorde à ce que nous rendons présents.

Rappelons-nous que II 17 fait commencer la pensée par l'hallucination qui représente comme présent (et donc comme existant en ce sens).
Rappelons-nous également que le souvenir en II 18 est fondé sur la simultanéité de deux affections une seule fois (semel) et que la fin du scolie de II 18 (à séparer de la première partie toujours dépendante de cette simultanéité) élargit la cause du souvenir non plus seulement à la simple simultanéité temporelle sans "rien de commun" une seule fois (semel), mais à la contiguïté spatiale voir la ressemblance conduite par l'adverbe souvent (saepe), ce qui suppose une image commune soit comme "trait de ressemblance" soit comme cadre commun dans lequel il y a contiguïté de deux images.

Maintenant lisons les propositions 11 à 14 de la partie V de l'Ethique où l'imagination est utilisée à l'inverse pour entraîner le Mental à ne considérer que les idées claires et distinctes, c'est à dire les propriétés communes des choses qui, selon ma lecture, suivent des idées adéquates que sont les notions communes. On y retrouve les adverbes saepe (traduit cette fois par "fréquemment") et simul mais, pour ainsi dire, dans l'ordre inverse de II 18 et de II 18s. Dans la partie II, on est passé de la simultanéité temporelle à la contiguïté spatiale et, de là à l’adverbe « souvent » (saepe). A présent, c’est la fréquence des idées claires et distinctes qui nous permet d’appréhender les propriétés communes que l’on considère en même temps que les choses étendues.

L’idée d’existence nous permet de dérouler l’imagination pour ainsi dire, à l’envers. Je ne peux imaginer un cheval volant sans affirmer qu’un cheval a des ailes. Et si dans un deuxième temps je peux nier qu’un tel cheval existe, c’est par une idée supplémentaire. Quelle est cette idée, cette idée de l’existence, c’est l’idée de Dieu. En témoignent les usages répétés de « referuntur » (se rapportent) dans la cinquième partie, (les propriétés communes sont les images se rapportant aux choses connues clairement et distinctement) et la proposition V 14 qui conclut : « Le Mental peut faire en sorte que toutes les affections du Corps, c'est-à-dire toutes les images des choses, se rapportent à l’idée de Dieu (Dei ideam referantur) », rappelant le « refertur » (être rapporté) du Mental à Dieu via l’idée de Dieu de la partie II.

L’imagination libre, c’est l’imagination (la puissance de penser) + l’idée de Dieu. Non pas de tel ou tel dieu, mais du fait que mon idée n’est pas nécessairement adéquate, que ce n’est pas mon idée, mais une idée de Dieu qu’il m’incombe de la replacer dans l’ordre des raisons. Et cela vaut pour toute idée, fût-elle celle du cheval volant. Cette idée de Dieu, c’est l’idée du commun, mais sous la forme d’idées claires et distinctes, c'est-à-dire d’idées de la raison nées de notions communes.

Tels sont, à mon avis les données de base de la notion d’ « imagination libre » : elle rassemble le commun mais en une temporalité qui inverse la temporalité forgée par l’imagination jusqu’à cette idée de présence absolue, qu’elle soit celle de l’idée de Dieu ou des idées claires et distinctes. Il faut noter que le verbe jungere (juguntur, juncta) utilisé ici est d’origine cartésienne. Il s’agit des « notions simples » cartésiennes qui sont, pour Spinoza, à l’intersection de l’imagination et de la raison, des « propriétés communes ». N’oublions pas non plus l'"imagination distincte" de II 40s1 et la "faculté infinie de sentir, de penser, de concevoir ou de percevoir une infinité de corps, c'est à dire la puissance de l'imagination de percevoir une infinité de choses non pas dans l'instant (simul) (car nos corps et mentaux sont composés au moins en surface d'un "grand nombre" fini de parties) mais "l'une après l'autre" (II 49s) et l'importance de cette faculté pour appréhender des notions communes (Plus le Mental humain est apte à percevoir un très grand nombre de choses d’autant plus son corps peut être disposé d’un plus grand nombre de manières II 14 (venant de II L3,6 et II 12, II 13S) et II 39C idem mental corps idées claires et distinctes – (notions) communes du corps avec autres corps. Dans tous les cas, l'imagination libre semble joindre le plus grand nombre images successives à des idées claires et distinctes communes, c'est à dire permanentes, comme le sont la forme ou le mouvement et les autres natures communes et simples pour Descartes. Ce qui nous éloigne d'autant de l'hypnose.

MIAM

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Re: Connaissance du troisième genre et hypnose

Messagepar Vanleers » 28 sept. 2014, 17:28

A Miam

Je n’ai pas parlé d’« imagination libre » mais d’imagination libérée par la suspension de la conscience intentionnelle.

Je cite à nouveau Jean François Billeter qui définit l’hypnose comme « l’ensemble des régimes d’activité dans lesquels la conscience, bien qu’éveillée, s’abstient d’interférer avec l’activité spontanée du corps » (Etudes sur Tchouang Tseu p. 248 – Allia 2004)
Il écrit :

« Mon point de départ a été la découverte de l’“arrêt”, c’est-à-dire de l’acte par lequel nous pouvons, si nous le voulons, suspendre toute activité intentionnelle » (ibid p. 236)

Prenant l’exemple de la méditation de Tseu-ts’i, il écrit :

« Elle a pour point de départ un acte absolument simple : s’arrêter, cesser de courir après quoi que ce soit, suspendre non pas toute activité consciente, mais toute activité consciente intentionnelle. » (ibid. p. 129)

François Roustang, hypnothérapeute, confirme ce point de vue.

A mon point de vue, Spinoza dénie l’existence d’une imagination libre. Du moins, c’est comme cela que je comprends la fin du scolie d’E II 17 :

« […] surtout si cette faculté d’imaginer dépendait de sa seule nature, c’est-à-dire (par la Défin. 7 p. 1) si cette faculté qu’a l’Esprit d’imaginer était libre. »

Bien à vous

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Re: Connaissance du troisième genre et hypnose

Messagepar Vanleers » 29 sept. 2014, 09:25

Commentant la fin du scolie d’E II 17, Pierre Macherey écrit :

« […] dans les dernières lignes du scolie de la proposition 17, Spinoza explique, en référence à la définition 7 du de Deo, que l’imagination, dont le travail met en œuvre des mécanismes bien précis, qui sont déterminés par la nature de l’âme, n’agit certainement pas à la manière d’une chose ou d’une cause libre, ce dont il serait insensé de lui faire le reproche, comme si l’âme pouvait spontanément voir les choses d’une autre manière qu’elle ne le fait en suivant les règles de l’imagination. » (p. 186)

Ces mécanismes de l’imagination auxquels, en joignant les scolies d’E II 17 et 18, il faut relier les mécanismes de la mémoire, nous sont largement inconnus.
Nous avons émis l’idée que, dans cette situation très particulière qu’est la situation hypnotique, ces mécanismes produisaient une certaine auto-réorganisation de la mémoire.
En d’autres lieux, on parlerait de plasticité du cerveau, ce qui serait insuffisant. Spinoza définit en effet la mémoire, à la fois comme un enchaînement d’images (traces corporelles) et comme un enchaînement d’idées de ces images.
On s’étonnera alors peut-être de ce que l’on parle de mécanismes ou d’automatismes à propos de l’esprit.
Ce serait oublier que Spinoza conçoit l’esprit sur le modèle du corps et qu’il a parlé explicitement d’automatisme spirituel :

« C’est cela même qu’ont dit les Anciens, à savoir que la vraie science procède de la cause aux effets ; si ce n’est que jamais, que je sache, ils n’ont conçu, comme nous ici, l’âme agissant selon des lois précises, et telle qu’une sorte d’automate spirituel. » (TRE § 85)

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Re: Connaissance du troisième genre et hypnose

Messagepar hokousai » 29 sept. 2014, 22:41

« C’est cela même qu’ont dit les Anciens, à savoir que la vraie science procède de la cause aux effets ; si ce n’est que jamais, que je sache, ils n’ont conçu, comme nous ici, l’âme agissant selon des lois précises, et telle qu’une sorte d’automate spirituel. » (TRE § 85)


le texte latin( TRE 85) contient un hapax "automa " qu'on traduit par "automate"
ce qui est discutable .

automata est réservé aux gens dépourvus d' esprit(TRE 47)

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Re: Connaissance du troisième genre et hypnose

Messagepar Vanleers » 02 oct. 2014, 14:19

Toute l’Ethique ne vaudrait pas une heure de peine si elle ne nous rendait pas, sinon heureux, du moins plus heureux.
En quoi consiste le bonheur selon Spinoza ?
Le sage que décrit la cinquième partie de l’Ethique connaît la béatitude, c’est-à-dire vit dans l’acquiescentia, autre nom de la béatitude.
Il a déjà été question de l’acquiescentia dans les parties III et IV sous la forme de l’acquiescentia in se ipso qui, en particulier, fait l’objet de la proposition E IV 52 dont le scolie commence ainsi :

« En vérité, la satisfaction de soi [acquiescentia in se ipso] est ce que nous pouvons espérer de plus haut. »

Il ne s’agit pas de n’importe quelle satisfaction de soi mais, précise la proposition, de celle qui prend sa source dans la raison.
Pourquoi cet affect est-il ce que nous pouvons espérer de plus haut ?
Parce que, explique Pierre Macherey, « sur le plan de la vie affective concrète, il demeure […] le meilleur représentant du conatus, c’est-à-dire de l’élan qui porte l’individu à persévérer indéfiniment dans son être. » (Introduction… IV p. 294)

Traduisant le latin par « assurance en soi-même », il explique le passage de l’acquiescentia in se ipso à l’acquiescentia tout court :

« Et le fait que l’assurance en soi-même prenne ainsi sa source dans la raison confère à cet affect, qui tend alors à prendre la forme épurée de l’acquiescentia tout court, c’est-à-dire d’un sentiment d’apaisement généralisé ayant son objet en lui-même, indépendamment de la référence à quoi que ce soit d’autre, y compris à « soi-même » (se ipse), une intensité à nulle autre pareille. » (p. 291)

Il écrit aussi :

« C’est donc seulement dans le cas où, par l’entremise de l’intellect, l’acquiescentia in se ipso se transforme en acquiescentia qu’elle parvient à se délivrer de la référence hallucinatoire à une identité personnelle confirmée par les mécanismes de la reconnaissance mimétique : alors est rendue possible, du fait de cette dépersonnalisation, une complète rationalisation de la vie affective à travers laquelle s’accompagne le cycle de la libération. » (p. 294)

Dans la première moitié de la cinquième partie de l’Ethique, la « rationalisation de la vie affective » prend la forme particulière d’une rationalisation de l’imagination car Spinoza y prend en considération l’être humain « durant le corps ». Ce ne sera plus le cas dans la deuxième moitié de cette partie où Spinoza étudiera « l’esprit en tant qu’on le considère sans relation à l’existence du corps » (E V 40 sc.)

Commentant le scolie d’E V 20, P. Macherey écrit à propos de l’amour envers Dieu (amor erga Deum) et, concomitamment, de la rationalisation de l’imagination :

« Cet affect reste indissociable des procédures de l’imagination, dont il réaménage les démarches dans le sens d’une rationalisation croissante de celles-ci : l’âme est ainsi mise en situation, au lieu d’imaginer bêtement et simplement, d’imaginer de plus en plus intelligemment, jusqu’au point où elle conjugue toutes les images de choses, et les affects qui leur sont associés, avec l’idée de Dieu, à laquelle elle associe un affect spécifique, qui est l’amour envers Dieu. » (Introduction… V p. 113)

Nous rapprocherons la rationalisation de l’imagination selon Spinoza de ce que dit François Roustang :

« Si l’état hypnotique peut, dans certains cas, permettre la guérison, c’est qu’il fait cesser la rigidité et l’exclusion produites par la fixation du conscient sur un seul trait. » (Feuilles oubliées, feuilles retrouvées pp. 92-93)

Mais la « fixation du conscient sur un seul trait, c’est ce que Spinoza appelle l’admiration :

« L’admiration est l’imagination d’une chose en quoi l’esprit reste fixé parce que cette imagination singulière n’est aucunement enchaînée aux autres » (E III définition des affects 4).

Bien que Spinoza ne range pas l’admiration au nombre des affects (cf. l’explication qui suit la définition précitée), il est clair que la raison, qui procède par notions communes, s’y oppose directement. Nous sommes bien ici dans le cadre spinoziste de la rationalisation des procédures de l’imagination.
La question est alors de savoir si l’hypnose, comme le soutient F. Roustang, peut, dans certains cas, avoir le même effet, c’est-à-dire sortir le patient de sa fixation sur un seul trait, autrement dit de ce mécanisme singulier de l’imagination qu’est l’admiration.
Si efficacité il y a, elle ne peut se constater qu’expérimentalement.

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Re: Connaissance du troisième genre et hypnose

Messagepar Vanleers » 04 oct. 2014, 20:05

Spinoza qui, dans l’Ethique, a déjà employé la notion d’« admiration » (admiratio) en E II 40 sc. 1 et E III sc., la définit en E III 52 sc.
La proposition elle-même démontre que :

« Un objet que nous avons déjà vu en même temps que d’autres, ou bien que nous imaginons n’avoir rien qui ne soit commun à plusieurs, nous ne le contemplerons pas aussi longtemps que celui que nous imaginons avoir quelque chose de singulier. »

Pierre Macherey commente :

« […] un objet que nous considérons isolément, détaché de tout contexte, frappe davantage notre imagination qu’un objet que nous associons à d’autres ou que nous replaçons dans le cadre d’un ensemble plus large où sa singularité tend à s’estomper. » (Introduction… III pp. 321-322)

Spinoza indique au début du scolie que :

« Cette affection de l’esprit, ou imagination de chose singulière en tant qu’elle se trouve toute seule dans l’esprit, s’appelle admiration […] »

Spinoza utilise ici le latin « affectio » pour signifier que l’admiration n’est pas un affect (Spinoza définit ce qu’il entend par affect en E III déf. 3), ce qu’il développera dans l’explication qui suit E III définition des affects 4.
Bien que l’admiration ne soit pas un affect, elle joue un rôle important dans la vie affective lorsqu’elle est rattachée à autre chose, en particulier à un affect :
- rattachée à la crainte, on aura l’affolement (consternatio)
- rattachée à la colère ou à l’envie, on aura l’épouvante (horror)

Dans la suite du scolie, Spinoza explique que le mépris (contemptus) est l’inverse de l’admiration (une admiration négative). Comme l’admiration, le mépris joue un rôle important dans la vie affective lorsqu’il est rattaché à autre chose :
- rattaché à la considération de la sottise de quelqu’un, ce sera le dédain (dedignatio)
- rattaché à la haine ou à la crainte, ce sera le sarcasme (irrisio)
« Ce sentiment est une joie particulièrement trouble et équivoque, puisqu’elle correspond au fait de se représenter les bonnes raisons que l’on peut avoir de mépriser une personne qu’on a en aversion, ce qui confirme la valeur de ce dernier sentiment en lui donnant une apparence de justification. » (P. Macherey p. 300)

L’admiration (et le mépris aussi) renforce les passions, en particulier certaines passions tristes, mais, « normalement », ce renforcement ne sera que momentané car, selon Spinoza, l’admiration est une distraction accidentelle de l’esprit :

« […] cette distraction de l’esprit ne naît d’aucune cause positive qui distrairait l’esprit des autres choses, mais seulement de ce que manque la cause qui fait que l’esprit, par suite de la contemplation d’une chose, est déterminée à penser à d’autres. » (E III définition des affects 4 – explication)

C’est parce que certains mécanismes de la mémoire sont provisoirement suspendus et qu’est rompu momentanément l’enchaînement des représentations que nous restons fixés sur une chose détachée alors de tout contexte.
Ce n’est que lorsque ces pannes sont fréquentes, systématiques dans telle ou telle situation vécue ou durent longtemps qu’elles deviennent problématiques.

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Re: Connaissance du troisième genre et hypnose

Messagepar Vanleers » 05 oct. 2014, 16:43

Le sujet de ce fil s’intitule, rappelons-le, « Connaissance du troisième genre et hypnose ».
La connaissance du troisième genre et l’hypnose consistent toutes les deux en un recadrage, ce dernier étant défini comme suit :

« Recadrer, c’est trouver un nouveau cadre à une expérience, changer le contexte conceptuel et/ou émotionnel. Avec le recadrage, il y a changement, même quand la situation demeure inchangée. »

Tout d’abord, la connaissance du troisième genre est un recadrage ontologique qui se fonde sur l’idée de notre insertion en Dieu et l’amour correspondant.
Ce recadrage est déjà amorcé au début de la cinquième partie de l’Ethique, par exemple avec la proposition E V 2 où il s’agit d’éloigner d’un affect l’idée d’une cause extérieure et de joindre à cet affect d’autres pensées.
Comme l’écrit Sylvain Zac, notre bonheur ou notre malheur dépend de notre capacité à recadrer notre situation :

« […] il n’y a qu’un seul monde où se joue notre destinée, et notre bonheur ou notre malheur provient seulement de la façon dont, grâce à notre manière de connaître les choses, nous nous y situons correctement ou non. » (L’idée de vie dans la philosophie de Spinoza p. 197 PUF 1963)

L’hypnose est elle aussi un recadrage, comme l’écrit François Roustang :

« C’est pourtant à une sagesse que nous introduit l’expérience hypnotique. Elle ne nous aveugle ni sur les malheurs ni sur les souffrances. Elle nous apprend à les recevoir avec la même distance et la même sérénité que les heurts, les réussites ou les joies. Cette autre manière d’être au monde est un lieu où nous pouvons toujours nous retirer pour donner aux événements leur place respective. Puisqu’elle est écothérapie, elle réordonne l’ensemble de nos pensées, de nos sentiments, de nos activités en fonction de la réalité multiforme et des possibilités qui nous sont offertes. Elle n’exclut rien de nos faiblesses ou de nos forces, de ce qui nous est contraire ou favorable, de ce qui nous résiste ou nous accueille. Elle nous invite à nous mouvoir à l’aise et, comme le cuisinier Ding [voir le Tchouang Tseu], à entrer dans le fonctionnement des choses, à trouver le sens par lequel les objets et les personnes doivent être traités pour le meilleur. La sagesse peut relativiser tant les maux que les bienfaits, non parce qu’elle méprise ou mésestime, mais parce qu’elle ne cesse de se situer dans l’ensemble, parce qu’elle se réfère à l’ensemble et qu’elle considère l’existence individuelle comme l’un de ses éléments. » (Feuilles oubliées, feuilles retrouvées pp. 244-245)

Il est également question de sagesse dans cet extrait d’un petit livre de Paul Hervieu : Diogène le chien (1882), que l’on peut lire en :

http://www.bmlisieux.com/litterature/he ... iogene.htm

C’est Diogène qui parle :

« O hommes athéniens, je vais vous enseigner la sagesse.
Contre votre bonheur, deux ennemis conspirent : d'abord vous-mêmes, ensuite tout le reste. Avec vous-mêmes, le mieux est d'agir comme vous l'entendez. Quant au reste, dans les rapports auxquels vous êtes soumis avec les individus, les lois et les forces naturelles, il faut vous comporter ainsi qu'il vous est possible.
Maintenant je vous quitte pour aller chercher au bois les champignons nécessaires à mon repas du soir, ô hommes athéniens. »

Il est sans doute temps maintenant, pour nous aussi, d’aller aux champignons.


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