Bouquin de Matheron introuvable

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
Yvonne
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Bouquin de Matheron introuvable

Messagepar Yvonne » 21 juil. 2015, 13:08

Bonjour amis spinozistes, au bibliothèques (j'espère) bien achalandées,
j'espère ne pas faire doublon par rapport à un autre message ailleurs sur le forum! Si c'est le cas, je m'en excuse, car je n'ai pas encore pris le temps de lire.
j'ai repris sérieusement le TTP pour faire cours dessus cette année. C'est un drôle de livre, et je ne suis pas au clair sur le statut à donner au salut par la foi. Au regard de l'Ethique, cela ne saurait être qu'une concession à la religion sur fond de réalisme, à savoir qu'on ne peut pas attendre de la majorité des hommes, a fortiori pris collectivement, qu'ils se sauvent par la raison, comme l'Ethique en montre le difficile et rare chemin. Mais cette interprétation ne me convainc qu'à moitié. Il y a l'étrange remarque du chapitre XV: la raison ne peut pas démontrer l'impossibilité de se sauver par la foi seule. Il y a aussi la positivité de l'imaginaire du prophète, qui, pour avoir l'entendement faible, sans savoir ce qu'il dit, produit du vrai. Il y a la prise en compte du fait qu'il y a une efficience propre à la vie en commun des hommes, que celle-ci a ses lois passionnelles propres, que pour penser correctement cette vie en commun et la manière de l'améliorer il faut la prendre telle qu'elle est...Bref, tout cela est un peu confus.
j'ai cherché dans la littérature secondaire. Mais en fait...il n'y a pas grand chose sur le TTP. LE bouquin à lire apparemment c'est celui de l'excellent et solidissime Matheron, Le Christ ou le salut des ignorants. Mais il est littéralement introuvable, même d'occasion, même hors de prix! Alors voilà enfin ma question: est-ce que quelqu'un l'a? Et, soyons fous, aurait la générosité soit de le prêter, soit d'en dire ici l'essentiel? Soit dit en passant, c'est tout de même scandaleux que des classiques du commentaire ne soient pas réédités. Voilà! A bientôt j'espère!

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NaOh
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Re: Bouquin de Matheron introuvable

Messagepar NaOh » 04 août 2015, 13:36

Bonjour Yvonne et bienvenue.

Malheureusement, je ne pourrai pas vous être d’un grand secours en ce qui concerne l’ouvrage de Matheron que vous recherchez. Je ne le possède pas.

En revanche, vous posez une question qui m’intéresse aussi. Si je vous comprends bien vous vous interrogez sur le statut de la foi et refusez de voir dans le traitement qu’en fait Spinoza une simple concession à l’autorité religieuse. Cela serait en effet bien étonnant compte tenu du peu de « concessions » que, par ailleurs, Spinoza fait à la Théologie dans le traité qui nous occupe.

Mais alors quel est le problème ? Comme vous l’indiquez, il semble que Spinoza accorde que les hommes peuvent se sauver par la foi seule accompagnée par les « œuvres ». Or en raison de ce que c’est que le « salut » chez Spinoza cela ne va pas sans difficulté.

Le salut en effet est conçu par lui comme une suite nécessaire de la connaissance de Dieu et de ses attributs, toutes choses qui ne sont pas demandées pour avoir simplement la foi. Celle-ci ne réclame, en matière de connaissance, que ce qui est requis pour obéir au commandement d’aimer son prochain comme soi-même.

Or ces connaissances se ramènent à une seule : « qu’il existe un être suprême qui aime la justice et la charité » laquelle, qu'on le note bien, peut être accommodée à toutes sortes d’idées confuses sur la nature de Dieu sans dommage pour l’obéissance.

La principale idée confuse à ce sujet est la conception de Dieu comme un législateur et un juge, et l’interprétation des décrets divins non comme des vérités éternelles, qui ressortissent à la nature de Dieu et à la nature des choses qui en découlent, mais comme des obligations de type juridique.

Celui donc qui obéit en raison de sa foi le fait donc comme il obéirait aux prescriptions d’un souverain, c'est-à-dire et en particulier, parce qu’il craint des maux et espère des biens, salaire de son obéissance, mais ne perçoit pas adéquatement la nature de Dieu et la nécessité même des choses, ce qui le conduirait à agir de la même façon mais cette fois sur la base d’une compréhension rationnelle de ses actes et de l’amour intellectuel de Dieu.

Celui-là, qui obéit, comment peut-il faire son salut par la seule obéissance ? En effet, il ne connaît pas la nature de Dieu et ce qui en découle, or le salut dépend normalement de cette connaissance. Comment répondre à cette question?

Bien à vous.

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Vanleers
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Re: Bouquin de Matheron introuvable

Messagepar Vanleers » 05 août 2015, 15:56

A Yvonne et NaOh

1) Il a déjà été question du livre de Matheron en :

viewtopic.php?f=11&t=1306

2) J’ai écrit ailleurs qu’il me paraissait clair que la philosophie de Spinoza était entièrement rationnelle mais à une exception près : il s’agit de la révélation principale de la Bible : « La seule obéissance à un Dieu imaginairement conçu suffit au salut ».
Or, Spinoza avoue être incapable de l’expliquer :
« Je soutiens d’une manière absolue que la lumière naturelle ne peut découvrir ce dogme fondamental de la théologie, ou du moins qu’il n’y a personne qui l’ait démontré, et conséquemment que la révélation était d’une indispensable nécessité, mais cependant que nous pouvons nous servir du jugement pour embrasser au moins avec une certitude morale ce qui a été révélé. » (TTP ch. 15)
Spinoza étend même très largement la perspective du salut au-delà des fidèles d’une religion révélée :
« Quant aux Turcs eux-mêmes et aux autres Païens, s’ils adorent Dieu par le culte de la justice et par la charité envers le prochain, ils ont l’esprit du Christ et ils sont sauvés, quelle que puisse être leur conviction sur Mahomet et les oracles du fait de leur ignorance. » (Lettre 43 à Osten)

3) J’ai cité Charles Ramond en :

viewtopic.php?f=11&t=1532

« […] l’extériorité n’est pas toujours opposée par Spinoza, loin de là, au salut et à tous les types de satisfactions qui y sont liés. Même si, comme l’a admirablement montré Alexandre Matheron, le « salut des ignorants » est un point aveugle dans la philosophie de Spinoza, c’est-à-dire un point dont la démonstrativité du système ne peut pas rendre compte, il n’en reste pas moins que l’ensemble du TTP est consacré à la reconnaissance de cette voie inattendue du salut par la « vraie vie » et par « l’obéissance », c’est-à-dire par la conformité à des comportements extérieurs : « Puisque, écrit en effet Spinoza en conclusion du chapitre XV, nous ne pouvons saisir par la lumière naturelle que la simple obéissance est un chemin de salut, puisque seule la révélation nous enseigne que cela a lieu par une grâce singulière de Dieu que notre raison ne peut comprendre, il en résulte que l’Ecriture a apporté aux mortels un grand soulagement (magnum solamen). Tous absolument peuvent obéir, en effet, alors que bien peu, comparativement à l’étendue du genre humain, parviennent à la pratique habituelle de la vertu sous la conduite de la raison. Donc si nous n’avions pas le témoignage de l’Ecriture, nous douterions du salut de presque tous les hommes. » ». (pp. 69-70)

Bien à vous

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Re: Bouquin de Matheron introuvable

Messagepar NaOh » 06 août 2015, 11:35

A Vanleers

La question peut être réduite à ce point de discussion: comment savons nous que l’obéissance, la pratique de la charité et de la justice suffisent à notre salut, c'est-à-dire dans l’esprit de Spinoza ; nous conduisent à être heureux ?

La réponse la plus immédiate est celle-ci : parce que les prophètes l’ont enseigné.

Dés lors se pose cette nouvelle question : sur quoi l’autorité des prophètes est-elle fondée, ou pourquoi devons nous croire ce que les prophètes ont enseigné ?

C’est ici qu’interviennent deux critères : la doctrine personnelle du prophète et les « signes » par lesquels cette doctrine a été confirmée. Par la « doctrine personnelle », il faut entendre le caractère d’exemplarité morale du discours et des actes du prophète. Il prêche la loi de Dieu et s’y conforme par son comportement. Ce qu’il faut entendre par les « signes » me semble en revanche plus compliqué.

Spinoza donne dans le chapitre II du TTP, une définition du signe comme « la prédiction de quelque événement sur le point de s'accomplir ». Pour remarquer aussitôt l’infériorité de la connaissance prophétique par rapport à la connaissance naturelle. Cette dernière n’enseigne en effet que des les vérités éternelles et n’a nul besoin de signe extérieur (la vérité est « index sui ») pour sa propre confirmation contrairement à la connaissance prophétique, laquelle fondée sur l’imagination qui n’emporte aucune certitude, a besoin d’une confirmation extérieure.

Quel est donc le rôle du signe ? Il est de permettre au prophète et à ceux à qui il s’adresse de vérifier que ce qu’il a imaginé est bien un décret divin et non un simple produit de sa fantaisie ou encore, dit aussi Spinoza, un délire.

La question suivante est alors : à quoi correspondent les « signes » dont parle Spinoza ? Et fournit-il une explication relative au statut du « signe » ?

Je suis perplexe face à l’affirmation que Spinoza admettrait un élément irrationnel dans la connaissance prophétique, comme le serait ici une capacité surnaturelle de prévoir l’avenir. D’un autre coté si cette prévision dépend de la puissance naturelle de connaître, on ne voit plus très bien ce qui fait la spécificité de la connaissance prophétique.

Voici en tout cas ce que dit Spinoza sur le signe prophétique :

« Puisque la certitude que les signes donnaient aux prophètes n'était pas une certitude mathématique (comme celle qui résulte de la nécessité même de la perception de la chose perçue), mais seulement morale, et que les signes n'avaient d'autre objet que de persuader le prophète, il s'ensuit que ces signes ont dû être proportionnés aux opinions et à la capacité de chacun ; de telle sorte qu'un signe qui avait rendu tel prophète parfaitement certain de sa prophétie aurait laissé dans l'incertitude tel autre prophète imbu d'opinions différentes ; et de là vient qu'il y avait pour chaque prophète un signe particulier. » ( Chapitre II)

Bien à vous.

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Re: Bouquin de Matheron introuvable

Messagepar NaOh » 06 août 2015, 13:21

J'ajoute ceci, tiré de la lettre à Pierre Balling qui pourrait peut être servir à la discussion. Dans cette lettre Spinoza semble bien s'efforcer de donner une explication rationnelle aux prémonitions. Il indique que "les effets de l’imagination ou images qui tirent leur origine de la constitution de l’âme peuvent être des présages de quelque chose future, parce que l’âme peut toujours pressentir confusément ce qui sera."

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Re: Bouquin de Matheron introuvable

Messagepar Vanleers » 06 août 2015, 17:24

A NaOh

Vous écrivez :

« La question peut être réduite à ce point de discussion: comment savons-nous que l’obéissance, la pratique de la charité et de la justice suffisent à notre salut, c'est-à-dire dans l’esprit de Spinoza ; nous conduisent à être heureux ? »

Spinoza soutient que nous ne savons pas, au sens d’une connaissance rationnelle (c’est-à-dire, d’une connaissance autre que la connaissance du premier genre) que « Les hommes sont sauvés par la seule obéissance » (TTP ch. 15).
A. Matheron procède à une analyse détaillée de cette proposition et commence par écrire :

« Dans la proposition : « Les hommes sont sauvés par la seule obéissance », deux notions sont mises en rapport : celle d’obéissance et celle de salut. Pour épuiser la question, il convient donc de déterminer les diverses significations qu’elles peuvent revêtir chez Spinoza, puis de les combiner deux à deux de toutes les façons possibles. Le mot « salut », nous allons le voir, peut être pris en deux sens : un sens fort (celui de l’Ethique) et un sens faible ; de même pour le mot « obéissance » ; ainsi obtenons-nous déjà quatre combinaisons à étudier. Mais celles-ci, à leur tour, se subdivisent. La notion de salut, qu’elle soit prise au sens fort ou au sens faible, donne lieu à une alternative : s’agit-il d’un salut en notre vie ou après la mort ? Celle d’obéissance également : pour être sauvés, nous suffit-il d’obéir individuellement à la loi divine, quoi que puissent faire par ailleurs nos semblables, ou faut-il au contraire (la question n’est pas absurde, si nous nous souvenons des promesses mosaïques) que tous les membres d’une même société obéissent collectivement ? Théoriquement, donc, seize combinaisons devraient être envisagées tour à tour. Mais nous verrons que quatre d’entre elles s’éliminent d’elles-mêmes, et que deux sont sans intérêt. Ainsi en reste-t-il dix. » (p. 150)

Suivent alors près de 60 pages où Matheron étudie les 16 combinaisons dans des paragraphes numérotés de A à P mais il est exclu que j’en parle ici.

Bien à vous


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