Ethique et méditation de pleine conscience

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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Re: Ethique et méditation de pleine conscience

Messagepar Vanleers » 24 nov. 2015, 17:22

Passé le supposé « moment sceptique » d’E V 2 auquel on pourrait rattacher la méditation de pleine conscience, il est ensuite question, dans les propositions 5 à 20 de l'Ethique, du travail de la raison appliqué à l’imagination.
C’est ce qu’évoque Fredrika Spindler dans « La connaissance : ambiguïtés de l’imagination et de la passion chez Spinoza et chez Nietzsche » en :

http://tragica.org/artigos/v7n3/spindler.pdf

L’auteur rappelle que l’imagination est un effort essentiel car :

« De même, lorsque nous considérons le rôle de l’imagination chez Spinoza, il est clair qu’elle constitue le dynamisme vital de la pensée, et qu’elle consiste véritablement dans un travail, un effort (E III 12) : l’âme s’efforce d’imaginer tout ce qui accroît la puissance du corps ; elle s’efforce aussi d’imaginer des choses qui excluent ce qui fait diminuer la puissance du corps ; aussi, elle enchaîne les images les unes après les autres dans la quête continuelle de l’épanouissement de la force du corps (E III 13, 16, 17,…) »

Toutefois, cet effort de l’imagination est, le plus souvent, déterminé par des conditions extérieures, et il n’est donc pas certain qu’il soit toujours bien orienté, que la puissance du corps en sorte véritablement accrue ou que soient imaginées des choses qui excluent réellement ce qui fait diminuer la puissance du corps.
L’intervention de la raison est donc nécessaire pour que cet effort de l’imagination soit utile à l’individu :

« La faculté d’imaginer à elle toute seule devrait plutôt être considérée comme une vertu (E II 17 sc.), et ce tout particulièrement si elle relevait de la seule puissance de l’âme et non de ses déterminations extérieures. La question est donc de savoir si tel peut être le cas : est-ce que l’imagination, c’est-à-dire la capacité de produire des images des choses extérieures et de les considérer comme présentes peut dépendre de la puissance propre de l’âme, ou bien est-ce que l’imagination est toujours liée à un état passif et de détermination extérieure ? Ici, il est clair que c’est le travail de la raison qui intervient : son rôle, nous l’aurons compris, ne consiste pas à vouloir éliminer l’imagination, car, sans elle, nous ne pourrions plus avoir des affections au travers desquelles nous affirmerions l’existence de notre corps et des autres corps. En revanche, elle devra limiter, dans la mesure du possible, l’emprise des passions sur nous, c’est-à-dire, limiter le caractère exclusif et tyrannique de l’imagination. En un mot, il s’agit ainsi de prendre conscience des mécanismes de la puissance que constitue l’imagination, et de comprendre comment la faculté de produire des images pourra seconder notre capacité de réflexion et d’action au lieu de l’enfermer dans un réseau de fictions stériles. En effet, dit Spinoza, il n’est pas douteux que l’imagination est une capacité réelle et efficace en nous dont nous avons besoin, autant que de la raison, si nous voulons pousser plus loin notre capacité intellectuelle. »

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Re: Ethique et méditation de pleine conscience

Messagepar Vanleers » 27 nov. 2015, 11:15

Le travail de la raison qui s’applique à l’imagination et que Spinoza décrit dans les propositions 5 à 20 de la cinquième partie de l’Ethique aboutit à l’amor erga Deum (l’amour envers Dieu).
L’amor erga Deum est introduit dans la proposition 15 :

« Qui se comprend clairement et distinctement lui-même ainsi que ses affects, aime Dieu, et d’autant plus qu’il se comprend plus lui-même ainsi que ses affects. »

Il a été question de l’idée de Dieu dans la proposition précédente :

« L’Esprit peut faire que toutes les affections du Corps, autrement dit toutes les images des choses, se rapportent à l’idée de Dieu. »

Spinoza démontre cette proposition (E V 14) comme suit :

« Il n’est pas d’affection du Corps dont l’Esprit ne puisse former quelque concept clair et distinct (par E V 4) ; et par suite il peut faire (par E I 15) qu’elles se rapportent toutes à l’idée de Dieu »

En somme, la démarche des propositions 5 à 20 vise à nous rappeler, lorsque nous sommes en proie à une tristesse, que toute chose singulière, nous compris, est un mode de la substance, une expression particulière de la puissance de Dieu. Et, démontre Spinoza, ce rappel nous remplit de joie : une joie qui, s’accompagnant de l’idée de Dieu, est un amour envers Dieu.
C’est cet amour, cette joie qui s’opposera à la tristesse à laquelle nous étions assujettis (E IV 7).
L’amor erga Deum est le remède le plus sûr aux affects, en particulier au stress (timor) que la méditation de pleine conscience cherche à contrôler.
Celle-ci a sans doute sa place dans les procédés mis en œuvre dans l’Ethique afin de réprimer et maîtriser les affects mais son importance paraît modeste, comparée à ce que développe Spinoza, ne serait-ce que dans la première moitié de la partie V.
Rappelons ici que Spinoza ne s’arrête pas à l’amor erga Deum, c’est-à-dire l’amour envers Dieu, considéré encore, d’un point de vue sub specie durationis, comme une cause extérieure.
Du point de vue sub specie aeternitatis, qui sera celui de la deuxième moitié de la partie V, l’amor erga Deum se muera en amor intellectualis Dei, Dieu étant alors considéré comme cause immanente, et non plus extérieure, des choses.
Modifié en dernier par Vanleers le 30 nov. 2015, 11:03, modifié 1 fois.

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Re: Ethique et méditation de pleine conscience

Messagepar Vanleers » 29 nov. 2015, 17:35

L’écart entre la méditation de pleine conscience et l’Ethique est encore plus flagrant lorsqu’on lit la deuxième moitié de la cinquième partie de l’ouvrage.
Spinoza y démontre que c’est en jouissant de la béatitude, c’est-à-dire de l’amor intellectualis Dei qui naît de la connaissance du troisième genre (E V 32), que nous réprimons nos passions mauvaises (E V 42).
Il s’agit ici de vivre l’éternité, ce qui est l’enjeu pratique le plus fort de l’éthique spinoziste.
L’éternité est le mode d’existence des choses contenues en Dieu et Pascal Sévérac éclaire ce point en écrivant (Spinoza. Union et Désunion p. 93 – Vrin 2011) :

« […] l’éternité d’une chose ne désigne pas une existence possible avant son existence réelle et temporelle. Nous aurons cette représentation des choses si nous partons de l’existence d’une chose dans la durée et imaginons qu’auparavant elle existait sous une autre forme, dans l’éternité. Mais Spinoza en vérité ne distingue pas deux mondes, un monde des choses qui durent et sont situées dans l’espace et le temps, et un monde des choses éternelles, contenues dans les attributs divins […].
Sont distinguées plutôt deux façons d’appréhender une seule et même chose, l’existence elle-même : à partir ou bien de sa participation à l’essence de Dieu, ou bien de son effort au milieu d’autres efforts d’existence. »

Voir toute chose en Dieu (c’est-à-dire la voir dans l’éternité – sub specie aeternitatis), d’où naît la béatitude qui réprime les passions : on est loin des techniques de la méditation de pleine conscience qui visent à éliminer le stress.

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Re: Ethique et méditation de pleine conscience

Messagepar Vanleers » 01 déc. 2015, 16:48

La cinquième et dernière partie de l’Ethique « porte sur la voie qui mène à la liberté » (E V Préf.)
La première moitié de cette partie aboutit à l’amour envers Dieu (amor erga Deum) par les procédures de la raison et la seconde à l’amour intellectuel de Dieu (amor intellectualis Dei) par la science intuitive.
Dans les deux cas, c’est à l’amour de Dieu que Spinoza nous conduit, c’est-à-dire à tirer les conséquences pratiques d’E I 15 :

« Tout ce qui est, est en Dieu, et rien ne peut sans Dieu ni être ni se concevoir ».

Spinoza se réfère encore, dans la partie V, à cette importante proposition de la partie I, et ce en deux endroits stratégiques.
Tout d’abord dans la démonstration de la proposition 14 qui commence à introduire l’amor erga Deum.
Ensuite dans le scolie de la proposition 36, véritable sommet de l’Ethique qui souligne toute la force de l’amor intellectualis Dei.
Ce que nous savions déjà, depuis au moins E I 15, nous sommes maintenant invités à le mettre en œuvre de façon concrète en pratiquant l’amour de Dieu afin de vivre dans la joie.
C’est à cela, et à cela seul que doit être jugée l’Ethique : s’agit-il d’un dispositif (d’une machine-à-bonheur comme l’écrit Pautrat) qui nous fait vivre dans la joie ? Ajoutons-y cette autre question : ce dispositif est-il facile à mettre en œuvre et à la portée de tous ?

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Re: Ethique et méditation de pleine conscience

Messagepar Vanleers » 10 déc. 2015, 16:12

L’Ethique expose une vision du monde (Weltanschauung) qui culmine dans le scolie de la proposition 36 de la partie V :

« Nous comprenons par-là clairement en quoi consiste notre salut, autrement dit béatitude, autrement dit Liberté, à savoir, dans un Amour constant et éternel envers Dieu, autrement dit dans l’Amour de Dieu envers les hommes » (traduction Pautrat)

Entrer dans cette vision nous sauve, c’est-à-dire nous met dans la joie et nous libère. Bien que, selon Spinoza, le monde n’ait aucune finalité, il est orienté : Dieu aime les hommes. « Le monde est en joie » comme l’écrit Pierre Macherey, résumant E V 35. Si l’on veut, on peut dire qu’« il a un sens ».
Ce « sens » est absolu : le monde est orienté à la joie et cela ne dépend pas de nous. Ce qui dépend sans doute de nous, c’est de ne pas l’oublier et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour ce faire. La méditation de pleine conscience peut en être un.

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Re: Ethique et méditation de pleine conscience

Messagepar Krishnamurti » 16 déc. 2015, 12:47

Nouvelle série de vidéos de Krishnamurti inédites depuis 1966. Dans la quatrième il explique sa version de la méditation https://youtu.be/yeV_kYEzUyQ (sous-titres français disponibles pour toutes les vidéos)

“We are taking a journey together into the whole psychological structure of man. Because in the understanding of that structure, and the meaning of it, we can then, perhaps, bring about a change in society. And society, God knows, needs a total change. A total revolution.”

We are glad to inform you that the TV series 'The Real Revolution' is now available on our channel.

https://www.youtube.com/playlist?list=P ... HIGrwkWC1u

These eight programs were produced and broadcast in America by the National Educational Television Network in 1966. They represent the earliest sound films of Krishnamurti speaking to audiences – it was the first time that he had allowed his talks and discussions to be filmed. The principle settings are the Oak Grove in Ojai, California, and the Thacher School in the Ojai Valley.

Thanks to generous donations, the Krishnamurti foundations recently acquired the rights for this series, and we are happy to be able to offer it for free on YouTube.

Subtitles are available in Chinese, Dutch, English, French, Greek, Italian, Norwegian, Portuguese, Slovenian, Spanish and Vietnamese.

Translators for subtitling in all languages are needed. This voluntary work can be done from anywhere in the world; if interested, please don't hesitate in contacting us.

Please consider making a donation to help us preserve and make available the teachings of J. Krishnamurti. The Krishnamurti foundations are non profit organisations; for more information on our work worldwide, please see the 'About' section of our channel.

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Re: Ethique et méditation de pleine conscience

Messagepar Krishnamurti » 21 déc. 2015, 18:19

Ce à quoi nous nous efforçons par la Raison, ce n'est rien d'autre que l'acte de comprendre; et l'Esprit, en tant qu'il use de la Raison, ne juge pas qu'autre chose lui soit utile que ce qui conduit à la compréhension. Proposition 26, Ethique IV


Krishnamurti, Public Talk, 22nd February, 1948 | Mumbai, India

So, what is meditation? Surely, meditation is understanding - meditation of the heart is understanding. How can there be understanding if there is exclusion? How can there be understanding when there is petition, supplication? In understanding there is peace, there is freedom; that which you understand, from that you are liberated. But, merely to concentrate, or to pray, does not bring understanding. So, understanding is the very basis, the fundamental process of meditation. You don't have to accept my word for it; but if you examine prayer and concentration very carefully, deeply, you will find that neither of them leads to understanding. They merely lead to obstinacy, to a fixation, to illusion. Whereas, meditation, in which there is understanding, brings about freedom, clarity and integration.


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Re: Ethique et méditation de pleine conscience

Messagepar Vanleers » 21 déc. 2015, 20:50

A K…

Je remarque d’abord qu’on trouve dans la démonstration d’E IV 26 que vous citez, une intéressante définition de l’essence de la raison qui « n’est rien d’autre que notre Esprit en tant qu’il comprend clairement et distinctement ».

Selon Krishnamurti, la méditation est compréhension.

Que s’agit-il de comprendre ? Peut-être et avant tout que nous sommes dans la Vie.
C’est ce que cherche, d’une certaine façon, la méditation de pleine conscience car elle consiste à focaliser son attention sur le corps vivant hic et nunc.
C’est aussi ce que vise la méditation de la vie dont parle Spinoza en E IV 67 :

« L’homme libre ne pense à aucune chose moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie. »

Dans le commentaire de cette proposition, Pierre Macherey indique en note :

« Le terme « méditation » (meditatio), dont l’usage est exceptionnel dans l’Ethique, indique une forme de pensée qui se situe dans un ordre intermédiaire entre théorie et pratique : les idées que cette forme de pensée suggère, en même temps qu’elles présentent les caractères de la connaissance vraie ou fausse, renvoient à des enjeux éthiques fondamentaux, qui d’emblée les inscrivent dans des modes de comportement. La « méditation » que l’homme libre consacre de manière exclusive à la vie constitue le type par excellence d’un affect prenant sa source dans la raison, au sens où cette notion a été exploitée dans les propositions 59 et 61. Une méditation de la vie, c’est une pensée qui, bien au-delà du fait de prendre la vie pour objet, revêt l’allure d’une pensée vivante : et inversement, une méditation de la mort est une pensée qui, s’étant coupée des sources de la vie, est devenue une pensée sans vie, une pensée morte. »

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Re: Ethique et méditation de pleine conscience

Messagepar Krishnamurti » 29 févr. 2016, 00:14

http://www.arte.tv/guide/fr/051656-000- ... -altruiste?
Mathieu Ricard nous fait savoir qu'il connait tout le monde à Davos et se fait prendre un selfie avec Loïc Le Meur

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Re: Ethique et méditation de pleine conscience

Messagepar Vanleers » 23 févr. 2017, 11:18

Je reviens sur ce fil, un an après le dernier post.
En étant attentifs à notre corps et en laissant filer nos pensées, la méditation de pleine conscience nous sort des ruminations, des pensées obsédantes, du trouble de l’esprit.
Il s’agit en quelque sorte de « débrayer le mental », le mental étant ici l’esprit en tant qu’il connaît de façon mutilée et confuse (imagination ou connaissance du premier genre).

Mais nous avons vu précédemment que la raison (connaissance du deuxième genre) nous libérait également des passions qui naissent d’une imagination peu élaborée (simpliciter imaginamur – E V 5 dém)

Enfin, l’amour intellectuel de Dieu (science intuitive ou connaissance du troisième genre), lui aussi, coupe court aux ruminations, aux vaines cogitations, nous sort du trouble de l’esprit que Spinoza désigne par fluctuatio animi et nous met dans l’acquiescentia.

En résumé, la méditation de pleine conscience par son attention au corps, la raison et la science intuitive visent toutes les trois à guérir les troubles de l’esprit.
Il appartient à chacun d’utiliser comme il le peut ces trois moyens, en fonction des circonstances.


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