aldo a écrit :Par contre, à un moment, je décroche : d'où sort ce :si rien ne se crée et que rien n'est anéanti
Là je ne suis plus.
Rien n'est anéanti, passe encore. Mais ça veut dire quoi : rien ne se crée ?
Qui dit ca : Spinoza, le vitalisme ?
Rien ne se crée au sens absolu, c'est-à-dire que rien n'est produit à partir de rien. Rien ne se crée, tout se transforme. On trouve plus ou moins directement cette idée plusieurs fois aussi chez Descartes et bien sûr Spinoza. C'est le principe de causalité comme conséquence du principe d'identité : l'être est, le non-être n'est pas ; si donc quelque chose est, c'est à partir de l'être et non du non-être car autrement le non-être serait quelque chose. Autrement dit, rien n'est sans cause. Ou encore "Ce qui détermine les êtres à telle ou telle action est nécessairement une chose positive" (E1P26, dém.). On peut en tirer aussi le principe d'inertie physique (qui ne fait en rien de la matière quelque chose d'inerte ou de mort) : E2L3C.
Et donc, s'il ne saurait y avoir de création ex nihilo, les plus petits organismes vivants ne sauraient venir de la boue comme on le pensait avec la génération spontanée au moyen âge, en supposant que la boue serait de la matière inerte et que les petits organismes sont vivants ou animés. Certes ces organismes venaient d'organismes plus petits encore, mais chercher à expliquer la vie à partir de ce qui est inerte suppose que sous certaines combinaisons l'inerte ferait "émerger" de la vie. Mais d'où vient cette vitalité si ce n'est de ce qui est inerte ? De rien, c'est ce qui est absurde. Diderot le montrera dans le Rêve de d'Alembert : prenons un œuf qui n'est pas encore parvenu à maturité. Comment cette "matière inerte" qu'il y a à l'intérieur de la coquille peut-elle se transformer en poussin ? Cette matière ne se meut pas, ne se nourrit pas, ne se reproduit pas en tant que telle, elle n'est donc pas vivante ! Eh bien si, un œuf est vivant, sans quoi il ne pourrait se transformer en poussin, il n'y a pas de petit trou dans la coquille par lequel l'âme serait entrée de l'extérieur.
Et ce qui vaut pour un œuf s'applique à l'identique pour tout ce qui existe dans la nature : tout y animé à des degrés divers, ce qui signifie que les vivants les plus complexes ont des propriétés qu'on ne trouve pas chez d'autres, que ce soit l'amour de la sagesse, la digestion, la locomotion ou encore la sensibilité. Une pierre n'a aucune de ces propriétés mais elle reste de la matière organisée s'efforçant de persévérer dans son être. Elle est actuellement vivante même si c'est de façon beaucoup moins complexe qu'un brin d'herbe, qui est lui même beaucoup moins complexe et puissant qu'une moule, elle-même complexe qu'un chat, lui-même moins complexe qu'un philosophe etc. Car ce qui fait la vie n'est pas une des propriétés qui découle d'une plus ou moins grande complexité, c'est ce sans quoi aucun être ne pourrait être vivant qui est le conatus.
Pour finir de ne pas céder à ce que j'appellerais la mode "anti-ismiste" (bla bla... les idéologies c'est pas bien et tout ça...), voici encore quelques "-ismes" qui conviennent parfaitement au spinozisme : hylozoïsme, panpsychisme, ce qu'on pourrait appeler aussi psycho-matérialisme. N'oublions pas non plus naturalisme, non-dualisme, rationalisme, déterminisme, éternalisme, immanentisme, anti-humanisme théorique et humanisme pratique etc. Et pour répondre à Bruno Giuliani, par l'intermédiaire de Vanleers, les "-ismes" ne posent problème que si on en fait des moyens de réduire une philosophie à des images dispensant de l'étudier avec l'empathie dont je parlais précédemment. Du genre "ah c'est du déterminisme, d'accord j'ai tout compris..." Ces termes en "-isme" n'ont qu'un intérêt que comme auxiliaires de l'imagination, pour se repérer plus facilement dans l'océan de mots qu'est la philosophie, ils ne sont que des indications pour la compréhension, non la compréhension elle-même. Aussi, il n'y a pas grand intérêt à chercher le "-isme" qui irait comme un gant à la philosophie de Spinoza, à part le spinozisme.
Ensuite, parler de biocentrisme peut prêter à confusion. C'est sûrement mieux que l'anthropocentrisme qui n'est lui-même qu'un dérivé de l'anthropomorphisme, mais le biocentrisme peut encore être une façon infantile de dire qu'un arbre n'est pas vivant et que seuls les animaux par exemple méritent d'être reconnus comme tels. Comme le disait Pascal paraphrasant une sentence du livre des XXIV philosophes, Dieu est un cercle dont la centre est partout et la circonférence nulle part (ce qui au passage convient beaucoup mieux au psycho-matérialisme de Spinoza qu'au spiritualisme de Pascal en matière théologique). Autrement dit la vie comme force de s'affirmer dans l'être n'est pas au centre de quelque chose qui ne serait pas vivant, elle est omniprésente. Et aussi dire que ce n'est pas l'univers qui crée la vie mais la vie qui crée l'univers est confus : rien ne se crée, rien ne se perd ; aussi la vie comme ensemble unifié (par le conatus) de toute la diversité des vivants, c'est cette unité même du divers que Spinoza appelle le facies totius universi et qu'on appelle l'univers. La vie ne crée pas l'univers, elle est l'univers comme nature naturante de la nature naturée. C'est ce qui fait aussi que le terme de panthéisme n'est pas moins juste que celui de panenthéisme pour désigner le spinozisme : Dieu est cause immanente et ainsi les choses sont en Dieu non pas comme des clés dans un tiroir mais comme les organes sont dans un organisme, aussi vivants que l'ensemble quoique d'une autre façon (le grand organisme, contrairement à ce que s'imaginait Nietzsche pour réfuter le panthéisme, ne naît ni ne meure, ne se reproduit ni ne se nourrit.)
Quant au respect, s'il revient à reconnaître la valeur et la dignité d'une chose, il s'applique en effet à tout ce qui existe comme mode de Dieu, mais on ne respectera pas pour autant de la même façon une personne humaine, une personne animale ou une feuille de salade. A ce sujet, il me semble comme je l'ai déjà dit quelques fois que Spinoza ne va pas jusqu'au bout de sa propre philosophie en refusant aux animaux capables de sensibilité, autrement dit ceux qui ont un système nerveux central, les droits qu'il reconnaît aux hommes, mais c'est une autre question.