Quoi, encore une!?

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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Yuna
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Quoi, encore une!?

Messagepar Yuna » 02 mars 2006, 08:42

Bonjour à tous.
Je suis en train de lire Spinoa de Alain, et j’ai deux questions.
Dans le préface, il y a quelques mots de Rousseau,

En chacun est l'Esprit absolu, le Grand Juge, juge de toutes les valeurs, juge de l'opinion, de la majesté, juge des cérémonies. Un tel pouvoir invite énergiquement l'homme à fonder une religion : “ Quoi, se dit-il, encore une ! ” Cette réflexion sur soi a donné de l'humeur à Rousseau, et il n'en pouvait être autrement. Je suis persuadé que ce chapitre du Contrat Social, intitulé “ Le Droit du plus fort ”, n'a jamais pu être oublié de Rousseau, et qu'il ne se l'est pas pardonné.


et je n'ai pas aperçu ce que c'est on entends par “ Quoi, se dit-il, encore une ! ” dans ce contexte. De plus, j'ai lu le chapitre 'le droit du plus fort' de Contrat Social, et pourtant je ne comprends pas pourquoi
“ Le Droit du plus fort ”, n'a jamais pu être oublié de Rousseau, et qu'il ne se l'est pas pardonné.


Merci en avance!

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Henrique
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Messagepar Henrique » 02 mars 2006, 19:06

En tenant bien compte du contexte que tu ne cites pas entièrement, la phrase “ Quoi, se dit-il, encore une ! ” doit être attribuée à Descartes qui ayant découvert dans les Méditations métaphysiques la présence en lui-même de Dieu ou de l'infini aurait en quelques sortes pris peur devant la puissance d'une telle découverte : poursuivre jusqu'au bout cette démarche aurait pour Descartes conduit à fonder une nouvelle religion, rationnelle et intuitive à la fois, et il ne s'en sentait manifestement pas la volonté. Descartes est ainsi retourné à des méditations plus rassurantes, des méditations d'ordre plus technique et mathématique - car le divin véritablement approché ne nous rassure pas, c'est le mysterium tremendum isolé par Otto. La suite du texte montre que Spinoza, lui, n'a pas reculé et a donc fondé à travers son Éthique une religion rationnelle, naturelle avec toutes les haines que cela lui a naturellement apporté.

Quant à Rousseau, il a selon Alain suivi un cheminement comparable à celui de Descartes, non pas en matière de religion mais de politique : s'il n'y a pas de droit du plus fort, alors aucun pouvoir ne peut légitimement s'imposer par la force. Alain semble alors dire que Rousseau n'aurait pas tiré toutes les conséquences de ce point de vue, peut-être parce que le système politique qu'il préconnise n'est pas complètement démocratique, contrairement à ce qu'implique la dénonciation du droit du plus fort (?).

Kant aussi est cité comme exemple de philosophe qui n'a pas été jusqu'au bout de ses découvertes philosophiques, là cela me semble plus clair : il montre que l'on peut agir par pur devoir d'autant plus qu'on ne cherche pas à obtenir en échange de ce respect du devoir une quelconque récompense. Or il a finalement montré dans sa critique de la raison pratique que moralement, une vie après la mort devait exister dans laquelle nous serions récompensés de nos bonnes actions dans cette vie et puni des mauvaises.

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^^!

Messagepar Yuna » 14 mars 2006, 04:10

Merci beaucoup, Henrique*

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Messagepar hokousai » 19 mars 2006, 12:46

"""Kant aussi est cité comme exemple de philosophe qui n'a pas été jusqu'au bout de ses découvertes philosophiques,"""""

Un philosophe fait- il des découvertes au sens ou Christophe Colomb découvrit l 'Amérique ?
Il y aurait- il donc un territoire inexploré mais objectivement là , invisible encore mais à porté d 'esprit des plus audacieux ou des plus perspicaces ?
Kant aurait découvert ce qui était recouvert du voile de l’ignorance .

Remarquable que la plupart des spinozistes le pense de Spinoza et que la plupart des kantiens le pense de Kant enfin que tous les aristotéliciens le pensent d’ Aristote .
C’est la guerre des mondes découverts .

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Messagepar Henrique » 19 mars 2006, 14:24

En tant que spinoziste, je pense que Spinoza a découvert ce qui est au fond de l'être dans sa globalité la plus extensive, à savoir l'affirmation pure que constitue l'infini, donnant ainsi les instruments d'une intuition permettant d'embrasser la totalité de ce qui existe, d'aborder les spécificités de tel ou tel existant avec une démarche de vérité et de sérénité ou de réconciliation.

Il l'a découvert, au sens de "mis en lumière". En réalité d'autres l'avaient découvert avant lui à mon sens : les auteurs de l'advaïta vedanta, leur commentateur principal Shankara, les stoïciens, Me Eckhart, Bruno etc. et dans une moindre mesure Platon, Aristote, Augustin, Anselme, Thomas d'Aquin, Descartes etc. Mais grâce à une rigueur intellectuelle et une liberté d'esprit qui fût sans doute le fruit de son histoire personnelle, donnant lieu notamment à une puissance rare de ne pas avoir besoin d'être inscrit dans une communauté donnée pour pouvoir exister et penser, Spinoza a pu mettre beaucoup plus clairement en lumière ce que ses prédecesseurs avaient aperçu "comme à travers un nuage".

Mais d'une façon générale, le spinozisme ne se considère pas comme la "seule" vraie philosophie car "Rien de ce qu’une idée fausse contient de positif n’est détruit par la présence du vrai, en tant que vrai." : il n'y a donc pas d'erreur absolue et ainsi une part de vérité en toute philosophie. Aussi, concernant certaines régions de l'être, Aristote ou Kant ont découvert des vérités indéniables et utiles. Je considère alors que même des disciples plus ou moins bien assumés de Spinoza comme Fichte ou Schopenhauer, qui ont chacun à leur façon opéré une synthèse entre le spinozisme et le kantisme, ont apporté des éclaircissements utiles à la connaissance de ce qui est, tant du moins qu'ils ont su en rester à l'intuition de l'affirmation pure comme fondement de tout être aussi bien que de toute connaissance.

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Messagepar Miam » 19 mars 2006, 18:59

:arrow: Serait-il possible d'avoir quelques éclaircissements sur l'aspect spinoziste de Fichte et de Schopenhauer ? (car je n'en ai aucune idée)
:arrow: Ce ne sont pas plutôt les anciens Hébreux qui ont vu "comme à travers un nuage ?

Miam

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Messagepar Henrique » 20 mars 2006, 11:40

Pour Fichte, il faut lire surtout sa méthode pour arriver à la vie bienheureuse, il faudra que j'en sorte quelques extraits significatifs un de ces jours. Pour Schopenhauer, c'est tout à la fin du Monde que le philosophe allemand examine les convergences entre lui et Spinoza, et il y en a - de même qu'il s'en trouve en partie aussi des deux côtés avec le bouddhisme.

Quant à l'expression "comme à travers un nuage", Spinoza l'applique effectivement aux anciens hébreux, mais rien n'interdit de l'employer pour d'autres, qui ont vu la vérité mais avec certaine confusion et obscurité.

Henrique

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Messagepar Miam » 20 mars 2006, 16:32

Salut Henrique,

Schopenhauer donc cite Spinoza. Fichte aussi ?
Quant au nuage: moi je veux bien, mais alors tout le monde voit au travers un nuage dans la mesure où tout le monde a une idée de Dieu plus ou moins confuse. Si les Hébreux ont "vu comme à travers un nuage", c'est qu'ils assimilaient Dieu, la volonté de Dieu et son entendement. Ce qui ne s'applique certainement pas à tous les auteurs que tu as cité. Et puis considérer Aristote, Kant, Fichte et Schopenhauer comme des exemples de pensée affirmative, cela m'étonne un peu.

PS: c'est peut-être l'occasion de causer un peu. J'ai l'impression que la plupart du temps nous nous évitons. Peut-être à raison d'ailleurs...

A bientôt
Miam
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Messagepar Pourquoipas » 20 mars 2006, 23:53

Un petit texte de Schopenhauer juste pour te mettre en appétit.

Autant que je m'en souvienne, Schopenhauer identifie (mais je ne crois pas qu'il le dise dans ces termes) l'unique substance, Dieu, l'Etre un, au Conatus, qu'il nomme "vouloir-vivre" (Wille für leben) qui va s'exprimer degré par degré (de plus en plus compliqués, du minéral jusqu'à l'intelligence humaine) dans ce qu'il nomme les "Idées platoniciennes". C'est en ce sens qu'on peut dire que sa philosophie est une sorte de spinozisme passé par la moulinette de l'Esthétique transcendantale kantiennne : l'espace et le temps sont en nous, donc les seules réalités sont les espèces (au sens biologique) diffractées pour nous (qui ne pouvons pas percevoir et penser autrement que spatialement et temporellement) en de multiples individus qui se reproduisent.
D'où son pessimisme : l'espèce étant tout, et l'individu rien, pour la Nature (le Vouloir-Vivre), l'individu n'est rien que souffrance, puisqu'il est condamné à passer du désir à l'ennui. Son ennemi mortel est Leibniz puisqu'il affirme que ce n'est pas dans le meilleur des mondes possibles que nous vivons, mais dans le pire possible pour qu'il lui soit possible d'exister : un degré de moins, on n'aurait que le chaos...

Les solutions qu'il propose : l'art (qui nous donne l'illusion un moment d'être contemplateur du monde et non partie prenante), la pitié (plus au sens de Rousseau que dans le sens courant : en gros, nous sommes tous dans le même foutoir, alors pourquoi nous foutre sur la gueule ?) et ce qu'il nomme l'ascétisme, le mysticisme, etc. (et qu'il pense retrouver partout : dans les textes extrême-orientaux qu'on vient de découvrir en Europe, dans les religions classiques, chez Spinoza, etc., etc.). C'est à ce degré que la dernière création du Vouloir-Vivre, la raison, l'intelligence, va pouvoir se retourner contre lui-même (noter quand même que Schopenhauer condamne le suicide).

Noter qu'il sera lu et très attentivement, au milieu et à la fin du 19e siècle, par des gens aussi médiocres et inintéressants que Wagner, Nietzsche, Freud (qui y trouvera une des sources de la notion d'inconscient), Proust, etc.

Ça me donne envie de le relire, tiens !

Schopenhauer a écrit :34

Ce passage de la connaissance commune des choses particulières à celles des Idées est possible, comme nous l'avons indiqué; mais il doit être regardé comme exceptionnel. Il se produit brusquement; c'est la connaissance qui s'affranchit du service de la volonté. Le sujet cesse par le fait d'être simplement individuel; il devient alors un sujet purement connaissant et exempt de volonté ; il n'est plus astreint à rechercher des relations conformément au principe de raison; absorbé désormais dans la contemplation profonde de l'objet qui s'offre à lui, affranchi de toute autre dépendance, c'est là désormais qu'il se repose et qu'il s'épanouit.
Ceci a besoin, pour devenir clair, d'une analyse explicative ; je prie le lecteur de ne s'y point laisser rebuter; bientôt il concevra l'ensemble de l'idée maîtresse de ce livre et il verra, par le fait, la surprise qu'il a pu éprouver s'évanouir d'elle-même.
Lorsque, s élevant par la force de l’intelligence, on renonce à considérer les choses de la façon vulgaire; lorsqu'on cesse de rechercher à la lumière des différentes expressions du principe de raison, les seules relations des objets entre eux, relations qui se réduisent toujours, en dernière analyse, à la relation des objets avec notre volonté propre, c'est-à-dire lorsqu'on ne considère plus ni le lieu, ni le temps, ni le pourquoi, ni l'à-quoi-bon des choses, mais purement et simplement leur nature; lorsqu'en outre on ne permet plus ni à la pensée abstraite, ni aux principes de la raison, d'occuper la conscience, mais qu'au lieu de tout cela, on tourne toute la puissance de son esprit vers l'intuition; lorsqu'on s'y plonge tout entier et que l'on remplit toute sa conscience de la contemplation paisible d'un objet naturel actuellement présent, paysage, arbre, rocher, édifice ou tout autre; du moment qu'on s'abîme dans cet objet, qu'on s'y perd (1), comme disent avec profondeur les Allemands, c'est-à-dire du moment qu'on oublie son individu, sa volonté et qu'on ne subsiste que comme sujet pur, comme clair miroir de l'objet, de telle façon que tout se passe comme si l'objet existait seul, sans personne qui le perçoive, qu'il soit impossible de distinguer le sujet de l'intuition elle-même et que celle-ci comme celui-là se confondent en un seul être, en une seule conscience entièrement occupée ct remplie par une vision unique et intuitive; lorsque enfin l'objet s'affranchit de toute relation avec ce qui n'est pas lui et le sujet, de toute relation avec la volonté; alors, ce qui est ainsi connu, ce n'est plus la chose particulière en tant que particulière, c'est l'Idée, la forme éternelle, l'objectité immédiate de la volonté; à ce degré par suite, celui qui est ravi dans cette contemplation n'est plus un individu (car l'individu s'est anéanti dans cette contemplation même), c'est le sujet connaissant pur, affranchi de la volonté, de la douleur et du temps. Cette proposition, qui semble surprenante, confirme, je le sais fort bien, l'aphorisme qui provient de Thomas Payne : « du sublime au ridicule il n y a qu un pas » ; mais, grâce à ce qui suit, elle va devenir plus claire et paraître moins étrange. C'était aussi ce que, petit à petit, Spinoza découvrait, lorsqu'il écrivait : mens aeterna est, quatenus res sub aeternitatis specie concipit. [L'esprit est éternel dans la mesure où il conçoit les choses du point de vue de l'éternité.] (Eth., V, pr. 31, sch.) [Schopenhauer donne ici en note les références à : II 40 S 2, V 25-38, surtout, sur la cognitio tertii generis sive intuitiva, 29 S, 36 S, 38 Dm + S.]


(1) En allemand, verliert. (N.d.T.)

(Le Monde comme volonté et comme représentation, livre 3, § 34, trad. Burdeau, PUF, p. 230-232.)



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Messagepar Miam » 21 mars 2006, 13:04

Ton sens de l'humour me dépasse quelque peu...


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