traduction de "est" et "esse"

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 24 oct. 2006, 23:26

Salut à tous,

voici que je pourrai enfin essayer de rattraper le retard dans mes réponses ... :oops:

Je le fais chronologiquement, des réponses à Hokusai et Miam arrivant sous peu.

Pourquoi pas a écrit :Le néerlandais qu'on trouve dans l'Ethique ne vient pas des Opera posthuma, mais de la traduction en néerlandais parue en même temps (c'est l'éditeur Gebhardt qui a repris quelques éléments de cette trad quand il estimait que cela ajoutait qqch au texte latin, sauf erreur).

Toujours est-il que s'il ne « maîtrisait pas vraiment » le latin ou le néerlandais, c'est qu'il ne le faisait pas vraiment comme quelqu'un qui connaît ces langues depuis l'enfance (ses langues maternelles sont l'espagnol et surtout le portugais, et sa culture littéraire et historique est surtout espagnole et latine, et biblique bien sûr), mais il se débrouillait assez pour se faire comprendre sans ambiguïté. L'expression que j'ai employée était, elle, ambiguë... Peut-on dire que Beckett ou Ionesco ne maîtrisaient pas vraiment le français, ou Nabokov l'anglais ?
Mais, quand même, quand il envisage la poursuite en néerlandais d'une discussion sur un problème crucial avec un correspondant inconnu (Blyenbergh), il regrette de ne pouvoir le faire dans le « langage que mon éducation m'a rendu familier parce que je pourrais ainsi mieux exprimer ma pensée », s'excusant juste après des fautes éventuelles de sa lettre (fin de lettre 19).


Merci beaucoup pour l'info! Je ne savais pas que le néerlandais dans l'Ethique ne venait pas directement de Spinoza lui-même.

Entre-temps je viens de découvrir ceci chez P. Macherey dans son 'Introduction à l'Ethique de Spinoza. La cinquième partie':

Macherey a écrit :(...) son latin, qu'il a commencé à étudier en 1656, à l'âge de vingt-quatre ans, en suivant les méthodes de Van den Enden, est entre tous idiomatique, et il a su en exploiter toutes les singularités lexicographiques et syntaxiques.
.

Macherey semble donc plutôt être assez positif par rapport à l'usage/maîtrise du latin de la part de Spinoza.

Un peu plus loin il confirme entièrement ce que tu écris ci-dessus à propos de l'édition Gebhardt:

Macherey a écrit :Elle intègre au texte de l'Ethique les variantes de la version hollandaise de Glazemaker, vraisemblablement réalisée à partir des manuscrits originaux de Spinoza.


A bientôt,
Louisa

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Messagepar Louisa » 29 oct. 2006, 02:06

salut Miam,

voici enfin, avec un peu plus de retard que voulu, quelques réponses.

Miam a écrit :Tu écris :

« l'adéquation, chez Spinoza, est une propriété de l'idée seule, elle n'a rien à voir avec le Corps. »
« Pour Spinoza l'adéquation est spirituelle, et non pas corporelle. »

Là-dessus (jawel !) nous sommes déjà un peu moins d’accord. L’adéquation en effet se dit d’une idée, d’une connaissance, d’une perception ou d’une cause. Pas d’un corps. Mais on ne peut dire pour autant que l’adéquation de l’idée n’a « rien à voir » avec le corps. L’adéquation des idées est fondée sur les notions communes.


Je ne suis pas certaine que cette adéquation est entièrement fondée sur les notions communes. En E2P40 Spinoza dit que les notions communes sont les "fondements de notre raisonnement" (ce qui n'est pas la même chose que l'adéquation en tant que telle). En E2P38 il dit que ce en quoi tous les corps conviennent doit nécessairement être perçu par tous de manière adéquate. Mais d'une part dans E2P40sII il définit le 2e genre de connaissance comme suit : "de ce que nous avons des notions communes, et des idées adéquates des propriétés des choses". Si l'adéquation se fonde sur les notions communes, pourquoi séparer les deux ici? Pourquoi ne pas écrire un 'sive' ou 'seu'?
D'autre part, nous savons que le 3e genre de connaissance concerne une connaissance de l'essence des choses singulières, c'est-à-dire de ce que ces choses n'ont en commun avec aucune autre chose. Si l'adéquation se fondait sur les notions communes, ne faudrait-il pas supposer qu'alors avoir des idées adéquates qui appartiennent à ce 3e genre soit impossible? Pourtant, on sait que pour Spinoza, on trouve aussi bien des idées adéquates dans le 2e que dans le 3e genre de connaissance.

Miam a écrit :Et les notions communes sont les idées de parties infinitaires « communes » entre mon Corps et un corps extérieur (II 37-39), de sorte que leurs « natures » « conviennent » alors entre elles (IV 30-34). Par ailleurs une idée adéquate est un affect actif. Un affect : donc une idée ET l’affection corporelle qui est l’objet de cette idée (III D3).


Je dirais plutôt qu'un affect actif est composé d'une idée adéquate et d'une affection du Corps qui est l'object de l'idée, au lieu de dire que l'idée adéquate est une idée ET l'affection corporelle, mais peut-être était-ce déjà ce que tu voulais dire.
En tout cas, je suis d'accord avec l'essentiel de ce que tu écris: l'adéquation n'a rien à voir avec le Corps dans le sens où elle ne concerne que l'idée, mais vu que l'idée est toujours quelque part liée à une affection du Corps, il ne s'agit pas d'une séparation absolue. Avec ce 'rien', je voulais juste référer au fait qu'il n'y a pas de communication entre le Corps et l'Esprit, qu'il s'agit de deux attributs différents (le fameux parallélisme).

Miam a écrit :Certes un corps ne peut être dit «adéquat » ou « inadéquat » parce que ce qui est inadéquat « enveloppe le faux » (II 49s).


si tu réfère à la phrase "Et plus haut nous avons montré que la fausseté consiste seulement dans la privation qu'enveloppent les idées mutilées et confuses.": ne faudrait-il pas dire que l'idée inadéquate enveloppe une privation, et que c'est cela, c'est-à-dire le tout (donc idée + privation qu'elle enveloppe) qui constitue la fausseté, au lieu de dire que l'idée inadéquate enveloppe elle-même la fausseté?
D'autre part, un peu plus bas il écrit: "Et par privation de certitude nous entendons la fausseté." Et enfin "les imaginations de l'Esprit, considérées en soi, n'enveloppent pas d'erreur." Alors la fausseté est-elle égale à l'erreur? Si oui, comment les imaginations, dont on sait qu'elles sont des idées inadéquates, peuvent-elles en même temps être privées de certitude donc envelopper la privation donc être fausses, que de ne pas envelopper d'erreur???

Miam a écrit :Or il n’y a rien de faux dans un corps. « Il n’y a que le Mental qui est dit errer », écrit Spinoza en II 35d. Mais l’idée adéquate contribue tout de même à la recherche du « bon », c’est à dire de l’ « utile » pour une chose singulière comme un homme, qui est Mental ET Corps. Toute l’épistémologie spinozienne est logico-affective, donc aussi corporelle. Sans quoi il n’aurait pas intitulé son ouvrage « Ethique » mais « Critique de la raison pure ». D’une manière générale il n’y a rien de mental qui n’ait son correspondant corporel. Par conséquent : si le Mental a une idée adéquate qui suit un ordre valable pour l’entendement et augmente la puissance de ce Mental, le Corps de ce Mental sera derechef la cause adéquate de l’affection correspondante à cette idée adéquate et, lui-aussi, augmentera d’autant sa puissance. Cela en vertu du « parallélisme ». Encore une fois : distinguer les idées et les images ne doit pas faire perdre de vue l’absence de toute dualité dans la chose singulière. Enfin Louisa : je suppose que tu sais tout cela et que le « rien à voir » n’était qu’une maladresse.


en effet, on est tout à fait d'accord. Avec le 'rien à voir' je voulais seulement souligner le fait qu'en tant que telle, l'adéquation ne désigne que l'attribut de la Pensée, pas l'attribut de l'Etendue. Mais je ne voulais pas du tout nier que ces deux attributs expriment 'une seule et même chose'.

Miam a écrit :Tu écris
« le mouvement corporel que cela va donner chez l'interlocuteur n'est pas forcément semblable à celui chez la personne qui a proféré ces mots. Les idées qu'aura cette personne, ne seront que les idées des affections de son propre Corps , c'est-à-dire idées qui enveloppent aussi bien la nature de son Corps à lui que celui du corps extérieur, le corps de la personne qui a parlé (selon le cor II en II16 elles indiquent/expriment même plus la nature de son propre Corps que celui de la personne qui a parlé). »

Tout à fait. C’est pourquoi toute communication, et à fortiori toute communication au moyen de signes, suppose des « images communes » (II 40s1) et par suite une communauté d’ imagination entre les protagonistes.


C'est précisément ce scolie qui me fait penser l'inverse: pas de communauté d'images possibles. D'abord il n'y utilise pas l'expression 'images communes'. Mais surtout, il écrit qu'il faut "remarquer que tous ne forment pas ces notions de la même manière, mais qu'elles varient en chacun en fonction de la chose qui a plus souvent affecté le Corps, et que l'Esprit a plus de facilité à imaginer ou à se rappeler. (...) chacun formera selon la disposition de son propre corps des images universelles des choses. Il ne faut donc pas s'étonner qu'entre les Philosophes qui ont voulu expliquer les choses naturelles par le seul moyen des images des choses, il se soit élevé tant de controverses."

J'en conclus que c'est précisément le fait que nous ne disposons pas d'images communes qui fait que les philosophes ont pu avoir des idées tellement différentes sur les mêmes choses.
En quoi consisteraient donc selon toi ces 'images communes'?

Miam a écrit :Autrement dit, il faut que les corps des protagonistes soient affectés le plus fortement de manière semblable lorsqu’ils rencontrent une même chose singulière (II 40s1).


mais comment cela pourrait-il être possible, vu que chacun a un Corps différent, et que l'image enveloppe par définition autant la nature du Corps que celle de la chose singulière?

Miam a écrit : C’est déjà le cas lorsqu’on communique non par signes, mais par images. Admettons que je veuille communiquer à un autre homme la demande d’aller chercher une pipe à tel endroit en dessinant une pipe et en indiquant l’endroit où il doit aller chercher une pipe. Ce sera en vain si mon protagoniste n’imagine pas la pipe de la même manière que moi. S’il n’a vu que des pipes droites alors que je lui dessine une pipe très recourbée, il ne verra pas que mon dessin représente une pipe. Cela arrive fréquemment lorsque mon protagoniste ne fait pas partie de la même communauté que moi. Peut-être même n’aura-t-il jamais vu de pipe. Cela peut également arriver avec un enfant s’il n’a jamais vu encore de pipe. Bref : il faut que mon protagoniste ait une communauté d’habitude (II 18s) avec moi.


Oui, avec la II 18s je comprends mieux ce que tu veux dire, mais je peux difficilement être d'accord. A mon avis tu confonds deux choses: l'image en tant que telle (toujours singulière car liée au Corps singulier de celui qui la produit) d'une part, et la chose singulière à laquelle une image peut référer d'autre part. L'image n'est qu'une affection du Corps, et rien d'autre. Elle peut représenter une chose extérieure, mais la représentation n'est pas l'affection. C'est pourquoi une même chose extérieure affecte d'office deux Corps différents de manière différente. La chose reste la même, mais les affections et donc les images sont différentes. Je ne parlerais donc pas d'une communauté d'habitude, mais d'une communauté dans le fait d'être affecté par des choses extérieures semblables. Il faut bien que toi et ton protagoniste ayiez été affecté par la chose extérieure 'pipe', pour que celui-ci comprenne ce qu'il doit aller chercher. Mais je ne vois pas en quoi ce serait nécessaire qu'il ait exactement la même affection ou la même Mémoire que toi, avant qu'il puisse comprendre.

Miam a écrit :Ce qui suppose au moins un même environnement spatial et une perception (image) commune de cet environnement.


oui, c'est cela. Il faut être affecté par la même chose extérieure. Mais il ne faut pas avoir les mêmes images de cette chose, car par définition cela est impossible.

Miam a écrit :C’est à dire : puisque la perception dépend de l’usage habituel, il convient qu’il fasse partie de la même communauté d’usage de la chose dont je veux lui communiquer l’image. C’est un premier réquisit.


ok

Miam a écrit : Un second réquisit, plus fondamental encore, c’est que mon protagoniste possède une structure corporelle (fabrica, III 2s) semblable à la mienne.


pourtant, en III 2s, il ne dit pas que cette 'fabrica' soit semblable entre les hommes ... . Sans doute elle l'est dans un certain sens (c'est d'ailleurs ce que Pautrat, dans un de ces cours, a appelé la 'nature' humaine, la nature désignant l'humanité de l'homme en général, tandis que l'essence désignerait, si je l'ai bien compris, ce qui caractérise l'homme singulier), mais qu'est-ce qui, selon toi, permettrait d'en conclure qu'il existe une communauté d'images, celles-ci enveloppant toujours non seulement le Corps dans ce qu'il a en commun avec d'autres Corps humains, mais également ce qui caractérise ce Corps singulier dans son parcours historique et donc sa Mémoire à lui?

Miam a écrit :Sans quoi, quand bien même nous vivrions tous deux dans un même environnement spatial, il ne sera pourtant pas affecté des mêmes choses de manière semblable à moi.


même question: qu'il est affecté des mêmes choses d'accord, mais pourquoi serait-ce de manière semblable à moi?

Miam a écrit :Ainsi en est-il si vous tentez de faire faire vos courses par votre chat. Il en va a fortiori de même avec la communication par signes puisqu’un signe est fondé sur la pure simultanéité (simultanéité « arbitraire ») de deux images (II 18s) de sorte que de la perception d’un mot, on passe à une image commune ressemblante à ce que l’interlocuteur désigna par ce mot (II 40s1).


donc là à nouveau, je crains que la ressemblance ne se situe qu'au niveau de la nature de la chose singulière à laquelle le mot réfère, et non pas au niveau de l'image, dont l'idée enveloppe aussi bien cette nature que la nature tout à fait singulière du Corps affecté par cette image.

Miam a écrit : La communauté d’imagination exigée n’est plus alors seulement fondée sur un même environnement spatial et une structure corporelle commune. Elle est aussi fondée sur cela même qu’elle rend possible : la langue. L’imaginaire renvoie au symbolique et le symbolique à l’imaginaire. Demandez aux psys.


:D
Disons que j'ai un peu trop fréquenté les psys pour pouvoir encore avoir une grande confiance en leurs idées ... .
Sinon de toute façon, je crains que ce ne soient que les psys jungiens et consorts qui seraient d'accord avec toi ici, pas les psychanalystes freudiens et lacaniens, pour qui l'imaginaire fonctionne par un symbolique tout à fait singulier, entièrement fabriqué par l'histoire singulière du patient, sans aucun 'archétype'.

Miam a écrit : Cette même langue est apprise et reçue comme arbitraire dans la mesure où elle est le pur produit d’une communauté humaine.


je dirais plutôt que l'abitraire du langage consiste dans le fait que si l'Esprit compare l'idée de l'affection du Corps déclenchée par l'aspect visuel de la chose désignée par le mot, avec l'idée de l'affection du Corps qu'est le mouvement corporel du mot lui-même, il ne peut détecter aucune convenance ni opposition entre ces deux idées.

Miam a écrit : Mais cette communauté humaine est elle-même constituée dans son imagination commune par un même usage de cette production commune que l’on nomme la « langue » (Ainsi en II 18s, le mot « pomum » n’est compréhensible que pour un « Romain »).


on utilise certes les mêmes mots au sein d'une communauté linguistique. Mais encore une fois, je ne vois pas ce qui permettrait d'étendre la communauté au-delà de ce fait.

Miam a écrit :Une réserve toutefois par rapport à ce que tu as écrit. Ce qu’enveloppe l’idée de l’affection, ce sera bien la nature de mon corps et, simultanément, la nature de la chose que j’imagine m’affecter. Mais cette chose n’est pas nécessairement le corps du protagoniste, car je peux entendre ou lire un mot (comme chose corporelle) sans pour autant savoir qui a proféré ou écrit ce mot. Le corps extérieur dont mon idée enveloppe la nature, c’est alors le son d’une voix (vox) ou le dessin de l’écriture que je lit. Non pas le corps de l’énonciateur.


oui, tout à fait d'accord.

Miam a écrit :Tu écris « Ne faut-il dès lors pas clairement distinguer les deux idées, celles de celui qui parle et celle de celui qui entend les mots? »

Si si. Bien entendu. Il s’agit de deux idées différentes dans la mesure où les objets de ces idées (i.e. les affections) seront toujours peu ou prou différentes chez les interlocuteurs.


ok

Miam a écrit :Mais cela n’empêche pas la communication pour autant que ces affections différentes renvoient à une image commune pour les interlocuteurs et, par conséquent, à l’idée de cette image commune. Evidemment, pour préciser sa pensée, il sera toujours loisible de définir les mots qu’on emploie.


je dirais plutôt: pour autant que ces affections différentes renvoient à un seul et même type de chose extérieure.

Miam a écrit :Tu écris "A partir de ce moment-là, peut-on encore dire que l'on communique 'par' des idées? »

On ne peut jamais le dire. On ne communique pas par des idées. On communique des idées par les mots. Dans l’Ethique, Spinoza spécifie bien que nous signifions par des mots (II 49s, III 15s, III 30s, III A1E, IV 68s). Et si les mots sont parfois dits signifier, c’est toujours selon un usage commun nommé (dans le TTP) « usage de la langue » (III A 20E, IV I). Cela suffit d’ailleurs à distinguer les notions de « signification » chez Aristote, Descartes et Spinoza.


ok

Miam a écrit :Concernant l’ « inconscient ».
D’une part on ne peut pas distinguer temporellement l’idée d’une affection de l’idée de l’idée d’une affection : « Le Mental humain perçoit non seulement les affections du Corps mais aussi les idées de ces affections » (II 22) parce que « les idées des idées des affections suivent en Dieu de la même manière et se rapportent à Dieu de la même manière que les idées mêmes des affections » (II 22d) ou encore, comme je le répèterai plus loin, parce que « qui a une idée vraie sait simultanément qu’il a une idée vraie » puisqu’il a l’idée de cette idée vraie (II 43). L’idée et l’idée de l’idée sont simultanées. Lorsque j’écris « idée d’une affection », il s’agit donc aussi derechef de l’idée de l’idée de cette affection. Si j’ai l’idée de ce qui arrive dans mon corps, j’ai l’idée de l’idée de ce qui arrive dans mon corps. Mais cela ne veut pas dire que je sache comment cela arrive. Pour cela il faut encore que je connaisse les causes de l’affection. Or de ces causes, je n’ai que des idées inadéquates puisque je n’ai pas l’idée adéquate ni du corps qui m’affecte, ni de mon corps, ni des parties affectées de mon corps (II 24 à 28). Tu sembles confondre l’idée de l’idée et l’idée adéquate, or l’idée d’une idée inadéquate est elle-même inadéquate : « L’idée de l’idée d’une affection du Corps humain n’enveloppe pas la connaissance adéquate du Mental humain » (II 29).


ok, je te suis en gros, seulement pas entièrement pour la dernière phrase, car le 'remède des affects', ne consiste-t-il pas, justement, dans le fait de pouvoir avoir une idée adéquate d'une idée inadéquate (dans le 3e genre de connaissance)?

Miam a écrit : Ce que Spinoza nomme conscience, ce n’est pas l’idée de l’idée.


Eh bien, à ma grande surprise je crois qu'en effet, je me trompe. Si je pensais jusqu'à présent la définition de la conscience en des termes de l'idée de l'idée, je me basais essentiellement sur Deleuze, qui dans son 'Spinoza pratique' écrit: "Conscience. - Propriété de l'idée de se dédoubler, de redoubler à l'infini: idée de l'idée."
Mais voici que je viens de trouver en III 9: "Et comme l'Esprit à travers les idées des affections du Corps est nécessairement conscient de soi, l'Esprit est donc conscient de son effort." Ce qui veut dire qu'il suffit effectivement d'avoir une idée d'une affection pour que l'Esprit soit conscient de soi.
Néanmoins, un petit doute demeure ... car s'il suffit d'avoir une idée d'une affection pour que l'Esprit soit conscient de soi, pourquoi Spinoza distingue-t-il l'appétit et le désir? Je rappelle que l'appétit, c'est le conatus rapporté à la fois à l'Esprit et au Corps, tandis que le Désir est l'appétit avec la conscience de l'appétit. S'il dit bien que cela revient au même, pourquoi distinguer le conatus au niveau du Corps et l'idée du conatus d'une part, et tout cela avec en plus la conscience d'autre part?

Miam a écrit :Lorsque Spinoza dit que les petits enfants n’ont presque pas conscience d’eux-mêmes, cela ne veut pas dire qu’ils n’ont presque pas d’idées d’idées – d’ailleurs cela contredirait le parallélisme épistémologique – mais seulement qu’ils n’ont presque pas d’idées adéquates. Ce que Spinoza nomme conscience, ce n’est pas la conscience psychologique réflexive d’un Descartes ou d’un Locke. Ce n’est pas la notion moderne de conscience comme « consciousness » mais seulement « con-scientia » = avec science.


cette hypothèse me semble très intéressante. Deux 'objections':
1) dans ce cas, Deleuze aurait une deuxième fois tort, quand il écrit que "la conscience, étant donc naturellement conscience des idées inadéquates que nous avons, mutilées et tronquées, est le siège de deux illusions fondamentales: l'illusion psychologique de liberté, et l'illusions théologique de finalité"
2) si l'Esprit est constitué par des idées adéquates ET par des idées inadéquates, et si, comme tu le prétends, la conscience consiste en le fait d'avoir une idée d'une affection, que se passe-t-il avec les idées inadéquates, elles aussi étant pourtant des idées d'affections?
En tout cas, en III 9 il n'y a aucune restriction aux seules idées adéquates. Penses-tu à l'un ou l'autre passage où cette restriction est tout de même clairement indiquée?
Sinon, si l'on adopte l'hypothèse que la conscience, c'est l'idée de l'affection, alors il ne me semble pas nécessaire de la limiter aux seules idées adéquates pour pouvoir expliquer le fait que les enfants ont peu de conscience de soi. Car les enfants ont de toute façon peu d'expérience, donc peu d'affections du Corps, comparé au Corps d'un adulte. Et donc l'enfant a peu d'idées.

Miam a écrit :Il faut donc distinguer l’inconscience physiologique de la méconnaissance de son corps. Il n’y a pas d’inconscient physiologique parce que nous percevons « tout ce qui arrive » dans notre corps, c’est à dire ses affections, de sorte que « le Corps humain existe conformément au sentiment que nous en avons » (II 12 et II 13c). Cela ne veut évidemment pas dire que le corps est (et non plus « existe ») comme nous le sentons. Autrement dit, cela ne veut pas dire que nous avons l’idée de la nature de notre corps, ou d’une partie d’icelui de sorte que l’on sache comment cette affection arrive ou encore : cela ne veut pas dire que l’on connaît les causes des affections de son Corps. En ce sens on peut parler d’inconscience, mais alors comme non-savoir des causes des affections, non pas comme non-réflexivité ou non-savoir des affections elles-mêmes. C’est pourquoi j’ai dit qu’il n’y avait pas d’inconscient physiologique mais je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas d’inconscient en général. Du reste tu sembles avoir compris cela à la fin de ton texte. Mais je viens de le lire maintenant et je ne vais pas gommer ce qui précède.


En effet, ce que tu viens d'écrire était ce que je voulais dire à la fin. Mais c'était une bonne idée de ne pas l'avoir effacé car cela soulève de nouveaux problèmes: peut-on être certain que la conscience, ce n'est que le fait d'avoir des idées de nos affections du Corps? Et faut-il restreindre la conscience aux idées adéquates? Si oui pourquoi?

Miam a écrit :Enfin, si l’on fait attention au processus physique de l’affection, il faut définir celle-ci comme un changement de communication de mouvement dans la partie affectée (cf. Lemmes). Or cette partie est définie comme le rapport selon lequel les parties de cette partie se communiquent leur mouvement. Il suit que pour conserver sa nature et sa forme, la partie affectée doit elle-même communiquer différemment ses mouvements aux parties contigues. Celles-ci seront donc également affectées. Par conséquent tout le corps sera affecté puisqu’il est lui-même défini comme le rapport selon lequel ses parties se communiquent leur mouvement. Toute affection affecte donc tout le corps.


l'idée est séduisante, mais que fais-tu alors avec le premier axiome de la 5e partie, qui dit que si dans un même sujet sont excitées deux actions contraires, il devra nécessairement se faire un changement soit dans les deux, soit dans une seule, jusqu'à ce qu'elle cessent d'être contraires? Cela ne l'implique-til pas qu'un changement d'une partie seul soit concevable?
D'ailleurs le lemme 7 ne prévoit-il justement pas la possibilité que seulement une partie du Corps se meut? "En outre, un Individu ainsi composé garde sa nature, qu'il se meuve en son entier, ou qu'il soit en repos, ou qu'ils se meuve vers telle ou telle partie, pourvu que chaque partie garde son mouvement, et le communique aux autres comme auparavant". Pour rester un seul Individu, il faut donc que le rapport de mouvement et de repos entre les différentes parties soit respecté. Mais si pe entre telle et telle partie, il existe un rapport de repos, ne faudrait-il pas que ce rapport de repos reste inchangé, même si quelque chose affecte à tel ou tel endroit le Corps?

Miam a écrit :Dans le cas contraire on ne pourrait parler de l’affection d’un corps mais seulement d’une de ses parties et l’idée d’une affection du corps (idée qui constitue le Mental II 11, 13, 15d) ne serait pas l’idée du corps existant en acte mais l’idée de telle partie du corps, celle qui est affectée.


alors selon toi si on sort du coiffeur, ce n'est pas seulement la partie 'cheveux' qui a été affectée, mais tout le Corps ... ?

Miam a écrit :Si je crie de mal parce que j’ai marché nus pieds sur la pointe d’un clou, c’est que ma bouche et mon gosier ont été affectés par ma blessure au pied.


oui, mais en quoi cela affecterait-il pe l'état de l'ongle du petit doigt?

Miam a écrit : Du reste, même sans cette remarque, l’hypothèse qu’une seule partie du corps est affecté demeure absurde car toutes les parties du corps sont continuellement affectées, qu’on en ait conscience ou non (puisque nous ne connaissons pas les parties du corps).


je ne vois pas vraiment l'absurdité?

Miam a écrit :Quant à la simultanéité.

Tu écris :
« Mais as-tu déjà trouvé des passages qui confirment cela explicitement? »

Une multitude de passages. Le parallélisme est expliqué par la simultanéité. Le parallélisme ontologique par exemple en I 10s car les attributs sont toujours en même temps (simul) dans la substance, sans quoi ils ne relèveraient pas de la même puissance d’agir et les modes y contenus de même degré de perfection (par exemple le corps et le mental correspondant à ce corps) ne seraient pas une seule et même chose suivant d’un même ordre causal. Quant au parallélisme épistémologique – celui dont on a affaire ici puisqu’il y s’agit de la relation de l’idée avec son objet : « J’entends par affect les affections du corps (…) et simultanément les idées de ces affections » (III D3) ; ou encore, lorsque l’objet de l’idée est elle-même une idée, donc quant à la réflexivité ou idée de l’idée : « Qui a une idée vraie sait en même temps (simul) qu’il a une idée vraie et ne peut douter de la vérité de sa connaissance » (II 43). Autrement dit : qui a une idée vraie a simultanément l’idée de cette idée vraie. La réflexivité est donc simultanéité.


oui, cela me semble effectivement assez convaincant.

Miam a écrit :Tu écris :

« Oui, je veux bien te croire, mais alors seulement du point de vue de Dieu. Car là, le temps n'est que ce qui caractérise l'un de ses attributs, l'Etendue. »

En aucune façon ! Où vas-tu chercher que le temps caractérise l’étendue ? L’attribut étendue est tout aussi éternel et conçu par soi que les autres attributs.


C'est qu'aussi longtemps qu'une essence n'existe pas dans la durée, son rapport n'est pas effectué dans l'Etendue, non? L'essence de l'attribut de l'Etendue peut bien être, comme toutes les essences, éternelles, je ne vois pas en quoi cela empêcherait cet attribut d'avoir comme caractéristique d'exprimer quelque chose qui est de l'ordre du temporel.
Sinon, donc si selon toi la durée (et donc le temps) n'est pas une propriété de l'Etendue, où la situerais-tu?

Miam a écrit :Tu écris :

« D'autre part, est-ce que la simultanéité n'est pas une propriété temporelle, une propriété du temps? Peut-on dire qu'en Dieu tout est simultané si seulement un attribut à lui à quelque chose à faire avec le temps? »
Ca c’est une bonne question. Mais force de constater que même dans l’éternité, Spinoza use du mot « simul ». Ainsi en I 10s.


en effet, bien vu. Je ne l'avais pas remarqué, me basant sur la traduction de Pautrat qui ici opte pour le tout aussi correcte 'ensemble'.

Miam a écrit : Sans doute parce que les attributs, qui sont éternels, suivent pourtant un ordre causal. Il faut également noter que le temps, pour Spinoza, et contrairement à la durée, est un pur être de raison.


ah oui? Qu'est-ce qui te fait dire cela?

Miam a écrit : Quand il parle ici de simultanéité (entre deux attributs, ou deux modes correspondant dans deux attributs, ou l’idée et son objet modal), il ne peut donc s’agir d’une simultanéité dans ce temps imaginaire, qui est discontinu. Il semble pourtant le faire lorsqu’il s’agit de deux affections simultanées (comme en II 18s). Toutefois la durée n’est pas le temps. La durée n’est pas un être de raison. Et elle instaure bien un avant et un après, contrairement à l’éternité, même si elle ne conduit pas à spatialiser le temps comme si celui-ci était une ligne composée de points-instants (temps imaginaire). La durée accepte donc l’idée de simultanéité, mais non comme deux horloges sonneraient midi au même moment. Or la durée est un être réel. C’est une « affection de l’existence » (PM II, 1) c’est à dire « la continuation indéfinie de l’existence » (II D5). C’est donc aussi l’affection de l’ existence qu’exprime chaque attribut (I 10s et II 19d). Car l’existence d’un mode n’est jamais qu’un mode de l’existence infinie qu’exprime l’attribut. On peut donc, semble-t-il considérer la simultanéité comme l’affection de l’éternité qu’exprime chaque attribut. Et c’est pourquoi on peut dire que tous les attributs sont simultanés, que l’idée est simultanée à son objet, mais aussi que deux affections sont simultanées.


ici je crains que tu ailles un peu trop vite pour moi. Où est-ce que tu trouves cette distinction entre temps et durée plus précisément?

Miam a écrit :Tu écris :
« Là pour moi c'est assez problématique. Est-ce que je t'ai bien compris si je dis que ce en quoi les mots 'miment' les idées, selon toi, c'est le fait de pouvoir être simultanés? Et que donc tu 'définirais' la réflexivité par la simultanéité? »

C’est cela même.

Tu écris :
« Si oui: deux problèmes. D'abord celui concernant la simultanéité des idées en tant que telle (voir ci-dessus; donc la simultanéité entre l'idée et l'idée de cette idée etc). »

Ce n’est pas du tout un problème pour autant que tu distingues la puissance d’agir de la puissance de penser ou encore l’idée-mode de l’idée-être objectif, de sorte que l’idée est simultanée à l’idée de l’idée.


je ne me souviens plus très bien de cette distinction puissance d'agir - puissance de penser. Mais de toute façon, ce que tu écris ci-dessus cc le 'simul' montre en effet que nous avons simultanément l'idée et l'idée de l'idée.

Miam a écrit :Tu écris :

« Je comprends bien que quand je dis 'pomme', je SAIS que j'ai dit 'pomme', c'est-à-dire j'ai une idée de cette affection, de ce mouvement corporel qui consistait à dire 'pomme'. Mais ce savoir n'implique en rien que j'aurais déjà dit, en même temps 'je dis pomme', non? »

Non seulement tu sais toi même que du dis « pomme » quand tu dis « pomme », mais ton interlocuteur le sais aussi. Donc dire « pomme », c’est dire « je dis pomme ». C’est ce que tu communiques à ton interlocuteur même si celui-ci est toi-même. Après tu ne pourras pas dire que tu n’as pas dit « pomme », quand bien même tu n’aurais pas dit « je dis « pomme » ».


oui d'accord, mais quand il s'agit de la simultanéité entre l'idée du mot et mon idée de mon idée, je ne vois pas pourquoi il faudrait passer par un interlocuteur. A nouveau, ce que tu viens d'écrire cc le 'simul' me semble tout à fait suffisant pour expliquer ce phénomène.

Miam a écrit :Le langage est avant tout un acte et un acte de communication, que l’on communique à soi même ou aux autres. Or tout acte de langage est réflexif contrairement aux autres actes.


dans quel sens utilises-tu ici 'acte'?
Et pourquoi un acte de langage serait-il réflexif?

Miam a écrit : Quand on fait quelque chose, on n’agit pas son acte nécessairement. On ne l’assume pas nécessairement. D’ailleurs la plupart de nos actes demeurent inconscients (je dis : « la plupart de nos actes ». Pas : « la plupart de nos affections »). Au contraire, on dit toujours son dire parce que les actes de langages sont toujours réflexifs dans la mesure même où l’on communique un sens à soi-même ou aux autres par le langage alors qu’un acte non langagier n’est pas nécessairement la communication d’un sens (dans la mesure où il n’est pas destiné à être communiqué, pas même à soi-même). C’est pourquoi je dis que la réflexivité et par conséquent l’idée de l’idée, norme de vérité, et par conséquent la vérité elle-même, c’est à dire l’idée de Dieu, est la condition nécessaire de toute communication, que celle-ci soit langagière ou non.


sans doute me faudrait-il d'abord mieux comprendre ce que tu veux dire par 'acte' avant de comprendre ta conclusion.

Miam a écrit :Ensuite : convenance n’est pas comparaison.


non, mais il faut bien comparer deux idées avant de pouvoir constater en quoi elles conviennent, s'opposent ou diffèrent, non?

Miam a écrit : Où vois tu quelque comparaison dans les notions communes ?


je n'en vois pas. Pourquoi serais-je censée en voir une?

Miam a écrit :Le modèle de la nature humaine n’est pas une notion commune, c’est une image commune.


déjà je ne vois pas trop ce que pourrait être chez Spinoza une 'image commune' (au contraire, comme déjà expliqué cela me semble être une contradictio in terminis), mais ensuite il me semble que le 'modèle' que Spinoza propose n'a rien en commun avec quoi que ce soit qui pré-existe à l'écriture de l'Ethique. L'Ethique crée un nouveau modèle de la nature humaine, non pas comme copie de cette nature, mais comme ce qui devrait nous permettre de mieux guider nos comportements.

Miam a écrit :L’ « exemplar », dans toute philosophie alléguant quelqu’archétype, c’est toujours une image ou une ressemblance entre une image et une « espèce » (species, eidos), donc encore une image.


tu lierais la philosophie de Spinoza à une pensée d'archétypes ... ?

Miam a écrit :La notion commune ne vient pas d’une comparaison entre des images, mais au contraire de l’usage des corps eux-mêmes. Relis les passages sur les notions communes, tu n’y trouveras nulle comparaison mais seulement la saisie de parties corporelles infinitaires, c’est à dire de mouvements, communes aux corps ou, ce qui revient au même, la convenance entre natures. Quand tu prends un verre pour boire son contenu, tu as quelque chose de commun avec ce verre, à savoir le mouvement que tu imprimes au verre pour le porter à ta bouche; et partant tu as la notion commune de ce mouvement commun : tu as l’idée adéquate de ce mouvement et, par conséquent, tu pourras sans mal porter le verre à ta bouche. Si tu n’as pas cette notion commune, tu ne sauras comment prendre le verre ni quelle pression est nécessaire pour le prendre sans le casser. Prendre un verre, c’est déjà tout un ensemble de notions communes concernant la forme, la grandeur, le poids, la solidité, le mouvement nécessaire etc… du verre (hips ! C’est bien vrai ça ! Tout un travail de lever le coude !). La comparaison peut éventuellement suivre la notion commune comme une comparaison entre d’une part ces propriétés objectives du verre dont j’ai alors les idées claires et distinctes tirées de cette notion commune et d’autre part les propriétés de même sorte d’un autre objet, que j’ai également tirées à partir d’une autre notion commune. Ces idées de propriétés, quand bien même elles nécessiteraient des auxiliaires de l’imagination tels la mesure et le nombre, n’en seront pas moins adéquates parce qu’elles suivent d’idées adéquates et en premier de notions communes. Mais comment pourrais-je connaître la solidité et le poids de ce verre sans le prendre avec ma main (ou autre chose du reste) ?


oui, je ne voulais effectivement pas lier la notion commune avec une comparaison. Ceci étant dit, pour l'instant je ne vois pas encore très clair cc ces 'notions communes'. C'est quoi pour Spinoza, avoir quelque chose en commun? Si on a quelque chose en commun, qu'est-ce que cela peut être?
Faudrait-il dire que quand je prends le verre et le porte à ma bouche, le verre et mon bras forment un seul Individu, dans le sens où ils causent ensemble un seul effet (me désalterer)? Est-ce alors la production de cet effet qu'ils ont en commun? Si oui, dans ce cas ce que l'on a en commun n'est jamais que quelque chose de l'ordre de la causalité, et pas de l'ordre de l'une ou l'autre propriété (mon bras et le verre ont peu de propriétés en commun, ne fût-ce que le fait d'être tous les deux des modes de l'attribut Etendue).

Miam a écrit : Quant aux « convenientias, differentias et oppugnatias » de II 29s, ils pourraient certes sembler relever de ces sortes de comparaisons-là, mais on retrouve les mêmes termes quant aux contrariétés, convenances et différences entre des natures en IV 31, 32, 33, 34, où il s’agit d’utilité des choses et non de propriétés qui seraient, à te suivre, comme aristotéliciennement abstraites par comparaison entre les images des choses.


je ne suis pas certaine de comprendre ta comparaison entre ce que je voulais dire et Aristote, mais en tout cas, je ne voulais pas associer comparaison et abstraction. On peut comparer deux idées pour voir en quoi elles conviennent tout en se situant au niveau de ces idées et non pas à l'un ou l'autre niveau 'abstrait'.

Miam a écrit :Tu écris :

« c'est bien l'imagination qui essaie d'avoir une idée claire et distincte de différentes images, en effet, créant des 'universaux' quand trop d'images s'imposent à la fois, c'est-à-dire des idées confuses. Mais si l'Esprit 'comprend' en quoi certaines idées conviennent ou s'opposent entre elles, ne fait-il pas autre chose qu'imaginer? »

Ben non. Justement. Sinon on ne nommerait pas le premier genre de connaissance « imagination ».


oui, c'est en effet l'objection que l'on peut faire. Seulement, pendant un certain temps je croyais que la connaissance du 1e genre se distinguait de celle du 2e genre par le fait que c'était le propre de la raison de pouvoir effectuer ces opérations de contemplation de convenances, oppositions et différences. Pourtant on voit bien que l'imagination elle aussi s'accomplit par le biais des convenances. Faudrait-il donc seulement distinguer la connaissance du 1e genre de celle du 2e par l'objet sur lequel elle porte? La connaissance du 1e genre formant des idées d'images, tandis que celle du 2e genre des idées d'idées?
Dans ce cas, l'Esprit est donc capable de constater des convenances aussi bien entre des images (et alors il imagine) qu'entre des idées (et alors il raisonne)?
Reste que la vérité elle aussi se définit par cette 'convenance'. Et qu'elle ne se rencontre qu'à partir du 2e genre de connaissance. Si l'idée vraie se caractérise par la convenance entre l'idée et son objet, alors effectivement il ne s'agit pas de la convenance telle que l'utilise l'imagination, qui ne peut distinguer que des convenances entre images, et non pas, on dirait, entre une idée et l'image. Tandis que le 2e genre de connaissance contemple les convenances entre idées d'une part, et est le domaine propre des idées des idées d'autre part. Peut-on en conclure que l'idée vraie, c'est toujours l'idée qui a une idée comme object? Ou qui a de différentes idées comme objet, et les com-prend en tant qu'elles se conviennent?
Bien à toi,
louisa.

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Messagepar Miam » 29 oct. 2006, 15:50

Salut Louisa.

Je vais essayer d’être court car si nous répondons point par point nous risquons de produire des tartines de plus en plus indigestes.

Quant aux notions communes. Je ne vois pas où est le problème. II 38 et 39 considèrent bien les idées (ou notions) de ce qui est commun entre les corps. Il n’y a pas de sive parce que les idées adéquates sont soit des notions communes, soit comme tu dis « fondées » sur les notions communes - suivent des notions communes - mais ne sont pas nécessairement des notions communes. Quant au troisième genre de connaissance, il est également fondé sur les notions communes, mais celles-ci ne sont plus partielles comme en II 39 et concernent la chose singulière toute entière.

Quant aux idées inadéquates, si elle est rapportées à Dieu, elle est vraie. Autrement dit elle est ce qu’elle est. C’est seulement si l’on considère l’ordre des idées, l’ajustement des idées, qu’elle est dite inadéquate parce qu’il lui «manque » quelque chose pour être ajustée aux autres. Mais en elle-même elle ne comporte aucune privation. Sans quoi le faux serait quelque chose de positif et non un non-être.

Quant à la communauté d’images. Si. Spinoza emploie le syntagme « image commune » : « imaginem communem » en II 40s1. Ce qui répond à la suite. Et c’est possible simplement parce que des hommes vivant sur un même territoire et produisant ensemble ont fatalement des habitudes communes, c’est à dire des images communes. Cela me paraît évident. Ce qui répond à la suite. Qu’est-ce qu’une culture sinon un ensemble d’images communes fondée sur une vie commune ? D’une manière générale, il est absurde de considérer un homme indépendamment d’une communauté humaine, sauf bien sûr d’un point de vue méthodologique. Cela me paraît évident aussi. De même que la ressemblance concerne des images et non des choses singulières puisque, sauf en troisième mode de connaissance, nous n’avons aucune idée adéquate de choses singulières.

Quant aux psys. Pas du tout les psys jungiens crypto-fascistes. Les psys lacaniens peut-être. Ou plutôt : les bons lecteurs de Lacan (ou Laplanche). De toute façon, d’une manière générale, je déteste cette corporation autant que toi car je m’y suis frotté et m’y frotte encore par obligation (mais plus pour moi je te rassure). Je suis un grand destructeur de psys. Ils ont peur de moi, ces flics de la conscience.

Quant à l’arbitraire du langage. L’esprit ne compare rien du tout. Et il n’y a aucune convenance précisément parce qu’il n’y a rien de commun sinon la simultanéité arbitraire du mot et de la chose (cf. II 18s).

J’ai déjà répondu plus haut à un certain nombre des questions suivantes.

Quant à l’idée d’une idée adéquate, elle est derechef adéquate. Elle n’a pas besoin d’être indépendamment adéquate « avant » d’être l’idée d’une idée adéquate (cf. II 33).

Si Spinoza distingue l’appétit et le désir, c’est en fonction de l’usage des mots (de ce qui est « dit »). La connaissance de son effort n’est certainement pas réservée à l’homme, sans quoi le parallélisme épistémologique n’a plus aucun sens.

Suite. Je ne vois pas en quoi cela contredit Deleuze. Avoir une idée inadéquate n’empêche pas d’avoir l’idée de cette idée inadéquate. Seulement cette idée d’idée sera elle-même inadéquate (cf. II 29). Cela n’empêche pas le mental d’être conscient de son effort, c’est à dire d’en avoir une idée (III 9, puisqu’il a fatalement les idées de ses affections corporelles). Seulement cette idée sera inadéquate : le mental ne connaîtra pas l’ordre des causes qui lui permet de corriger cet effort fondé sur une idée inadéquate. Il en est ainsi par exemple chez l’enfant, l’ivrogne, le bavard, etc… et chez nous tous lorsque nous avons des idées inadéquates.

Ensuite : avoir connaissance (ou conscience) de son effort, ce n’est pas avoir conscience (ou connaissance) de soi-même. Avoir connaissance de soi-même, c’est avoir une connaissance adéquate de soi-même, c’est à dire de l’ordre causal qui conduit nos affects. Avoir conscience de son effort, c’est simplement être conscient de son appétit, quand bien même celui-ci serait « inadéquat » (fondé sur des idées adéquates). D’une manière générale, on remplace « conscient » par « connaissant », cela permet d’éviter les anachronismes.

Quant à la physique. Il s’agit dans la cinquième partie de deux actions contraires. Deux mouvements (ou communications de mouvement) contraires sont impossibles dans un corps. Mais cela n’empêche pas la nécessité pour un corps de s’adapter aux affections en fonction de son rapport interne de mouvement.


Tu écris :
« Mais si pe entre telle et telle partie, il existe un rapport de repos, ne faudrait-il pas que ce rapport de repos reste inchangé, même si quelque chose affecte à tel ou tel endroit le Corps? »

Le rapport de mouvement et de repos est un rapport global comme le montre précisément le Lemme 7. Pas un rapport dans telle ou telle partie. Si tu te casse le bras, cela affectera tout ton corps (et ton mental).

Tu écris
« éalors selon toi si on sort du coiffeur, ce n'est pas seulement la partie 'cheveux' qui a été affectée, mais tout le Corps ... ? »

Absolument. Il n’y a pas beaucoup de rapports de mouvement et de repos dans les cheveux. Mais si je me coupe les cheveux, je sentirai plus le vent qu’auparavant. De même si je les coiffe en chignon ou en permanente : je ne serai pas affecté de la même manière par les corps extérieurs.

Quant à l’ongle du petit doigt. Il sera affecté par exemple parce que le flux sanguin dans le petit doigt sera affecté et affectera par suite la vitesse de pousse de l’ongle du petit doigt. Mais je ne suis pas biologiste. PS. Découper le corps en parties indépendantes conduit à la pornographie… Que je sache, le corps consiste en un tout organique, pas en une agrégation de parties. Ce que cherche à nous montrer Spinoza, c’est précisément qu’aucun corps, vivant ou non, n’est une simple juxtaposition de parties. C’est du reste ce qui distingue les physiques cartésiennes et spinoziennes.
Tu écris :
« C'est qu'aussi longtemps qu'une essence n'existe pas dans la durée, son rapport n'est pas effectué dans l'Etendue, non? »

Non. Un être formel n’existe pas dans la durée parce qu’il n’existe pas présentement. Mais il a existé ou existera. Il a donc (considéré comme corps) un rapport de mouvement sub specie aeternitatis où il n’y a ni avant ni après. Enfin : la durée, écrit Spinoza, est « une affection de l’existence ».

Quant au temps c’est Spinoza qui le dit. Le temps est un produit de l’imagination. Quant à la différence entre la durée et le temps, il suffit de lire Spinoza. Nicolas Israël a sorti un bouquin très explicite sur ce sujet : « Spinoza. Le temps de la vigilance », Payot, 2001. Peut-être trouveras-tu également cette distinction dans ce site même du côté des notions expliquées ?

Suite : ton interlocuteur peut être toi même. Cela ne change rien à l’affaire.

Sur les actes de langages réflexifs, voir les « performatifs » d’Austin et ses développement par ses successeurs-critiques. Où l’on s’aperçoit qu’en vertu de la réflexivité de tout langage, tout énoncé est performatif. Je ne peux pas développer plus ici. Cela demanderait tout un cours.

Convenance n’est pas comparaison. La première relève de l’entendement (des notions communes). La seconde de l’imagination. Mais certes, on peut comparer à partir des notions communes en usant des « auxiliaires de l’imagination » utiles à l’entendement. Par exemple le modèle de la nature humaine, qui n’est qu’une idée régulatrice pour le comportement éthique. Donc, justement : je ne vois pas du tout la pensée spinoziste comme « d’archétypes ». Au contraire…

Il y a beaucoup de choses communes : les images, les affects, les notions, le « quelque chose » (pouvant être l’une ou l’autre des précédentes)... Mais ce qui est commun dans les notions communes, ce sont soit ce qui est commun à toutes choses (II 38), soit des mouvements communs, c’est à dire des individus corporels communs (puisqu’un corps est intrinsèquement un mouvement) et, par suite, des parties ou des propriétés communes (pas nécessairement aux deux corps mais au moins à une partie de l’un et au tout de l’autre (II 39). J’appelle cela la « méréologie » (étude des rapports parties/tout) spinozienne, que permet sa physique, et qui permet elle-même de résoudre bien des problèmes de la métaphysique (aristotélicienne d’abord, moderne ensuite). Je ne peux pas expliquer cela plus clairement qu’avec l’exemple du verre. Un corps ou une partie d’un corps et un mouvement, c’est la même chose, de même que le cercle est le mouvement d’un compas dans le TRE.

Ensuite : l’imagination n’opère pas par convenance mais par images communes ou comparaisons, même si toute idée de l’imagination doit toujours être fondée sur un minimum de notions communes, donc de convenance. L’idée vraie c’est l’idée d’un objet, l’essence objective comme dit le TRE, et par conséquent l’idée de cette idée. L’objectivité ne se distingue pas de la réflexivité.

A+
Miam


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