Spinoza et la psychanalyse

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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Pej
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Messagepar Pej » 28 mars 2007, 11:22

Il faudrait alors se mettre d'accord sur le terme "totalisant". Par là j'entendais que le conatus est plus englobant (il assimile Pierre et la pierre), là où la libido reste caractéristique de l'animal.
Je trouve justement que comparer la force de résistance de la pierre et la "force de résistance" de l'être humain est une des grandes faiblesses du spinozisme. C'est une généralisation plus qu'abusive, pour le coup historiquement marquée, puisque c'est le succès de la physique classique qui se manifeste ici (en ce sens, on reproche par exemple à Kant d'avoir été sous l'emprise de Newton, mais Spinoza était de même sous l'emprise de Galilée). Entre la pierre qui "résiste" à une modification de son mouvement, et un animal qui cherche à survivre, il n'y a AUCUN rapport (sauf à défendre un réductionnisme total). L'explication du premier phénomène fait intervenir des lois qui sont totalement différentes de celles qui interviennent dans l'explication du deuxième phénomène.
Je ne tiens par particulièrement à défendre Freud coûte que coûte, même si c'est un auteur que j'apprécie beaucoup. Il est légitime de le critiquer, mais la nature des critiques est très variable. Pour ma part, je pense qu'une critique fondamentale de Freud (c'est-à-dire une critique objective de sa démarche dans son ensemble, et non de tel ou tel détail en particulier) ne peut que rebondir sur Spinoza. Autrement dit, critiquer Freud sans critiquer Spinoza me paraît difficile, sinon impossible.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 28 mars 2007, 20:16

Pej a écrit :Il faudrait alors se mettre d'accord sur le terme "totalisant". Par là j'entendais que le conatus est plus englobant (il assimile Pierre et la pierre), là où la libido reste caractéristique de l'animal.


je dirais qu'est totalisant ce qui prend un principe valable seulement pour une partie et qui veut l'étendre au tout.
Ce qui en revanche est commun aussi bien au tout qu'à toutes les parties n'est pas totalisant, mais seulement 'englobant'.

Dans ce sens, il me semble difficile de nier que Pierre et la pierre ont effectivement un tas de choses en commun. Le conatus, le fait de résister à une force extérieure quand celle-ci essaie de détruire la chose, est tout à fait commun à tout ce qui existe. Mais il y a également le fait qu'aussi bien la pierre que l'homme sont constitués de matière, qui elle-même contient des molécules, des atomes, des particules, et ainsi de suite. C'est bien parce que nous avons quelque chose en commun avec les atomes radioactives qu'il est possible de prendre des photos 'röntgen' de mes poumons, qui pourtant n'en sont pas moins 'humains' et même singuliers, car il m'appartiennent à moi, et à aucun autre Corps.
De ce côté-là, je ne vois pas comment on pourrait dire que Spinoza a 'vieilli', comme vous l'avez formulé quelque part. Aujourd'hui, on a trouvé encore beaucoup plus d'éléments que les hommes ont en commun avec les choses inanimées, et c'est précisément ce qui fait que notre technologie a beaucoup avancé.

Pej a écrit :Je trouve justement que comparer la force de résistance de la pierre et la "force de résistance" de l'être humain est une des grandes faiblesses du spinozisme. C'est une généralisation plus qu'abusive, pour le coup historiquement marquée, puisque c'est le succès de la physique classique qui se manifeste ici (en ce sens, on reproche par exemple à Kant d'avoir été sous l'emprise de Newton, mais Spinoza était de même sous l'emprise de Galilée). Entre la pierre qui "résiste" à une modification de son mouvement, et un animal qui cherche à survivre, il n'y a AUCUN rapport (sauf à défendre un réductionnisme total). L'explication du premier phénomène fait intervenir des lois qui sont totalement différentes de celles qui interviennent dans l'explication du deuxième phénomène.


non. La médecine ajoute chaque jour de nouvelles découvertes à la liste de toutes les caractéristiques que les corps humains ont en commun avec les pierres (voir la nanotechnologie pe, qui est en plein essor).
Pour être réducteur, il faut non seulement constater des choses communes entre deux entités différentes, il faut NIER qu'il y a des différences essentielles, et expliquer l'essence de l'une par ce qui ne vaut que pour l'essence de l'autre.
Dire que la vie de Pierre ne diffère en rien de la vie de la pierre, pe, voilà ce qui serait réducteur. C'est bien pourquoi dire que TOUTES les productions humaines se réduisent au libido de l'animal est réducteur. Cela efface tout ce qui constitue les différences essentielles entre ces animaux, et donc notamment les différences essentielles entre les hommes et les autres animaux.
Spinoza est pourtant très clair là-dessus. Prenons pe le TP 5/5:

"Par conséquent, lorsque nous disons que l'Etat le meilleur est celui où les hommes passent leur vie dans la concorde, j'entends par là une VIE HUMAINE, qui SE DEFINIT non par la seule circulation du sang et par les autres fonctions communes à tous les animaux, mais AVANT TOUTE CHOSE par la RAISON, véritable vertu de l'âme, et SA VRAIE VIE."

On voit bien que ce qui DEFINIT pour Spinoza la VRAIE VIE HUMAINE, c'est précisément ce que les hommes N'ONT PAS en commun avec les autres animaux.
On peut d'ailleurs déjà le constater dans sa définition de l'essence, qui elle aussi dit que rien de ce qui est commun aux autres animaux peut définir l'essence de tel ou tel animal.
C'est bien exactement cette règle de non réduction que Freud transgresse de manière absolue. Il prend UNE SEULE des différentes fonctions que le corps humain a en commun avec les autres animaux, et prétend là avoir trouvé ce à quoi il faudrait réduire toute production humaine. Je ne vois vraiment pas comment en déduire que Freud serait MOINS réducteur que Spinoza.

Pej a écrit :Je ne tiens par particulièrement à défendre Freud coûte que coûte, même si c'est un auteur que j'apprécie beaucoup. Il est légitime de le critiquer, mais la nature des critiques est très variable. Pour ma part, je pense qu'une critique fondamentale de Freud (c'est-à-dire une critique objective de sa démarche dans son ensemble, et non de tel ou tel détail en particulier) ne peut que rebondir sur Spinoza. Autrement dit, critiquer Freud sans critiquer Spinoza me paraît difficile, sinon impossible.


pourtant, il n'est pas très difficile de constater que Freud réduit l'homme à un animal dont la fonction vitale ne serait pas la conservation de soi, mais la reproduction de soi. Fonction qui en plus déterminerait tout acte humain. On peut donc très bien critiquer Freud PAR Spinoza, en rappelant qu'il y a une différence entre conservation de soi et réproduction de soi, et que pour l'instant, aucune donnée scientifique a permis de conclure que tout ce qui concerne la conservation de soi peut être réduit à ce qui n'est que reproduction de soi. Au contraire, pour l'instant au niveau scientifique la différence est évident: on peut ôter les organes sexuels d'une personne, et une personne peut être infertile, ses fonctions vitales restent complètement intactes. Si en revanche on enlève ce que les médecins appellent les fonctions vitales de l'homme, comme pe le coeur, alors voilà que l'homme en question mourira immédiatement. C'est bien ce qui prouve que même chez les animaux en général, les fonctions vitales et donc les organes vitaux ne sont PAS les mêmes que les fonctions de reproduction ou les organes sexuels. C'est parce que Freud nie cette différence, qu'il est réducteur (aussi bien pour l'homme que pour les autres animaux, d'ailleurs).

Comme il s'agit là d'une divergence fondamentale entre ces deux auteurs, je ne vois pas pourquoi les critiques qui concernent la psychanalyse seraient d'office d'application au spinozisme.
Bien à vous,
Louisa
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Messagepar Louisa » 28 mars 2007, 20:34

Autrement dit: pour Spinoza ce qui est proprement humain, c'est tout ce que le corps humain n'a PAS en commun avec les autres animaux. Pour Freud, le corps humain est essentiellement le même que celui des autres animaux. Ce que l'homme fait en plus, c'est 'sublimer', mais au fond, cela ne change rien, ce n'est qu'une petite complication du même phénomène de base. C'est ce qui permet de dire que pour Freud, il n'y a essentiellement AUCUNE différence entre un corps humain et un corps de n'importe quel autre animal. Il réduit donc le proprement humain à quelque chose de commun aux animaux sexuées.

Mais il est vrai qu'il faut peut-être mieux distinguer le totalisant et le réducteur que ce que j'ai fait dans mon avant-dernier message. Freud est réducteur en ce qu'il nie une spécificité essentielle au corps humain, mais il est totalisant là où il croit pouvoir étendre les exigences d'une seule des fonctions corporelles des animaux sexués à celles de la conservation de soi. Et là, il n'est pas seulement totalisant, mais également contraire à ce que nous disent actuellement les sciences: non, ce qui tient en vie un organisme animal n'est pas sa capacité de se reproduire, mais c'est bien tout ce qui est nécessaire pour faire fonctionner ses organes dits non par hasard 'vitaux', organes parmi lesquels ne figurent PAS les organes sexuels, n'en déplaise à Freud ... .
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Messagepar Louisa » 28 mars 2007, 21:53

PS: petite variante sur le thème d'un Freud réducteur.

On pourrait dire que Freud est doublement réducteur:
1) il réduit l'homme à ce que celui-ci a en commun avec les autres animaux
2) il réduit le principe fondamental motivant la vie animal aux seules fonctions corporelles de reproduction.

Spinoza, sur ces deux points, fait exactement l'inverse. Certes, on peut dire qu'aussi bien les animaux que les hommes sont définis par le conatus, mais ce qui constitue ce conatus chez les deux est essentiellement différent. Et il va de soi que chez Spinoza, le corps n'est pas du tout réduit à ses fonctions reproductive.

Mais Spinoza voit une autre façon très concrète de réduire l'homme à un animal. C'est sa pensée cc la crainte. On sait que chez Freud, on ne peut développer une personnalité stable et plus ou moins 'saine' que si l'on a passé le complexe d'Oedipe. Crucial dans ce complexe est un autre complexe: le complexe de castration. Ce complexe se produirait aussi bien chez le garçon que chez la fille, tous les deux étant obsédés par le fait d'avoir ou de ne pas avoir un pénis. A mon sens, ce que Freud appelle 'le primat du pénis' est de nouveau totalement réducteur, et on sait que les féministes le lui ont déjà bien fait comprendre. Mais laissons cela de côté un instant; ce que je veux souligner ici, c'est que ce qui selon Freud est crucial pour pouvoir avoir une vie plus ou moins équilibrée, c'est cette angoisse de castration. Sans elle, on ne peut pas devenir un neurotique plus ou moins heureux. Il est donc clair que pour Freud, la base de l'entrée dans une vie de sublimation (celle-ci étant nécessaire pour ne pas trop souffrir), c'est la crainte.

Or que dit Spinoza par rapport à la crainte? Dans l'Ethique, il n'est pas seulement contre, dans le sens où toute crainte est une diminution de la puissance d'agir. A éviter donc. Dans le TP il est encore plus explicite:

TP 5/4:
"Une Cité dont les sujets, paralysés par la crainte, ne prennent pas les armes, doit être dite plutôt sans guerre qu'en paix. La paix en effet n'est pas l'absence de guerre: c'est une vertu, qui naît de la force d'âme; car l'obéissance est la volonté constante d'accomplir ce qui doit être fait selon le décret commun de la Cité. Du reste, une Cité dont la paix dépend de l'inertie de sujets conduits comme du bétail pour n'apprendre rien que l'esclavage mérite le nom de 'désert' mieux encore que celui de 'Cité'."

je crois que ceci est assez clair: là où pour Freud la crainte FONDE la Cité (voir aussi son mythe de parricide à la base de la civilisation), pour Spinoza construire une Cité (ou la personnalite d'un homme) sur la crainte, ce n'est rien d'autre que de réduire ses sujets à du bétail, soit non seulement à des animaux, mais même à ces animaux qui vivent en esclavage perpétuel.

Chez Freud, ne plus craindre la castration de la part de son papa quand on essaie de rivaliser avec lui concernant l'occupation de la lit du maman, c'est égal à devenir fou. Pour Spinoza, l'absence de crainte est la condition même de la liberté. Encore une fois, ces différences (ensembles avec celles déjà mentionnées) me semblent être si fondamentales, et avoir des conséquences si opposées que je ne vois pas comment faire du spinozisme un freudisme avant la lettre.

Pour le dire un peu caricaturalement: comme Sarkozy, Freud suppose que sans crainte omniprésente (même s'il vaut mieux qu'elle soit refoulée, donc inconsciente), on ne peut pas construire une société. Spinoza, comme Royal, suppose qu'aussi longtemps qu'il y a crainte, l'Etat n'a pas encore fait son boulot, qui est d'enlever les causes même de la crainte. Voir les réactions des deux candidats aux violences survenues à la gare du Nord hier soir, réactions notées par Le Monde d'aujourd'hui, et qu'on peut lire ici:

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0 ... 702,0.html

On y verra que pour Sarkozy, seul deux alternatives sont possibles: la crainte ou la permissivité. On voit exactement le même raisonnement chez Freud. La permissivité signifie alors qu'inévitablement l'essence essentiellement vicieuse de chaque homme va prendre le dessus, ce qui ne peut que désintégrer la société en tant que telle.
Royal (+ la candidate communiste, bref en principe la gauche; ceci n'est pas du tout un pamphlet pour la personne de Royal) en revanche semble ici quasiment parler un langage spinoziste, quand elle dit que si de telles réactions violentes surviennent à l'occasion d'une simple interpellation policière d'une personne qui visiblement transgresse les règles du droit commun (ne pas payer le billet de train), c'est que la société entière, l'Etat n'a pas bien rempli sa fonction, qui est d'ôter les causes mêmes de ces violences. Quand tant de gens s'opposent à une intervention policière, c'est qu'une partie prend les armes contre l'Etat, tandis qu'une autre reste dans la crainte. Ni l'un ni l'autre est compatible avec un 'Etat de droit absolu', comme le dit Spinoza. Cela montre au contraire la faiblesse actuelle de l'Etat.
L'Etat spinoziste n'a donc rien à voir avec de la permissivité. Qui veut règner par la crainte, traite ses sujets comme du bétail. Mais qui les laisse dans l'état de nature, les condamne tout aussi bien à la crainte perpétuelle, celle de perdre sa vie. C'est pourquoi pour Spinoza le meilleur régime n'est ni celui de la permissivité, ni celui de la crainte. C'est celui qui permet à la multitude d'être libre.
La droite entretient donc une erreur fondamentale: un Etat dans lequel des violences se produisent, ce n'est PAS un Etat permissif. Un Etat est permissif quand il ne fait PAS intervenir la police là où IL Y A des violences. Or le meilleur régime est celui qui réussit à abolir les violences elles-mêmes (mais où la police intervient bien sûr dès qu'il y a violence). Ce qui n'a plus rien à voir avec la crainte vs la permissivité, mais avec la force d'âme de l'Etat, et donc avec la force d'âme de ses citoyens. Un Etat puissant n'est donc pas un Etat qui dispose d'un énorme appareil policier. C'est un Etat qui n'en a quasiment plus besoin. Impossible, dira la droite, car l'homme est vicieux par nature. Non, dit Spinoza, l'homme est un 'animal social', et donc "les vices des sujets, leur licence excessive et leur insoumission doivent être imputées à la cité, de même en revanche leur vertu et leur constante observation des lois doivent être attribuées de manière absolue ('absoluto', adaptation de la traduction par moi-même) à la vertu et au droit absolue de la Cité". Un Etat où règne la crainte, est donc, contrairement à ce que prétend la droite, un Etat PEU puissant ... .

De même, pour terminer sur une note un peu provocatrice, c'est bien Freud qui, du point de vue spinoziste, semble traiter les hommes comme du bétail quand il croît pouvoir instituer une société sur base d'un esclavage, sur base de l'affect de la crainte (crainte d'automutilation, en l'occurrence) ... .
C'est bien aussi dans ce sens que pour Spinoza l'Etat a les sujets qu'il mérite (Etat peu puissant = sujets peu puissants = beaucoup de violence). Et ainsi la psychanalyse a inévitablement les patients qu'elle mérite (thérapeute (voire même idéologie dominante) qui réduit le patient à un animal obsédé de sexe = patient qui devriendra obsédé par le sexe = patient 'bête', dans tous les sens du mot) ... :)
Louisa
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Krishnamurti
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Messagepar Krishnamurti » 28 mars 2007, 22:31

Go Louisa! :lol:

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Messagepar Pej » 29 mars 2007, 11:53

Difficile de répondre point par point compte-tenu longueur du propos. Je vais m'essayer malgré tout à quelques remarques.
Certes, un corps humain est constitué des mêmes atomes qu'un corps inanimé. C'est pourquoi mon corps obéit au principe d'inertie, qu'il résiste quand une force s'exerce sur lui, etc. Mais entre le conatus de la pierre, et le conatus d'un être humain, il n'y a pas seulement une différence de degré ; il y a aussi une différence de nature. Le principe d'inertie explique pourquoi mon corps ne s'anéantit pas quand je tombe par terre par exemple, mais il n'explique pas pourquoi j'ai le "désir" de vivre. Sauf bien entendu à adopter un point de vue réductionniste total, qui consiste à ramener l'ensemble des phénomènes biologiques et psychologiques aux lois de la matière (mes pensées seraient alors explicables par de simples transmisions nerveuses, traduisibles en termes physico-chimiques.
Vous accusez Freud d'être réducteur à propos de la libido. Mais ce faisant, vous figez le concept de libido. Comme si la libido d'un chat était identique à la libido d'un homme. Freud à mon avis ne dit rien de tel (mais je n'ai pas lu tout Freud). Si on défend l'idée que le conatus de Spinoza peut prendre plusieurs formes, alors on doit aussi accepter que la libido freudienne puisse s'exprimer sous différentes modalités. Vous faites comme si Freud niait les différences entre un chat et un homme, ce qui m'apparaît peu "fair play".
S'agissant de la distinction entre "conservation de soi" et "reproduction de soi", je ne saisis pas bien ce qui motive votre propos. En quoi Freud réduit-il tout à la simple reproduction de soi ? Au contraire, la distinction entre pulsions d'autoconservation et pulsions sexuelles me semble aller contre cette idée. J'ai l'impression que vous adaptez une grille de lecture néo-darwinienne à Freud ; ce que vous dites peut sans doute valoir pour un biologiste comme Dawkins, mais j'aimerais connaître les passages de Freud où il dit clairement que toute la vie humaine se ramène à la seule reproduction de soi.
Sur la question de la castration, je vous rejoins. S'il y a bien une idée abusive chez Freud, c'est celle-là. Personnellement, je l'élimine du tableau psychanalytique que je considère pertinent.
Il faudrait néanmoins s'entendre sur la notion de "crainte". Dire que la vie en société a pour fondement la crainte, au sens où les hommes vivraient en société parce qu'ils ont peur de vivre seul est difficilement discutable. C'est parce que je ne peux pas vivre seul que je vis en société ; car seul, je me trouve impuissant par rapport aux forces de la nature.
Votre incursion politique me paraît fragile et les termes employés trahissent là encore Freud. Vous parlez par exemple de "essence essentiellement vicieuse" de l'homme. Ce que dit Freud, c'est qu'un être humain soumis uniquement à ses pulsions est un être associable au sens où il est impossible de vivre en société sans une restriction des pulsions (c'est ue idée d'une banalité affligeante). Parler de nature "vicieuse" est un contresens car la partie pulsionnelle de l'homme n'est pas "vicieuse". Les pulsions ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi. C'est le Surmoi qui va venir qualifier les pulsions de bonnes ou mauvaises. Autrement dit, quand vous parler d'essence vicieuse, vous parler d'un point de vue moral étranger au "ça" et qui est le propre du Surmoi.
Là où je suis d'accord, c'est que pour Freud, l'homme n'est pas un animal social, mais un être qui ne peut vivre en société que par l'usage de la contrainte. Cependant, Freud ne prône absolument pas un tel usage ; au contraire il le dénonce. Le message d'un ouvrage comme "Malaise dans la culture" c'est justement de dire que la société est abusivement contraignante, c'est-à-dire qu'à la contrainte nécessaire à toute vie en société, est venue se substituer une contrainte superflue, qui réduit la liberté des individus en les empêchant de satisfaire des pulsions qui ne sont pas "objectivement" associales (contrainte qui est alors à l'origine des névroses).
Le message de Freud est donc clair : la société moderne exerce une pression trop forte sur l'individu, qui vivent effectivement dans une crainte illégitime. Il faut donc lutter pour une libération des individus, qui passe par une disparition des craintes abusives.
Donc Freud est spinoziste. CQFD. :wink:

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Messagepar Pej » 29 mars 2007, 16:40

J'ajouterai que la confrontation entre Freud et Spinoza ne doit pas dépasser certaines limites. Spinoza propose une métaphysique là où Freud propose une anthropologie. Ne se plaçant pas au même niveau, il est normal que la comparaison et le rapprochement de certaines de leurs thèses apparaise quelque peu artificiel.

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Messagepar Faun » 29 mars 2007, 20:05

Pej a écrit :J'ajouterai que la confrontation entre Freud et Spinoza ne doit pas dépasser certaines limites. Spinoza propose une métaphysique là où Freud propose une anthropologie. Ne se plaçant pas au même niveau, il est normal que la comparaison et le rapprochement de certaines de leurs thèses apparaise quelque peu artificiel.


Il me semble que Spinoza aussi propose une anthropologie, dans les parties 3 et 4 de l'Ethique, et aussi dans le début du traité politique.
Donc Spinoza propose une métaphysique et une anthropologie, et celle-ci se fonde sur celle là, alors que Freud tente de fonder ses thèses sur la myhtologie et les histoires, autrement dit sur des poemes et des chansons.

Lorsque Spinoza se sert du seul intellect et des idées innées qui se trouvent en lui, même si elles doivent être dégagées et distinguées des images et des illusions du langage, Freud ne se sert que de références à des pièces de théatre antiques, et prétend en tirer des notions universelles alors qu'elles ne se rapportent qu'à une certaine culture précise : la culture européenne imbibée de culture grecque, romaine et juive.

Et lorsque Spinoza s'attarde dans le traité théologico-politique à analyser la Bible, c'est pour en dire que la science des prophètes ne se fonde que sur leur imagination et leurs préjugés, et il n'en tire aucune conclusion quand à la science véritable, qui doit se déduire de définitions claires et non de vagues références littéraires.

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Messagepar Aquarius_Camus » 29 mars 2007, 20:58

A titre indicatif: j'ai manqué l'expo "Spinoza et la psychanalyse" :( ainsi je ne pourrai pas en rendre compte, ni même en profiter moi-même :( :( ...pourquoi n'ai-je pas eu le temps :cry: ?!

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Messagepar Pej » 29 mars 2007, 22:52

C'est vrai que j'ai été rapide en ramenant la philosophie de Spinoza à une métaphysique (même si l'essentiel reste tout de même là).
Concernant Freud, sa tendance à accorder une place prépondérante aux mythes est effectivement exagérée. D'ailleurs, Totem et tabou (où il est question du meurtre originaire du père) est certainement un des ses livres les plus faibles. Vous êtes néanmoins sévère avec Freud en affirmant qu'il s'appuie sur des poèmes ou des chansons. Il ne s'agit bien souvent que de cautions, destinées à renforcer son propos. De plus, les mythes nous apprennent effectivement énormément sur le psychisme humain, et pas seulement sur le psychisme des européens. On remarque par exemple que certains thèmes traversent l'ensemble des mythologies ou des contes dans les différentes cultures. Dire que la réflexion de Freud ne vaut que pour la société occidentale est donc réducteur. Il y a bien chez lui une prétention à l'universel, et je pense qu'il y parvient pour une large mesure (ce qui est aussi le cas de Spinoza, je m'empresse de le préciser).


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