Spinoza et la psychanalyse

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
Krishnamurti
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Messagepar Krishnamurti » 21 mars 2007, 20:31

Normalement les confrontations sont d'une grande tenue ici. Mais je pense que ça vient plus de notre goût pour Spinoza que pour Freud :wink: :wink:

Bonne lecture! Toutes! :)

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Louisa
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Messagepar Louisa » 21 mars 2007, 22:01

Concernant l'araignée: un jour j'ai entendu un prof d'université (prof d'éthique) 'réfuter' Freud simplement sur base d'un tel argument.

Il est un fait, il me semble, qu'un tas de gens ont attrapé un genre d'allergie par rapport à la psychanalyse (ce qui parfois n'est peut-être pas sans raison, surtout si on a eu la malchance de tomber sur un psychanalyste peu compétent, ou si on entend par moments leur mépris total vis-à-vis d'autres thérapies), qui leur fait dire tout et n'importe quoi à ce sujet. Ainsi ce prof, qui d'ailleurs admettait volontiers qu'il n'avait que feuilleté 'L'interprétation des rêves', pour y rencontrer un passage où Freud dit que rêver de manière récurrente de se promener dans une ville 'signifie' être obsédé par sa propre mort. L'argument du prof en question était tout simplement qu'il lui arrive fréquemment de rêver de se promener dans une ville, mais qu'au contraire, il n'a aucune angoisse de la mort, et que cela suffit déjà pour prouver que Freud n'était rien d'autre qu'un malade, qu'il ne faut surtout pas prendre au sérieux.

Or il se fait que si on le prend au sérieux, donc si on lit plus que deux pages, on ne peut que constater que Freud lui-même avertit con-stam-ment son lecteur qu'il ne s'agit surtout pas de créer un genre de 'symbolisme' de rêves (tel que Jung a tout de même voulu construire), où un 'code' permettrait de déterminer à quel type de désir ou d'angoisse référerait quel type de symbole. Au contraire, Freud répète sans cesse qu'il faut justement passer par la technique de l'association libre pour découvrir ce que signifie tel ou tel rêve pour tel patient spécifique, signification que l'on ne peut jamais connaître avant d'avoir entendu lier deux choses par le patient lui-même.

C'est bien précisément en cela qu'il me semble qu'il y ait une correspondance avec Spinoza: la liaison en tant que telle (entre le symbole, ou le mot, ou l'idée, et son contenu 'latent') se construit selon Freud par le fait que les deux choses ont à un certain moment été présentes dans la vie du patient de façon simultaneé. Or pour Freud, c'est le fait même qu'une des deux était insupportable pour le patient, qui a fait qu'il a essayé d'oublier cet événement, tentative d'oubli qui a 'déplacé' l'affect lié à la situation difficile vers le mot ou la chose (image, idée, sensation physique partielle) qui par hasard se produisait au même moment et qui en tant que tel n'a rien de traumatisant. Ce déplacement permet au patient de continuer à vivre, mais l'affect n'étant pas 'résolu' (ce qui ne peut être le cas, chez Freud, que si l'on devient capable d'assumer consciemment les désirs interdits qui le constituent inévitablement), il ne cesse de resurgir à des moments précis, c'est-à-dire au moment où le patient pense ou entend cette autre chose, innocente en tant que telle, mais que le cerveau a lié à l'événement traumatisant.

La façon dont les affects se lient de manière tout à fait fortuite, voilà ce qui me semble être un point commun entre la psychanalyse et Spinoza. Mais en ce qui concerne les 'lois' de ces liaisons, j'ai l'impression que tout oppose Spinoza à Freud (voir ci-dessus).

Toujours est-il qu'il est bon de se rappeler que pour l'instant, rien ne permet de 'juger' de manière scientifique de ces différentes théories de l'affect. On ne peut que se baser sur sa propre expérience de vie pour se sentir plus attiré vers l'un ou vers l'autre. Entre-temps, rien n'exclut que la neurologie découvre un jour la vérité de telle ou telle idée proposée par ces théories. C'est déjà le cas pour Spinoza (voir 'Spinoza avait raison' du neurologue A. Damasio), et à mon avis il se pourrait que de telles preuves partielles se produisent également du côté de la psychanalyse, grâce à l'essor de cette nouvelle discipline qui s'appelle 'neuropsychanalyse', et qui consiste à essayer de traduire certaines idées de Freud en des propositions scientifiquement vérifiables (à l'université de Michigan pe on essaie de voir dans quelle mesure il serait possible que des mots ou même des syllabes sont porteurs d'affects, donc déclenchent immédiatement un affect dès qu'un cobaye voit ce mot ou syllabe projeté sur un écran, à une vitesse subliminale (donc sans que le cobaye ait le temps de se rendre compte qu'il a vu quelque chose). Les neuropsychanalystes sont donc des scientifiques (neurologues, médecins, psychologues expérimentaux, ...) qui s'inspirent des écrits de Freud pour inventer de nouvelles hypothèses scientifiques, qu'ensuite ils essaient de vérifier par des méthodes scientifiques. Or il va de soi que si un jour une telle hypothèse s'avère être vraie, cela ne vérifie pas d'un coup toute la théorie freudienne, tout comme le fait que Damasio a jugé utile de se baser pour certaines de ses expériences sur quelques énoncés spinozistes ne fait pas de l'Ethique un genre de Bible qui contenait déjà La Vérité de manière 'révélée'.

Pour plus d'infos: voir le tout nouveau Que sais-je? intitulé 'La neuropsychanalyse' (qui si je ne m'abuse est tout de même écrit par des partisans assez convaincus de la théorie freudienne), ou bien le livre qui veut se situer au 'juste milieu' entre les psychanalystes et les anti-psychanalystes, livre écrit après la publication du fameux 'Livre Noir' et après sa réponse par Jacques-Alain Miller, héritier officiel de Lacan en France (l'Anti-livre noir). Il s'agit de 'La guerre des psys. Manifeste pour une psychothérapie démocratique', sous la direction de Tobie Nathan, édité chez Les Empêcheurs de penser en rond. Certes, certains auteurs de ce livre figuraient déjà dans la liste des participants au 'Livre Noir', d'autres étaient longtemps eux-mêmes psychanalystes pour en fin de compte avoir pris tout de même leurs distances avec la théorie orthodoxe (ou les versions orthodoxes actuelles).
Ce même Tobie Nathan (chef de département à Paris VIII) a également publié un livre d'entretiens avec Catherine Clément, intellectuelle française qui très clairement a eu le sentiment d'être vraiment 'guéri' par la psychanalyse, et qui interroge Nathan sur ses attaques par rapport à celle-ci. C'est un livre qui se lit très facilement, mais qui donne une bonne idée de comment l'on peut critiquer la psychanalyse de l'intérieur, donc de façon informée, et non pas de manière caricaturale. Critique qui alors n'a pas pour but d'éradiquer la psychanalyse, mais de prendre le meilleur de ce qu'elle a pu inventer pour essayer d'évoluer vers une théorie plus solide. Ce livre s'intitule 'Le divan et le grigri' (Nathan s'étant spécialisé en ethnopsychiatrie, soit la psychothérapie des gens non occidentaux).
Egalement très lisible (mais ne volant pas toujours très haut; le directeur de la révue est BHL): le numéro 30 de la revue 'La règle du jeu', numéro de janvier 2006, dans laquelle un tas de gens qui apprécient la psychanalyse s'expriment, souvent de manière très personnelle, en sa faveur (notamment Laure Adler, Tahar Ben Jelloun, Catherine Clément, Pierre Mertens, Alain Minc, Jean-Luc Nancy, Erik Orsenna, Elisabeth Roudinesco, Anne Sinclair). (Le même numéro contient d'ailleurs également un article de Fred Vargas sur Cesari Battisti, que l'auteur soutient depuis des années).
Enfin, pour clôturer cette liste tout à fait subjective, voici un article qui ne peut que faire sourire si on n'est pas trop 'pro' la psychanalyse, et qui est néanmoins écrit par quelqu'un qui l'a étudié longuement: 'L'interprétation des énoncés', de Gilles Deleuze (ensemble avec Félix Guattari, Claire Parnet et André Scala), publié dans 'Deux régimes de fous'. Dans cet article, les auteurs analysent dans une colonne l'histoire du petit Hans telle que celui-ci le DIT, pour donner dans la colonne opposée leur critique virulente de l'interprétation proposée par Freud dans son livre 'Le petit Hans'. Le but est donc clairement, comme ils le disent, de mettre en cause la psychanalyse, tout en donnant une version alternative des faits, basée sur la 'schizoanalyse' telle que Deleuze et Guattari l'ont développée dans les deux volumes 'L'anti-Oedipe' et 'Mille Plateaux'.
Voilà, bonne lecture!
Louisa
Modifié en dernier par Louisa le 21 mars 2007, 22:35, modifié 1 fois.

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Messagepar Krishnamurti » 21 mars 2007, 22:19

Incroyable Louisa. Comment trouves-tu encore le temps de lire "Of Human Bondage"? 8-)

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Messagepar Louisa » 21 mars 2007, 22:33

A Krishnamurti

:)
Disons que trouver le temps de le lire, ça va encore, mais trouver le temps de faire une petite liste de tous les passages qui me semblent bel et bien être tout à fait spinozistes, ne fût-ce qu'en guise de remerciement de ton excellent conseil, est une autre paire de manches ... :fou:
Néanmoins, dès que je l'ai fini, j'essayerai bien d'en dire un mot!
Bonne nuit,
Louisa

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Messagepar Pourquoipas » 22 mars 2007, 07:30

Pour ceux intéressés et sur Paris, il y a samedi prochain, 24 mars, une journée "Spinoza et la psychanalyse".
Tous les renseignements ici : http://www.spinozaeopera.net/article-5796287.html

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Messagepar Krishnamurti » 22 mars 2007, 07:37

J'y serai bien allé mais je crains que ça ne va pas être possible. Aquarius_Camus on compte sur toi ! 8-)

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Messagepar Aquarius_Camus » 22 mars 2007, 14:05

Encore une fois les réponses de Louisa me sont d'une aide précieuse. Merci à elle.
En ce qui concerne l'exposition à Paris, il se trouve que, par le plus grand des hasards, je vais à Paris samedi. A l'origine j'y vais pour les portes ouverte de l'INALCO mais j'essayerai de faire un tour à l'exposition et d'en rendre compte. Je ne promet rien...

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Messagepar Krishnamurti » 22 mars 2007, 16:06

Pour te motiver, ce n'est pas une exposition. C'est une série d'intervention et débats avec quelques-uns des meilleurs spécialistes. A ta place, je ne manquerai pas ça :wink:

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Messagepar Pej » 23 mars 2007, 21:18

Si on ne rentre pas dans le détail, et si on s'en tient à ce qui fait l'essentiel du message, la filiation entre Spinoza est Freud m'apparaît évidente.
Freud considère qu'il y a en nous des processus inconscients, qui nous déterminent à notre insu ("Le Moi n'est pas le maître dans sa propre maison"). Le processus de "libération" (ou de guérison) passe alors par une prise de conscience de ce qui nous détermine, de manière à ce que la rationalité puisse prendre la place du pur "instinctif" (le mot est mal choisi) = ("Là où le Ça était, le Moi doit advenir").
Si ce n'est pas du Spinoza ça...
En étant volontairement provocateur, je dirais que Freud, c'est un Spinoza amélioré (plus clair, plus pertinent, plus moderne).

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Messagepar Krishnamurti » 23 mars 2007, 21:58

Certains diront qu'en renonçant à la rationalité Freud nous permet d'aller plus loin. Je dis qu'il cesse ainsi de m'intéresser.


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