KORTO a écrit :Cette histoire d'homme limité, qui peut avoir un but et un avenir, mais pas la nature etc... me parait bien alambiquée. Je retrouve, excuse-moi, cette tendance aux contorsions des spinozistes, qui sont d'honnêtes humanistes finalement très classiques, mais qui ont bien du mal parfois à faire entrer leur humanisme dans le cadre étroit et rigide de ce système.
qu'entends-tu par "humanisme"? Car pour autant que je sache, ce courant de pensée se résume assez bien dans les paroles de Pic de la Mirandole:
"J'ai lu (...) qu'on ne peut rien voir de plus admirable dans le monde que l'homme". Or comme tu le dis toi-même ci-dessous: ce n'est pas tout à fait cela, le spinozisme ... .
Puis bon ... l'Ethique ouvre avec toute une partie consacrée à l'infini par excellence, Dieu, dont nous participons tous. Comment concevoir un cadre encore plus "large"?
KORTO a écrit :Et puis... ça marche pas ma pauvre, de toute façon. L'homme n'est pas seulement fini, limité. L'homme n'est pas essence mais existence, il existe infiniment, il dépasse, excède et échappe. Je sais, c'est moins pratique pour les géomètres et les matheux.
ok, pour toi l'homme existe infiniment. Mais que veux-tu dire par là?
Bien sûr qu'il échappe ... mais il échappe avant tout à notre intellect, à notre possibilité de le comprendre entièrement et sans reste. Tu dirais de toute chose qui dépasse nos possibilités de compréhension que son existence est "infinie"? Si oui: pourquoi?
Korto a écrit :L'infini, présent dans tout l'univers, dans toutes les parties de l'univers, l'homme le porte aussi en lui
oui, c'est une expérience que l'on retrouve sans cesse dans l'histoire occidentale. Dans la version de Spinoza, cela se dit de la façon suivante: les êtres humains sont non seulement une partie de la nature (donc de Dieu, de l'infini), mais ils portent une idée adéquate de l'essence de Dieu en eux. Car l'infini, Dieu, est chez Spinoza cause immanente et de l'essence et de l'existence de l'homme. Cela veut dire que non seulement l'infini est hors de nous, l'infini se trouve à l'intérieur même de nous, ou comme le dit B. Pautrat: nous sommes tous "du Dieu" (encore faut-il apprendre à le voir). En quoi la version spinoziste de "l'infini en nous" serait-elle moins intéressante que les autres variations sur ce même thème (que nous sommes de la poussière d'étoiles, ou créés à "l'image" de Dieu etc)?
Korto a écrit :et plus lourdement, plus densément que nulle part ailleurs dans l'univers : dans son art, dans ses passions, dans son amour, dans son évolutivité. Et non dans sa raison, outil utile mais bien limité cette fois, et sur lequel Spinoza a pourtant tout misé.
pourquoi croire que la raison n'a pas accès à l'infini ... ? Tu sais que l'infini est un des objets de prédilection des mathématiciens, et cela depuis très longtemps. Leur compréhension de l'infini nous a permis de développer un tas d'innovations technologiques très impressionnantes, d'explorer davantage l'infini qu'est l'univers etc. Je ne vois pas en quoi la raison serait moins capable de nous livrer un aspect de l'infini que l'art ou les affects?
Sinon tu trouves exactement la même idée d'un accès à l'infini par les affects chez Spinoza: car comprendre cet infini, et rapporter tout à lui, ce n'est pas une entreprise "froide", cela ne nous donne rien d'autre que la Béatitude, le Joie suprême. Bref, l'infini spinoziste est tout sauf quelque chose qui nous laisserait "indifférents".
Enfin, si tu dis que Spinoza a tout misé sur la raison, tu te trompes. Nous acquérons la plus grande Liberté non pas par l'outil de la raison, mais par l'Amour de Dieu, qui est en même temps une intuition tout à fait non pas irrationnelle mais "a-rationnelle", une vision "non médiée", directe. Un voir immédiat de l'infini dans les choses.
Korto a écrit :L'angoisse, strictement liée à la condition humaine, est l'expérience intérieure de l'infini, de la liberté, de l'infinité et du caractère indéterminé des possibles.
pourquoi expérience de l'infini ... ? Du caractère indéterminé de ce qui nous semble être possible, ça oui. Mais comment ne pas considérer ce même caractère indéterminé inévitablement aussi comme source d'espoir? Pourquoi n'y voir que de l'angoisse?
D'autre part, quand nous pensons au caractère indéterminé des possibles, ou bien nous avons quelques idées de ce qui est possible mais ne savons pas encore lequel choisir ou lequel va se réaliser, ou bien nous n'en avons aucune idée. Dans ce dernier cas ... comment identifier de la simple ignorance à une expérience de l'infini? L'ignorance ne serait-elle pas plutôt une expérience temporaire du caractère limité de notre savoir? Et dans le premier cas, celui où le possible renvoie à quelques alternatives précises parmi lesquelles il nous en faut choisir une: si les possibilités sont LIMITES, comment y voir de l'infini?
Korto a écrit :"Ange ou bête, l'homme ne pourrait éprouver l'angoisse. mais étant une synthèse, il le peut, et plus profondément il l'éprouve, plus il a d'humaine grandeur..." (Kierkegaard).
il est certain que Kierkegaard part de présupposés conceptuelles fort différentes de ceux qu'a choisis Spinoza. Mais dis-moi, tu trouves cette histoire de notre angoisse comme ce qui serait le meilleur moyen de voir notre grandeur si convaincante que ça ... ? Craindre la souffrance ou la mort ... comment voir précisément en ce sentiment de faiblesse notre grandeur ... ? Pourquoi ne pas situer notre grandeur dans tout ce que nous pouvons réellement réaliser de grand (en art, science, pensée, ...)?
Korto a écrit :Nous sommes loin de l'être limité dont tu me parles
disons qu'en te lisant je ne suis pas certaine d'avoir été bien claire, dans mon message précédent ...
Korto a écrit : et même du joli "modèle" que Spinoza nous aurait dessiné avec sa petite boite à compas dans Éthique IV.
le modèle de Kierkegaard n'est pas moins avant tout un modèle, c'est-à-dire une invention d'un homme, sur base des outils qu'il avait, lui, à sa disposition.
Si j'ai mentionné le fait que Spinoza désigne sa conception de l'homme lui-même par le terme "modèle", c'était pour te faire ressentir le fait que contrairement à ce que tu semblais dire, il n'y a aucune absence de "but" proprement humain dans le spinozisme, mais que l'Ethique même se veut un outil capable de nous faire évoluer, progresser, de nous donner un but.
Or comment nier que ce qui a un but, ce qui tend vers quelque chose, est un être pour lequel tout n'est pas déjà "accompli", donc un être qui n'est pas tout puissant, et qui, en tant que désirant, a une puissance limitée? Avoir une puissance limitée ne veut pas dire ne pas pouvoir évoluer.
C'est exactement l'inverse: il FAUT quelque part pouvoir encore "ajouter" quelque chose à qui on est pour pouvoir évoluer. C'est parce que nous n'avons pas une perfection absolue (et en cela ne sommes donc pas illimité) que nous pouvons à chaque instant désirer augmenter notre perfection. Etre limité est donc bel et bien la conditio sine qua non de l'évolution.
Bien sûr, ce qui évolue DEPLACE ses limites. Et cela, l'homme le fait sans cesse. Mais il faut d'abord AVOIR des limites pour pouvoir les dépasser, tu vois? L'univers dans sa globalité étant infini, il n'a pas de limites. C'est alors que toute évolution vers quelque chose d'autre que ce qu'il est devient inconcevable (car il est déjà tout ce qui est concevable, non pas pour un intellect humain mais pour un intellect divin).
Korto a écrit :L'univers a tendu vers l'homme. L'homme tend vers l'infini, vers le surhumain. Je n'ai ni besoin ni envie qu'un Baruch m'en dessine le "modèle". L'histoire nous a laissé de tristes exemples de cette ambition. Laissons la vie, l'évolution ou Dieu nous orienter.
ce serait quoi, se laisser orienter par des choses si générales que "la vie" ou "l'évolution"? Quel modèle "la vie" nous donne-t-elle, selon toi? Quel modèle "l'évolution" dessine-t-elle pour nous? Et en quoi trouves-tu ces modèles plus intéressants/prometteurs/... que celui de Spinoza?
A bientôt,
louisa