Le poète et le philosophe

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
Pourquoipas
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Le poète et le philosophe

Messagepar Pourquoipas » 14 avr. 2010, 15:17

Découvert un article, qui me semble intéressant, d'Anne Mounic sur Traherne, un poète anglais du XVIIe redécouvert tardivement, et Spinoza, sur le site http://temporel.fr/Thomas-Traherne-et-Baruch-Spinoza, dont je vous donne quelques extraits :

L’un s’émerveille, l’autre s’émeut à peine : félicité et béatitude, Traherne et Spinoza.

Le dix-septième siècle qui a vu naître Spinoza (1632-1677) à Amsterdam, philosophe de la joie et, plus encore, de la béatitude, « amour intellectuel de l’esprit envers Dieu » (V, proposition 36), ou liberté, ce en quoi consiste notre salut (Scolie de la proposition 36), a également vu naître en Angleterre à Hereford, sur la Wye, rivière qui servait jadis de frontière entre Gallois et Saxons, dans un paysage pastoral, le poète de la joie, ou de la félicité, Thomas Traherne (1637-1674).

« O Joy ! O wonder, and Delight !
O Sacred Mysterie !
My Soul is a Spirit infinit !
An Image of the Deitie !
A pure Substantial Light !
» (« My Spirit », Strophe 5)

« O joie, ô émerveillement et délice !
O mystère sacré !
Mon âme est un esprit infini !
Une image de la divinité !
Une pure clarté substantielle ! »

Ce poète et homme d’église, fils de cordonnier, dont seulement un ouvrage en prose fut publié de son vivant (Roman Forgeries, 1673), puis un autre, Christian Ethicks, à titre posthume (1675), doit sa notoriété actuelle au hasard des manuscrits trouvés à Londres chez un bouquiniste, à la fin du dix-neuvième siècle, et publiés pour la première fois en 1903, en ce qui concerne les poèmes, et en 1908, pour ce qui est de l’œuvre en prose la plus célèbre, Centuries of Meditation, ouvrage qui, en quatre chapitres complets comprenant chacun cent subdivisions, et un cinquième demeuré incomplet (dix paragraphes), décrit l’itinéraire spirituel de son auteur en mêlant à la prose quelques poèmes, dans le troisième livre, celui de l’expérience.

Il est tentant de mettre en vis-à-vis le poète de la félicité et le philosophe de la béatitude, au regard de la coïncidence du propos et des dates, même si nous n’aboutissons qu’à un contraste. On peut tout de même, entre Spinoza et Traherne, établir quelques analogies, dues au fait qu’ils s’inscrivent, à quelques années près, au même moment de l’histoire des idées, et partagent, abordée sous des éclairages différents, la même référence fondatrice au texte biblique. Ce dernier est lu par le philosophe d’Amsterdam, excommunié, puis exilé de sa ville natale en 1656, avec l’apport philosophique des théologiens juifs du Moyen Age. C’est sa contestation du dogme qui lui vaut ses déboires. Spinoza ne sera d’ailleurs pas beaucoup plus publié que Traherne de son vivant : un ouvrage sous son nom en 1663, les Pensées métaphysiques, et la publication anonyme du Traité théologico-politique (1670), qui suscitera bon nombre de réactions hostiles.
Traherne, lui, qui cite abondamment les Psaumes dans Centuries of Meditation, adjoint à sa foi biblique la lecture des néo-platoniciens du quinzième siècle italien, Marsile Ficin et Pic de la Mirandole, ainsi que du Corpus hermétique, auquel il fait très précisément référence. C’est Marsile Ficin d’ailleurs qui, à la demande de Cosme de Médicis, traduisit en 1463 le Corpus Hermeticum.

[...]

En nous gardant d’assimiler le philosophe et le poète, nous remarquerons que tous deux se détournent des contraintes et des tentations de la vie du monde pour poursuivre une quête plus conforme à leur idéal de vérité. Thomas Traherne écrit au paragraphe 7 de la troisième centurie : « The first Light which shined in my Infancy in its primitive and innocent clarity was totally eclipsed : insomuch that I was fain to learn all again. If you ask me how it was eclipsed ? Truly by the customs and the manners of men, which like contrary winds blew it out. » (p. 109. « La première lueur qui brilla dans mon enfance en sa primitive et innocente clarté connut une totale éclipse : d’autant plus que je désirais tout réapprendre. Voulez-vous savoir comment se produisit l’éclipse ? Ce furent, en vérité, les coutumes et manières des hommes qui, comme vents contraires, d’un souffle éteignirent la flamme. ») Spinoza, au début du Traité de la réforme de l’entendement (autour de 1661), se détourne de « toutes les occurrences les plus fréquentes de la vie ordinaire », qu’ils juge « vaines et futiles », pour se mettre en quête d’un « bien véritable ».

[...]

Pour le philosophe, le salut procède de la raison, où se forme « l’amour intellectuel de l’esprit envers Dieu », qui est réciprocité puisqu’il correspond à « l’amour même de Dieu, dont Dieu s’aime lui-même » (V, proposition 36). C’est cet amour qu’il appelle « béatitude » ou « liberté ». Ce mouvement de l’œuvre humaine vivante fonde l’individu au regard de la vie : « D’autre part, puisque l’essence de notre esprit consiste dans la seule connaissance, dont Dieu est le principe et le fondement […], nous voyons manifestement comment et de quelle manière notre esprit suit, quant à l’essence et à l’existence, de la nature divine et dépend continûment de Dieu. » (V, Scolie de la proposition 36).
Ne s’écartant pas de la tradition biblique de la ressemblance de l’homme et de Dieu, Traherne fonde son émerveillement sur la vision, conformément au Corpus Hermeticum, dans une relation de réciprocité en Dieu : « Every one is infinitely happy in every one, every one therefore is as many times infinitely happy as there are happy persons. He is infinitely happy above all their happiness in comprehending all. And I, comprehending His and theirs, am Oh, how happy ! here is love ! here is a kingdom ! Where all are knit in infinite unity. » (Centuries, p. 36. « Chacun est infiniment heureux en chacun, chacun est donc autant de fois heureux à l’infini qu’il existe de personnes heureuses. Il est infiniment heureux par-dessus tout leur bonheur en les contenant tous. Et moi, contenant Son bonheur et le leur, je suis, oh ! heureux au plus haut point ! Voici l’amour ! Voici le royaume ! Où tous sont reliés en unité infinie. »)

[...]

Spinoza pose, dans L’Ethique : « C’est pourquoi la toute-puissance de Dieu a été en acte de toute éternité et demeurera pour l’éternité dans la même actualité. Et la toute-puissance de Dieu ainsi conçue est, à mon avis, beaucoup plus parfaite. » (I, scolie de la proposition 17) Traherne affirme : « For God is not a being compounded of body and soul, or substance and accident, or power and act, but is all act, pure act, a Simple Being whose essence is to be, whose Being is to be perfect so that He is most perfect towards all and in all. » (Centuries, p. 141. « Car Dieu n’est pas un être composé de corps et d’âme, ou de substance et d’accident, ou de puissance et d’acte, mais est tout acte, acte pur, être simple dont l’essence est d’être, dont l’être doit être parfait de sorte qu’il soit absolument parfait envers tout et en tout. »)

[...]

En cette intériorité ouverte à la réciprocité, la joie est présence au monde, intuition du divin et création d’un lieu de l’esprit en sa dilatation :

« A Strange Extended Orb of Joy,
Proceeding from within,
Which did on evry side convey
It self, and being nigh of Kin
To God did evry Way
Dilate it self even in an Instant, and
Like an Indivisible Centre Stand
At once Surrounding all Eternitie.
Twas not a Sphere
Yet did appear
One infinit. Twas somewhat evry where.
And tho it had a Power to see
Far more, yet still it shind
And was a Mind
Exerted for it saw Infinitie
Twas not a Sphere, but twas a Power
Invisible, and yet a Bower.
» (« My Spirit », Strophe 6)

« Etrange orbe de joie déployé,
Procédant du dedans,
Qui de toutes parts lui-même
Convoyait, et étant proche parent
De Dieu se dilata
Tous azimuts en un seul instant, et
Tel un centre indivisible tout à coup
Ceignit toute l’éternité.
Non pas une sphère,
Mais apparut pourtant
Un infini. Partout en quelque sorte.
Et bien qu’il eût le pouvoir de voir
Beaucoup plus, brillait pourtant
Etait un esprit
Exercé, car il voyait l’infini
N’était pas une sphère, mais une puissance
Invisible, et cependant une demeure. »

[...]


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Messagepar DGsu » 15 avr. 2010, 06:59

Merci beaucoup!
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