Présentation Henz

Espace pour se présenter : qui êtes vous (ou pensez vous être) ? Comment avez vous découvert Spinoza ? Qu'est-ce qui vous intéresse chez lui plus particulièrement ? et tout ce qu'il vous conviendra de dire pour permettre de mieux se connaître.
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sescho
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Messagepar sescho » 13 août 2009, 00:03

Henz a écrit :... Je ne puis m'empêcher de craindre (sans aucune démarche sensée donc) que l'essence elle-même pourrait être une "rationalisation" issue des contingences de notre condition.

Hum ! C'est du doute cartésien cela ? Je ne suis certainement pas le plus compétent pour en parler, mais il me semble que Descartes lui-même a dû quand-même revenir dessus pour pouvoir dire quelque chose d'autre...

Si l'on doute de tout, il n'y a plus de connaissance possible ; c'est presque une lapalissade. Et c'est clairement contraire à Spinoza, lequel indique que la vérité se fait connaître d'elle-même (par la clarté et la distinction de l'idée ou à tout le moins de la démonstration qui établit la proposition.) Non content que pour Spinoza la rationalisation n'est pas contraire à la perception de la vérité, mais s'en est même la condition nécessaire, voire le synonyme. "je suis", "il y a quelque chose (et non pas rien) en dehors de moi" sont les premières certitudes ; la suivante est "puisque je entre en relation avec des choses extérieures, c'est que nous appartenons à un même monde" (le tout vu immédiatement ou presque, contrairement à ce que ces mots laissent penser.) Dieu-Nature n'est pas loin...

Si je considère en outre :

- Que les choses singulières sont en dépendance inévitable, et souvent nécessaire au maintient relatif, vis-à-vis de nombre d'autres choses singulières.

- Qu'elles sont impermanentes en quelque part à tout instant, du fait de cette interdépendance en mouvement, et donc "changent de nature" c'est-à-dire "changent d'essence" à tout instant (le terme "change" est impropre car il tend à maintenir un être en soi de la chose, qui n'existe pas du tout : c'est une autre essence qui se manifeste à chaque instant dans la continuité du mouvement.)

- Qu'elles ne peuvent, par exemple, être distinguées absolument de la matière ("Étendue") qui est leur corps (c'est pourquoi les corps sont des modes de l'Étendue : ils sont sans faute dans l'Étendue, mais l'Étendue n'appartient pas à leur essence.)

- Que les choses singulières partagent éventuellement, outre le rapport à l'attribut, une nature complexe entre elles, ou plus justement qu'elles incarnent pour beaucoup une même nature, et donc une même essence partie de l'essence divine. Autrement dit : que l'essence peut se manifester de façon multiple dans l'existence (s'agissant de choses singulières, pour lesquelles l'existence se distingue totalement de l'essence, même si l'existence est toujours l'incarnation d'une certaine essence.)

- Que des lois constantes sont de toute évidence (même si c'est de façon imparfaite, dans une expression limitée, provisoire, etc.) dégagées qui expliquent les évolutions tant dans le domaine des corps que dans celui de la pensée. Montrant on ne peut plus clairement qu'à l'impermanence des modes finis correspond exactement l'éternité de l'attribut et des lois de mouvement (ou leur sempiternité) et donc qu'à l'absence de permanence et donc absence d'être propre des premières, se substituent en égalité des "choses" éternelles.

- Bien d'autres choses, plus ou moins associées à ce qui précède, comme la nécessité de nourritures, la réaction aux sollicitations extérieures, les actions regrettées ensuite, le doute et l'hésitation, etc.

... je commence à comprendre la fausseté du moi (pas du Soi, qui est en fait impersonnel quoique manifesté dans un mode fini, étant éternel puisque consistant en des idées éternelles - "entières" ("intègres") - dans l'individu comme en Dieu) mais la réalité au premier chef de Dieu-Nature.


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Messagepar Henz » 13 août 2009, 01:02

@Sescho :

Spinoza explique qu’elle s’impose primitivement à l’Homme comme « extrait » sensé de la sensation (qui prise en elle-même ne l’est pas), n’expliquant l’essence d’aucune chose singulière.

Si je n'ai pas mal compris, la démarche démonstrative de Spinoza consisterait à justifier un postulat, relevant de la sensation, de l'intuition ? A quel point peut-on se fier à notre sensation/intuition pour légitimer autre chose que ce que l'on ressent ?

(qui prise en elle-même [sensation] ne l’est pas)

J'ai vraiment du mal à comprendre ou cela peut mener ; Qu'est ce qu'une telle démarche peut "démontrer" (justifer) si ce n'est que nous avons la sensation de Dieu ? "Dieu-nature" quant à "lui", est-il/existe t-il aussi hors de notre sensation/intuition, ou n'est ce qu'une expression de notre condition ? J'ai l'intuition de Dieu, est-ce que Dieu ne meurt pas de ma propre mort ?

Je pense que cette dernière question est un non-sens en partant du postulat que Dieu est cause immanente de toute chose, ou encore que toute chose exprime l'essence divine, mais encore faut-il s'y rallier. Toutefois, j'entends ceci :

Je pense qu’en fait Spinoza avait une idée intuitive de bien des choses avant de guider sa démarche démonstrative dans ce sens, et que ce serait une grosse perte que d’en rester là, compte tenu de la qualité de l’ensemble (si tant est qu’il y ait bien problème.)

N'ayant d'autres bagages (pas plus Descartes que quiconque- j'essaie simplement d'avoir l'honnêté de faire face aux questions qui me hantent) que ma seule réflexion, pour ce qu'elle vaut, il me faut bcp de temps pour lire et interroger vos messages ; Louisa, je ne puis réagir à votre post pour le moment. Tout va trop vite pour moi :lol:

Un grand merci pour le temps que vous accordez à répondre.

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Messagepar Henz » 13 août 2009, 01:23

Je vous prie de croire que je ne suis pas là pour défendre un courant de pensée quelconque que je connais bien mal en dehors des grossières généralités . Je suis globalement un être humain bien perdu qui désire voir comment les autres s'accomodent de ces questions.

Sincèrement désolé pour la multitude de posts, je ne trouve pas la fonction "éditer"

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Messagepar survoje » 13 août 2009, 08:38

Merci Louisa de ta réponse, je vais méditer cela 8O et profiter de quelques jours en Bretagne pour, entre autres !, relire Eth I. J'emmène ta réponse en guise de marque-page :D

Mais tu ne seras peut-être pas d'accord?

j'ai encore beaucoup à "apprendre-comprendre" avant de donner mon avis sur le Dieu de Spinoza!

En écrivant cela, je me dis qu'il n'y a peut-être rien à "apprendre-comprendre"...:(

Cordialement

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Messagepar sescho » 13 août 2009, 15:29

Henz a écrit :Si je n'ai pas mal compris, la démarche démonstrative de Spinoza consisterait à justifier un postulat, relevant de la sensation, de l'intuition ? A quel point peut-on se fier à notre sensation/intuition pour légitimer autre chose que ce que l'on ressent ?

Comme je l’ai dit, la chose n’est pas simple à analyser. Je vais avancer quelques angles d’approche :

- D’abord Spinoza est un esprit à la fois (mais c’est ultimement partiellement la même chose) extrêmement puissant et honnête. Il cherche dans l’Éthique à ne jamais utiliser quelque chose qu’il n’aurait pas scrupuleusement déduit antérieurement des prémisses (c’est sans doute la raison de certains développements assez lourds) et à l’utiliser logiquement (et même si d’aventure une erreur de logique était détectée, ce ne serait pas suffisant pour remettre en cause l’ensemble, porté je le pense par une vision intuitive des choses à la base.) Il applique aussi justement le principe d’économie (« Rasoir d’Occam »), qui est économie de principes, et donc en particulier de facultés de base (volonté et entendement c’est la même chose ; le désir est l’essence même en tant qu’elle est amenée à agir par une affection d’elle-même, etc.) Bref : un tel esprit « ne se déplace pas pour rien. » On peut en être certain. On peut aussi considérer comme acquis que tout ce qu’il dit à une importance clairement justifiée dans ce cadre, qu’on la perçoive ou pas.

- Ensuite, il est bien clair que si tout le monde avait une juste idée de Dieu, il n’y aurait aucune cause au problème éthique, et donc aucune raison de rédiger l’Éthique. Or l’idée de Dieu la plus répandue et de loin – c’est encore vrai aujourd’hui ; c’était massivement répandu du temps de Spinoza – est infectée de superstition, en particulier d’anthropomorphisme. C’est ce que Spinoza démonte systématiquement sans pitié dans E1 et en particulier ses scholies (ce qui, en passant, impliquait une hostilité sans nom même chez les latinistes (a fortiori du peuple après une traduction en langue vulgaire), en particulier les théologiens, jusqu’à engager la survie même.)

- Le problème n’est pas tant de savoir si nous avons primitivement l’idée de Dieu : nous l’avons. C’est la couverture de scories de l’imagination qui est dessus qui nous la voile. C’est elle qu’il s’agit de nettoyer, par tous les moyens de perception juste possibles.

- La question est donc : dans un tel contexte d’aveuglement, y compris – même si c’est à un bien moindre degré que la moyenne – des lecteurs à qui on adresse cet ouvrage d’enseignement, comment passer ? Pas en commençant par « Dieu existe. » Cela vaut 100% d’adhésion ou presque à l’époque, et 0% d’enseignement… D’un autre côté, il n’est pas possible de faire abstraction de l’idée primitive de Dieu. En outre, comme je l’ai dit, Spinoza a logiquement choisi de faire un développement mathématique partant des bases premières, ce qui implique de commencer par Dieu, qui est en amont de tout. Toutefois, prenant acte des erreurs de jugement qui encrassent l’idée primitive de Dieu (encore une fois, s’il n’y avait aucun problème à résoudre, il n’y aurait pas lieu d’écrire), il consolide les prémisses dans l’esprit du lecteur, en particulier en montrant les causes, précisément, de ces erreurs de jugement (c’est dans E3 en particulier, qui n’est pas beaucoup commentée, mais est pourtant essentielle sur le plan existentiel – mais pas intellectualiste –, qui décrit ces mécanismes passionnels qu’il convient sur cette indication d’identifier à l’œuvre en soi.) Spinoza donne d’autres indications, en particulier dans E4, pour purifier sa psyché. La démarche démonstrative elle-même montre en outre que les lois éternelles président à tous les mouvements des modes et en particulier de nous-mêmes, ce qui renforce l’idée juste de Dieu.

- Bref, l’épuration de la psyché ne se fait pas d’un claquement de doigt, et il faut bien concéder quelques approximations temporaires dans son esprit pour que le progrès puisse se produire à partir de son état de fait du moment, comprenant plus ou moins d’aveuglement.

- Spinoza ne démontre pas des prémisses au cours de l’Éthique, ce qui serait grotesque sur le plan logique. D’abord il utilise les scholies pour la consolidation, des commentaires normalement (mais pas toujours, de fait) en dehors de la démarche logique stricte. Ensuite, le développement lui permet de justifier a posteriori en particulier la possibilité même de prémisses sensées (qui sont nécessaires au développement de la démarche logique elle-même, mais par nature sont admises comme justes sans démonstration, ce qui peut toujours être contesté de ce fait.) Il combine l’exposé linéaire logique partant des bonnes prémisses qui structurent le Sage et des arguments qui conduisent le non-sage à dégager les vérités des scories qui les recouvrent. C’est pourquoi l’Éthique se lit en boucle avec progrès.

- Il y a éventuellement un problème avec l’existence de Dieu dans ce cadre : ce semble être à la fois une prémisse et pas une prémisse (preuves de l’existence nécessaire de Dieu au début de E1, avec une définition de Dieu assez peu intuitive – encore qu’attribuer à Dieu l’être en soi et une infinie variété dans l’essence ne soit pas scandaleux non plus.) Note : il me faudrait refaire un passage très précis du texte pour voir dans quelle mesure il contredirait que l’essence est posée (être) par la définition, la seule question restante étant celle de l’existence (qui est automatiquement acquise par l’essence pour une chose qui est en soi, soit une substance.)

- Ce qui est clair, c’est que l’Éthique a pour but de faire prendre pleine conscience, claire et distincte, de Dieu Nature (« le vrai ») et de soi-même et des autres comme étant non en soi mais en Dieu, ainsi que des passions liées aux puissances extérieures et à la mémoire des effets de celles-ci qui privent de l’être vrai, et ce par définition à qui n’a pas encore cette conscience. C’est très difficile (E5P42S.) Ceci est combiné à un exposé logique de l’amont (Dieu) vers l’aval.

- Ce qui discrimine l’état de perception confuse ordinaire de la vérité, c’est la clarté et la distinction qui accompagne la vérité elle-même.

- On peut aussi (mais c’est dans l’Éthique aussi) prendre ce qu’on considère comme vrai et le soumettre à l’examen logique. Que je suis immuable, indépendant, cause de moi-même, par exemple. Cela ne tient pas un round… Les « arguments » s’effondrent avant même d’être prononcés. Il y a en fait surtout beaucoup de confusion…


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Messagepar Henz » 13 août 2009, 17:00

sescho a écrit :Hum ! C'est du doute cartésien cela ? Je ne suis certainement pas le plus compétent pour en parler, mais il me semble que Descartes lui-même a dû quand-même revenir dessus pour pouvoir dire quelque chose d'autre...

Non, ce n'est pas un doute méthodique, intellectuel, mais une crainte toute personnelle. J'ai le sentiment de "Dieu" en des moments si rares que toute question susceptible de les mettre à mal mérite considération.

De plus et pour ma part, quelle que soit sa justification a posteriori, Descartes ne démontre rien de plus qu'il a lui aussi un "sentiment", je ne vois pas ce que le doute méthodique peut avoir d'inébranlable, d'autant moins qu'il en appelle plus que toute autre "raisonnement" à la subjectivité, ce qui est plutôt étrange lorsque l'on a l'ambition de fonder les sciences. Mais j'imagine que la rhétorique peut tout justifier, pour ce qu'il en est d'établir les choses...

Douter constamment de notre capacité à la connaissance ouvre peut être sur un horizon moins prompt à graisser les mécanismes anthropocentriques de l'estime de soi :

"Je sais que je ne sais rien", peut être faut-il aussi considérer que l'on ne peut rien savoir en dehors de l'humain et de l'expression de sa condition. Peut être donc, est-il aussi important de constater simplement en quoi l'on croit soi-même, en le contemplant tel que nous sommes pourvus, sans pour autant l'ériger en principe universel, auquel même ce qui n'est pas humain serait soumis. Se "connaître" soi-même est déjà tout un programme.

Pour intérioriser le monde, nous le rationalisons déjà bien malgré notre "volonté". Est-il utile d'ajouter à cela un discours conceptualisant ? Ne s'éloigne t-on pas au contraire en introduisant toujours plus "d'humain" ? Non certes, si l'on admet un postulat.

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Sescho a écrit :En outre, comme je l’ai dit, Spinoza a logiquement choisi de faire un développement mathématique partant des bases premières, ce qui implique de commencer par Dieu, qui est en amont de tout

Sans vouloir entrer dans un débat épistémologique que je ne pourrais soutenir, CQFD reste à démontrer :

- En dehors de la cohérence a posteriori et du dépoussièrage, interroge t-on la validité de ce postulat ? J'entends bien qu'à l'époque cela n'était pas adapté.

- Une chose dont j'ai la "sensation"indéniable et la cohérence a posteriori suffisent-ils à légitimer cette chose au delà de la seule possibilité ?

Sescho a écrit :- Le problème n’est pas tant de savoir si nous avons primitivement l’idée de Dieu : nous l’avons.

Et si Dieu mourrait de ma propre mort ? Peut-on extrapoler "Dieu-Nature", cause immanente de toute chose, indépendamment de notre propre existence ?

Note : Il s'agit bien évidemment de questions qui interrogent à mon sens ce que vous me donnez à lire, je me permets de sortir du cadre de la présentation de l'Ethique.

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Messagepar sescho » 13 août 2009, 19:12

Henz a écrit :
sescho a écrit :(qui prise en elle-même [sensation] ne l’est pas)

J'ai vraiment du mal à comprendre ou cela peut mener ; Qu'est ce qu'une telle démarche peut "démontrer" (justifer) si ce n'est que nous avons la sensation de Dieu ? "Dieu-nature" quant à "lui", est-il/existe t-il aussi hors de notre sensation/intuition, ou n'est ce qu'une expression de notre condition ? J'ai l'intuition de Dieu, est-ce que Dieu ne meurt pas de ma propre mort ?

Je pense que cette dernière question est un non-sens en partant du postulat que Dieu est cause immanente de toute chose, ou encore que toute chose exprime l'essence divine, mais encore faut-il s'y rallier.

Pour ce qui concerne le contenu signifiant de la sensation, cet « extrait de sensation » adéquat : il tient uniquement dans ce qu'il y a de commun entre le sentant et le senti. Spinoza dit que ce commun constitue les notions communes (à tous les hommes ou presque : axiomes et concepts de base par extension), soit de ces vérités premières admises primitivement (elles viennent automatiquement et immédiatement avec la sensation, à défaut d'être innées) et sans démonstration, et bases du développement de la Raison. Pour la communauté dans l'Etendue (Dieu vu en tant qu'étendu), la finitude et le Mouvement, c'est parlant. Pour un axiome comme E1A1, moins... Mais cette démonstration de l'origine des notions communes n'est pas cruciale : les prémisses de départ n'en restent ni plus ni moins telles quelles. C'est simplement une consolidation a posteriori de la possibilité de certaines notions adéquates de base. Il ne s'agit donc pas du tout de démontrer une prémisse précise (ce qui est aberrant logiquement, ainsi que déjà dit), mais de justifier l'existence de telles prémisses en général, indépendamment de leur contenu.

Note : il n’y a pas d’idées innées chez Spinoza, mais il est vrai cependant que ce qui arrive directement avec la sensation n’en est pas bien éloigné de fait. Cela dit, mon introduction de ces « idées primitives immédiates » s’oppose quand-même assez nettement à l’assertion que les enfants ne sont pas encore des humains accomplis. Je voulais le noter en passant.

Pour ce qui est de l'idée de Dieu (j’entends que tu le conçois comme Spinoza : c’est l’éternel sous-jacent comme 1) « substrat », soit Dieu naturant : dimension étendue, dimension pensée non modifiés et 2) « traversant » le monde modal changeant, soit Dieu naturé : Mouvement et corps, Entendement infini et pensées) :

- Si nous avons l’idée juste de Dieu et des modes en Dieu, à commencer par soi-même et les autres, je ne vois pas quel problème se pose : tout est clair, calme et très actif à la fois, sérénité, sentiment d’accomplissement, etc. La vérité se reconnaît d’elle-même, comme dit, par la clarté et la distinction. Spinoza dit très explicitement que les idées claires et distinctes qui nous habitent sont vraies comme celles de Dieu même. Je ne vois pas ce qui pourrait alors conduire à plaquer un doute sans issue là-dessus : est-ce que ce qui est clair est distinct n’est pas quand-même une illusion ? Il faudrait déjà redéfinir l’illusion dans ce cadre. Mais bon, sans doute n’est-il pas possible de démontrer le contraire (ce qui va d’ailleurs avec le fait que la vérité se fait connaître d’elle-même, et qui est incontournable ; car si ce n’est pas le cas, quelle autre « vérité avérée » pourrait servir de base à la première ?).

Me revient le titre d’un livre de questions-réponses de Lee Lozowick : Au fait, quel est le problème ?

- Même le Bouddhisme Mahayana (qui extrapole l’enseignement du Bouddha), qui est très fortement axé sur le non-soi des choses singulières (vacuité) – ce qui lui vaut souvent accusation, non fondée sur une connaissance réelle, de « nihilisme » – finit quand-même par ultimement substantifier (plus ou moins) ce non-soi, shunyata.

- Pour le reste, Spinoza indique quand-même par quels mécanismes se produit l’idée primitive de Dieu dans E2P32-47. Par exemple, en considérant deux corps, je vois qu’il ont en commun l’Etendue. Celle-ci en outre se conçoit très bien en elle-même, sans corps : il existe donc au moins une dimension de l’être, immuable et infinie : l’Etendue. C’est Dieu naturant. Les corps ne peuvent pas du tout être ni être conçus sans l’Etendue : ils sont donc des modes de manifestation de l’Etendue. C’est Dieu naturé, ou Dieu en Mouvement.

- a contrario la gangue de scories de l’imagination déposée par le premier acquis fait puissamment effet inverse à l’idée primitive de Dieu. J’ai donné plus haut des éléments (sans doute un peu plus distants de l’idée immédiate mais en revanche de nature à entamer cette gangue) qui conduisent nettement à conclure à l’absence d’être en soi des choses singulières. Mais comme l’être ne peut naître du non-être, qui n’est rien, il y a nécessairement de l’être quand-même. Comme par ailleurs, sauf à tomber dans l’hypothèse très peu économique d’une régression des causes immanentes à l’infini, on doit aboutir à une cause de soi, celle-ci est alors nécessairement immuable, infinie et éternelle. C’est encore Dieu et les choses singulières sont des êtres en Dieu, autrement dit des manifestations (de l’être) de Dieu.

- Sinon je ne vois pas d’autre justification que celle que j’ai donnée plus haut : si tout le monde avait la pure idée de Dieu et des modes en Dieu il n’y aurait pas d’Éthique. C’est parce que cette idée est très généralement polluée – et souvent très gravement – que ce livre se justifie au plus haut point. Il n’y avait pas de raison que pour autant Spinoza sacrifie l’ordre ontologique dans son exposé. Dieu apparaît donc bien en prémisse, mais le texte n’en consolide pas moins cette prémisse dans l’esprit du non-sage plombé par cette gangue de scories.

- La définition de Dieu par la substance (laquelle est définie en elle-même de la seule façon possible dans ce cadre ; ce qui est en soi et se conçoit par soi) est la seule juste quoiqu’il en soit (c’est ce que Dieu est en tant que naturant.)

Note : on peut évidemment contester que Dieu soit en prémisse dans l’Éthique, ce qui supposerait que la définition de Dieu est hypothétique quant à la réalité de l’essence de la chose définie (pas bien spinozien comme démarche) et que la démonstration de son existence est rigoureuse. C’est cependant alors difficilement défendable sur le plan de la logique. Par ailleurs, comme les attributs se conçoivent chacun en soi et par soi, l’unicité de Dieu serait compromise sans sa définition propre vis-à-vis de celle de la substance (elle l’est de toute façon tant qu’on interdit pas a priori à deux substances – alors totalement disjointes – de coexister.)


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Messagepar Louisa » 13 août 2009, 19:31

Henz a écrit :Louisa, je ne puis réagir à votre post pour le moment. Tout va trop vite pour moi :lol:


désolée, je n'ai pas pu résister à répondre à un autre message et à approfondir un peu le sujet de l'ego, alors que vous avez raison, j'aurais dû créer un nouveau fil de discussion pour ce faire.

Si en revanche quelque chose n'était pas clair dans ma réponse à la question que vous m'avez posée directement, n'hésitez pas à me le signaler!
Bonne continuation,
L.

@ survoje

Bonnes vacances en Bretagne! 8-)

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Messagepar sescho » 13 août 2009, 20:04

La difficulté soulevée par Henz n'ayant évidemment pas échappé à Spinoza, autant laisser un peu la parole au Maître ici, en avant-goût :

Spinoza a écrit :E1P11S : ... puisque c’est une puissance que de pouvoir exister, il s’ensuit qu’à mesure qu’une réalité plus grande convient à la nature d’une chose, elle a de soi d’autant plus de force pour exister ; et par conséquent, l’Etre absolument infini ou Dieu a de soi une puissance infinie d’exister, c’est-à-dire existe absolument. Et toutefois plusieurs peut-être ne reconnaîtront pas aisément l’évidence de cette démonstration, parce qu’ils sont habitués à contempler exclusivement cet ordre de choses qui découlent de causes extérieures, et à voir facilement périr ce qui naît vite, c’est-à-dire ce qui existe facilement, tandis qu’au contraire ils pensent que les choses dont la nature est plus complexe doivent être plus difficiles à faire, c’est-à-dire moins disposées à l’existence. Mais pour détruire ces préjugés, je ne crois pas avoir besoin de montrer ici en quel sens est vraie la maxime : Ce qui naît aisément périt de même, ni d’examiner s’il n’est pas vrai qu’à considérer la nature entière, toutes choses existent avec une égale facilité. Il me suffit de faire remarquer que je ne parle pas ici des choses qui naissent de causes extérieures, mais des seules substances, lesquelles (par la Propos. 6) ne peuvent être produites par aucune cause de ce genre. Les choses, en effet, qui naissent des causes extérieures, soit qu’elles se composent d’un grand nombre ou d’un petit nombre de parties, doivent tout ce qu’elles ont de perfection ou de réalité à la vertu de la cause qui les produit, et par conséquent leur existence dérive de la perfection de cette cause, et non de la leur. Au contraire, tout ce qu’une substance à de perfection, elle ne le doit à aucune cause étrangère, et c’est pourquoi son existence doit aussi découler de sa seule nature et n’être autre chose que son essence elle-même. Ainsi donc la perfection n’ôte pas l’existence, elle la fonde ; c’est l’imperfection qui la détruit, et il n’y a pas d’existence dont nous puissions être plus certains que de celle d’un être absolument infini ou parfait, savoir, Dieu ; car son essence excluant toute imperfection et enveloppant la perfection absolue, toute espèce de doute sur son existence disparaît, et il suffit de quelque attention pour reconnaître que la certitude qu’on en possède est la plus haute certitude.

E2P47 : L’âme humaine a une connaissance adéquate de l’infinie et éternelle essence de Dieu.

Démonstration : L’âme humaine a des idées (par la Propos. 22, partie 2) par lesquelles (en vertu de la Propos. 23, partie 2) elle se connaît elle-même ainsi que son corps (par la Propos. 19, partie 2), et les corps extérieurs (par le Corollaire de la Propos. 16 et par la Propos. 17, partie 2), le tout comme existant en acte. Donc (par les Propos. 45 et 46, partie 2), elle a une connaissance adéquate de l’infinie et éternelle essence de Dieu.

Scholie : Nous voyons par là que l’essence infinie de Dieu et son éternité sont choses connues de tous les hommes. Or, comme toutes choses sont en Dieu et se conçoivent par Dieu, il s’ensuit que nous pouvons de cette connaissance en déduire beaucoup d’autres qui sont adéquates de leur nature, et former ainsi ce troisième genre de connaissance dont nous avons parlé (dans le Schol. 2 de la Propos. 40, partie 2), et dont vous aurons à montrer dans la partie cinquième la supériorité et l’utilité. Mais comme tous les hommes n’ont pas une connaissance également claire de Dieu et des notions communes, il arrive qu’ils ne peuvent imaginer Dieu comme ils font les corps, et qu’ils ont uni le nom de Dieu aux images des choses que leurs yeux ont coutume de voir, et c’est là une chose que les hommes ne peuvent guère éviter, parce qu’ils sont continuellement affectés par les corps extérieurs.

TTP6 : … l’existence de Dieu n’étant pas évidente d’elle-même, il faut nécessairement qu’on la déduise de certaines notions dont la vérité soit si ferme et si inébranlable qu’il n’y ait aucune puissance capable de les changer. Tout au moins faut-il que ces notions nous apparaissent avec ce caractère de certitude absolue, au moment où nous en inférons l’existence de Dieu ; sans quoi nous ne pourrions aboutir à une conclusion parfaitement assurée. Il est clair, en effet, que si nous venions à supposer que ces notions peuvent être changées par une puissance quelconque, nous douterions à l’instant même de leur vérité, nous douterions de l’existence de Dieu, qui se fonde sur elles ; en un mot, il n’est rien au monde dont nous pussions être certains. Maintenant, à quelles conditions disons-nous qu’une chose est conforme à la nature, ou qu’elle y est contraire ? à condition qu’elle soit conforme ou contraire à ces notions premières. Si donc nous venions à supposer que, par la vertu d’une certaine puissance, quelle qu’elle soit, il se produit dans la nature une chose contraire à la nature, il faudrait concevoir cette chose comme contraire aux notions premières, ce qui est absurde ; à moins qu’on ne veuille douter des notions premières, et par conséquent de l’existence de Dieu et de toutes choses, de quelque façon que nous les percevions. Il s’en faut donc infiniment que les miracles, si l’on entend par ce mot un événement contraire à l’ordre de la nature, nous découvrent l’existence de Dieu ; loin de là, ils nous en feraient douter, puisque nous pourrions être absolument certains qu’il existe un Dieu en supprimant tous les miracles ; je veux dire en étant convaincus que toutes choses suivent l’ordre déterminé et immuable de la nature. …

Note VII. – L’existence de Dieu n’étant pas évidente d’elle-même.
Nous doutons de l’existence de Dieu, et par conséquent de toutes choses, tant que nous n’avons qu’une idée confuse de Dieu, au lieu d’une idée claire et distincte. De même, en effet, que celui qui ne connaît pas bien la nature du triangle ne sait pas que la somme de ses angles égale deux droits, de même quiconque ne conçoit la nature divine que d’une manière confuse ne voit pas qu’exister appartient à la nature de Dieu. Or, pour concevoir la nature de Dieu d’une manière claire et distincte, il est nécessaire de se rendre attentif à un certain nombre de notions très-simples qu’on appelle notions communes, et d’enchaîner par leur secours les conceptions que nous nous formons des attributs de la nature divine. C’est alors que, pour la première fois, il nous devient évident que Dieu existe nécessairement, qu’il est partout, que tout ce que nous concevons enveloppe la nature de Dieu et est conçu par elle ; enfin que toutes nos idées adéquates sont vraies. On peut consulter sur ce point les Prolégomènes du livre qui a pour titre : Principes de la Philosophie de Descartes exposés selon l’ordre des géomètres.



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Messagepar Henz » 14 août 2009, 01:33

@Louisa : Bien au contraire, je vous remercie pour la clarté de votre message.

@Sescho : Je suis sincèrement navré de vous faire vous répéter, n'étant pas familier avec les notions abordées, j'ai bien du mal à tirer les conclusions qui semblent s'imposer de vos propos. Je ne puis interroger que des bouts de phrases, pas encore l'ensemble qui m'apparaît bien flou -mon imagination est bien trop polluée de scories :).

Sescho a écrit :soit de ces vérités premières admises primitivement (elles viennent automatiquement et immédiatement avec la sensation, à défaut d'être innées) et sans démonstration, et bases du développement de la Raison

Est-ce à dire que sous prétexte que ces vérités apparaissent immédiatement telles des certitudes, nous pouvons faire l'économie d'en interroger la validité/pertinence ?

Sescho a écrit :La vérité se reconnaît d’elle-même, comme dit, par la clarté et la distinction.

En quoi clarté et distinction sont elles gage de vérité ? Je peux percevoir clairement et distinctement, sans doute possible, l'éclat d'une étoile qui a pourtant cessé d'exister et par conséquent, avoir immédiatement la certitude que cet astre existe bel et bien.

Certes, il s'agit d'un exemple bien pratique, n'en demeure pas moins qu'il reste significatif, à mon sens, quant à la réserve que l'on peut émettre face au caractère absolu et objectif présumé de la clarté et de la distinction.

Mon problème est ici : Je ne comprends pas comment Spinoza tel que vous m'en parlez, passe de :
- Tout homme a primitivement l'idée de Dieu.
- Dieu est cause immanente de toute chose.

Pour ma part, je serais tenté de déduire du premier point que nous sommes tous membres d'une même espèce, non pas que Dieu existe, encore moins qu'il est cause immanente de toute chose. Il doit nécessairement me manquer des étapes.

Sescho a écrit :- Si nous avons l’idée juste de Dieu et des modes en Dieu, à commencer par soi-même et les autres, je ne vois pas quel problème se pose

Dieu est-il une simple idée humaine ou existe t-il en dehors de l'humain ? Autrement dit, faisons nous autre chose que de marquer la nature du seau de notre humanité ?

J'espère ne pas abuser de votre patience.

PS : Je n'ai pas eu le temps de lire les extraits que vous avez pris la peine de joindre, je n'y manquerai pas.


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