Henz a écrit :... Je ne puis m'empêcher de craindre (sans aucune démarche sensée donc) que l'essence elle-même pourrait être une "rationalisation" issue des contingences de notre condition.
Hum ! C'est du doute cartésien cela ? Je ne suis certainement pas le plus compétent pour en parler, mais il me semble que Descartes lui-même a dû quand-même revenir dessus pour pouvoir dire quelque chose d'autre...
Si l'on doute de tout, il n'y a plus de connaissance possible ; c'est presque une lapalissade. Et c'est clairement contraire à Spinoza, lequel indique que la vérité se fait connaître d'elle-même (par la clarté et la distinction de l'idée ou à tout le moins de la démonstration qui établit la proposition.) Non content que pour Spinoza la rationalisation n'est pas contraire à la perception de la vérité, mais s'en est même la condition nécessaire, voire le synonyme. "je suis", "il y a quelque chose (et non pas rien) en dehors de moi" sont les premières certitudes ; la suivante est "puisque je entre en relation avec des choses extérieures, c'est que nous appartenons à un même monde" (le tout vu immédiatement ou presque, contrairement à ce que ces mots laissent penser.) Dieu-Nature n'est pas loin...
Si je considère en outre :
- Que les choses singulières sont en dépendance inévitable, et souvent nécessaire au maintient relatif, vis-à-vis de nombre d'autres choses singulières.
- Qu'elles sont impermanentes en quelque part à tout instant, du fait de cette interdépendance en mouvement, et donc "changent de nature" c'est-à-dire "changent d'essence" à tout instant (le terme "change" est impropre car il tend à maintenir un être en soi de la chose, qui n'existe pas du tout : c'est une autre essence qui se manifeste à chaque instant dans la continuité du mouvement.)
- Qu'elles ne peuvent, par exemple, être distinguées absolument de la matière ("Étendue") qui est leur corps (c'est pourquoi les corps sont des modes de l'Étendue : ils sont sans faute dans l'Étendue, mais l'Étendue n'appartient pas à leur essence.)
- Que les choses singulières partagent éventuellement, outre le rapport à l'attribut, une nature complexe entre elles, ou plus justement qu'elles incarnent pour beaucoup une même nature, et donc une même essence partie de l'essence divine. Autrement dit : que l'essence peut se manifester de façon multiple dans l'existence (s'agissant de choses singulières, pour lesquelles l'existence se distingue totalement de l'essence, même si l'existence est toujours l'incarnation d'une certaine essence.)
- Que des lois constantes sont de toute évidence (même si c'est de façon imparfaite, dans une expression limitée, provisoire, etc.) dégagées qui expliquent les évolutions tant dans le domaine des corps que dans celui de la pensée. Montrant on ne peut plus clairement qu'à l'impermanence des modes finis correspond exactement l'éternité de l'attribut et des lois de mouvement (ou leur sempiternité) et donc qu'à l'absence de permanence et donc absence d'être propre des premières, se substituent en égalité des "choses" éternelles.
- Bien d'autres choses, plus ou moins associées à ce qui précède, comme la nécessité de nourritures, la réaction aux sollicitations extérieures, les actions regrettées ensuite, le doute et l'hésitation, etc.
... je commence à comprendre la fausseté du moi (pas du Soi, qui est en fait impersonnel quoique manifesté dans un mode fini, étant éternel puisque consistant en des idées éternelles - "entières" ("intègres") - dans l'individu comme en Dieu) mais la réalité au premier chef de Dieu-Nature.
Serge