Présentation Henz

Espace pour se présenter : qui êtes vous (ou pensez vous être) ? Comment avez vous découvert Spinoza ? Qu'est-ce qui vous intéresse chez lui plus particulièrement ? et tout ce qu'il vous conviendra de dire pour permettre de mieux se connaître.
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sescho
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Messagepar sescho » 14 août 2009, 10:51

Henz a écrit :Je suis sincèrement navré de vous faire vous répéter, n'étant pas familier avec les notions abordées, j'ai bien du mal à tirer les conclusions qui semblent s'imposer de vos propos. Je ne puis interroger que des bouts de phrases, pas encore l'ensemble qui m'apparaît bien flou -mon imagination est bien trop polluée de scories :).

Mon exposé n'a pas non plus toutes rigueur et construction souhaitables... J'essaye de traiter la question et de donner en même temps une idée générale mais néanmoins fidèle de la pensée de Spinoza ; c'est beaucoup en peu de temps (quoique non négligeable), et je fais en tout état de cause selon mes dispositions propres. Ce sera suffisamment positif, cela dit, si une part significative passe, sans rebuter.

Note : sinon c'est l'imagination (plus ou moins assimilée à la mémoire chez Spinoza) elle-même qui est génératrice de scories.

Henz a écrit :Est-ce à dire que sous prétexte que ces vérités apparaissent immédiatement telles des certitudes, nous pouvons faire l'économie d'en interroger la validité/pertinence ?

Non, il est de bonne pratique de tout tester à fond. Maintenant s'il s'agit non d'examen objectif de la chose même mais de doute systématique plaqué pour le doute lui-même, je mets cela clairement dans la colonne "nuisible."

Henz a écrit :En quoi clarté et distinction sont elles gage de vérité ? Je peux percevoir clairement et distinctement, sans doute possible, l'éclat d'une étoile qui a pourtant cessé d'exister et par conséquent, avoir immédiatement la certitude que cet astre existe bel et bien.

Non, vous extrapolez alors largement, et ce n'est pas clair et distinct. La seule chose "vraie" c'est que vous percevez une lumière dans le ciel. Ajoutons qu'en plus Spinoza n'accorde même pas à la sensation pure prise en elle-même le qualificatif de "clair et distinct" : E2P28 ("clair et distinct" s'applique à des vérités éternelles uniquement : prémisses et lois). Spinoza illustre ce sujet avec l'exemple de la distance du soleil dans E2P35S.

Henz a écrit :Mon problème est ici : Je ne comprends pas comment Spinoza tel que vous m'en parlez, passe de :
- Tout homme a primitivement l'idée de Dieu.
- Dieu est cause immanente de toute chose.

Que l’Homme a primitivement l’idée de Dieu suppose (ce n’est évidemment pas qu’un mot) que c’est en tant que quelque chose. E2P45Dm, complétée par E2P46-47, indique a posteriori de quoi il s’agit en premier lieu : la dimension de l’être commune à tous les corps, par exemple : l’Etendue, est Dieu (naturant.) Dans le texte de l’Éthique, ceci est placé en tête : Dieu est une substance, c’est-à-dire qui est en soi et conçu par soi (on ne la rapporte d’aucune façon à rien d’autre qu’à elle-même : elle est, point) – c’est le cas de l’Étendue, par exemple – et dont en outre l’essence se développe suivant une infinité de dimensions, ou attributs (« en parallèle » ou « en miroir » ; c’est un point difficile.) La deuxième proposition est démontrée dans E1P14-18 en conséquence de la nature de Dieu ; elle n’est donc pas primitive mais développée suivant l’ordre de l’entendement.

Pour se limiter à l’Étendue, les corps ne peuvent être conçus qu’en elle (définition du « mode » ou « manière ») ; elle est donc cause immanente des corps (E1P15.)

Henz a écrit :Pour ma part, je serais tenté de déduire du premier point que nous sommes tous membres d'une même espèce, non pas que Dieu existe, encore moins qu'il est cause immanente de toute chose. Il doit nécessairement me manquer des étapes.

Une espèce est une notion générale (pertinente et même indispensable au développement de notre entendement, notre plus haute richesse, mais néanmoins…), pas un étant. Elle recouvre effectivement l’essence (nature) commune à des individus "similaires" (et donc indépendante de l'histoire personnelle de chacun de ces individus), laquelle essence est, comme toute essence, essence de Dieu. Dans ces conditions « appartenir à une espèce » est une façon de parler contestable. Par ailleurs, il ne faut effectivement pas brûler les étapes : la base est beaucoup plus simple : Dieu transparaît avant tout comme pure et simple communauté d’être entre les modes (en tant qu’Étendue dans les corps par exemple.) L’idée de Dieu est forcément en premier lieu l’idée de quelque chose de simple, d’éternel et d’infini.

Henz a écrit :Dieu est-il une simple idée humaine ou existe t-il en dehors de l'humain ? Autrement dit, faisons nous autre chose que de marquer la nature du sceau de notre humanité ?

Je ne vois pas que l’existence et la perception de l’Étendue, par exemple, soit indissociablement liée à l’existence des hommes. Pour la perception, je mettrais personnellement à l’examen qu’elle puisse être indépendante des modes pensants, mais pour Spinoza c’est clair : Dieu pense et « a l’idée de lui-même » (je dirais – sous réserve – que tant le Bouddhisme que le Védanta sont sur la même ligne, voire une ligne plus spiritualiste : la conscience sans pensées (soit la Pensée naturante chez Spinoza) – qui est en tout état de cause sous-jacente à l’apparition des pensées individuelles – est Dieu éternel et infini (en fait, il est aussi les pensées individuelles, mais en tant que « fluctuations du vide » – qui n’est pas le néant – de la précédente...)

Henz a écrit :J'espère ne pas abuser de votre patience.

Nullement. C’est avec plaisir, et si je sens qu’il faut que je décroche, je le ferai. Mais c’est aussi avec intérêt : d’une part les interrogations simples et sincères sont un excellent stimulant de la réflexion, d’autre part, essayer d’expliquer est un puissant outil de remise en ordre et en cause de ses propres pensées.

Amicalement

Serge
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Messagepar Henz » 14 août 2009, 12:25

Sescho a écrit :Non, il est de bonne pratique de tout tester à fond. Maintenant s'il s'agit non d'examen objectif de la chose même mais de doute systématique plaqué pour le doute lui-même, je mets cela clairement dans la colonne "nuisible."

J'ai hélas, également le sentiment que ce doute ne débouche que sur lui-même. Toutefois, je n'en use pas comme d'une "méthode", disons plutôt qu'il semble s'imposer de lui-même tant que je reste incapable d'élucider la question "Puis-je savoir ?" Comment puis-je considérer une chose sans m'interroger sur ma capacité à la saisir, qui plus est, pour ce qu'elle "est" aussi en dehors des limites de ma condition ?

Je ne puis m'empêcher, de penser que prétendre d'une chose qu'elle est réellement ce que j'en vois (l'idée adéquate/juste ?) est un anthropocentrisme doublé d'un anthropomorphisme. Je tends pourtant sincèrement l'oreille aux prémisses (et à leur nature) que vous avez exposé, disons que pour le moment et dans mon incompréhension, ils restent autant de postulats.

Sescho a écrit :("clair et distinct" s'applique à des vérités éternelles uniquement : prémisses et lois)

Si je ne comprends pas mal, clarté et distinction seraient les attributs (sens usuel) d'une vérité éternelle. En dehors de la justification par les attributs, (qui, ce me semble, constituent davantage un mode -sens usuel- d'expression d'une vérité éternelle, soumis à la perception -"Puis-je savoir ?") qu'est-ce qui confère le "statut" de vérité éternelle ?

Pouvez-vous m'en dire plus au sujet de la génèse des scories ?

Pour le reste de votre message, je crois qu'il me faut maintenant tenter d'appréhender les démonstrations de Spinoza. A ce sujet, en regard de notre conversation, pensez-vous qu'il soit bien pertinent que je commence d'emblée par lire l'Ethique ?

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Messagepar Louisa » 14 août 2009, 15:22

Sescho a écrit :
Henz a écrit :Henz a écrit:
En quoi clarté et distinction sont elles gage de vérité ? Je peux percevoir clairement et distinctement, sans doute possible, l'éclat d'une étoile qui a pourtant cessé d'exister et par conséquent, avoir immédiatement la certitude que cet astre existe bel et bien.


Non, vous extrapolez alors largement, et ce n'est pas clair et distinct. La seule chose "vraie" c'est que vous percevez une lumière dans le ciel. Ajoutons qu'en plus Spinoza n'accorde même pas à la sensation pure prise en elle-même le qualificatif de "clair et distinct" : E2P28 ("clair et distinct" s'applique à des vérités éternelles uniquement : prémisses et lois). Spinoza illustre ce sujet avec l'exemple de la distance du soleil dans E2P35S.


juste une nuance en passant.

Pour autant que je sache, les commentateurs de Spinoza (ceux qui consacrent toute leur vie à étudier le spinozisme) sont d'accord pour dire que ce que Spinoza veut dire par "idée claire et distincte" est ... tout sauf clair. Ce qui est certain, c'est que Spinoza propose une théorie de la vérité qui est tout à fait originale, mais il nous faudra encore pas mal d'années de recherche avant de pouvoir comprendre en quoi elle consiste plus précisément.

Pour l'instant, la seule chose qui est certaine, c'est qu'on ne peut pas comprendre "idée claire et distincte" au sens courant des mots. Car en effet, lorsque je vois une étoile au ciel, en un certain sens je peux parfaitement dire que l'idée que j'en ai est claire et distincte. Je vois clairement une étoile, et je peux facilement la distinguer des autres étoiles.

Comme Sescho le dit, Spinoza donne un exemple tout à fait similaire, où il s'agit de la perception (Spinoza ne parle pas de "sensation" dans l'Ethique; il parlera de sensation dans le Traité de la réforme de l'entendement, mais là aussi, on constate qu'il donne à ce mot un sens inédit) du soleil, ou plutôt, de l'idée que nous avons de la distance de la terre au soleil sur base d'une perception qui ne se sert de rien d'autre que de nos yeux.

Avant de préciser ce qu'il en dit, remarquons d'abord que les adjectifs "clair" et "distinct" chez Spinoza ne s'appliquent qu'à une seule chose: une idée. Rien d'autre. C'est très important, car déjà fort différent de notre opinion spontanée concernant la vérité. Comme Spinoza l'explique dans un autre livre, les Pensées métaphysiques, la façon dont on utilise habituellement le mot "vrai" est "dérivée" de son sens originel, et en a fait beaucoup plus que ce que ce n'était. Il résume l'histoire de la "vérité", telle qu'il le voit, en quatre étapes:

1. A l'origine, "vrai" ne désignait qu'une "narration". Une histoire que l'on raconte est vrai lorsque ce qu'on y dit s'est réellement passé.

2. Puis les philosophes se sont appropriés de ce terme, et lui ont donné un nouveau sens: le vrai désigne maintenant l'accord entre une idée et ce dont l'idée est l'idée (dans le cas de votre exemple: un accord entre votre idée du soleil, et le soleil).

3. Ensuite on a commencé à utiliser le mot vrai tel que les philosophes le comprenaient dans un sens plus métaphorique, en pensant que le "vrai" peut être une propriété de quelque chose qui existe dans la nature (une chose singulière, une loi naturelle, etc.).

4. Enfin, les philosophes ont inventé un autre concept du vrai encore, ou maintenant la vérité devient une "affection universelle de l'être", c'est-à-dire ce qu'en philosophie on appelle un "transcendental" (quelque chose qui est présent en tout chose, au sens où l'on peut dire de toute chose si elle est vraie ou non). C'est le cas par exemple chez Thomas d'Aquin (autre grand philosophe, à mon sens incontournable lorsqu'on veut faire de la philosophie et créer pour soi-même des réponses aux questions que vous vous posez).

Maintenant, qu'est-ce que Spinoza conclut de cette histoire? Pour lui, comme déjà dit, on ne peut attribuer le qualificatif "vrai" qu'à des idées, et à rien d'autre. Donc surtout pas aux choses qui existent. Est-ce dire qu'il veut retourner au sens originel du terme? Non, puisqu'il y ajoute immédiatement que les idées ne sont pas des "histoires mentales" qu'on se raconte sur les choses. Pour lui ce qu'on dit d'habitude de la vérité n'est que de la "rhétorique" (au sens noble du terme, c'est-à-dire au sens où la rhétorique fait depuis Aristote partie de la philosophie, et concerne tout ce qui à trait à nos façons de parler).

Mais alors, si seule une idée peut être vraie, la question demeure: comment distinguer une idée vraie d'une idée fausse? C'est là que hélas Spinoza n'est pas très clair. Il dit qu'il y a une identité totale entre la vérité et l'idée vraie, tout comme il y a identité entre la blancheur et une chose blanche. Mais qu'est-ce à dire?

Ailleurs, il dit aussi que si l'idée est toujours une idée de quelque chose, ce quelque chose est en premier lieu une affection de mon Corps. C'est ce qu'il décrit très bien dans le scolie de l'E2P35, déjà indiqué par Sescho, mais aussi et plus en détail dans le scolie de la première proposition de la quatrième partie (De la servitude humaine).

Lorsque je regarde le soleil, le soleil affecte mon Corps. Mon Esprit forme immédiatement une idée ayant cette affection comme objet. Spinoza appelle l'affection du Corps une "image" (aussi lorsqu'il s'agit d'une affection non visuelle), et l'idée ayant cette affection ou image comme objet une "imagination".

Seulement, il y ajoute que cette imagination (ou idée ayant l'affection/image comme objet) n'est ni vraie ni fausse. Si donc la vérité ne qualifie que des idées, pas toutes les idées sont susceptibles de vérité ou de fausseté. Quelle est alors la différence entre une idée vraie et une imagination? Ou entre une idée fausse et une imagination?

Lorsque je regarde le soleil à l'oeil nu, j'ai une affection du Corps ou image, plus l'idée ou imagination. Je m'imagine le soleil étant assez proche de la terre, vu sa grandeur. Or lorsque je commence à utiliser un téléscope, lorsque j'y ajoute un tas d'exercices mathématiques etc., je ne peux que constater que le soleil doit être beaucoup plus éloigné de nous que ce que l'oeil nu laisse croire. Je me dis alors que la "vraie" distance est beaucoup plus grande, disons y (alors que la distance à l'oeil nu semble être x). Pourquoi appeler cette deuxième idée "vraie", et l'imagination non?

C'est là que cela devient intéressant. Parce que dans le deuxième cas, je n'en suis plus resté à une idée seule (l'idée de mon affection), je me suis laissé affecter de nombreuses manières différentes par ce même soleil, et j'ai commencé à regarder en quoi toutes ces idées "se conviennent, diffèrent ou s'opposent". J'ai donc comparé les différentes idées, ce qui m'a permis d'en faire une idée "composée". Et ce ne sont que les idées composées qui peuvent être susceptibles du vrai et du faux.

Or, pourriez-vous objecter, dans ce cas Spinoza dit ce que je pensais déjà, que la vérité est purement "subjective"! Cela aurait pu être le cas, si Spinoza avait accepté la proposition de Descartes, qui avait fait "descendre" les idées du ciel pour les mettre dans l'esprit de l'homme. Mais il a refusé de ce faire. Pour Spinoza, une idée vraie dans mon Esprit, c'est en même temps une idée vraie dans l'entendement divin (E2P11). Mais qu'est-ce que cela veut dire? Répondre à cette question n'est possible que si l'on se demande quel est le statut de l'entendement divin chez Spinoza.

Pour l'instant, je voulais juste signaler qu'il faut être "prudent" (le fameux Caute de Spinoza) avec les notions de clair, distinct et vrai chez Spinoza. Si par exemple il dit bel et bien que l'on ne peut pas douter d'une idée vraie (puisque la vérité et la certitude sont une seule et même chose, un seul et même "sentiment", pourrait-on dire), il y ajoute immédiatement que l'absence du doute n'est pas du tout la même chose que la vérité. Autrement dit, ce n'est pas parce que je ne doute pas de mon idée A, qu'elle est déjà vrai. b][Il distingue donc la certitude d'une absence de doute[/b]. De nouveau, il faudra approfondir la recherche pour pouvoir savoir comment il les distingue (disons déjà que pour lui, on ne peut pas "décider" de douter, on ne doute ou on ne doute pas, et cela on ne peut que le constater; on doute lorsqu'on n'a pas suffisamment de raisons pour déclarer une idée "vraie", mais pas non plus pour la déclarer "fausse", ce qui donne un genre de "flottement dans le jugement. Le doute méthodique cartésien pour Spinoza n'est donc pas un vrai doute, ne peut pas être appelé doute. Un doute nous survient, nous prend, on ne peut pas décider de douter ou non. Par conséquent, si vous sentez que vous doutez, vous faites autre chose que d'activement tester une idée, vous ne faites rien d'autre que de constater que là, vous sentez que vous ne savez pas, tandis que "tester" une ideé, reformulé d'un point de vue spinoziste, c'est précisément "comparer" plusieurs idées pour essayer de comprendre en quoi elles sont différentes ou non, bref c'est essayer de les "distinguer" le plus clairement possible les unes des autres).

Cela signifie aussi que lorsque par exemple je perçois le soleil à l'oeil nu, et que j'ai une idée de mon affection par le soleil (imagination qui n'est en soi ni fausse ni vraie), la découverte de la véritable distance entre la terre et le soleil ne pourra pas rendre l'imagination fausse. Ce qui, encore une fois, indique combien la théorie spinoziste de la vérité est originale et nouvelle. Qu'est-ce qui arrive alors à l'imagination, une fois découverte la vraie distance? Elle reste là! Lorsque je regarde après de nouveau le soleil, celui-ci frappera mon oeil toujours exactement de la même manière qu'avant, donc j'aurai de nouveau exactement la même impression! Seulement, maintenant je "complèterai" cette idée qu'est l'imagination avec toutes les autres idées que j'ai formées à ce sujet (les calculs, les affections résultant du téléscope etc.), et je pourrai me dire que cette imagination s'explique par tout ce que j'ai découvert par ailleurs.

Mais sans doute vaut-il mieux lire l'Ethique vous-même, comme vous le suggérez en effet, que de vous baser simplement sur nos remarques ici. Peut-être qu'en lisant attentivement vous y découvrirez autre chose encore que ce que nous y lisons jusqu'à présent?

Bonne lecture!
L.

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Messagepar sescho » 15 août 2009, 17:40

Henz a écrit :J'ai hélas, également le sentiment que ce doute ne débouche que sur lui-même. Toutefois, je n'en use pas comme d'une "méthode", disons plutôt qu'il semble s'imposer de lui-même tant que je reste incapable d'élucider la question "Puis-je savoir ?" Comment puis-je considérer une chose sans m'interroger sur ma capacité à la saisir, qui plus est, pour ce qu'elle "est" aussi en dehors des limites de ma condition ?

Ce qui est au-dessus de la condition humaine n'est par définition pas saisissable en vérité à l'Homme. Et il est de la plus haute évidence que l'Homme est loin d'approcher la Nature même (ce que Spinoza signale clairement à plusieurs reprises.) Il est insensé de vouloir dépasser ce qui est indépassable. Donc, la seule "solution" est d'accepter le Mystère (pour l'homme.) On s'y fait très très bien : Dieu Nature est plus grand que moi, le Mystère est la traduction de cette grandeur. C'est beau finalement…

Toutefois, ce n'est pas dire pour autant que l'Homme ne peut rien connaître (quoique c’est un débat continu au cours de l'Histoire : du pyrrhonisme (suspendre son jugement sur tout pour être heureux) au dogmatisme (il existe des vérités absolument certaines accessibles à l'Homme ; Spinoza y est rattaché), en passant par le scepticisme modéré (la connaissance est floue, mais une proposition étudiée à fond, discutée avec d'autres et finalement ébranlée par rien est une conviction ferme.)

Il est vrai que Spinoza décrit un très haut niveau de connaissance vraie et ne dit pas trop où se situe le Mystère au niveau des premiers principes (mais il indique bien par exemple que nous sommes loin de pouvoir penser toutes les causes d'un évènement quelconque dans le monde ; nous ne pouvons pas saisir adéquatement l'essence des choses singulières prises dans leur singularité, etc. Personnellement je pense par exemple que l’Homme ne connaîtra jamais à fond la matière et n’y réduira jamais la pensée (les deux hypothèses sont tout simplement insensées) mais que pour autant il y a une unique réalité derrière ces deux « aspects. » Spinoza a choisi d’introduire les attributs en faisant des « aspects » de Dieu de ce qui est le Mystère, selon moi. Cela peut être jugé un pas de trop dans le dogmatisme ; toutefois il restitue bien ce faisant – et il n’est a priori pas aisé de le faire plus efficacement – tant la réalité humaine que l’unité de Dieu Nature (au prix de quelques complications dans l’exposé, cela dit...)

Henz a écrit :Je ne puis m'empêcher, de penser que prétendre d'une chose qu'elle est réellement ce que j'en vois (l'idée adéquate/juste ?) est un anthropocentrisme doublé d'un anthropomorphisme. Je tends pourtant sincèrement l'oreille aux prémisses (et à leur nature) que vous avez exposé, disons que pour le moment et dans mon incompréhension, ils restent autant de postulats.

Déjà, il n’est effectivement pas possible de saisir adéquatement la nature (essence) d’une chose singulière prise dans sa singularité, et en premier lieu pas par les sensations (appelées « idées d’affection du Corps » par Spinoza ; il est évident que tout ce dont nous parlons est nécessairement transposé au plan mental.)

Le point de vue de Spinoza est bien clair : mises à part quelques prémisses très simples et ne dépendant pas des conditions extérieures, tout le reste est l’œuvre de la logique (dans un développement orienté par l’intuition, disons.)

Pour les prémisses, il est bien évident qu’on ne peut pas assentir au point de vue global de Spinoza sans les accepter comme des vérités incontestables (c’est là par exemple que la définition assez lourde de premier abord de Dieu, éventuellement « ne passe pas toute seule sans problème » ; mais on accepte quand-même de continuer « pour voir », et on trouve profit à le faire…)

Pour Dieu : je ressens nécessairement dans le fait d’être en relation avec d’autres étants une communauté de nature. J’ai conscience de mon corps et des autres corps : mon corps partage avec les autres corps l’être étendu (appelé l’Étendue). Il m’est indiqué tout particulièrement par la vision stéréoscopique. L’Étendue, la dimension étendue de l’être, c’est Dieu.

Une autre dimension de l’être m’est évidente : la Pensée, « être-substrat » de toutes les pensées individuelles. Cette dimension pensée de l’être, c’est encore Dieu (E2P47Dm.) Tant l’Étendue que la Pensée se conçoivent par elles-mêmes ; elles sont donc en elles-mêmes. On ne demande pas pourquoi il y a de l’être étendu ou pensé ; il y en a de toute évidence, point. Il est et ne se rapporte à rien (sauf à Dieu, mais c’est la même chose.)

Enfin, les deux dimensions relèvent bien d’un même monde, d’un même Dieu, ou Nature. Donc Dieu recouvre plusieurs dimensions de l’être. Comme le Mental de l’Homme est limité (et, dis-je, le nombre 2 ne convient pas à Dieu), il faut concéder une infinité de ces dimensions à Dieu, l’Homme n’en percevant dans sa limitation intrinsèque que 2.

Dieu est donc bien une chose étant en soi, se concevant par soi, et se développant suivant une infinité de dimensions.

L’alternative sans les dimensions (attributs) - à traiter par la suite - pourrait être : Dieu est en soi, se conçoit par soi, et il n’y a rien en dehors de lui (car il doit être unique, mais dire cela à l'époque est suicidaire, en passant...)

Ce texte est certes lourd pour une prémisse simple évidente par elle-même… Mais c’est l’aveuglement qui l’impose, pas la Nature. Pour un jeune enfant qui découvre le monde avec ses yeux et ses mains, cela (la perception de la communauté d’être) est spontané.

La question peut être envisagée autrement : comment ressens-je le concept de « Nature » ? Est-il bien cette « entité » qui contient tout, régit tout (par ses lois éternelles), est partout la même, immuable, éternelle et infinie ? Si oui : c’est cela Dieu. Sinon, quoi d’autre de défendable ?

Henz a écrit :Si je ne comprends pas mal, clarté et distinction seraient les attributs (sens usuel) d'une vérité éternelle. En dehors de la justification par les attributs, (qui, ce me semble, constituent davantage un mode -sens usuel- d'expression d'une vérité éternelle, soumis à la perception -"Puis-je savoir ?") qu'est-ce qui confère le "statut" de vérité éternelle ?

La clarté et la distinction c’est d’abord l’absence de quelque doute que ce soit, sur une proposition parfaitement nette dans son expression (ceci étant non verbalisé, en fait.) Le contraire c’est : obscur, flou, incertain, confus. Ceci même si a contrario toute absence de doute n’est pas clarté et distinction (on peut tout contester par principe avec ce point, mais cela n’a pas la moindre valeur : on n’est pas dans la tête de l’autre, et la clarté et la distinction c’est un sentiment personnel pur, même s’il est partagé avec d’autres.) On peut éventuellement reprendre les critères de Carnéade : une absence totale de doute sur une chose vérifiée à fond, mise à l’épreuve sans pitié et discutée contradictoirement, cela devrait suffire…

Il se trouve que seules les vérités éternelles peuvent être vues clairement et distinctement (toute chose singulière prise dans sa singularité changeant en permanence, ce serait bien difficile d’en avoir une représentation juste, en particulier.)

Il n’y a pas d’autre réponse que : la vérité se fait connaître d’elle-même, par la clarté et la distinction. Normalement on a une idée de ce que peut être une idée longuement mûrie et travaillée, ferme et qui n’est entamée par rien.

Henz a écrit :Pouvez-vous m'en dire plus au sujet de la génèse des scories ?

Vaste sujet… Très…

Pour faire court, le problème vient de l’imagination (sensation) et surtout de la mémoire (c’est généralement associé en un tout chez Spinoza : E2P17-18 ; E2P40S2 ; E2P44 ; E5P34…) : des idées confuses se forment par ouï-dire et par expérience vague, puis par accumulation et moyennage / généralisation grossière, avec des associations entre imaginations, etc. Ceci se combine en outre aux deux passions de base que sont le désir et l’émotion (Joie et Tristesse.) Les émotions créent de nouveaux désirs. Le tout peut être à son tour mémorisé, généralisé, etc. C’est tout cela que Spinoza appelle les passions (à dissoudre autant que possible.)

Bref, entre les idées confuses, les désirs impulsifs et les émotions, c’est – en étant très généreux – 80% de l’esprit de l’individu moyen qui est un beau m…r !

Voici, outre la définition générale des passions à la fin, les deux propositions sœurs de l’Ethique que j’ai identifiées (sous réserve de consolidation) comme mère de la plupart des passions décrites dans E3 (Spinoza n’emploie pas « imaginer » par hasard, évidemment) – sachant que ce qui augmente la puissance d’agir du corps augmente la puissance d’agir de l’âme :

Spinoza a écrit :E3P12 : L’âme s’efforce, autant qu’il est en elle, d’imaginer les choses qui augmentent ou favorisent la puissance d’agir du corps.

E3P13 : Quand l’âme imagine des choses qui diminuent la puissance d’agir du corps, elle s’efforce, autant qu’il est en elle, de rappeler d’autres choses qui excluent l’existence des premières.

E3AppDGA : Ce genre d’affect qu’on appelle passion de l’âme, c’est une idée confuse par laquelle l’âme affirme que le corps ou quelqu’une de ses parties a une puissance d’exister plus grande ou plus petite que celle qu’il avait auparavant, laquelle puissance étant donnée, l’âme est déterminée à penser à telle chose plutôt qu’à telle autre.

En outre, on pressent déjà rien qu'à la lecture de E3P12 que l'Orgueil est la pire des passions...

Henz a écrit :Pour le reste de votre message, je crois qu'il me faut maintenant tenter d'appréhender les démonstrations de Spinoza. A ce sujet, en regard de notre conversation, pensez-vous qu'il soit bien pertinent que je commence d'emblée par lire l'Ethique ?

Je donnerais le même conseil que j’ai donné dans le lien que j’ai rappelé plus haut. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas considérer ce que d’autres ont conseillé…

Spinoza a écrit : Lettre 37 à Bouwmeester : … il doit nécessairement y avoir une méthode par laquelle nous pouvons conduire et enchaîner nos perceptions claires et distinctes, et que l’entendement n’est pas, comme le corps, sujet aux chances du hasard. Or c’est ce qui résulte de ce seul point, savoir : qu’une perception claire et distincte ou plusieurs ensemble peuvent être cause par elles seules d’une autre perception claire et distincte. Je dis plus : toutes nos perceptions claires et distinctes ne peuvent naître que de perceptions de même espèce, lesquelles sont primitivement en nous et n’ont aucune cause extérieure. D’où il suit que toutes ces perceptions ne dépendent que de notre seule nature et de ses lois invariables et déterminées ; en d’autres termes, c’est de notre seule puissance qu’elles dépendent et non point de la fortune, je veux dire des causes extérieures, qui sans doute agissent suivant des lois déterminées et invariables, mais nous demeurent inconnues, étrangères qu’elles sont à notre nature et à notre puissance propre. Quant aux autres perceptions, j’avoue qu’elles dépendent le plus souvent de la fortune. On peut voir par là quelle doit être la vraie méthode et en quoi elle consiste principalement, savoir, dans la seule connaissance de l’entendement pur, de sa nature et de ses lois ; et pour acquérir cette connaissance, il faut sur toutes choses distinguer entre l’entendement et l’imagination, en d’autres termes, entre les idées vraies et les autres idées, fictives, fausses, douteuses, toutes celles, en un mot, qui ne dépendent que de la mémoire. …



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division du sujet

Messagepar bardamu » 18 août 2009, 18:06

Message à caractère informatif :
les derniers messages de Sescho et Louisa parlant de Dieu et du Mystère ont été déplacés dans cette nouvelle discussion.


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